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22/12/2008 | LUXEMBOURG | N°24177

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 décembre 2008, 24177


Tribunal administratif N° 24177 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 mars 2008 Audience publique du 22 décembre 2008 Recours formé par la société à responsabilité limitée … et la société anonyme … contre une décision du … en présence de la société anonyme … en matière de marchés publics

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 24177 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 12 mars 2008 par Maître René Faltz, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la sociÃ

©té à responsabilité limitée …, établie et ayant son siège social à L-…, représentée par son géra...

Tribunal administratif N° 24177 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 mars 2008 Audience publique du 22 décembre 2008 Recours formé par la société à responsabilité limitée … et la société anonyme … contre une décision du … en présence de la société anonyme … en matière de marchés publics

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 24177 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 12 mars 2008 par Maître René Faltz, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée …, établie et ayant son siège social à L-…, représentée par son gérant actuellement en fonctions et la société anonyme …, établie et ayant son siège social à L-…, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, tendant à l’annulation d’une décision prise par … en date du 22 février 2008 portant attribution du marché public de travaux relatif à la construction, terrassement et pose, sans fournitures de conduites de transport, d’eau potable entre … et … à la société de droit français …, établie et ayant son siège social à F-… ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Georges Weber, agissant en remplacement de l’huissier de justice Alex Mertzig, les deux demeurant à Diekirch, du 17 mars 2008 portant signification de cette requête au … avec siège à L-…, rue de …, ainsi qu’à la société de droit français … ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Christophe Leblanc, demeurant à Nantes, du 8 avril 2008 portant signification de cette requête à la société de droit français … ;

Vu l’ordonnance de référé du 21 mars 2008, n° du rôle 24176 par laquelle a été déclarée non fondée la demande tendant à voir prononcer le sursis à exécution de la décision du 22 février 2008 ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 10 juin 2008 par Maître Donald Venkatapen, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société de droit français … ;

Vu la notification de ce mémoire en réponse intervenue respectivement les 10 juin 2008 par voie de télécopie adressée à Maître Patrick Kinsch, mandataire du …, et 11 juin 2000 à Maître René Faltz, mandataire des sociétés … Constructions et … ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 11 juin 2008 par Maître Patrick Kinsch, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom du … ;

Vu la notification de ce mémoire en réponse intervenue respectivement en date des 10 et 11 juin 2008 par voie de télécopie adressée à Maîtres René Faltz et Donald Venkatapen ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 4 juillet 2008 par Maître René Faltz au nom des sociétés … Constructions et … ;

Vu la notification de ce mémoire en réplique intervenue le 4 juillet 2008 par voie de télécopie adressée à Maîtres Patrick Kinsch et Donald Venkatapen ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 3 octobre 2008 par Maître Donald Venkatapen au nom de la société de droit français … ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 6 octobre 2008 par Maître Patrick Kinsch au nom du … ;

Vu la notification de ce mémoire en duplique intervenue le 6 octobre 2008 par voie de télécopie adressée à Maîtres René Faltz et Donald Venkatapen ;

Vu les pièces versées au dossier et notamment la décision attaquée ;

Entendu le juge rapporteur en son rapport, ainsi que Maîtres Tom Felgen, en remplacement de Maître René Faltz, Donald Venkatapen et Patrick Kinsch en leurs plaidoiries respectives.

Le …, ci-après dénommé « …» lança un appel d'offre pour un marché public de travaux relatif à la construction, terrassement et pose, sans fournitures, de conduites de transport d'eau potable (DN 700, DN 300, et DN 200) entre … et ….

L'avis de procédure négociée pour ce marché fut publié le 15 juin 2007 dans le Journal officiel de l'Union Européenne.

Les sociétés … Constructions et … se sont associées sous la forme d'une association momentanée …-…, ci-après dénommées les « sociétés …-… » en vue de déposer une offre.

Suite à une procédure de pré-qualification, sept candidats furent retenus pour participer à une procédure négociée.

La date limite de dépôt des dossiers fut fixée au 3 janvier 2008 et quatre dossiers d’offres furent déposés, à savoir par les sociétés …, …, …, ci-après dénommée la « société … » et les sociétés …-….

Le pouvoir adjudicateur chargea l’association momentanée … et le cabinet de géomètres experts …. de l'analyse des offres et des négociations. Le 18 février 2008, l’association momentanée … et le cabinet de géomètres experts …. rendit son rapport définitif d’analyse des offres et des protocoles de négociations duquel il ressort que c'est l'offre déposée par la société … qui apparaît comme l'offre économiquement la plus avantageuse.

