Tribunal administratif Numéro 24655 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 juillet 2008 Audience publique du 26 novembre 2008 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de protection internationale
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 24655 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 22 juillet 2008 par Maître Véli Torun, avocat à la Cour, assisté de Maître Faisal Quraishi, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Guelma (Algérie), de nationalité algérienne, demeurant à L-…, tendant, d’une part, à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 19 juin 2008 portant refus de sa demande de protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire luxembourgeois contenu dans la même décision ;
Vu l’acte de constitution de nouvel avocat de Maître Olivier Lang, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, en remplacement de Maître Véli Torun, déposé au greffe du tribunal administratif le 4 septembre 2008 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 septembre 2008 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Olivier Lang et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Guillou-Jacques en leurs plaidoiries respectives.
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Le 13 septembre 2007, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».
Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur son identité et sur l’itinéraire de voyage suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.
Il fut encore entendu en date des 8 et 23 novembre 2007 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 19 juin 2008, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-
après dénommé « le ministre », informa Monsieur … que sa demande avait été rejetée comme étant non fondée. Cette décision est libellée comme suit :
« J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration en date du 13 septembre 2007.
En application de la loi précitée du 5 mai 2006, votre demande de protection internationale a été évaluée par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.
En mains le rapport du service de Police Judiciaire du 13 septembre 2007 et le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration daté des 8 novembre et 23 novembre 2007.
Il résulte du rapport du service de Police Judiciaire que vous auriez quitté votre pays fin 2004 pour aller d'abord en Libye où vous auriez vécu jusqu'en juin 2006. De là, vous auriez embarqué clandestinement sur un bateau et vous seriez arrivé à Lampedusa le 10 juin 2006.
Après avoir séjourné quelques mois en Italie, sans doute jusqu'en septembre 2006, vous seriez parti en Suisse. Vous avez déposé une demande d'asile dans ce pays, mais elle fut rejetée et vous auriez été prié de quitter le pays. Vous seriez alors allé en France avec l'intention de vous rendre au Luxembourg. Vous auriez cependant été arrêté à Metz et renvoyé en Suisse. Vous seriez alors reparti de Suisse en train pour arriver au Luxembourg le 13 septembre 2007.
Il résulte des recherches en notre possession que vous êtes aussi allé en Grèce où vous auriez été interpellé le 31 mars 2006 à Mytilini.
Il résulte de vos déclarations à l'agent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration que vous reconnaissez directement avoir séjourné en Grèce jusqu'en juin 2006.
Vous affirmez avoir quitté l'Algérie en juin 2004 pour aller en Libye où vous auriez vécu d'expédients jusqu'en mars 2006. Vous auriez quitté la Libye en bateau pour la Grèce car vous dites que vous ne vous sentiez pas en sécurité en Libye.
Vous dites avoir adhéré au FIS en 1990. Vous auriez adhéré à ce parti par conviction avec l'envie d'obtenir davantage de démocratie en Algérie. Vous n'auriez cependant pas de carte de parti à fournir à l'appui de vos dires car vous ne l'auriez pas retrouvée chez vous. Pour ce parti, vous faisiez la distribution des programmes quand il y avait des réunions dans les différentes Willayas. Le 26 décembre 1991, vous auriez aussi été observateur pendant les élections. Le parti aurait été dissous en 1992. Vous auriez été arrêté par la police une première fois en 1992, on vous aurez simplement dressé un procès verbal puis vous auriez été relâché. En octobre 1993, on vous aurait tiré dessus et puis vous auriez été arrêté une seconde fois. Plusieurs de vos camarades de parti auraient aussi été arrêtés et ils auraient disparu. Vous auriez été emprisonné vingt-quatre mois avant d'être jugé pour terrorisme par la Cour militaire de Constantine. Vous auriez été condamné à deux ans de prison ferme. Vous auriez été maltraité en prison en ce sens que vous auriez été placé dans le quartier de haute sécurité. Vous auriez été régulièrement transféré d'une prison à l'autre pour éviter que votre famille puisse vous rendre visite. Vous auriez été libéré en 1995 et après vous auriez continué vos activités pour le FIS mais les choses auraient changé à ce moment là : vous auriez été surveillé par la police et on vous aurait régulièrement demandé le nom des gens à qui vous aviez parlé dans la rue ou pourquoi vous aviez été à tel ou tel endroit. Les gendarmes vous auraient, chaque fois, conseillé de vous tenir tranquille.
