Tribunal administratif N° 24526 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 juin 2008 Audience publique du 17 décembre 2008 Recours formé par Monsieur et Madame …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 24526 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 juin 2008 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Smiljevic / Vranje (Kosovo) et de son épouse, Madame …, née le … à Stance (Kosovo), demeurant actuellement ensemble à L – … tendant l) à la réformation d’une décision du ministre des Affaires Etrangères et de l'Immigration du 28 mai 2008 leur refusant une protection internationale et 2) à l’annulation de l'ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 juillet 2008 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives.
Le 10 décembre 2007, Monsieur … et Madame … introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommé « la loi du 5 mai 2006 ».
Monsieur … fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande de protection internationale en date du 21 décembre 2007. Madame … fut entendue par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande de protection internationale en date du 8 janvier 2008.
Par décision du 28 mai 2008, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration ci-après dénommé « le ministre » informa Monsieur et Madame …-… de ce que leur demande avait été rejetée comme étant non fondée. Cette décision est libellée comme suit :
« Madame, Monsieur, J'ai l'honneur de me référer à vos demandes en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentées auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration en date du 10 décembre 2007.
En application de la loi précitée, vos demandes de protection internationale ont été évaluées par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.
En mains les rapports d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration des 21 décembre 2007 et 8 janvier 2008.
Monsieur, il résulte de vos déclarations que vous seriez serbe du Kosovo habitant à Klokot un village serbe de la commune de Vitina. Vous auriez travaillé en tant que chauffeur auprès de l'armée serbe à Pristina de 1993 à 2000, année où votre poste aurait été supprimé.
Vous faites état de menaces et d'insultes de la part d'albanais parce que vous seriez serbe.
Vous ne pensez pas qu'elles seraient particulièrement liées au fait que vous auriez travaillé à l'armée serbe. Vous n'auriez pas le droit de circuler librement et seriez exposé à des risques si vous voudriez aller dans d'autres villages. Vous ne communiqueriez plus avec les albanais qui vous boycotteraient.
Vous ne faites pas état d'agression personnelle, mais dites que l'oncle de votre épouse aurait été blessé en 1999 par des tirs émanant d'une voiture qui aurait probablement été conduite par des albanais. Vous auriez peur de l'indépendance du Kosovo, vous seriez alors sans protection étant donné qu'il n'y aurait pas de policiers serbes. Enfin, vous ne seriez pas membre d'un parti politique.
Madame, vous confirmez les dires de votre mari. Vous faites état d'insultes et de menaces de la part d'albanais. Vous ne pourriez pas circuler librement au Kosovo, vous n'y seriez pas en sécurité en tant que serbe.
Moyennant le paiement de 3000 euros vous auriez quitté le Kosovo en date du 9 décembre 2007 en voiture jusqu'à Presevo où vous auriez changé de voiture. Vous seriez arrivés au Luxembourg le lendemain, date du dépôt de votre demande de protection internationale. Vous présentez des cartes d'identités serbes établies le 20 novembre 2007 à Klokot.
La reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi modifiée du 5 mai 2006.
Force est de constater que même à supposer vos dires comme vrais, les faits que vous alléguez ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécutés dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi modifiée du 5 mai 2006. En effet, la situation générale des membres de la minorité ethnique serbe est certes difficile au Kosovo, elle n'est cependant pas telle que tout membre serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Selon la jurisprudence de la Cour administrative une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur risque de subir des traitements discriminatoires.
Or, Madame, Monsieur, en l'espèce les menaces et insultes dont vous faites état et émanant de la part d'albanais ne sont pas d'une gravité telle pour fonder à elles seules une demande en obtention d'une protection internationale. A cela s'ajoute que des albanais non autrement identifiés ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi modifiée du 5 mai 2006. En effet, en application de l'article 28 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection au cas de l'espèce, il ne ressort pas du rapport d'entretien que l'Etat ou d'autres organisations gouvernementales présentes sur le territoire de votre pays ne peuvent ou ne veulent pas vous accorder une protection. Contrairement à vos dires, la minorité serbe est présente au sein de la police kosovare située dans votre commune. Ainsi, selon un rapport de I'OSCE d'avril 2008 « The Kosovo Police Service station in Viti/Vitina municipality comprises 111 officers. The ethnic composition of the police force is as follows: 80 Kosovo Albanians, 29 Kosovo Serbs, and two Kosovo Croats ».