Par lettre réceptionnée le 26 février 2008, les sociétés …-… furent informées de ce qu'au regard des critères d'attribution, leur offre n'avait pas été considérée comme l'offre économiquement la plus avantageuse et de ce qu'en date du 22 février 2008, la décision d'adjudication relative à ce marché était intervenue.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 12 mars 2008, inscrite sous le numéro 24177 du rôle, les sociétés …-… ont fait introduire un recours en annulation à l’encontre de la décision prérelatée du 22 février 2008.

Par requête séparée déposée au greffe du tribunal administratif le même jour, inscrite sous le numéro 24176 du rôle, les sociétés …-… ont demandé au président du tribunal administratif de prononcer le sursis à exécution de la décision du 22 février 2008 adjugeant ledit marché à la société ….

Par une ordonnance du 21 mars 2008, le président a reçu cette demande en la forme mais l’a déclarée non justifiée et en a débouté les sociétés …-….

Quant à la recevabilité du recours en annulation, le … fait valoir que dans la mesure où les positions 5.1.3. et 5.1.9. du bordereau de soumission n’auraient pas été remplies par les sociétés …-…, leur offre serait nulle, de sorte qu’elles ne seraient pas habilitées à critiquer l’attribution du marché à un autre soumissionnaire. En effet, il serait de principe que l’entrepreneur qui ne remplit pas les conditions requises pour être admis à soumissionner serait sans intérêt à demander l’annulation de l’attribution du marché. Le fait que le … n’a pas invoqué cette nullité au moment de l’examen de l’offre serait dépourvu de pertinence, dès lors qu’une irrégularité objective ne pourrait être couverte par le silence, ou même par l’accord exprès du pouvoir adjudicateur.

Les autres parties au litige n’ont pas pris position par rapport à ce moyen.

S’il est certes exact qu’il ressort du document « Analyse des offres et des protocoles de négociations » de février 2008 établi par les bureaux … et … pour le compte du pouvoir adjudicateur, que les positions 5.1.3. et 5.1.9. du bordereau de soumission des sociétés …-… n’étaient initialement pas remplies, il n’en ressort pas moins que suite à une demande tendant à faire compléter les dites positions, celles-ci ont été dûment complétées, de sorte que le moyen manque en fait et doit dès lors être écarté. Il ressort effectivement de la page 20 de ladite analyse que : « Des tableaux comparatifs suivants ont été réalisés après corrections. Des prix unitaires ont été fixés arbitrairement pour les positions manquantes du listing de prix de …-… : Position 5.1.3 : Heure de terrassier : 48,51 €/heure (moyenne des 3 autres Soumissionnaires) Position 5.1.9 :

Heure de ferrailleur : 40,01 € (moyenne des 3 autres Soumissionnaires) ».

Etant donné que ni la loi modifiée du 30 juin 2003 sur les marchés publics, ni une quelconque autre disposition légale ne prévoit la possibilité d’exercer un recours en réformation contre une décision d’attribution respectivement de rejet d’une adjudication, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision litigieuse, recours qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les sociétés …-… font d’abord valoir que le critère d’attribution relatif à la fourniture des documents complémentaires exigés lors de la remise des offres serait à considérer comme un critère illégal, au motif que seuls les critères de sélection prévus à l’article 85 du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003 portant exécution de la loi du 30 juin 2003 sur les marchés publics, dénommé ci-après « le règlement grand-ducal du 7 juillet 2003 » et les critères d’attribution prévus aux articles 89, 236 2) et 238 du même règlement grand-ducal pourraient être utilisés. Elles estiment que les critères retenus devraient être en relation directe avec le marché en cause, sinon justifiés par l’objet du marché et par ses conditions d’exécution. Elles ajoutent que dans la mesure où le critère utilisé ne permettrait pas d’apprécier la valeur intrinsèque de la prestation offerte, son utilisation serait illégale. Les sociétés …-… sont enfin d’avis que l’utilisation de ce critère serait encore illégale, au motif qu’il serait contraire à l’esprit de la procédure négociée.

