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26/11/2008 | LUXEMBOURG | N°24556

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 novembre 2008, 24556


Tribunal administratif Numéro 24556 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 juillet 2008 Audience publique du 26 novembre 2008 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de protection internationale

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 24556 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 juillet 2008 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au

tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le …...

Tribunal administratif Numéro 24556 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 juillet 2008 Audience publique du 26 novembre 2008 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de protection internationale

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 24556 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 juillet 2008 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à Omsk (Russie), sans nationalité connue, demeurant actuellement à L-…, tendant, d’une part, à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 2 juin 2008 portant refus de sa demande de protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er septembre 2008 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives.

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Le 23 novembre 2007, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée la « loi du 5 mai 2006 ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur son identité et sur l’itinéraire de voyage suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Il fut encore entendu les 3 et 9 janvier 2008 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 2 juin 2008, notifiée par lettre recommandée du même jour, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après dénommé le « ministre », informa l’intéressé que sa demande de protection internationale avait été rejetée comme non fondée. Cette décision est libellée comme suit :

« J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration en date du 23 novembre 2007.

En application de la loi précitée du 5 mai 2006, votre demande de protection internationale a été évaluée par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.

En mains le rapport du service de Police judiciaire du 23 novembre 2007, votre notice biographique déposée le même jour et le rapport de l'agent du Ministères (sic) des Affaires étrangères et de l'Immigration des 3 et 9 janvier 2008.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté Omsk à l'âge de quatre ans. Votre père vous aurait emmené en Italie chez une personne nommée Félix et il vous y aurait abandonné.

Vous ne l'auriez plus jamais revu. Chez cette personne, qui vous maltraitait, vous auriez vécu jusqu'à l'âge de quatorze ou quinze ans. Vous précisez que ce Félix aurait été sans doute un gitan et que vous changiez souvent de lieu et de résidence tout en restant dans la région de Florence.

Vous auriez un jour surpris une conversation entre Félix et quelqu'un d'autre. Félix aurait expliqué que vous ne lui étiez d'aucune utilité et qu'il allait vous vendre. Vous auriez pris peur et vous vous seriez enfuit (sic) avec l'aide d'un ami de Félix qui vous aurait caché quelque part une vingtaine de jours. Ensuite vous auriez pris la route avec un groupe de gitans. Vous seriez allé avec eux en Espagne, puis en France et en Belgique. Vers 2000/2001 vous auriez quitté les gens du voyage pour vivre seul. Vous auriez ainsi circulé entre la Belgique, la France et le Luxembourg, vivant d'expédiant et tentant de faire une carrière dans le mannequinat avant de déposer ici votre demande de protection internationale. Vous n'auriez jamais disposé de papier d'identité et vous ignorez même si l'identité que Félix vous a affirmé être la vôtre correspond bien à la réalité. Vous admettez que - hormis le mauvais traitement subi en Italie chez Félix - vous n'avez subi aucune persécution.

Ainsi je dois constater que les faits que vous alléguez - si triste soient-ils - ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, fonder dans votre chef une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006.

En outre, votre récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits invoqués à l'appui de votre demande ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

En l'espèce, suivant le raisonnement appliqué à votre demande d'asile les faits que vous alléguez ne justifient pas la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire.

Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.

La présente décision vaut ordre de quitter le territoire. (…) » Par requête déposée le 2 juillet 2008 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 2 juin 2008 par laquelle il s’est vu refuser la reconnaissance d’un statut de protection internationale et un recours tendant à l’annulation de la décision du même jour, inscrite dans le même document, portant à son encontre l’ordre de quitter le territoire.

1. Quant au recours tendant à la réformation de la décision portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, une demande en réformation a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée.

Le recours en réformation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il aurait déposé une demande en obtention du statut d’apatride, lequel constituerait une « variante de la protection internationale », et qu’il aurait clairement indiqué à l’agent chargé de procéder à son audition qu’il serait apatride. Il reproche ainsi au ministre d’avoir erronément traité sa demande comme une demande de protection internationale au lieu d’une demande de reconnaissance du statut d’apatride au sens de la Convention de New York du 28 septembre 1954 relative au statut des apatrides. Il conclut partant à l’annulation de la décision litigieuse pour violation de l’article 3 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes qui prévoit que l’administration est tenue d’appliquer d’office le droit applicable à l’affaire dont elle est saisie, tout en sollicitant le renvoi du dossier devant le ministre aux fins de statuer sur la demande d’octroi du statut d’apatride.

Le délégué du gouvernement rétorque que le demandeur, bien qu’ayant déclaré être apatride sans en rapporter toutefois la preuve, aurait clairement formulé une demande de protection internationale, de sorte que ce serait à bon droit que le ministre aurait considéré la demande comme une demande de protection internationale. En outre, le demandeur n’aurait pas subi de persécutions ni d’atteintes graves dans son pays d’origine, la Russie. Le représentant étatique conteste par ailleurs l’affirmation du demandeur consistant à soutenir que le statut d’apatride constituerait une variante de la protection internationale, alors que la demande d’un statut d’apatride consisterait à rapporter la preuve de ne pas avoir de nationalité, une telle demande n’étant pas à déposer au bureau pour demandeurs de protection internationale. Il estime finalement que le demandeur n’aurait subi aucun préjudice du fait de s’être vu refuser une protection internationale et qu’il pourrait toujours déposer une demande d’admission au statut d’apatride.

