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26/11/2008 | LUXEMBOURG | N°24118

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 novembre 2008, 24118


Numéro 24118 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 février 2008 Audience publique du 26 novembre 2008 Recours formé par la société anonyme E. AG, … contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 24118 du rôle et déposée le 27 février 2008 au greffe du tribunal administr

atif par Maître Charles Kaufhold, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats ...

Numéro 24118 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 février 2008 Audience publique du 26 novembre 2008 Recours formé par la société anonyme E. AG, … contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 24118 du rôle et déposée le 27 février 2008 au greffe du tribunal administratif par Maître Charles Kaufhold, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, pour le compte de la société anonyme E. AG, établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonction, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 28 novembre 2007 ayant rejeté comme non fondée sa réclamation dirigée contre les bulletins de l'impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal de l’année 2002 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 mai 2008 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 25 juin 2008 par Maître Charles Kaufhold ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 septembre 2008 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Laurent Engel, en remplacement de Maître Charles Kaufhold, et Madame le délégué du gouvernement Monique Adams en leurs plaidoiries respectives.

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A défaut de déclaration d’impôt déposée pour l’année 2002, le bureau d’imposition Luxembourg VI de la section des sociétés du service d’imposition de l’administration des Contributions directes, ci-après dénommé « le bureau d’imposition », émit à l’égard de la société anonyme E. AG, dénommée ci-après « la société E. », le 4 juillet 2007 les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de la base d’assiette de l’impôt commercial communal relatifs à l’année 2002.

La société E. introduisit, par courrier daté du 2 octobre 2007, par l’intermédiaire de Monsieur … de la Fiduciaire Socofisc, une réclamation à l’encontre des bulletins d’impôt susvisés.

Par décision datée au 28 novembre 2007, le directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après dénommé « le directeur », rejeta ladite réclamation comme non fondée. Le corps de ladite décision est libellé comme suit :

« Le directeur des contributions, Vu la requête introduite le 2 octobre 2007 par le sieur … de la Fiduciaire Socofisc pour réclamer au nom de la société anonyme E. AG, avec siège social à L-2132 Luxembourg, contre le bulletin de l'impôt sur le revenu des collectivités de l'année 2002 et le bulletin de la base d'assiette de l'impôt commercial communal de l'année 2002, tous émis le 4 juillet 2007 ;

Vu le dossier fiscal ;

Vu les §§ 228 et 301 de la loi générale des impôts (AO) ;

Considérant que l'introduction par une requête unique de plusieurs demandes distinctes, mais néanmoins semblables, empiète sur le pouvoir discrétionnaire du directeur des contributions de joindre des affaires si elles sont connexes, mais n'est incompatible en l'espèce ni avec les exigences d'une procédure ordonnée ni dommageable à une bonne administration de la loi, qu'il n'y a pas lieu de la refuser ;

Considérant que les réclamations ont été introduites par qui de droit (§ 238 AO) dans les forme (§ 249 AO) et délai (§ 228 AO) de la loi ; qu'elles sont partant recevables ;

Considérant que la réclamante critique les bulletins susmentionnés sans fournir des précisions supplémentaires quant à l'objet de ses contestations, la motivation annoncée dans sa réclamation n'ayant jamais été présentée ;

qu'il résulte cependant de l'examen du dossier fiscal de l'année litigieuse que les réclamations ne peuvent être dirigées que contre l'établissement des bases d'imposition par voie de taxation ;

Considérant qu'en vertu du § 243 AO, une réclamation régulièrement introduite déclenche d'office un réexamen intégral de la cause sans égard aux moyens et conclusions du requérant, la loi d'impôt étant d'ordre public ;

Considérant que la réclamante n'ayant réservé aucune suite aux divers rappels l'invitant au dépôt des déclarations pour l'impôt sur le revenu des collectivités et pour l'impôt commercial communal de l'année 2002, notamment aux sommations d'astreintes du 9 mai 2007 et aux décisions du 4 juin 2007 liquidant les astreintes en question, le bureau d'imposition était fondé à procéder par voie de taxation conformément au § 217 AO ;

Considérant que les contribuables ne doivent s'imputer qu'à eux-mêmes les conséquences éventuellement désavantageuses de la taxation, lorsque c'est par la suite de leur propre comportement fautif qu'il a été nécessaire de recourir à cette mesure (jugement tribunal administratif du 19.06.2000, no 11295 du rôle) ;

PAR CES MOTIFS reçoit les réclamations en la forme ;

les dit non fondées ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 février 2008, la société E.

a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision directoriale du 28 novembre 2007, ayant déclaré non fondée sa réclamation dirigée contre les bulletins de l'impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal de l’année 2002.