Le …, tout en soulignant que ce critère ne serait pas un critère illégal, fait valoir en substance que ce moyen devrait être écarté au motif qu’il serait à qualifier de moyen inopérant. Il donne à considérer, à ce titre, que le résultat de l’analyse des offres serait identique, même en faisant abstraction dudit critère. Il souligne que le litige serait relatif à la légalité de la décision d’adjudication du 22 février 2008, de sorte qu’une prétendue illégalité du cahier des charges ne pourrait entraîner indirectement l’illégalité de la décision d'adjudication qu’à condition que la décision d’adjudication prise soit réellement la conséquence de l’insertion d’une clause illégale dans le cahier des charges.

Les sociétés …-… estiment qu’il y aurait méprise sur la sanction d’un critère illégal, dans la mesure où le raisonnement développé serait à faire dans le cadre d’un procès civil où l’on pourrait faire admettre qu’il n’y aurait pas eu perte d’une chance dans leur chef au motif qu’elles n’auraient de toute façon pas obtenu le marché même si ledit critère avait été appliqué. Dans le cadre de la présente procédure cependant, la sanction de l’application d’un critère illégal devrait consister dans l’annulation de la décision d’adjudication litigieuse.

En l’espèce, il ressort du cahier spécial des charges que l’offre économiquement la plus avantageuse sera déterminée sur base de trois critères dont un critère a trait à la fourniture des documents complémentaires exigés lors de la remise de l’offre et est affecté d’une pondération de 5 %.

Il ressort encore du document « analyse des offres et des protocoles de négociations »1 que même en ne prenant pas en considération le critère relatif à la fourniture des documents complémentaires, la société … resterait classée en 1ière position avec un nombre total de 86 points, les sociétés …-… resteraient classées en 2ième position avec un nombre total de 83 points et la société … resterait classée en 3ième position avec un total de 78 points, de sorte que la non prise en compte dudit critère ne changerait rien au classement actuellement litigieux et sous-jacent à la décision d’adjudication déférée.

Au vu de cette constatation, il y a lieu de retenir que le moyen mettant en cause l’illégalité dudit critère d’évaluation, même à le supposer fondé, reste sans conséquence sur l’issue du litige, étant donné que l’annulation éventuelle de la décision d’adjudication prononcée à cause de l’illégalité d’un critère d’attribution nécessite la constatation préalable que l’application dudit critère a pu avoir un effet sur la décision d’adjudication en cause, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce.

Il y a dès lors lieu de retenir que les parties demanderesses n’ont aucun intérêt à soulever le moyen mettant en cause la légalité du critère relatif à la fourniture des documents complémentaires, de sorte qu’il incombe de l’écarter.

Les sociétés …-… soulèvent, en deuxième lieu, que les sous-critères composant le critère de la valeur technique de l'offre n’auraient été divulgués, en violation de l’article 89 du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003, qu’après la décision d’adjudication intervenue le 22 février 2008. A défaut d’avoir informé les soumissionnaires de l’utilisation et du contenu des dits sous-critères, le … aurait encore violé la transparence administrative. A titre subsidiaire, les sociétés …-… font valoir que la spécificité du mode de passation du marché, à savoir la procédure négociée, aurait exigé que le … porte, dès le début des négociations, les sous-critères à la connaissance des candidats sélectionnés, afin de permettre à ceux-ci d’adapter leur offre en conséquence.

1 V. le tableau relatif au classement des soumissionnaires après négociation, p. 50.

La société … répond que l’utilisation de sous-critères ne serait pas réglementée, dans la mesure où l’article 89 du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003 viserait seulement les « critères ». En l’absence de réglementation nationale, il y aurait lieu de se référer à la jurisprudence communautaire et notamment à un arrêt du 24 novembre 2005 de la Cour de justice des Communautés européennes, ci-après dénommé « la CJCE » (aff.

C-331/04 ATI EAC Srl e Viaggi di Maio Snc e.a. c/ ACTV Venezia SpA e.a.) où des sous-critères d’attribution auraient été utilisés sans être portés à la connaissance des soumissionnaires, mais les sous-critères auraient été fondés sur des indications fournies par le pouvoir adjudicateur portant sur des documents qui auraient dû être présents dans les offres soumises. En vertu de ladite jurisprudence, la CJCE aurait soumis la validité du recours à des sous-critères à l’obligation de respecter trois conditions, à savoir que les sous-critères ne devraient pas modifier les critères indiqués dans le cahier des charges, les sous-critères ne devraient pas contenir d'éléments qui, s’ils avaient été connus lors de la préparation des offres, auraient pu influencer cette préparation et enfin les sous-critères ne devraient pas avoir été adoptés en prenant en compte des éléments susceptibles d'avoir un effet discriminatoire envers l'un des soumissionnaires. En plus, la CJCE aurait réaffirmé dans un arrêt récent du 24 mai 2008 (aff. C-532/06 Emm. G. Lianakis AE c/ Dimos Alexandroupolis) la validité de l’utilisation de sous-critères d’attribution lorsque les sous-critères seraient fondés sur des indications contenues dans le cahier spécial des charges.

