Tribunal administratif N° 24545 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 juin 2008 Audience publique du 15 décembre 2008 Recours formé par Madame …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers Vu la requête inscrite sous le numéro 24545 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 juin 2008 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …-…, née le … (Russie), de nationalité russe, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 2 avril 2008 refusant de lui accorder une autorisation de séjour ainsi qu’un statut de tolérance au Luxembourg ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 juillet 2008 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 8 décembre 2008.
En date du 2 septembre 2005, Madame … introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Cette demande fut rejetée comme étant non fondée par le ministre et le recours contentieux que Madame … a fait introduire à l’encontre de cette décision ministérielle fut rejeté comme étant non fondé par un jugement du tribunal administratif confirmé par arrêt de la Cour administrative du 28 février 2008.
Par courrier du 24 mars 2008, Madame … s’est adressée au ministre pour solliciter un statut de tolérance au sens de l’article 22 (2) de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, sinon, subsidiairement une autorisation de séjour pour raisons humanitaires.
A l’appui de cette demande, elle a fait état du fait que sa demande s’inscrirait dans le contexte des activités politiques de feu son époux en faveur des droits des Tchétchènes qui, après avoir disparu dans des conditions suspectes, aurait été considéré par les autorités de son pays d’origine comme un ennemi et traître à la patrie pour avoir participé aux côtés des Tchétchènes au conflit en Tchétchénie. Elle fait relever dans ce contexte que dans de nombreuses affaires pendantes actuellement devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme concernant la Tchétchénie, la Russie aurait été condamnée pour ne pas avoir fourni des informations requises par la Cour à la suite de disparitions en Tchétchénie des dizaines de civils et défenseurs des droit de l’homme.
Par décision du 2 avril 2008, le ministre a refusé de faire droit à cette demande dans les termes suivants :
« J'ai l'honneur de me référer à votre courrier du 22 mars 2008 dans lequel vous sollicitez une autorisation de séjour sur base humanitaire sinon le statut de tolérance pour votre mandant.
Je suis toutefois au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande d'autorisation de séjour. En effet, selon l'article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1° l'entrée et le séjour des étrangers ; 2° le contrôle médical des étrangers ; 3° l'emploi de la main-d'oeuvre étrangère, la délivrance d'une autorisation de séjour est subordonnée à la possession de moyens d'existence personnels suffisants légalement acquis permettant à l'étranger de supporter ses frais de séjour au Luxembourg, indépendamment de l'aide ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s'engager à lui faire parvenir. Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que votre mandant se trouve en séjour irrégulier au pays et qu'il ne fait pas état de raisons humanitaires valables justifiant une autorisation de séjour au Luxembourg.
Je ne suis également pas en mesure de donner une suite favorable à votre demande en obtention du statut de tolérance basée sur l'article 22 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, étant donné qu'il n'existe pas de preuves que l'exécution matérielle de l'éloignement de votre mandant serait impossible en raison de circonstances de fait.
La présente décision est susceptible d'un recours en annulation devant le Tribunal administratif. Ce recours doit être introduit par requête signée d'un avocat à la Cour dans un délai de trois mois à partir de la notification de la présente ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 30 juin 2008, Madame … a fait introduire un recours en annulation à l’encontre de la décision ministérielle prérelatée du 2 avril 2008.
Ledit recours ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de son recours, la demanderesse conclut d’abord à une violation de l’article 22 (1) de la loi précitée du 5 mai 2006 en faisant valoir que depuis le rejet définitif de sa demande en obtention du statut de réfugié, les autorités de son pays d’origine n’auraient pas encore délivré aux autorités luxembourgeoises un laissez-passer en vue de son éloignement.
Elle en déduit qu’il existerait une impossibilité d’exécution matérielle de son retour justifiant l’octroi du statut de tolérance dans son chef. La demanderesse estime en outre que le ministre aurait violé le principe de l’égalité devant la loi en ce sens qu’un certain nombre de personnes se trouvant exactement dans la même situation qu’elle même auraient reçu le statut de tolérance par le ministre.
Quant aux risques inhérents à un refoulement vers son pays d’origine, la demanderesse se réfère aux arguments avancés à l’appui de sa demande qui s’est soldée par la décision litigieuse. Elle soutient que la décision déférée serait de nature à générer dans son chef un risque imminent et sérieux d’être refoulé vers son pays d’origine, alors que ce refoulement serait contraire aux articles 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, ainsi qu’aux articles 1er et 3 de la Convention des Nations-Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, de même qu’à l’article 33 de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés et à l’article 14 de la loi modifiée du 28 mars 1972 sur l’entrée et le séjour des étrangers.