Monsieur, en ce qui concerne le fait que vous auriez travaillé en tant que chauffeur auprès de l'armée serbe, il y a lieu de citer le rapport du 15 février 2007 du « Bundesasylamt der Bundesrepublik Österreich » selon lequel « Der Gefährdungsgrad von Personen, welche direkt der Kollaboration mit Serben beschuldigt werden, richtet sich nach: a) dem Verhalten dieser Personen während ihrer Tätigkeit bzw. ausgeübten Funktion und b) ihrem Verhalten nach dem bewaffneten Konflikt 1999.
In den Bereichen GJAKOVE und KAMENICA sind albanische Polizeibeamte tätig, welche während des serbischen Regimes 1989 – 1999 in der POLIZEI gearbeitet haben! Im Jahr 2006 (März bis Dezember) ist nur eine sehr geringe Anzahl von solchen Verbrechen im Zusammenhang mit Kollaboration in Erinnerung.
Seitens des UNMIK/KPS/KFOR Truppen besteht allgemein ausreichender und effektiver Schutz für Angehörige der albanischen Volksgruppe, einschließlich derer, die der Kollaboration mit dem serbischen Regime bezichtigt wurden. UNMIK/KPS/KFOR sind weiters willens und in der Lage Schutz für diejenigen zu bieten, die Furcht vor Verfolgung haben und können sicherstellen, dass die gesetzlich vorgeschriebenen Maßnahmen zur Ausforschung, Anklage und Bestrafung der Täter auch umgesetzt bzw. durchgeführt und angewandt werden ».
Vous dites ne pas vous sentir en sécurité au Kosovo et que vous n'y pourriez pas circuler librement. Or, il y a lieu de soulever que votre village Klokot est un village composé de nombreux serbes (1200 habitants serbes) situé dans le district de Gnjilane. Selon un rapport du UK Home Office du 12 février 2007 « There is sufficiency of protection for Kosovan Serbs within Serb enclaves or when specifically under KFOR protection and UNMIK/KPS/KFOR are able and willing to provide protection for those that fear persecution and ensure that there is a legal mechanism for the detection, prosecution and punishment of persecutory acts ». Enfin, la situation des minorités est devenue plus stable. En règle générale, celles-ci ne doivent plus craindre des attaques directes contre leur sécurité. Plus particulièrement, les serbes commencent à bénéficier de la liberté de mouvement. S'il est vrai que leur situation économique est encore peu favorable dans les villes, ils ont accès à l'enseignement et aux soins de santé. Les rapports de l'UNMIK continuent de constater une diminution considérable des crimes susceptibles d'avoir été motivés par des considérations ethniques et une amélioration constante de la situation sécuritaire en général. Notons également que contrairement à vos dires, des serbes on trouvé un emploi dans votre commune. Ainsi, il ressort du même rapport de I'OSCE cité plus haut qu'actuellement 28 employés serbes travaillent dans l'entreprise « Klokot Bottling Plant & Spa ».
La récente déclaration d'indépendance du Kosovo n'a pas apporté de véritables changements quant à la situation personnelle des requérants. En effet, il ressort du Faktendokument du 7 mars 2008 du BAA (Bundesasylamt Republik Österreich) que „Die Republik Kosovo wird im Verfassungsentwurf als "unabhängiger, souveräner, demokratischer, einheitlicher und unveräußerlicher Staat aller seiner Bürger" definiert». Par ailleurs, la nouvelle République du Kosovo s'est engagée à respecter et à protéger toutes les minorités vivant sur son territoire. Ainsi, il ressort de ce même document que « Der Kosovo sei eine multiethnische Gesellschaft, die auf demokratische Weise verwaltet werde. Albanisch und Serbisch seien die Amtssprachen, auf Kommunalebene stünden auch die türkische, bosniakische und die Roma-Sprache entsprechend den gesetzlichen Regelungen im Gebrauch“. Les droits des requérants continuent donc à être garantis. Selon un document BBC News du 15 février 2008 « Kosovo's Prime Minister Hashim Thaci has vowed to protect the rights of all minorities as the province prepares to declare independence from Serbia ». A cette même date, selon des informations de CNN « Thaci said he was establishing a new government office for minorities. “Not a single citizen of the new independent Kosovo will feel discriminated against or set aside,” he said ».
En ce qui concerne la situation actuelle au Kosovo, selon le « New Crisis Watch bulletin » du « International Crisis Group » du 1er mars 2008 « Die Situation im Kosovo verbesserte sich zusätzlich, nachdem die am 17.02.08 ausgerufene Unabhängigkeit von weit verbreiteten Feiern und meist friedlich verlaufenden Protesten in den serbischen Enklaven begleitet war ». De même, il ressort du « volet sécurité » du Faktendokument du 7 mars 2008 du BAA que :
« Derzeit haben die Ordnungskräfte die Lage weitgehend unter Kontrolle.