La société … souligne que la lecture du cahier spécial des charges et en particulier de son annexe 11, permettrait de constater que les sous-critères utilisés seraient fondés sur des documents qui auraient dû être remis par les soumissionnaires dans leurs offres respectives, comme par exemple les plans d'installation de chantiers, le programme détaillé des travaux, les procédures quant à la pose, les procédures quant à la réalisation des épreuves sous pression, les procédures quant au nettoyage et à la désinfection des conduites. Elle estime que dans la mesure où les sous-critères se seraient fondés sur des indications contenues dans le cahier des charges, les sous-critères auraient pu être déterminés et seules leurs pondérations auraient été établies par la suite, de sorte que leur utilisation ne saurait être remise en cause.

La société … expose, à titre subsidiaire, que dans la mesure où les sociétés …-… auraient pu augmenter, pendant la négociation, de 2 points à 13 points la cotation relative à l’offre technique, le moyen mettant en cause l’absence d’annonce des sous-critères dès la publication du cahier spécial des charges ne serait pas fondé, d’autant plus que cette annonce, d’ailleurs aucunement obligatoire, n’aurait aucune incidence sur l’amélioration de l’offre. La société … ajoute que la procédure négociée permettrait sur base de l'offre soumise de remettre, le cas échéant, les documents manquant au pouvoir adjudicateur, de sorte que les soumissionnaires auraient ainsi pu remédier à cette absence de documentation. Elle estime que dans la mesure où les sociétés …-… n’auraient pas fourni les documents techniques réclamés par le pouvoir adjudicateur et énumérés à l'annexe 11 du cahier spécial des charges, à savoir les documents correspondant aux sous-critères d’attribution, celles-ci ne sauraient invoquer une quelconque obligation de porter les sous-critères à la connaissance des soumissionnaires pour que ceux-ci puissent améliorer leur offre.

Le … donne à considérer qu’il y aurait lieu de distinguer entre l'indication des critères de l'offre et la manière selon laquelle ces critères seraient évalués, au motif que l’article 89 du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003 prescrirait seulement l’indication des critères, mais non pas la méthode d’évaluation desdits critères. Il est d’avis qu’en ayant indiqué au cahier spécial des charges le critère de la valeur technique ensemble sa pondération, il aurait satisfait à l’obligation réglementaire en cause et il n’aurait pas été tenu de préciser la manière selon laquelle la valeur technique de l’offre serait évaluée. Il précise que la fixation des sous-critères aurait exclusivement eu lieu à des fins d'évaluation et afin d'affiner les critères dûment publiés dans le cahier des charges pour assurer l’égalité de traitement entre les différents soumissionnaires.

Le … est ensuite d’avis que la définition des sous-critères pourrait être déduite de la liste des documents demandés à l'annexe 11 du cahier spécial des charges et que les seuls documents non pris en compte auraient été des documents à caractère exclusivement administratif.

Le … ajoute qu’il ressortirait, par ailleurs, de l’examen du protocole de négociation, que les sociétés …-… auraient eu l’occasion de s’expliquer et de préciser les différents éléments pertinents de leur offre, de sorte que le grief de la violation de la transparence administrative ne serait pas fondé.

Le … termine que l'argumentation subsidiaire développée par les sociétés …-… serait dépourvue de fondement au motif qu’il ne s'agirait pas d'une argumentation tenant à la légalité, mais d'une argumentation tenant à l'opportunité des différentes manières de présenter le cahier des charges et que l’examen d’un tel moyen ne serait pas recevable dans le cadre d’un recours en annulation.

Les sociétés …-… répliquent que si le cahier spécial des charges aurait certes prévu le critère de la valeur technique de l'offre et la pondération afférente, les sous-

critères et leurs coefficients de pondération respectifs n’auraient été divulgués que dans le rapport définitif d'évaluation, et que ce serait justement cette pratique qui aurait été condamnée par l’arrêt C-532/06 de la CJCE du 24 juin 2008 comme contraire à l'obligation de publicité prévue par l’article 36, paragraphe 2, de la directive 92/50 du Conseil portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services, lu à la lumière du principe d'égalité de traitement des opérateurs économiques et de l'obligation de transparence. Cette pratique aurait, en effet, créé pour le moins un doute qui n’aurait pas lieu d'être dans les procédures relatives aux marchés publics.

