Tribunal administratif Numéro 24058 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 février 2008 Audience publique du 19 novembre 2008 Recours formé par Madame …, … contre une décision du directeur de l’administration de l’Emploi en matière de garantie de salaire Vu la requête inscrite sous le numéro 24058 du rôle et déposée le 12 février 2008 au greffe du tribunal administratif par Maître Roy REDING, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, né le…, tendant à l’annulation d’une décision du directeur de l’administration de l’Emploi du 21 novembre 2007 portant refus de garantie de la créance salariale par lui invoquée dans le cadre de la faillite de la société anonyme … S.A. ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 11 avril 2008 par le délégué du Gouvernement ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 22 avril 2008 par Maître Roy REDING au nom de Monsieur … ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Nathalie BORON, en remplacement de Maître Roy REDING, et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 septembre 2008 ;
Monsieur … fut nommé administrateur par l’assemblée générale extraordinaire de la société … S.A. du 7 mai 2004 et administrateur-délégué le 7 mai 2004 par le conseil d’administration de la société … S.A.
Par contrat à durée indéterminée Monsieur … fut engagé comme délégué commercial au sein de la société … S.A.. A compter du 21 janvier 2005, Monsieur … fut affilié au Centre commun de la Sécurité sociale en tant que travailleur indépendant. Il fut licencié avec un préavis de deux mois avec effet au 31 août 2006.
Par jugement du 2 mars 2007, la société … S.A. fut déclarée en faillite et Monsieur … déposa une déclaration de créance en date du 25 mai 2007 pour des arriérés de salaire de deux mois de préavis et pour une indemnité de congés non pris, déclaration de créance qui fut acceptée par le curateur de la faillite et inscrite au passif privilégié de la faillite.
Le dossier de Monsieur … ayant été soumis à l’administration de l’Emploi, ci-après désignée par « ADEM », aux fins de bénéficier du mécanisme de la garantie salariale pour une indemnité pour congés non pris et une indemnité de préavis, l’ADEM, en sa qualité de garante des créances salariales, s’adressa à Monsieur … dans les termes suivants :
« Faisant suite à l'affaire sous rubrique, j'ai l'honneur de vous informer qu'il ressort de l'examen de votre demande de remboursement que vous étiez affilié auprès du Centre Commun de la Sécurité Sociale comme artisan-commerçant.
Or, les dispositions des articles L.125-1 et L.126-1 du Code du Travail ne s'appliquent qu'aux seuls travailleurs salariés, de sorte que vous ne pouvez pas bénéficier de la garantie de créance des salariés touchés par la faillite de l'employeur.
Contre la présente décision de refus du directeur de l'Administration de l'Emploi un recours est admissible au titre de l'article 2 paragraphe 1 de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif. Ce recours doit être introduit, sous peine d'irrecevabilité, dans un délai de 3 mois à partir de la notification de la présente décision, conformément à l'article 13 paragraphe 1 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives. ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 12 février 2008, Monsieur … a fait introduire un recours en annulation à l’encontre de cette décision de refus.
Le recours en annulation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de son recours Monsieur … critique la décision déférée en ce qu’elle se fonde sur son affiliation auprès du Centre commun de la Sécurité sociale en tant que travailleur indépendant alors que l’affiliation auprès des organismes sociaux ne serait pas décisive afin de déterminer l’existence ou non d’un lien de subordination entre la personne affiliée et la société auprès de laquelle elle exerce son activité en vue de la qualification de la relation contractuelle existante entre cette personne et la société.
Le demandeur fait valoir à cet égard valoir que la société … S.A. aurait été administrée par un conseil d’administration composé de trois membres, dont Monsieur …, de sorte qu’il n’aurait pas été le seul dirigeant des affaires, même s’il assurait la gestion journalière. Il argue qu’en tant que délégué commercial il aurait dû rendre compte de son travail auprès du conseil d’administration et que son activité de commercial n’aurait pas été fictive. En effet, l’effectivité de son activité salariale au sein de la société … S.A. découlerait de son contrat de travail, des fiches de salaires et du traitement mensuel perçu. Le lien de subordination découlerait du fait qu’il aurait dû rendre compte de son activité de commercial aux deux autres membres composant le conseil d’administration. Il en conclut qu’il serait en droit de bénéficier des articles L-125-1 et L-126-1 du code du travail.
Le délégué du Gouvernement fait valoir que l’application des articles 125-1 et 126-1 du Code du travail serait réservée aux travailleurs salariés et que dans la mesure où le demandeur aurait été affilié auprès du Centre commun de la Sécurité sociale en tant qu’indépendant, ces dispositions ne lui seraient pas applicables. Concernant le prétendu lien de subordination invoqué par le demandeur, il renvoie à l’assemblée générale de la société … S.A. qui s’est tenue le 8 mars 2005 lors de laquelle l’article 5 des statuts de la société fut modifié en ce sens que dorénavant cette dernière était valablement engagée par la signature obligatoire de son administrateur-délégué Monsieur …. Il en conclut que le demandeur s’occupait de la gestion et de la direction quotidienne de la société … S.A..
Dans son mémoire en réplique le demandeur fait valoir qu’il n’aurait jamais contesté avoir occupé le mandat d’administrateur-délégué au sein de la société … S.A., mais qu’il aurait occupé parallèlement un poste de salarié en qualité de délégué commercial. Il argue que les juridictions du travail auraient admis la possibilité de cumuler un mandat social et un poste de salarié au sein d’une même société. Afin de démontrer le lien de subordination existant entre la société et lui-même, il fait valoir qu’il occupait une fonction technique au sein de la société … S.A., à savoir la fonction de délégué commercial, qu’il disposait d’un contrat de travail et qu’il obtenait une rémunération fixe mensuelle.