Vous auriez décidé de quitter votre pays car vous estimiez ne pas pouvoir y vivre librement. Vous ajoutez qu'un membre du FSI aurait été tué dans la rue par un milicien. Les familles de vos amis disparus auraient été interrogées, elles aussi.
En Lybie (sic), vous n'auriez plus fait de politique car se serait interdit dans ce pays.
Vous terminez votre récit en disant que vous recherchez un pays démocratique où vous seriez en sécurité car en Algérie tout serait possible.
Vous n'avez pas fait votre service militaire car il n'était pas obligatoire à ce moment là.
Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Or, les faits que vous alléguez ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006.
En effet, en ce qui concerne vos problèmes dans votre pays d'origine, je relève d'abord que depuis votre libération de prison le 13 octobre 1995 vous n'avez plus été réellement inquiété.
Le fait d'être contrôlé et questionné sur vos déplacements alors que vous étiez membre d'un parti interdit et qui s'est engagé dans la lutte armée ne constitue pas une persécution au sens de la Convention de Genève. Les anciens dirigeants du FIS Abbassi MADANI et Ali BEN HADJ ont été libérés par le Président BOUTEFLIKA en 2003 dans le cadre de la loi sur la concorde civile. Si déjà les dirigeants du parti ne sont plus inquiétés, a fortiori, vous qui n'étiez qu'un simple membre sans fonction décisionnelle ni pouvoir particulier au sein de ce parti ne risquez pas d'être inquiété en cas de retour dans votre pays. Je relève aussi que vous avez dit à l'agent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration avoir été condamné par un tribunal militaire alors que les documents que vous versez émanent d'un tribunal pénal.
Vos craintes en Algérie peuvent tout au plus, s'analyser comme un sentiment d'insécurité qui ne peut entraîner l'octroi du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève. Je relève aussi que si vous vous étiez senti réellement menacé en Algérie vous auriez déposé votre demande d'asile dans le premier pays sûr rencontré. Cependant votre première demande d'asile, faite en Suisse, date de 2007. De plus, vous avez dit avoir vécu en Libye pendant deux ans mais n'avoir jamais cherché à vous y installer, sans donner des explications convaincantes sur les causes de votre départ de la Libye. Je relève finalement que vous viviez partout de petits travaux des champs, non déclarés, tant en Algérie qu'en Libye et qu'il n'est pas exclu que vous soyez venu en Europe et au Luxembourg en particulier pour des raisons économiques.
Ainsi vous n'alléguez aucun fait susceptible d'établir raisonnablement une crainte de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays.
Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.
En outre, votre récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits invoqués à l'appui de votre demande ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
En l'espèce les faits que vous invoquez et un sentiment général d'insécurité sont insuffisants pour que nous vous accordions la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire.
Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.
La présente décision vaut ordre de quitter le territoire. (…) » Par requête déposée le 22 juillet 2008, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre du 19 juin 2008 par laquelle il s’est vu refuser la reconnaissance d’un statut de protection internationale et un recours tendant à l’annulation de la décision du même jour, incluse dans le même document, portant à son encontre l’ordre de quitter le territoire.
1. Quant au recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours subsidiaire en annulation est partant à déclarer irrecevable.
Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.
A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire d’Algérie et qu’il aurait quitté son pays d’origine fin 2004 pour se rendre dans un pays sûr, en passant par la Libye, l’Italie et la Suisse pour finalement introduire une demande d’asile auprès des autorités luxembourgeoises.
Il soutient en premier lieu que la procédure d’instruction de sa demande de protection internationale n’aurait pas été respectée. Plus particulièrement, l’article 6 (3) de la loi du 5 mai 2006, en ce qu’il n’aurait pas été informé « par écrit sur tous ses droits et obligations », dans une langue qu’il serait susceptible de comprendre, n’aurait pas été respecté. Il conclut partant à une violation des droits de la défense, de nature à entacher la décision ministérielle litigieuse d’irrégularité. Il estime, dans ce contexte, que la remise d’un simple formulaire d’informations générales ne serait pas suffisante pour lui permettre de connaître tous ses droits et obligations au sens de la loi.