Dans son mémoire en réplique, la demanderesse soulève d’abord l’irrecevabilité du mémoire en réponse au regard de l’article 5 (1) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, au motif que le mémoire en réponse n’indiquerait pas les qualités du signataire du mémoire.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen d’irrecevabilité du mémoire en réponse, alors que ses qualités en tant que signataire du mémoire ressortiraient clairement du papier à en-tête du gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg.

Dans la mesure où la qualité de délégué du gouvernement ressort effectivement du papier à en-tête utilisé pour la rédaction du mémoire en réponse, de sorte qu’il ne peut faire de doute que l’Etat est valablement représenté dans la présente instance par un délégué du gouvernement, ceci au regard de l’article 5 (1) de la loi du 21 juin 1999 précitée, le moyen d’irrecevabilité soulevé doit être écarté.

Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours subsidiaire en annulation.

Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », et de l’article 8 (3) 1.

de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif, le tribunal est compétent pour statuer comme juge du fond sur le recours dirigé par un contribuable contre une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation de sa part contre un bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal. Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision directoriale du 28 novembre 2007.

Le recours en annulation introduit à titre subsidiaire est partant irrecevable.

Quant à la recevabilité du recours en réformation, le délégué du gouvernement fait valoir que le recours n’aurait pas été introduit conformément à l’article 1er de la loi modifiée du 21 juin 1999 précitée, au motif que l’objet de la demande ainsi que les faits et moyens invoqués ne seraient pas clairement exposés. En effet, le recours, tout comme la réclamation, seraient limités à une simple contestation de la taxation, sans contenir des précisions supplémentaires quant à l’objet exact de la contestation, ni une explication en quoi exactement cette taxation ferait grief à la demanderesse.

A cet égard, la demanderesse fait valoir dans son mémoire en réplique, que la requête ferait référence à la décision critiquée en ce qu’elle a déclaré non fondée sa réclamation dirigée contre les bulletins de l'impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal de l’année 2002, et que par ailleurs la requête, indiquant qu’il est reproché au directeur d’avoir refusé de réexaminer le dossier, préciserait les faits à la base du recours et le moyen tiré de l’illégalité de la décision directoriale. Elle estime que ces indications seraient suffisantes pour organiser utilement la défense et instruire le dossier.

Force est de constater qu’il ressort de la requête, qui est certes plus que sommaire, que la demanderesse critique la décision du directeur en ce qu’il a refusé de réexaminer le dossier suite à sa réclamation, argumentant que cette façon de procéder enlèverait au contribuable le droit de contester toute taxation d’office, et en ce que la demanderesse estime que la taxation serait exagérée au regard des dispositions du paragraphe 204 AO. A cela s’ajoute que le délégué du gouvernement a pris position d’une façon très détaillée dans le cadre de ses mémoires en réponse et en duplique par rapport à la requête introductive d’instance et au mémoire en réplique, de sorte qu’il n’a partant pas pu se méprendre sur l’objet du recours introduit et sur les moyens développés. Le moyen soulevé mettant en cause la recevabilité du recours est dès lors à écarter pour ne pas être fondé.

Ledit recours est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la société E. reproche au directeur d’avoir refusé d’examiner son dossier suite à sa réclamation, le raisonnement du directeur enlevant d’après la demanderesse au contribuable le droit de contester toute taxation d’office. La demanderesse estime encore que la taxation serait exagérée au regard des dispositions du paragraphe 204 AO.

Le délégué du gouvernement insiste tout d’abord sur le fait que les taxations d’office seraient intervenues à défaut du dépôt de déclaration d’impôt par la demanderesse dans les délais légaux, malgré l’envoi répété, mais infructueux, de rappels et d’une astreinte, et que l’omission par la demanderesse de remettre les déclarations d’impôt serait systématique et presque sans interruption depuis sa constitution en 1998.