Le délégué du Gouvernement conclut au caractère non fondé du recours. Il insiste plus particulièrement sur le caractère exceptionnel des dispositions de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme ; l’application de cette disposition reposerait sur l’existence de raisons sérieuses de croire que l’individu, en raison de la nature même du régime du pays vers lequel elle doit retourner ou de la situation particulière qui y règne, court un risque réel d’être soumis à un traitement prohibé par ledit article. Quant au concept d’une tolérance, le délégué du Gouvernement relève qu’il serait complètement étranger à toute notion de protection internationale, mais viserait simplement les personnes définitivement déboutées de leur demande d’asile, mais qui pour des raisons matérielles, telles que maladie grave, refus des autorités de délivrer un laissez-passer, grossesse difficile, etc., ne pourraient être rapatriées vers leur pays d’origine.
Quant à une prétendue violation du principe de légalité devant la loi, le représentant étatique conteste formellement les affirmations afférentes en relevant que la partie requérante reste en défaut de prouver que des personnes qui se trouvaient dans une situation identique auraient obtenu une tolérance.
Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a analysé la demande de Madame …, d’un côté, dans le cadre de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers et, d’un autre côté, par rapport aux raisons humanitaires invoquées.
L’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère dispose que « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger : (…) – qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour », impliquant qu’un refus de délivrer une autorisation de séjour au pays peut être décidé notamment lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers (cf. trib. adm. 17 février 1997, Pas. adm. 2008, V° Etrangers, n° 220 et autres références y citées).
En l’espèce, force est au tribunal de constater que la demanderesse ne fait pas état d’une autorisation à occuper un poste de travail au Luxembourg, voire d’une autre possibilité de s’adonner légalement à une activité indépendante ou de disposer d’une autre source de revenu suffisante pour subvenir à ses frais de séjour au Grand-Duché de Luxembourg.
Le ministre a dès lors valablement pu fonder sa décision sur l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 en invoquant un défaut de moyens personnels suffisants dans son chef pour leur refuser une autorisation de séjour.
La demanderesse reproche ensuite au ministre de s’être livrée à une erreur manifeste d’appréciation des faits dans le cadre de l’examen des raisons humanitaires par lui invoquées.
Force est de constater d’abord qu’aucun texte légal ne comporte de disposition imposant, voire prévoyant l’octroi d’une autorisation de séjour pour raisons humanitaires1 et que l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972, s’il énonce certes de façon limitative les motifs de refus d’entrée et de séjour, ne définit pas pour autant les conditions auxquelles l’étranger doit répondre afin de bénéficier d’une autorisation de séjour.
Il s’ensuit que le ministre peut, en procédant à l’examen d’une demande en vue de l’octroi d’une autorisation de séjour, prendre en compte l’ensemble des éléments de fait et de droit qu’il estime nécessaires à son analyse et que, même dans le cas vérifié en l’espèce où l’une des conditions facultatives de refus est donnée, le ministre dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour accorder néanmoins le bénéfice sollicité.
En l’espèce, le ministre a refusé de délivrer une autorisation de séjour en retenant de manière expresse au titre de motivation l’absence de raisons humanitaires. Il y a lieu d’insister dans ce contexte que le tribunal, appelé à statuer comme juge de l’annulation en cette matière, n’est pas admis à se placer à la place de l’administration et à refaire l’appréciation, ni à priver l’autorité administrative de son pouvoir d’appréciation, mais est appelé à vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute et s’ils sont de nature à justifier la décision.
Force est de constater que les raisons humanitaires que la demanderesse invoque ont déjà fait l’objet d’une analyse par les juridictions administratives dans le cadre de l’examen de son recours contentieux introduit à l’encontre du refus du ministre de lui accorder une protection internationale et que dans son jugement du 12 octobre 2007 (n° 22779 du rôle) le tribunal est arrivé à la conclusion que la demanderesse restait en défaut de mettre en avant l’actualité des craintes de persécution par elle invoquées pour les considérer en définitive comme restant purement hypothétiques et s’analysant d’avantage en un sentiment général d’insécurité. Ce jugement ayant été confirmé par la Cour administrative suivant arrêt du 28 février 2008 (n° 23652C du rôle), il y a lieu de constater que les mêmes éléments, en l’absence de tout élément nouveau par rapport à ceux soumis au ministre dans le cadre de sa demande en obtention d’une protection internationale et en l’absence de toute définition légale contraignante de ce qu’il y a lieu d’entendre par raisons humanitaires ont pu être considérés comme étant insuffisants par le ministre qui a dès lors valablement pu estimer en l’espèce que des raisons humanitaires pour accorder l’autorisation de séjour à Madame … n’existaient pas non plus. Il s’ensuit que la décision déférée n’est pas à considérer comme étant viciée par une violation de la loi, un excès de pouvoir ou par une erreur manifeste d’appréciation et qu’il n’est pas non plus établi qu’elle ait été prise en violation des intérêts publics dont le ministre a la charge ou du but poursuivi par le législateur.