Le demandeur fait ensuite valoir que le ministre n’aurait pas rapporté la preuve que son pays d’origine serait un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006. Il soutient au contraire qu’en tant que militant du FIS, la situation générale et sécuritaire en Algérie pour ce qui le concerne, n’aurait pas changé. Il fait valoir qu’il aurait déjà été victime d’une blessure par balle, d’une arrestation et d’une détention arbitraire, et qu’après sa sortie de prison, il aurait fait l’objet d’une surveillance de la part des forces de sécurité algériennes. Contrairement à ce qui serait soutenu par le ministre, la réalité algérienne quant aux dirigeants du FIS et des anciens membres du FIS serait une toute autre, le gouvernement algérien considérant les anciens membres du FIS comme des terroristes, bafouant leur liberté d’opinion et procédant à des arrestations et détentions arbitraires. Dans ces conditions, il estime qu’il ne pourrait pas retourner en Algérie sans mettre sa vie en danger, d’autant plus que la loi sur la réconciliation nationale serait venue à échéance le 31 août 2006. Il soutient encore qu’il aurait de bonnes raisons de craindre des persécutions en raison de sa participation, même en tant que simple militant du FIS dans les années 1990 jusqu’à son arrestation, et de son engagement par la suite pour la démocratie en Algérie. Il précise que son activité de militant n’aurait pas seulement consisté dans la distribution de tracts et la surveillance et le maintien de l’ordre dans les meetings, mais dans un réel engagement pour les valeurs du parti. Il affirme qu’il n’aurait pas eu droit à un procès équitable et qu’il aurait subi des traitements inhumains et dégradants pendant sa détention de plus de deux ans en isolement au quartier de haute sécurité de la prison, pendant lesquels il aurait été sans contact avec sa famille. Il estime partant que les faits invoqués rentreraient dans le champ d’application des articles 31 et 32 de la loi du 5 mai 2006.
Le demandeur explique ensuite que son séjour en Libye après avoir quitté l’Algérie, ne constituerait qu’une étape sur sa route vers un pays sûr, en soutenant qu’il n’aurait pas pu s’installer en Libye, en raison du fait que ce pays ne serait pas un pays démocratique et que les autorités libyennes auraient remis les militants du FIS se maintenant sur leur territoire aux autorités algériennes. Il avance encore que le dépôt de sa demande d’asile en Suisse n’empêcherait pas les autorités luxembourgeoises d’examiner sa demande de protection internationale introduite devant elles.
Il soutient en dernier lieu qu’il ne pourrait pas retourner dans son pays d’origine où, contrairement aux affirmations du ministre, les droits de l’homme et les libertés fondamentales ne seraient pas respectés, où la violence aurait redoublé et où les enlèvements et disparitions mystérieuses seraient à l’ordre du jour. Il précise que ses parents auraient été inquiétés à son sujet après son départ d’Algérie par les autorités algériennes. Pour étayer sa crainte, il s’appuie encore sur une attestation testimoniale versée à l’appui de son recours, laquelle conforterait son récit.
En conclusion, le demandeur soutient que les faits invoqués à la base de sa demande justifieraient à suffisance de droit l’octroi du statut de réfugié, sinon de la protection subsidiaire dans son chef. Il donne encore à considérer que son récit serait crédible et qu’il remplirait les conditions des articles 26 (5) et 27 de la loi du 5 mai 2006, de sorte qu’il ne serait pas nécessaire d’apporter des preuves documentaires à l’appui de son récit pour se voir reconnaître une protection internationale.
Le délégué du gouvernement rétorque que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé. Il insiste plus particulièrement sur le fait que les ennuis du demandeur remonteraient trop loin dans le temps, à savoir au début des années 1990, et il estime que le fait d’avoir fait l’objet de contrôles de police après sa sortie de prison en tant que membre du FIS ne saurait être assimilé à une persécution.
Il convient en premier lieu d’examiner le moyen tiré d’un vice de procédure basé sur une prétendue violation de l’article 6 (3) de la loi du 5 mai 2006 qui dispose que :
« Le demandeur est informé par écrit et, dans la mesure du possible dans une langue dont il est raisonnable de supposer qu’il la comprend, du contenu de la procédure de protection internationale, de ses droits et obligations pendant cette procédure et des conséquences possibles en cas de non-coopération avec le ministre ».