Monsieur … estime qu’il aurait été engagé en tant que salarié par la société … S.A.
parallèlement à son mandat social, tandis que le délégué du Gouvernement soutient que l’affiliation auprès du Centre commun de la sécurité sociale ensemble avec l’article 5 des statuts de la société … S.A., qui impose la signature du demandeur sur tous les actes engageant la société, prouvent l’absence de lien de subordination entre la société … S.A. et Monsieur … et par conséquent sa qualité de travailleur indépendant.
Force est de constater que la doctrine et la jurisprudence sont aujourd’hui unanimes pour admettre le cumul, dans une même personne, du mandat d’administrateur d’une société et d’employé de cette même société, à condition que le contrat de travail ait un caractère sérieux, c’est-à-dire qu’il corresponde à une fonction réellement exercée, caractérisée par un état de subordination, et qu’il ne soit pas une apparence destinée à tourner les dispositions légales d’ordre public concernant la révocabilité ad nutum des mandataires sociaux,1 étant souligné qu’il incombe au mandataire social qui se prévaut de la qualité d’employé privé d’établir la preuve de l’existence de cette qualité dans son chef.2 Dans la mesure où c’est le lien de subordination qui est l’élément essentiel et le critère distinctif de tout contrat de travail, […],3 l’administrateur délégué d’une société anonyme qui agit pour la société et en son nom, qui la représente et qui, dans l’exercice de ses fonctions, dispose de pouvoirs étendus et est astreint seulement à se conformer aux décisions du conseil d’administration dont il fait partie, et de l’assemblée générale des actionnaires, n’est pas un salarié, mais un mandataire. Force est encore de constater que le contrat de travail n’a de réelle existence que s’il correspond à des fonctions techniques nettement dissociables de celles découlant du mandat.4 Force est dès lors de constater que pour qu’un mandataire social puisse être considéré exercer une fonction de salarié parallèlement à sa fonction de mandataire social, il faut qu’il remplisse deux conditions cumulatives, à savoir, d’un côté, un lien de subordination et, de l’autre côté, qu’il ait effectivement exercé à côté de son mandat social une fonction technique nettement dissociable de son mandat social.
En l’espèce, il est n’est pas contesté que l’article 5, dernier alinéa, des statuts de la société … S.A. est libellé comme suit : « La société se trouve valablement engagée, vis-à-vis des tiers, en toutes circonstances par la signature obligatoire et incontournable de l’administrateur-délégué de la société, ayant toute capacité pour exercer les activités décrites dans l’objet ci-avant, conformément aux critères retenus par le Ministère des Classes Moyennes, ou conjointement avec la signature de l’un des deux autres administrateurs. » Il 1 T.T. 17 janvier 1992, n° 272/92 cité dans Code du travail annoté, juin 2008, Marc Feyereisen, page 19 2 C.S.J. 26 février 1987, cité dans Code du travail annoté, juin 2008, Marc Feyereisen, page 17 3 T.T. 17 janvier 1992, précité 4 C.S.J. 22 janvier 2004, n° 27451, cité dans Code du travail annoté, juin 2008, Marc Feyereisen, page 24 n’est pas non plus contesté que Monsieur … a été nommé administrateur-délégué par le Conseil d’Administration en date du 7 mai 2004.
En l’espèce, afin de prouver sa qualité de travailleur Monsieur …, face aux contestations afférentes du délégué du Gouvernement, verse son contrat de travail, un certificat de travail et ses deux dernières fiches de salaires. Il estime d’autre part que le lien de subordination découlerait du fait qu’il devait rendre compte de son travail au conseil d’administration.
Or, le seul fait qu’un administrateur-délégué doit se conformer aux décisions du conseil d’administration dont il fait partie, et de l’assemblée générale des actionnaires, est insuffisant pour caractériser un lien de subordination, de sorte qu’au stade actuel de l’instruction du dossier le demandeur n’a pas prouvé le lien de subordination entre lui et la société dans laquelle il prétend revêtir une occupation salariale. En effet, les seules indications vagues qu’il doit « rendre compte de son travail auprès du conseil d’administration » dont il fait lui-même partie sont insuffisantes à cet égard.
Il en est de même en ce qui concerne la preuve d’une fonction technique nettement distincte. En effet, la seule indication d’avoir occupé le poste de délégué commercial sans autre précision est insuffisante pour permettre au tribunal d’apprécier si le travail que le demandeur prétend effectuer est suffisant pour répondre au critère de fonction technique nettement distincte tel que développé par les juridictions du travail. Partant, force est de constater qu’au stade actuel de l’instruction du dossier le demandeur ne prouve pas qu’il exerce une fonction technique nettement distincte de son mandat social.
Il en résulte que l’ADEM a valablement pu fonder sa décision sur les articles L.125-1 et L.126-1 du Code de Travail qui ne s’appliquent qu’aux seuls travailleurs salariés, pour refuser la garantie des créances déclarées.
Au vu de ce qui précède, les éléments avancés par Monsieur … sont insuffisants pour ébranler le bien-fondé de la décision prise par l’ADEM.
Le recours est dès lors à rejeter pour être non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond le dit non justifié ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 19 novembre 2008 par :
Paulette Lenert, vice-président, Marc Sünnen, juge, Claude Fellens, juge, en présence de Arny Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Lenert 5