Elles font encore valoir que l’on pourrait se poser la question pourquoi l'existence des différents sous-critères et leur pondération n’auraient pas été divulguées aux soumissionnaires concernés lors de la négociation. Elles ne partagent pas les analyses adverses suivant lesquelles seul un critère devrait être publié, un sous-critère pouvant quant à lui ne pas devoir satisfaire à ce besoin de publicité initiale dans la mesure où la subdivision entre un critère et un sous-critère serait arbitraire, d’autant plus qu’un sous-

critère pourrait également être qualifié de critère. Finalement, elles font valoir qu’il ne faudrait pas perdre de vue que le critère relatif à la valeur technique de l’offre aurait été, en fin de compte, scindé en 18 sous-critères.

Les sociétés …-… reprochent en substance à la décision litigieuse une violation de l’article 89 du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003 et des principes de transparence et de publicité en découlant au motif que le pouvoir adjudicateur aurait fixé ultérieurement, pour le critère relatif à la valeur technique, des sous-critères et des coefficients de pondération non divulgués en temps utile.

L’article 89 du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003 est libellé comme suit :

« Pour déterminer l’offre, économiquement la plus avantageuse, le pouvoir adjudicateur se fonde sur le ou les critères dont il doit avoir prévu l’utilisation et la pondération dans le cahier spécial des charges. Ces critères techniques, financiers, économiques, environnementaux et sociaux sont variables selon les marchés en cause et peuvent être entre autres le prix, le délai d’exécution ou de livraison, le coût d’utilisation la rentabilité, la qualité, la valeur écologique, l’aspect social, le caractère esthétique ou fonctionnel, la valeur technique, le service après-vente et l’assistance technique.

Ces critères doivent être en relation directe avec le marché en cause. » Il ressort des pièces versées en cause que le cahier spécial des charges mentionne les critères d’attribution par ordre de priorité à savoir en premier lieu le prix de l’offre, affecté d’une pondération de 70 %, en deuxième lieu la valeur technique de l’offre et des solutions proposées, affecté d’une pondération de 25 % et en troisième lieu la fourniture des documents complémentaires exigés lors de la remise de l’offre, affecté d’une pondération de 5 %.

Afin de pouvoir évaluer les offres, le pouvoir adjudicateur a fixé 18 critères avec des coefficients de pondération respectivement le nombre de points pour le critère d’attribution de la valeur technique. A ce titre le document « analyse des offres et des protocoles de négociations » mentionne, ce qui suit :

Critères % Points Programme et planning des travaux 8 2.0 Installation et organisation du chantier 6 1.5 Matériel et effectif affectés aux travaux 6 1.5 Procédure pour les travaux en ligne 12 3.0 Procédure pour les travaux dans les terrains rocheux 6 1.5 Procédure pour les travaux dans les terrains à forte pente 6 1.5 Procédure pour les travaux dans les terrains instables 4 1.0 Procédure pour les passages des rivières (sauf l’Attert) 4 1.0 Procédure pour le passage de l’Attert 4 1.0 Procédure pour les fonçages sous les routes 6 1.5 Procédure pour le lestage éventuel des conduites 4 1.0 Procédure pour le déroulement de la gaine multitubulaire 4 1.0 Procédure pour la vérification et les réparations des revêtements extérieurs/intérieurs 6 1.5 Procédure pour le nettoyage 4 1.0 Procédure pour les essais de mise en pression 8 2.0 Procédure pour la désinfection 4 1.0 Plan Assurance Qualité 4 1.0 Prise en compte de la sécurité 4 1.0 Il y a d’abord lieu de trancher le moyen soulevé en ce que l’article 89 précité ne viserait que les critères proprement dits et n’inclurait pas dans son champ d’application les critères d’évaluation retenus pour évaluer le critère en question.