Il continue en soutenant qu’au cas où le tribunal ne mettrait pas en cause la recevabilité du recours, le recours serait néanmoins non fondé. En effet, aux termes des paragraphes 167 et s. AO, le contribuable aurait l’obligation légale de faire une déclaration d’impôt, de même que le bureau d’imposition serait tenu, conformément aux paragraphes 204 et 205 AO, de procéder à l’examen et au contrôle de la déclaration d’impôt. La procédure d’imposition reposerait ainsi sur les principes de bonne coopération et de confiance réciproque entre le contribuable et le bureau d’imposition. En cas de contestation d’un bulletin d’impôt émis à la suite d’une procédure d’imposition régulière, le paragraphe 228 AO permettrait au contribuable de présenter une réclamation au directeur, lequel, aux termes des paragraphes 243 et 244 AO, serait tenu de procéder au réexamen intégral de la cause, mais ce réexamen intégral ne serait pas à confondre avec une première procédure d’imposition ou un premier examen par le directeur de nouvelles déclarations, demandes ou autres éléments nouvellement présentés par le contribuable, que ce dernier s’est refusé jusqu’alors à fournir au bureau d’imposition. Le représentant étatique soutient qu’une telle première procédure d’imposition, rendue impossible au niveau du bureau d’imposition par le refus de collaboration du contribuable, ne saurait être admise devant le directeur. En effet, la ratio legis du paragraphe 243 AO ne serait pas d’offrir à un contribuable négligent et fautif le choix entre l’acceptation et le refus d’une taxation et de lui permettre d’imposer à sa guise sa collaboration au directeur en obligeant ce dernier non pas à un réexamen d’un dossier déjà traité par le bureau d’imposition, mais à un premier examen d’une déclaration d’impôt que le contribuable n’a pas voulu présenter au bureau d’imposition.

Le contribuable négligent ne saurait en aucun cas profiter de son comportement fautif pour abuser d’une voie de recours dont il détourne intentionnellement l’objet. Le service contentieux de la direction des contributions serait de façon inutile encombré des réclamations de contribuables négligeant et fautifs. La taxation des revenus ne constituerait pas une sanction, mais la conséquence inévitable de la pratique de la demanderesse de ne pas déclarer ses revenus pendant des années.

Le délégué du gouvernement souligne que dans la présente affaire la demanderesse se serait limitée à contester la taxation litigieuse, sans fournir une quelconque motivation ou des pièces à l’appui. Les déclarations d’impôt pour les années 1998 à 2005, y compris celle pour l’année 2002, seraient présentées pour la première fois devant le tribunal administratif. Il conclut qu’aucune preuve plausible quant à la réalité des chiffres avancés devant le tribunal ne serait fournie, tout en insistant que le directeur ne disposait même pas de ces chiffres.

En ordre subsidiaire, et pour le cas où le tribunal estimerait que le directeur aurait dû procéder à un premier examen de la déclaration d’impôt de la demanderesse, le délégué du gouvernement conclut au rejet de la réclamation. Les conditions du paragraphe 217 AO auraient été remplies en l’espèce. Ainsi, face à un contribuable ayant refusé toute collaboration et se soustrayant systématiquement à ses obligations légales, le bureau d’imposition se serait trouvé dans l’impossibilité de déterminer les bases d’imposition litigieuses et aurait été dans l’obligation de procéder à la taxation de ses revenus et ce par voie de généralisation. Les calculs retenus auraient été établis d’une façon aussi objective que possible, sur base de données existantes et de présomptions de probabilité. Ce serait partant à tort que la demanderesse reproche au bureau d’imposition d’avoir procédé d’une manière arbitraire, étant donné qu’il a été tenu compte de tous les indices et circonstances de nature à influer sur la détermination du bénéfice réalisé par la demanderesse. Il explique qu’en l’absence d’une déclaration d’impôt depuis sa constitution en 1998, le bureau d’imposition aurait totalement ignoré le bénéfice commercial réalisé par la demanderesse. Cette réalité n’aurait pas changé avec l’introduction du recours. Il résulterait des circonstances de l’affaire que les résultats de la taxation seraient probables et approximatifs, de sorte que les critiques adressées à leur encontre ne seraient pas fondées.