Insbesondere im Südkosovo (Region südlich des Flusses IBAR) hat sich die Lage seit der Unabhängigkeitserklärung nicht wesentlich geändert. Die Sicherheitslage in den albanisch dominierten Gebieten kann als normal bezeichnet werden.
(VB Pristina, Lagebild Kosovo, 05.03.2008).
Die Demonstration 1244 der Serben in Nordmitrovica findet weiterhin statt, ebenso Demonstrationen gegen die Unabhängigkeit in den serbischen Enklaven, bisher allerdings ohne relevante Vorfälle.
(VB Pristina, Lagebild Kosovo, 05.03.2008.
Die serbischen Polizisten, die in den vergangenen Tagen angeblich aus Protest gegen die Unabhängigkeit des Kosovo ihren Dienst in der kosovarischen Polizei verweigert haben, sollen dies unter Druck getan haben. Dies ergibt sich aus einem Schreiben des Kommandanten der kosovarischen Polizeikräfte, Larry Wilson, und seines Stellvertreter Sheremet Ahmeti an die serbischen Polizisten. Wilson und Ahmeti fordern die rund 300 Beamten auf, ihren Dienst wieder aufzunehmen.
(derStandard.at, Kosovo-Polizei: serbische Beamte quittierten Dienst "unter Druck", 06.03.2008) An den verschiedenen Gates an der Grenze Kosovo Serbien kommt es derzeit zu keinen Behinderungen. Der Personen- und Warenverkehr ist ohne Behinderung möglich. (VB Pristina, Lagebild Kosovo, 05.03.2008). » Selon un article paru dans The Guardian le 20 mars 2008 « One month after Kosovo declared independence, the sky has not fallen. As countries have one by one recognised the new state, the predictions of apocalypse have come to naught. Despite the violence in Mitrovica on March 17, massive displacement and regional instability that many said would occur simply never materialised ». Les débordements du 17 mars 2008 à Mitrovica sont à attribuer à des manifestants serbes liés à leur refus de reconnaître l'indépendance du Kosovo et dirigés directement contre l'UNMIK. Aucune minorité n'a été cible d'attaques quelconques.
Vos motifs traduisent donc plutôt un sentiment général d'insécurité qu'une crainte de persécution. Or, un sentiment général d'insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution.
Ainsi, vous n'alléguez aucun fait susceptible de fonder raisonnablement une crainte de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.
En outre, vos récits ne contiennent pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits invoqués à l'appui de votre demande ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptibles de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
En effet, vous ne faites pas état d'un jugement ou d'un risque de jugement vous condamnant à la peine de mort. Par ailleurs, la Serbie a aboli la peine capitale pour tous les délits en date du 26 février 2002. Vous ne faites également pas état de risque réel de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants ou de risques réels émanant d'une violence aveugle résultant d'un conflit armé interne ou international. La situation actuelle au Kosovo ne saurait être considérée comme conflit armé interne ou international.
Vos demandes en obtention d'une protection internationale sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l'article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.
La présente décision vaut ordre de quitter le territoire… ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 24 juin 2008, Monsieur et Madame …-… ont fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 28 mai 2008 leur refusant une protection internationale et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.
1. Quant au recours dirigé contre la décision portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19, paragraphe 3 de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, une demande en réformation a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée.
Le recours est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par loi.
A l’appui de leur recours, les demandeurs reprochent à l’autorité administrative d’avoir fait une appréciation erronée des faits d’espèce en ce sens que ce serait à tort qu’elle est arrivée à la conclusion que les faits ne justifieraient pas dans leur chef une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la nationalité, de la religion, ou de l’appartenance à un groupe social. Ils estiment qu’ils auraient fait l’objet de violations graves et répétées des droits de l’homme dans leur vie quotidienne en raison de leur appartenance ethnique serbe dans un pays majoritairement albanais. Ce serait encore à tort que le ministre a considéré que les menaces et insultes dont ils ont été victimes n’auraient pas été d’une gravité telle pour fonder une demande de protection internationale. En se référant encore à divers rapports (Rapport du 12 février 2007 du Home Office sur les Serbes du Kosovo, Commission des Affaires étrangères en France du 5 décembre 2007 sur la situation au Kosovo concernant les enclaves serbes) et à un jugement du tribunal administratif du 19 septembre 2007, les demandeurs estiment remplir les conditions afin d’obtenir le statut de réfugié.