Le tribunal ne saurait cependant suivre ce raisonnement. En effet, l’article 89 du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003 vise le terme de « critère » sans distinguer s’il s’agit d’un critère d’évaluation ou non. A cela s’ajoute que la justification inhérente à l’utilisation de critères est fondée précisément sur la possibilité ainsi offerte au pouvoir adjudicateur à pouvoir évaluer, de façon objective et systématique, les différentes offres soumises afin de pouvoir déterminer l’offre économiquement la plus avantageuse. Suivre le raisonnement de la partie défenderesse conduirait, en effet, à exclure du champ d’application de l’article 89 précité différents éléments d’appréciation suivant leur dénomination arbitraire en « véritable » critère sinon en simple élément d’évaluation.

Il y a dès lors lieu de retenir que les 18 critères, d’ailleurs qualifiés comme tels par le pouvoir adjudicateur lui-même, constituent des sous-critères du critère de la valeur technique et tombent dès lors dans le champ d’application de l’article 89 du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003.

L’article 89 du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003 impose précisément une obligation de publicité à charge du pouvoir adjudicateur consistant dans l’indication, dans le cahier spécial des charges, des critères dont il prévoit l’utilisation et leur pondération respective.

La jurisprudence communautaire rappelle à ce sujet que les critères d’attribution définis par un pouvoir adjudicateur doivent être liés à l’objet du marché, ne doivent pas conférer une liberté de choix illimitée au pouvoir adjudicateur, doivent être expressément mentionnés dans le cahier des charges ou dans l’avis de marché et doivent respecter, notamment, les principes fondamentaux d’égalité de traitement, de non-discrimination et de transparence.

Il importe plus particulièrement de relever que la CJCE a jugé que le devoir de respecter le principe d’égalité de traitement correspond à l’essence même des directives dans le domaine des marchés publics et que les soumissionnaires doivent se trouver sur un pied d’égalité aussi bien au moment où ils préparent leurs offres qu’au moment où celles-ci sont évaluées2.

La CJCE a précisé en outre qu’il ressort de l’article 36, paragraphe 2, de la directive 92/50 que, lorsque le marché doit être attribué au soumissionnaire ayant 2 Cf. arrêt de la CJCE du 24 novembre 2005, points 21 et 22 (aff. C-331/04).

présenté l’offre économiquement la plus avantageuse, le pouvoir adjudicateur doit indiquer, dans le cahier des charges ou dans l’avis de marché, les critères d’attribution dont il prévoit l’application, si possible dans l’ordre décroissant de l’importance qui leur est attribuée.

Selon la jurisprudence communautaire, cette dernière disposition, lue à la lumière du principe d’égalité de traitement des opérateurs économiques, énoncé à l’article 3, paragraphe 2, de la directive 92/50, et de l’obligation de transparence qui en découle, exige que tous les éléments pris en considération par le pouvoir adjudicateur pour identifier l’offre économiquement la plus avantageuse et leur importance relative soient connus par les soumissionnaires potentiels au moment de la préparation de leurs offres.

En effet, les soumissionnaires doivent être mis en mesure d’avoir connaissance, au moment de la préparation de leurs offres, de l’existence et de la portée de ces éléments.

Partant, un pouvoir adjudicateur ne saurait appliquer des règles de pondération ou des sous-critères pour les critères d’attribution qu’il n’a pas préalablement portés à la connaissance des soumissionnaires3.

En l’espèce, force est de constater que le critère de la valeur technique de l’offre et des solutions proposées et sa pondération ont été indiqués dans le cahier spécial des charges, tel que cela a été relevé ci-avant. Le pouvoir adjudicateur a fixé ultérieurement 18 sous-critères et leurs coefficients de pondération respectifs.

Si les parties défenderesse et tierce intéressée s’accordent pour admettre que les sous-critères n’ont pas été définis dans le cahier spécial des charges, elles font cependant valoir que les différents sous-critères utilisés auraient pu être déterminés à partir des documents demandés à l’annexe 11 du cahier spécial des charges. A ce titre, ils se réfèrent à un arrêt de la CJCE du 24 novembre 2005 (aff. C-331/04) en soutenant que la CJCE aurait validé, sous certaines conditions, l’utilisation de sous-critères qui n’auraient pas été portés à la connaissance des soumissionnaires mais qui seraient fondés sur des indications contenues dans le cahier des charges ou ayant porté sur des documents qui auraient dû être obligatoirement présents dans les offres soumises.

Le tribunal n’accorde cependant pas la même pertinence à l’arrêt invoqué que les sociétés défenderesse et tierce intéressée au motif que les faits soumis à la CJCE diffèrent de ceux actuellement soumis au contrôle du tribunal.