Dans son mémoire en réplique, la demanderesse argumente que sur base du paragraphe 243 AO, le directeur aurait l’obligation d’examiner d’office et dans son intégralité la situation de fait et de droit qui est à sa disposition, et qu’il ne saurait se soustraire à cette obligation en invoquant une faute du contribuable. Dénier au contribuable l’instruction de sa réclamation reviendrait à vider la procédure de réclamation devant le directeur de tout sens et la transformerait en une simple « chicanerie administrative ». La demanderesse soutient que dans la mesure où elle a réclamé contre la taxation d’office, le directeur aurait dû réexaminer le dossier. Elle fait encore valoir qu’une mesure de taxation ne pourrait pas constituer une sanction, mais constituerait un procédé de détermination des bases d’imposition, appliqué même à l’égard d’un contribuable diligent, consistant à déterminer et à utiliser une valeur probable ou approximative. Elle soutient, en reprenant le résultat des taxations des années précédentes, que la taxation pour l’année 2002 apparaîtrait comme exagérée. La décision du directeur de ne pas prendre en considération les informations communiquées revêtirait le caractère d’une sanction, et serait contraire au paragraphe 217 AO. Face aux contestations du délégué du gouvernement concernant la véracité du résultat déclaré, la demanderesse renvoie à la publication de ses statuts qui révèlent un capital social de 31.000 EUR, et elle fait référence à ses résultats des années 1998 à 2001, éléments qui prouveraient que la taxation serait manifestement exagérée.

Dans son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement cite une jurisprudence du tribunal administratif, qui retient que le contribuable ne saurait se limiter à contester en bloc une taxation, mais doit faire valoir des objections précises. Ce principe n’aurait pas été respecté par la demanderesse, alors que celle-ci se serait limitée à contester la taxation, sans fournir des éléments complémentaires au directeur. Il souligne que la déclaration d’impôt litigieuse ne serait apparue que pour la première fois devant le tribunal administratif, et que les comptes annuels des années 1998 à 2006 n’auraient été déposés au registre de commerce qu’en date du 31 mars 2008. Il en résulterait qu’au « 7 juillet 2007 » (le tribunal suppose qu’il s’agit là d’une simple erreur matérielle, et qu’il faut lire « au 28 novembre 2007 », donc au jour de la décision directoriale), aucune information de la demanderesse n’aurait pu être analysée. Il en conclut que, même si le tribunal retenait que le directeur aurait dû procéder à un réexamen de la taxation, cet examen n’aurait pu aboutir qu’à la simple confirmation de la taxation.

Quant au principe de la taxation, il y a lieu de rappeler en premier lieu que le paragraphe 217 AO dispose que :

« (1) Soweit das Finanzamt die Besteuerungsgrundlagen (einschließlich solcher Besteuerungsgrundlagen, die für eine gesonderte Feststellung nicht vorgeschrieben ist) nicht ermitteln oder berechnen kann, hat es sie zu schätzen. Dabei sind alle Umstände zu berücksichtigen, die für die Schätzung von Bedeutung sind.

(2) Zu schätzen ist insbesondere dann, wenn der Steuerpflichtige über seine Angaben keine ausreichenden Aufklärungen zu geben vermag oder weitere Auskunft oder eine Versicherung an Eides Statt verweigert. Das Gleiche gilt, wenn der Steuerpflichtige Bücher oder Aufzeichnungen, die er nach den Steuergesetzen zu führen hat, nicht vorlegen kann oder wenn die Bücher oder Aufzeichnungen unvollständig oder formell oder sachlich unrichtig sind ».

La taxation des revenus constitue ainsi le moyen qui doit permettre aux instances d’imposition, qui ont épuisé toutes les possibilités d’investigation sans pouvoir élucider convenablement tous les éléments matériels du cas d’imposition, d’arriver néanmoins à la fixation de l’impôt (cf. trib. adm. 26 avril 1999, n° 10156 du rôle, Pas. adm. 2006, V° Impôts n° 340 et autres références y citées). Elle consiste à déterminer et à utiliser une valeur probable ou approximative, afin d’aboutir à une évaluation de la base imposable, correspondant dans toute la mesure du possible à la réalité économique. Ce procédé comporte nécessairement une marge d’incertitude et d’inexactitude et la prise en compte pour l’administration fiscale d’une marge de sécurité est licite, dès lors qu’elle est faite avec mesure et modération (cf. Cour adm.

30 janvier 2001, n° 12311C du rôle, Pas. adm. 2006, V° Impôts n° 341 et autres références y citées). La taxation d’office ne constitue pas une mesure de sanction à l’égard du contribuable, mais un procédé de détermination des bases d’imposition compte tenu des éléments à disposition du bureau d’imposition, même applicable à l’égard des contribuables soigneux et diligents (cf. trib. adm. 26 avril 1999, n° 10156 du rôle, Pas. adm. 2006, V° Impôts n° 344).