Le tribunal est dès lors appelé à vérifier si l’Etat a valablement pu conclure au dépôt d’une demande de protection internationale au sens de la loi du 5 mai 2006 ou si, au contraire, l’Etat aurait dû conclure au dépôt d’une demande de reconnaissance du statut d’apatride.

Aux termes de l’article 3 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979, « toute autorité administrative est tenue d’appliquer d’office le droit applicable à l’affaire dont elle est saisie. Il appartient en effet à l’administration de dégager les règles applicables et de faire bénéficier l’administré de la règle la plus favorable ».

En l’espèce, il ressort des pièces du dossier et notamment d’un rapport de la police grand-

ducale du 23 novembre 2007 que le demandeur s’est présenté le même jour au service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration. A l’agent du service de police judiciaire, chargé de l’entendre sur son identité et sur son itinéraire de voyage, le demandeur a déclaré être sans nationalité connue et il lui a remis une note décrivant de manière détaillée sa vie et précisant être né de parents inconnus et n’avoir pas de documents d’identité. De même, le demandeur a marqué sur la fiche de données personnelles qu’il ignorait son lieu de naissance, ainsi que les nom et prénom de sa mère et qu’il n’a pas rempli la case relative à la nationalité. Il ressort du rapport d’audition versé au dossier administratif qu’à la question de l’agent du ministère sur ce qu’il voulait de la part des autorités luxembourgeoises, le demandeur a répondu « je veux avoir la protection que je recherche. Je veux également qu’on m’accepte en tant qu’apatride … » et à la question quel genre de protection il souhaitait obtenir et s’il était recherché ou menacé par quelqu’un, le demandeur a déclaré « pas dans ce sens là, je suis apatride, je n’ai pas d’existence, je n’ai pas de statut sur cette terre, je suis comme un fantôme.

Je demande le statut d’apatride pour pouvoir exister, on ne peut pas vivre sans existence. Je suis sans pays, sans rien. Je demande une protection afin de ne plus être sans vie et vivre dans la peur. Je veux exister parce que pour le moment je n’existe pas » (rapport sur la demande de protection internationale, p. 7).

Le tribunal est amené à constater à partir de ces éléments que le demandeur a clairement indiqué qu’il voulait obtenir un statut d’apatride, de sorte que c’est à tort que l’Etat a estimé qu’il sollicitait la reconnaissance du statut de protection internationale, alors même qu’il s’est présenté au service compétent du ministères des Affaires étrangères et de l’Immigration pour demandeurs de protection internationale, cette circonstance de fait n’étant pas de nature, à elle seule, à énerver la conclusion ci-avant retenue.

Au vu des circonstances de l’espèce, il aurait dès lors appartenu au ministre, conformément à son devoir de collaboration tel que se dégageant de l’article 3 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979 et de l’article 1er de sa loi cadre du 1er décembre 1978, d’appliquer d’office au demandeur le droit dans son sens le plus favorable.

C’est partant à tort que le ministre a analysé la demande posée par le demandeur comme une demande de protection internationale au sens de la loi du 5 mai 2006 et qu’il n’a pas pris position par rapport à une demande d’octroi du statut d’apatride, de sorte que la décision sous analyse encourt l’annulation pour violation de la loi.

2. Quant au recours tendant à l’annulation de la décision du ministre portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée du 2 juin 2008 a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle entreprise. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, une décision négative du ministre en matière de protection internationale vaut ordre de quitter le territoire en conformité avec les dispositions de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ;

2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, cette loi entre-

temps abrogée, ayant été applicable au jour de la prise de la décision litigieuse, elle est partant applicable à la présente instance.

Toutefois, au vu de la conclusion ci-avant retenue par le tribunal au sujet de la demande portant refus d’un statut de protection internationale qui encourt l’annulation pour violation de la loi, il y a également lieu d’annuler l’ordre de quitter le territoire, tel que contenu dans la décision ministérielle déférée du 2 juin 2008, étant donné que ledit ordre de quitter n’est que la conséquence légale du refus de la protection internationale et ne se trouve dès lors plus justifié sur cette base.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 2 juin 2008 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare justifié ;

partant, dans le cadre du recours en réformation, annule la décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration et renvoie le dossier audit ministre en prosécution de cause ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre l’ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare justifié ;

partant, annule l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision ministérielle du 2 juin 2008 ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Martine Gillardin, premier juge, Françoise Eberhard, juge, et lu à l’audience publique du 26 novembre 2008 par le premier vice-président, en présence du greffier Claude Legille.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 24556
Date de la décision : 26/11/2008

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2008-11-26;24556 ?

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