Le délégué du gouvernement répond que la situation des minorités au Kosovo serait devenue plus stable et qu’en règle générale celles-ci ne devraient plus craindre les attaques directes contre leur sécurité. Plus particulièrement, les Serbes commenceraient à bénéficier de la liberté de mouvement. S’il est vrai que leur situation économique serait encore peu favorable dans les villes, ils auraient accès à l’enseignement et aux soins de santé et les rapports de l’UNMIK continueraient de constater, d’une part, une diminution considérable des crimes susceptibles d’avoir été motivés par les considérations ethniques et, d’autre part, une amélioration constante de la situation sécuritaire en général. Il ajoute que les menaces ou insultes de la part des Albanais invoquées par les demandeurs ne seraient pas d’une gravité telle pour fonder à elles seules une demande de protection internationale d’autant plus que les demandeurs n’auraient pas fait état d’agressions directement dirigées contre eux. Il donne également à considérer que des Albanais non autrement identifiés ne sauraient être considérés comme agents de persécutions au sens de la Convention de Genève et de l’article 28 de la loi modifiée du 5 mai 2006, d’autant plus qu’il ne ressortirait pas du dossier des demandeurs que les autorités compétentes auraient refusé ou seraient dans l’incapacité de leur fournir une protection adéquate. Pour le surplus, le délégué du gouvernement se réfère aux différents rapports dont il a fait mention dans la décision litigieuse pour conclure que la décision ministérielle retiendrait, à juste titre, que les demandeurs éprouveraient plutôt un sentiment général d’insécurité et non pas une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Quant au fond de l’affaire, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 2 a) de la loi précitée du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire, tandis que la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 c) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».
Les articles 31 et 32 de la loi du 5 mai 2006 précisent également le contenu de la notion de réfugié.
L’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leurs opinions politiques ou de leur appartenance à un certain groupe social ainsi que le prévoit l’article 2 a) de la loi modifiée du 5 mai 2006.
Il convient en effet de relever que l’octroi de la protection internationale n’est pas uniquement conditionné par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.
En l’espèce, les demandeurs font essentiellement état de leur crainte de faire l’objet d’agressions de la part de membres de la communauté albanaise du Kosovo en raison de leur origine serbe et relatent quelques incidents précis l’un datant du 11 août 1999 lors duquel l’oncle de Madame … aurait été blessé par des tirs émanant d’une voiture qui aurait probablement été conduite par des Albanais, un autre datant de quelques mois avant leur départ où il y a eu des tirs près de l’épicerie du village de Klokot, un autre encore où on aurait dérobé l’argent à leur cousin et enfin l’attaque du bourgmestre de la commune de Presevo en été 2007.
Force est cependant de constater que ces événements au cours desquels les demandeurs n’ont pas été personnellement visés ne sauraient fonder une crainte de persécution dans leur chef.
Quant aux menaces, insultes et intimidations dont font état les demandeurs, force est de constater que les demandeurs se limitent à déclarer qu’ils seraient en danger dès qu’ils quitteraient leur village ou leur maison, de sorte que le récit vague des risques auxquels les demandeurs s’estiment exposés en cas de retour au Kosovo ne permet pas non plus au tribunal de retenir dans leur chef une crainte d’être persécuté au sens de la Convention de Genève.
Les demandeurs ne font pas non plus état d’évènements qualifiables de persécutions qui seraient arrivés à des personnes se trouvant dans une situation semblable à la leur, de sorte qu’il y a lieu de retenir qu’ils sont restés en défaut de démontrer qu’il soit probable qu’ils seraient exposés à des actes de persécution en cas de retour au Kosovo. Or de simples craintes qui ne sont basées sur aucun fait réel ou probable ne sauraient constituer des motifs visés par la Convention de Genève.
En outre, les auteurs présumés de ces agissements, à savoir des membres de la communauté albanaise, ne sont pas à considérer comme étant des agents étatiques, de sorte qu’ils ne peuvent être considérés comme acteurs de persécutions ou d’atteintes graves au sens de la loi du 5 mai 2006 que dans l’hypothèse où « il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b) [l’Etat ou des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci], y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves », ceci conformément aux dispositions de l’article 28 c) de la loi du 5 mai 2006.
Il ne ressort cependant pas des éléments du dossier que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place dans le pays d’origine des demandeurs ne soient ni disposées ni capables de leur assurer un niveau de protection suffisant, étant donné que les demandeurs n’ont pas fait état d’un quelconque élément concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités en place, d’autant plus que les demandeurs admettent qu’ils ne sont pas adressés à la police.