En effet, la CJCE a souligné dans l’arrêt du 24 novembre 2005 que dans la mesure où les différents sous-critères étaient déjà définis dans le cahier des charges, le pouvoir adjudicateur a valablement pu déterminer la manière dont les points accordés au critère d’attribution devaient être répartis entre les différents sous-critères.

3 Cf. arrêt de la CJCE du 24 janvier 2008, points 35, 36, 37, 38, 40 (aff. C-532/06).

La CJCE a encore rappelé que, conformément aux articles 36 de la directive 92/50 et 34 de la directive 93/38 du Conseil portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des télécommunications, tous les critères retenus doivent être expressément mentionnés dans ,le cahier des charges, si possible dans l’ordre décroissant de l’importance qui leur est attribuée, afin que les entrepreneurs soient mis en mesure d’avoir connaissance de leur existence et de leur portée pour conclure que les articles 36 de la directive 92/50 et 34 de la directive 93/38 doivent être interprétés en ce sens que le droit communautaire ne s’oppose pas à ce que le pouvoir adjudicateur accorde un poids spécifique aux sous-

éléments d’un critère d’attribution établis d’avance, en procédant à une ventilation, entre ces derniers, du nombre de points prévus au titre de ce critère par le pouvoir adjudicateur lors de l’établissement du cahier des charges, à condition qu’une telle décision :

- ne modifie pas les critères d’attribution du marché définis dans le cahier des charges ou dans l’avis de marché ;

- ne contienne pas d’éléments qui, s’ils avaient été connus lors de la préparation des offres, auraient pu influencer cette préparation ;

- n’ait pas été adoptée en prenant en compte des éléments susceptibles d’avoir un effet discriminatoire envers l’un des soumissionnaires4.

En l’espèce, cependant, le cahier spécial des charges ne fait aucune référence, à la différence de l’affaire soumise à la CJCE, au fait que certains documents mentionnés à l’annexe 11, seraient pris en compte pour évaluer le critère relatif à la valeur technique.

Dans l’affaire soumise à la CJCE, aussi bien le libellé du critère en question que la référence très détaillée au document en cause et l’énumération limitative et précise des indications souhaitées ne laissaient planer aucun doute, ni sur l’utilisation de ces éléments pour l’évaluation du critère en cause, ni sur l’identification et le contenu des éléments pris en compte à titre de sous-critères.

Il y a, dès lors, lieu de retenir, en l’espèce, à défaut de toute référence dans le cahier spécial des charges au fait que le critère relatif à la valeur technique serait évalué à travers la prise en compte de différents documents, par ailleurs non autrement précisés comme tels à l’annexe 11, que l’identification et le contenu des 18 sous-critères utilisés n’ont pas pu être déduits d’indications contenues dans le cahier spécial des charges, de sorte que lesdits sous-critères n’ont pas été portés à suffisance de droit à la connaissance des soumissionnaires.

Dans la mesure où la question de l’examen de la validité de la pondération des sous-critères, à travers les trois conditions émises à ce sujet par la CJCE, ne se pose que dans le cas où les sous-critères ont été définis dans le cahier spécial des charges et ainsi portés à suffisance à la connaissance des soumissionnaires, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce, l’examen plus en avant du moyen soulevé en ce que le fait de prévoir une pondération des 18 sous-critères du critère relatif à la valeur technique respecterait les trois critères dégagés par la jurisprudence communautaire devient surabondant.

4 Cf. arrêt de la CJCE du 24 novembre 2005, point 32 (aff. C-331/04).

Cette conclusion ne saurait être énervée par la référence faite par les sociétés défenderesse et tierce intéressée à un arrêt de la CJCE du 24 janvier 2008 (aff. C-532/06) pour soutenir que la CJCE aurait réaffirmé la validité de l’utilisation de sous-critères lorsque les sous-critères sont fondés sur des indications contenues dans le cahier spécial des charges.