C’est à bon droit que le délégué du gouvernement entend voir rejeter ce moyen pour manquer en fait, étant donné qu’il ressort du récépissé signé par Monsieur … le 13 septembre 2007 et versé en cause par le délégué du gouvernement, que le demandeur a reçu la brochure d’informations pour demandeurs de protection internationale et qu’il a déclaré en avoir pris connaissance.
Or, s’il est vrai que cette brochure est préétablie, c’est toutefois à tort que le demandeur soutient que cette brochure serait sommaire et qu’elle ne renseignerait pas les demandeurs de protection internationale sur tous leurs droits et obligations, alors que cette brochure renseigne sur quelques 26 pages le demandeur de protection internationale, de manière détaillée, sur tous les aspects de la procédure de protection internationale, dans une langue dont il est raisonnable de croire qu’il la comprend, de sorte que la remise d’une telle brochure au demandeur doit être considérée comme satisfaisant à l’exigence de l’article 6 (3) précité. Il s’y ajoute que le demandeur n’explicite aucunement en quoi il n’aurait pas été informé d’un droit ou d’une obligation précise, de sorte qu’aucune violation des droits de la défense ne saurait être retenue en l’espèce. Le moyen afférent laisse partant d’être fondé.
Quant au fond, l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006 définit la notion de « protection internationale » comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».
Cette notion est encore précisée par les articles 31 et 32 de la loi du 5 mai 2006.
L’examen des faits et motifs invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande de protection internationale lors de ses auditions, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, ainsi que le prévoit l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006.
Une crainte de persécution doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions. Or, force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal.
En effet, le demandeur fait essentiellement état de sa crainte d’être victime, en cas de retour en Algérie, de persécutions de la part des forces de l’ordre en raison de son engagement au sein du Front islamique du Salut (FIS). D’après les déclarations du demandeur, telles qu’actées au rapport d’audition versé au dossier administratif, il serait devenu membre du FIS en 1990, et il aurait été arrêté par les gendarmes une première fois en 1992 et une deuxième fois en 1993, et il aurait été blessé par balle lors de sa seconde arrestation. Il aurait ensuite été condamné à deux ans de prison, qu’il aurait passé sa peine dans quatre prisons différentes, cela, toujours d’après les déclarations du demandeur, dans le but d’empêcher les visites des membres de sa famille, et qu’il aurait subi de mauvais traitements pendant sa détention, à commencer par des tortures qui lui auraient été infligées par les gendarmes, ensuite des coups infligés par des gardiens de prison, et ses placements au quartier de haute sécurité. Après sa libération en 1995, le demandeur aurait continué à faire l’objet de contrôles policiers et il aurait été menacé par les milices.
Force est toutefois de constater que cette condamnation - même à admettre qu’elle ait été motivée par des considérations politiques, ce qui, en l’état actuel du dossier, reste à l’état de simple allégation, étant donné que si le demandeur produit certes un certain nombre de pièces dont il ressort qu’il a fait l’objet d’une condamnation pénale, il omet toutefois de produire le jugement de condamnation, et que les motifs à la base de cette condamnation ne ressortent pas de ces pièces - remonte trop loin dans le temps pour justifier encore à l’heure actuelle une crainte fondée de persécution.
Si le demandeur fait certes état d’une surveillance policière dont il aurait fait l’objet après sa sortie de prison, de contrôles de police réguliers et de menaces de la part des milices, ses déclarations afférentes ne font toutefois pas ressortir un degré de gravité tel que ces mesures de police doivent être considérées comme des actes de persécution au sens de l’article 31 de la loi du 5 mai 2006. Ce constat est en outre conforté par le fait que le demandeur n’a quitté son pays d’origine qu’en juin 2004, soit plus de huit ans après sa sortie de prison en 1995.