Il est constant en cause que la demanderesse, malgré des sommations d’astreinte et des décisions liquidant l’astreinte, n’a pas donné suite aux injonctions administratives de remettre la déclaration d’impôt sur le revenu de l’année 2002. Il n’est pas non plus contesté que ce n’est que suite à l’introduction du présent recours, que la demanderesse a soumis au tribunal la déclaration d’impôt de l’année concernée, d’ailleurs sans fournir d’autres pièces à l’appui.

Au vu de ces éléments, le tribunal est amené à constater que c’est à bon droit que le directeur a retenu que le bureau d’imposition était tenu, conformément aux termes du paragraphe 217 AO, de procéder par voie de taxation pour fixer les bases d’imposition. Il y a lieu de relever dans ce contexte que le principe du recours à la procédure de la taxation d’office n’est pas en soi remis en question par la demanderesse, mais elle conteste le résultat, auquel aboutissent les taxations d’office faites par le bureau d’imposition, qu’elle considère comme excessives, et reproche au directeur de ne pas avoir réexaminé son dossier au regard des pièces remises.

Le paragraphe 228 AO dispose qu’une réclamation contre un bulletin doit « être introduite devant le directeur de l’Administration des contributions directes ou son délégué ».

Le paragraphe 243 (1) AO prévoit que « Soweit die Rechtsmittelbehörden zur Nachprüfung tatsächlicher Verhältnisse berufen sind, haben sie den Sachverhalt von Amts wegen zu ermitteln ». Il résulte de cette disposition que le directeur est tenu de procéder d’office à l’examen de la situation de fait et de droit à la base de la réclamation. En d’autres termes, le directeur saisi d’une réclamation procède d’office à un réexamen intégral de la situation du contribuable et à l’établissement de l’impôt en lieu et place du bureau d’imposition. A cette fin, le paragraphe 244 AO confère au directeur les mêmes prérogatives que celles revenant au bureau d’imposition dans le cadre de la procédure d’imposition.

Il résulte encore de ces dispositions légales que le directeur, en sa qualité d’instance compétente pour statuer sur le bien-fondé d’une réclamation contre un bulletin d’impôt, est appelé à clarifier la situation de fait à la base de la réclamation et à obtenir à cette fin de la part du contribuable réclamant ou, le cas échéant, de tierces personnes les informations complémentaires de nature à lui permettre de se prononcer sur le bien-fondé de l’imposition sujette à critique.

Dès lors, le directeur, en procédant à un réexamen intégral de la situation du contribuable, est ainsi tenu de prendre en considération tous les éléments de fait lui soumis, y compris les éléments de fait dont le bureau d’imposition ne disposait pas encore lors de la détermination de la base imposable, et qui n’ont été présentés que durant l’instance de réclamation. Il appartient dès lors au directeur de vérifier notamment si les bases imposables fixées par la voie de la taxation d’office se rapprochent autant que possible de la réalité économique et si la marge de sécurité fixée par le bureau d’imposition a été établie avec mesure et modération.

Le tribunal constate que dans la présente affaire le directeur n’avait, à part une lettre de réclamation qui se contente de contester la taxation et qui par ailleurs renvoie à une motivation ultérieure, que le contribuable n’a cependant jamais jugé utile de faire parvenir au directeur, aucun autre élément à sa disposition que ceux dont disposait le bureau d’imposition. Le réexamen du dossier a dès lors forcément abouti au constat que la partie réclamante n’a pas fourni de précisions motivant utilement sa réclamation. Par ailleurs, dans ce contexte, il y a lieu de relever que, même si en vertu des principes dégagés ci-dessus, le directeur a la possibilité d’investigation afin de clarifier certains points en cas de doute, il n’appartient cependant pas au directeur, en l’absence totale d’informations de la part de la demanderesse sur la réalité de ses revenus, de solliciter ces informations, si au moment de la prise de sa décision, il n’en dispose pas.

Le moyen de la demanderesse tendant à reprocher au directeur de ne pas avoir réexaminé le dossier, laisse partant d’être fondé.

La partie demanderesse conteste ensuite la taxation comme étant exagérée, en faisant plus particulièrement référence au résultat des taxations des années précédentes. Elle verse encore parmi ses pièces un formulaire de déclaration pour l’année litigieuse, qui apparaît pour la première fois dans le cadre de l’instruction du présent recours.