En effet, dans le litige soumis à la CJCE ayant donné lieu à l’arrêt du 24 janvier 2008, la commission d’adjudication n’avait mentionné dans l’avis de marché que les critères d’attribution eux-mêmes et avait déterminé ex post tant les coefficients de pondération que les différents sous-critères pour les critères d’attribution. La CJCE a réaffirmé qu’un pouvoir adjudicateur ne saurait appliquer des règles de pondération ou des sous-critères pour les critères d’attribution qu’il n’a pas préalablement portés à la connaissance des soumissionnaires5 pour retenir que la façon de procéder de la commission d’adjudication ne répond manifestement pas à l’obligation de publicité prévue par l’article 36, paragraphe 2, de la directive 92/50, lu à la lumière du principe d’égalité de traitement des opérateurs économiques et de l’obligation de transparence. La CJCE a encore souligné que ces constatations ne se heurtent, par ailleurs, pas à l’interprétation de l’article 36, paragraphe 2 de la directive 92/50 donnée par la CJCE dans son arrêt du 24 novembre 2005 (aff. C-331/04), étant donné que dans cette affaire les critères d’attribution, la pondération et les différents sous-critères étaient déterminés d’avance dans le cahier des charges, la commission d’adjudication s’étant, en effet, limitée à ventiler les points du critère d’attribution entre les différents sous-critères.

Il y a encore lieu d’analyser le moyen tiré des considérations que les sociétés …-… auraient pu compléter leur offre au cours de la négociation. S’il est certes exact que pendant la négociation, les sociétés demanderesses ont été invitées à fournir des informations manquantes sur certains points et que suite aux documents supplémentaires soumis, la réévaluation de la valeur technique de l’offre a permis d’augmenter leur cote de 2 points à 13 points, il n’en reste pas moins que les sociétés …-… n’ont toujours pas été informées ni sur l’existence des différents sous-critères appliqués, ni sur la portée des éléments demandés. Or, le souci de transparence comme celui d’éviter tout arbitraire commandent d’annoncer aux futurs soumissionnaires in tempore non suspecto toutes les règles du jeu. Il ne suffit dès lors pas de solliciter la remise d’un nombre important de documents, sans mettre le soumissionnaire en mesure d’apprécier la finalité des documents demandés pour pallier à la carence initiale du pouvoir adjudicateur de ne pas avoir informé les soumissionnaires de l’existence et du contenu des sous-critères litigieux. Il y a partant lieu de retenir que la possibilité offerte aux sociétés …-… de compléter les documents manquants au cours de la procédure de négociation n’a pas permis à celles-ci de connaître les éléments pris en considération par le pouvoir adjudicateur pour déterminer l’offre économiquement la plus avantageuse, de sorte que le moyen soulevé est à écarter.

Il suit de tout ce qui précède qu’il convient de constater que le pouvoir adjudicateur n’a mentionné, dans le cahier spécial des charges, que le critère d’attribution lui-même relatif à la valeur technique de l’offre et a déterminé par après, après la 5 C-532/06, point 38 présentation des offres, tant les différents sous-critères que les coefficients de pondération, respectivement le nombre de points attribués pour lesdits sous-critères. Or, cette façon de procéder ne répond manifestement pas à l’obligation de publicité prévue par l’article 89 du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003, lu à la lumière du principe d’égalité de traitement des opérateurs économiques et de l’obligation de transparence6.

La décision prise par le … en date du 22 février 2008 portant attribution du marché public à la société … encourt dès lors l’annulation pour violation de la loi, l’examen des autres moyens et arguments devenant surabondant.

La demande en allocation d’une indemnité de procédure de 3.500 € formulée par les sociétés …-… est à rejeter, étant donné qu’une demande d’allocation d’une indemnité de procédure qui omet de spécifier la nature des sommes exposées non comprises dans les dépens et qui ne précise pas en quoi il serait inéquitable de laisser des frais non répétibles à charge de la partie gagnante est à rejeter.

La demande en allocation d’une indemnité de procédure de 2.500 € formulée par la société … est également à rejeter pour les mêmes motifs.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit justifié ;

partant annule la décision prise par le … en date du 22 février 2008 portant attribution du marché public de travaux relatif à la construction, terrassement et pose, sans fournitures de conduites de transport d’eau potable entre … et … à la société … ;

rejette les demandes en allocation d’indemnités de procédure formulées tant par les sociétés demanderesses que par la partie tierce intéressée ;

condamne le … aux frais.

Ainsi jugé par :

6 Cf. arrêt de la CJCE du 24 janvier 2008, points 35, 36, 37, 38, 40, 44 (aff. C-532/06).

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Catherine Thomé, premier juge, Martine Gillardin, premier juge, et lu à l’audience publique du 22 décembre 2008 par le premier vice-président, en présence du greffier en chef de la Cour administrative, Erny May, greffier assumé.

s. May s. Schockweiler 14


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 24177
Date de la décision : 22/12/2008

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2008-12-22;24177 ?

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