En ce qui concerne le second volet du recours relativement à l’existence de prétendues circonstances de fait rendant le rapatriement de Madame … impossible, la disposition légale pertinente en la matière est l’article 22 de la loi précitée du 5 mai 2006 qui dispose en son point (1) que « si le statut de réfugié est refusé au titre des articles 19 et 20 qui précèdent, la demanderesse sera éloignée du territoire » et en son point (2) que « si 1 cf. Cour adm. 17 octobre 2006, n° 21574C du rôle.
l’exécution matérielle de l’éloignement s’avère impossible en raison de circonstances de fait, le ministre peut décider de tolérer l’intéressée provisoirement sur le territoire jusqu’au moment où ces circonstances de fait auront cessé ».
Il découle de la combinaison des paragraphes (1) et (2) de l’article 22 de la loi du 5 mai 2006 que la présence provisoirement tolérée de l’intéressé sur le territoire luxembourgeois a été prévue par le législateur dans la situation précise où la personne en question s’est vu refuser le statut de protection internationale au titre des articles 19 ou 20 de la même loi, refus impliquant l’éloignement du territoire grand-ducal.
La présence tolérée à travers l’article 22 (2) en question ne constitue point un régime de protection internationale prévu par ladite loi, ni en tant que statut de réfugié, ni en tant que forme complémentaire de protection.
La présence tolérée sur le territoire luxembourgeois d’après l’article 22 (2) en question pouvant donner lieu à une attestation de tolérance telle que prévue par son paragraphe (3) ne se conçoit que dans l’hypothèse expressément visée par la loi à travers ledit article 22 consistant dans un ensemble de circonstances de fait vérifiées rendant impossible l’exécution matérielle de l’éloignement du territoire luxembourgeois.
Les circonstances de fait à la base de la demande de statut de réfugié refusée au titre des articles 19 et 20 de la même loi, ensemble ses articles 31 et 32, ne sauraient justifier en tant que telles la présence tolérée sur le territoire luxembourgeois, alors que précisément le refus du statut de réfugié emporte éloignement du territoire selon l’article 22 (1) précité.
Il s’ensuit que les éléments de fait rendant impossible l’exécution matérielle de l’éloignement doivent se trouver vérifiés à l’époque de l’éloignement projeté et ne sauraient être simplement extrapolés à partir d’éléments antérieurs en date dont la persistance n’est par ailleurs pas automatiquement vérifiée.
Il s’ensuit encore qu’admettre en principe et de façon générale les éléments de fait à la base d’une demande de statut de réfugié comme fondement de la présence tolérée de l’intéressé sur le territoire au regard de l’article 22 (2) de la loi du 5 mai 2006 reviendrait à toiser à nouveau, sous un aspect particulier, les mêmes faits déjà soumis antérieurement aux autorités compétentes, y compris le cas échéant aux juridictions de l’ordre administratif, pour étayer la demande de statut de réfugié, pourtant rejetée par hypothèse suivant le paragraphe (1) de l’article 22 en question. (cf. Cour adm. 25 novembre 2008, n° 24939C du rôle, www.jurad.etat.lu).
Dans la mesure où la demanderesse ne fait essentiellement que reprendre les éléments produits devant le ministre, puis dans le cadre de son recours dirigé contre la décision de refus prévisée en matière de protection internationale, ce même argumentaire est à écarter en l’espèce pour ne pas rentrer dans les prévisions spécifiques de l’article 22 de la loi du 5 mai 2006, faute d’éléments circonstanciés permettant de conclure au caractère impossible de l’exécution matérielle de son éloignement.
Dans ce contexte, ni l’argumentation relative à la situation prévalant dans le pays d’origine du demandeur, ni encore le seul fait que les autorités de son pays d’origine n’aient pas encore délivré de laissez-passer au bénéfice de Madame … ne sauraient être considérés comme étant constitutifs d’obstacles matériels rendant l’exécution matérielle de son éloignement du territoire impossible, étant entendu que les obstacles visés par la loi moyennant l’emploi des termes « exécution matérielle » doivent avoir trait à l’éloignement proprement dit et non aux conditions d’accueil réservées à la personne concernée en raison notamment de la situation générale prévalant dans son pays d’origine.
Quant au problème spécifique du laissez-passer, force est encore de constater que la preuve de l’impossibilité matérielle de procéder à l’exécution de la mesure d’éloignement obéit aux règles de preuve de droit commun, de sorte qu’en cas de contestation de ces circonstances, il appartient à celui qui en revendique l’existence, en l’occurrence à l’étranger qui revendique cette tolérance, d’en établir l’existence, étant entendu par ailleurs que l’existence de circonstances matérielles empêchant l’exécution matérielle d’une mesure d’éloignement ne se déduit pas ipso facto du séjour, même prolongé, sur le territoire de l’étranger débouté de sa demande d’asile. (Cour adm. 11 novembre 2008, n° 24693C du rôle) Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours laisse d’être fondé dans ses deux volets.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond le dit non justifié et en déboute ;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 15 décembre 2008 par :
Paulette Lenert, vice-président, Marc Sünnen, juge, Claude Fellens, juge, en présence du greffier en chef Arny Schmit.
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