Il échet partant de constater que le tribunal administratif se trouve actuellement en possession de pièces versées par la demanderesse, qui ne se trouvaient pas à la disposition du directeur au moment de la prise de la décision litigieuse, de sorte qu’il n’était pas en mesure de les prendre en considération et de statuer par rapport à celles-ci dans ladite décision. Il s’en suit qu’au jour où il a statué, le directeur ne pouvait pas prendre d’autre décision que celle sous examen.

Le tribunal, saisi d’un recours en réformation, ne saurait toutefois faire abstraction de la déclaration d’impôt figurant parmi les pièces soumises par la demanderesse pour la première fois au moment de l’instruction du présent recours. Même si le tribunal se doit de constater que cette déclaration n’est pas signée, et ne porte dès lors pas la confirmation du déclarant que les renseignements y figurant sont sincères et complets, les informations y figurant peuvent néanmoins être prises en considération comme une motivation à la base d’une réclamation contre les bulletins d’imposition litigieux. Il est constant que ces informations n’ont pas été – et n’ont pas pu être - prises en considération, ni par le bureau d’imposition, ni par le directeur.

Tel qu’il a été exposé ci-dessus, la taxation consiste à déterminer et à utiliser une valeur probable et approximative, afin d’aboutir à une évaluation de la base imposable, correspondant dans la mesure du possible à la réalité économique.

Les pièces fournies par la demanderesse, abstraction faite de la question de la valeur probante de ces pièces, sont susceptibles de mettre en doute la taxation au regard des critères énoncés ci-dessus. Dans la mesure où la taxation n’a pas permis de déterminer un revenu imposable qui se rapproche autant que possible de la réalité économique, la décision critiquée a été prise en violation des dispositions du paragraphe 217 AO précité.

Dans la mesure où le rôle du juge consiste à dégager les règles de droit et à opérer les qualifications nécessaires, mais que l’intention du législateur n’était pas celle de faire du tribunal un « taxateur » et de l’amener à s’immiscer dans le domaine de l’administration, sous peine de compromettre son statut judiciaire (voir trib. adm. 15 juillet 2004, n° 17439 du rôle, Pas. adm. 2006, V° « impôts », n° 487), ce d’autant plus que l’administration n’a pas encore eu l’occasion d’analyser dans le cadre de la réclamation devant le directeur la pertinence et la réalité des chiffres présentés pour la première fois devant le tribunal administratif, il y a lieu de réformer la décision directoriale litigieuse et de renvoyer le dossier devant le directeur, afin que celui-ci puisse statuer sur la pertinence et la réalité des chiffres présentés par la demanderesse, tout en ayant recours à ses prérogatives, telles que décrites ci-dessus et qui se dégagent des dispositions précitées des paragraphes 243 et 244 AO. En effet, lorsqu’une affaire soumise à la juridiction administrative n’a pas encore fait l’objet d’une instruction par le directeur, étant donné que celui-ci, à défaut de disposer des renseignements nécessaires, n’a pas pu examiner le fond de l’affaire, il est dans l’intérêt à la fois d’un bon traitement à un niveau administratif et d’une bonne administration de la justice, de renvoyer l’affaire devant le directeur, pareil renvoi respectant encore l’exigence du préalable administratif prévu à l’article 8 (3) 1 de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions administratives, tout en étant en outre de nature à sauvegarder le droit de la demanderesse à l’accès à toutes les instances de décision et de recours prévues par la loi (Cour adm. 13 novembre 2008, n° 24456 C du rôle, non encore publié).

Il s’ensuit que le recours est à déclarer fondé, et qu’il y a lieu de réformer la décision directoriale litigieuse et de renvoyer le dossier devant le directeur.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare justifié ;

partant, réforme la décision n° C 14127 du directeur de l’administration des contributions directes du 28 novembre 2007 et renvoie le dossier devant ledit directeur afin que celui-ci puisse statuer sur la pertinence et la réalité des chiffres présentés par la demanderesse, tout en ayant recours à ses prérogatives qui se dégagent des dispositions des paragraphes 243 et 244 AO ;

déclare irrecevable le recours subsidiaire en annulation ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Martine Gillardin, premier juge, Annick Braun, juge et lu à l’audience publique du 26 novembre 2008 par le premier vice-président, en présence du greffier Claude Legille.

s. Legille s. Schockweiler 9


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 24118
Date de la décision : 26/11/2008

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2008-11-26;24118 ?

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