La référence à un jugement du tribunal administratif du 19 septembre 2007 (n° 22309 du rôle) de la part du mandataire des demandeurs n’est pas non plus pertinente dans la mesure où les faits soumis au tribunal dans ladite affaire différaient considérablement des faits actuellement soumis au contrôle du tribunal.
En effet, le tribunal, dans l’affaire ayant donné lieu au jugement du 19 septembre 2007, a souligné que le demandeur a fait état de plusieurs incidents graves et précis et d’une continuité d’insultes et de menaces de la part de membres de la population albanaise du Kosovo. Le tribunal a précisé à ce sujet que la maison parentale de l’intéressé a été détruite par le feu, qu’il a fait l’objet de menaces de mort continues par téléphone, qui l’ont empêché de quitter sa maison de peur de se trouver en danger, qu’il a effectué des démarches auprès des autorités installées au Kosovo afin d’obtenir une protection de leur part, sans que lesdites autorités ne soient toutefois intervenues concrètement pour le protéger et qu’il a fait l’objet de jets de pierres de la part de ressortissants albanais résidant dans son village d’origine.
En l’espèce, il ressort des rapports d’audition versés que les demandeurs ont essentiellement fait l’objet d’insultes, de sorte que leur situation ne peut pas être assimilée à celle soumise au tribunal dans l’affaire ayant donné lieu au jugement précité du 19 septembre 2007.
Il suit de ce qui précède que les demandeurs ont fait état d’un sentiment général d’insécurité insuffisant pour retenir dans leur chef une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef.
Partant, le recours en réformation en ce qu’il est dirigé contre la décision de rejet de la demande d’asile des demandeurs est à rejeter comme étant non fondé.
En ce qui concerne le refus du ministre d’accorder aux demandeurs le bénéfice de la protection subsidiaire telle que prévue par la loi du 5 mai 2006, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 2, e) de ladite loi, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire», « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 37 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Les demandeurs font valoir qu’ils s’exposeraient en cas de retour à des atteintes graves telles que prévues à l’article 37 b) de la loi du 5 mai 2006, de sorte qu’ils seraient fondés à se prévaloir du bénéfice de la protection subsidiaire.
Force est à ce sujet de relever, d’une part, que le tribunal vient de retenir ci-avant que les demandeurs ne sont pas exposés à un risque grave, mais que leur récit ne fait que traduire un sentiment général d’insécurité, et d’autre part, que la définition d’atteintes graves de l’article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 précité implique par ailleurs toujours une individualisation des atteintes graves, alors que « les risques auxquels la population d’un pays ou une partie de la population est généralement exposée ne constituent normalement pas en eux-mêmes des menaces individuelles à qualifier d’atteintes graves1 ».
Il y a toutefois lieu de constater que les demandeurs restent en défaut, au-delà des simples allégations et du sentiment d’insécurité invoqués et énoncés ci-avant, d’avancer un quelconque élément concret permettant au tribunal de retenir qu’ils risqueraient personnellement de subir des atteintes graves au sens du prédit article 37. Il s’ensuit qu’ils ne justifient pas devoir bénéficier d’un statut de protection subsidiaire, de sorte que le recours en réformation dans la mesure où il est dirigé contre la décision de rejet d’un statut de protection subsidiaire est à rejeter comme étant non fondé.
2. Quant au recours dirigé contre la décision portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée du 28 mai 2008 a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle entreprise. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, une décision négative du ministre en matière de protection internationale vaut ordre de quitter le territoire en conformité avec les dispositions de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et 1 Directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004, considérant 26.
le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, cette loi entre-temps abrogée, ayant été applicable au jour de la prise de la décision litigieuse, elle est partant applicable à la présente instance.
Force est au tribunal de constater que les demandeurs se contentent à ce sujet de solliciter l’annulation de l’ordre de quitter le territoire au motif que face aux menaces réelles et sérieuses pesant sur eux, il y aurait lieu d’annuler l’ordre de quitter le territoire.
Au vu de la conclusion ci-avant dégagée par le tribunal, l’argumentation des demandeurs consistant à soutenir qu’il y aurait lieu d’annuler ledit ordre de quitter au motif qu’ils courraient un risque réel de subir des atteintes graves à leur vie, laisse partant d’être fondé.
Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 28 mai 2008 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 28 mai 2008 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Catherine Thomé, premier juge, Françoise Eberhard, juge et lu à l’audience publique du 17 décembre 2008 par le premier vice-président, en présence du greffier Claude Legille.
Legille Schockweiler 10