Cette conclusion n’est pas non plus énervée par l’attestation testimoniale versée en cause par le demandeur, émanant prétendument d’un ancien vice-président de l’assemblée populaire de la Wilaya de Guelma, étant donné que l’auteur de cette attestation se contente de se référer aux faits de l’arrestation et de la condamnation du demandeur, d’une part, et que l’auteur de ladite attestation, d’après les déclarations du demandeur, a quitté l’Algérie en 1993 pour se réfugier en Belgique, de sorte qu’il ne saurait témoigner ni du vécu du demandeur après sa sortie de prison, ni de la situation actuelle, telle qu’elle prévaut actuellement en Algérie, d’autre part.
Le tribunal est partant amené à conclure que les craintes en raison de la situation générale et politique prévalant en Algérie constituent en substance l’expression d’un sentiment général d’insécurité, sans que le demandeur n’ait établi un état de persécution personnelle vécu dans un passé récent ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.
Dans ce contexte, il convient encore de rejeter l’argumentation du demandeur basée sur l’article 21 de la loi du 5 mai 2006 pour manquer de pertinence, étant donné que le ministre n’a pas basé la décision litigieuse sur la considération que l’Algérie serait un pays d’origine sûr.
Il s’ensuit que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte fondée de persécution susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef.
Le demandeur n’étant pas fondé à se prévaloir du statut de réfugié, il convient d’examiner s’il est fondé à se prévaloir du bénéfice de la protection subsidiaire au sens des dispositions de la loi du 5 mai 2006.
Aux termes de l’article 2 e) de la loi du 5 mai 2006, on entend par « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 37 de la même loi énumère comme atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Force est de constater que le demandeur n’invoque pas à l’appui de sa demande de protection subsidiaire d’autres motifs que ceux qui sont à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié.
Le tribunal constate à ce sujet que le demandeur n’invoque aucun élément ou circonstance indiquant qu’il existe de sérieux motifs de croire qu’il serait exposé, en cas de retour dans son pays d’origine, à un risque réel d’y subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006, et notamment des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants.
En effet, le simple fait qu’il ait été arrêté et condamné à deux ans de prison en 1993, à le supposer établi, ne suffit pas, à défaut d’autres éléments produits en cause, à retenir que ces faits pourraient se reproduire, à moins d’être recherché par les autorités algériennes ce qui, en l’espèce, n’a même pas été allégué, ni a fortiori établi. L’affirmation du demandeur à cet égard qu’il aurait fait l’objet de contrôles policiers après sa sortie de prison, en l’absence d’autres précisions, n’est pas de nature à justifier l’octroi du bénéfice de la protection subsidiaire.
C’est partant à juste titre que le ministre a estimé que le demandeur n’a pas fait état de motifs sérieux et avérés qui permettent de retenir que, s’il était renvoyé en Algérie, il encourrait un risque réel de subir une des atteintes graves visées à l’article 37 précité et il n’est partant pas fondé à se prévaloir du bénéfice de la protection subsidiaire au sens de la loi du 5 mai 2006.
Il se dégage des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a, au terme de l’analyse de la situation du demandeur, déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, et que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.
2. Quant au recours tendant à l’annulation de la décision du ministre portant l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée du 19 juin 2008 a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle entreprise. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, une décision négative du ministre en matière de protection internationale vaut ordre de quitter le territoire en conformité avec les dispositions de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ;
2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, cette loi entre-
temps abrogée, ayant été applicable au jour de la prise de la décision litigieuse, elle est partant applicable à la présente instance.
Force est au tribunal de constater que le demandeur se contente à ce sujet de solliciter l’annulation de l’ordre de quitter le territoire au motif qu’il remplirait les conditions pour pouvoir se prévaloir de la protection internationale.
Au vu de la conclusion ci-avant dégagée par le tribunal, l’argumentation du demandeur consistant à soutenir qu’en vertu du principe de précaution, il serait préférable de ne pas le reconduire vers son pays d’origine, où il courrait un risque réel de subir des atteintes graves à sa vie, laisse partant d’être fondé.
Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 19 juin 2008 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
déclare le recours subsidiaire en annulation dirigé contre cette même décision irrecevable ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 19 juin 2008 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
donne acte au demandeur de ce qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Martine Gillardin, premier juge, Annick Braun, juge, et lu à l’audience publique du 26 novembre 2008 par le premier vice-président, en présence du greffier Claude Legille.
Legille Schockweiler 10