Tribunal administratif Numéro 24961 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 octobre 2008 Audience publique du 30 octobre 2008 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre un arrêté du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative
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JUGEMENT
Vu la requête, inscrite sous le numéro 24961 du rôle, déposée le 27 octobre 2008 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … aux Comores, de nationalité comorienne, actuellement placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’un arrêté du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 15 octobre 2008 ordonnant la prorogation de son placement audit Centre de séjour provisoire pour une durée d’un mois à partir de la notification ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 octobre 2008 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté critiqué ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport ainsi que Maître Louis Tinti, en remplacement de Maître Ardavan Fatholahzadeh, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 30 octobre 2008.
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En mai 2008, Monsieur … fut interpellé par la police grand-ducale pour vol à l’étalage. Dans la nuit du 3 au 4 septembre 2008, Monsieur … fut de nouveau interpellé par la police grand-ducale à Luxembourg–ville, en défaut de papiers d’identification. La même nuit, le substitut de service du procureur d’Etat, prononça une mesure de rétention à son égard.
Le 4 septembre 2008, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, désigné ci-après par « le ministre », ordonna le placement de Monsieur … au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, désigné ci-après par « le Centre de séjour », pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification. Le même jour, lors de la notification de la décision à l’intéressé, ce dernier déclara vouloir déposer une demande de protection internationale au Grand-Duché de Luxembourg.
Par décision du 15 septembre 2008, le ministre rapporta la décision du 4 septembre 2008 et ordonna le placement de Monsieur … au Centre de séjour pour une durée maximum de trois mois à partir de la notification, sur base de l’article 10 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, désignée ci-
après par « la loi du 5 mai 2006 ». Ladite décision fut libellée dans les termes suivants :
« Vu l’article 10 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection ;
Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;
Vu mon arrêté de mise à disposition du Gouvernement du 4 septembre 2008 ;
Considérant que l’intéressé a déposé une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 4 septembre 2008;
- que cette demande a été posée dans le but de prévenir son éloignement du territoire luxembourgeois ;
Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ».
Ladite décision fut notifiée à l’intéressé en date du 16 septembre 2008. Lors de cette notification l’intéressé déclara ne pas vouloir bénéficier de « l’asile politique [s’il doit] rester en prison ». Par courrier du 17 septembre 2008, le mandataire du demandeur informa le ministre que Monsieur … n’avait pas introduit de demande de protection internationale.
Par décision du 19 septembre 2008, le ministre rapporta la décision du 15 septembre 2008 et ordonna le placement de Monsieur … au Centre de séjour pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification, sur base de l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers, 2. le contrôle médical des étrangers, 3.
l’emploi de la main-d’œuvre étrangère. Ladite décision fut libellée dans les termes suivants :
« Vu l'article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l'entrée et le séjour des étrangers ;
Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;
Vu mes arrêtés de mise à disposition du Gouvernement des 4 et 15 septembre 2008 ;
Considérant que l’intéressé a déposé une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 4 septembre 2008 ;
Considérant que l’avocat de l’intéressé a confirmé par courrier du 17 septembre 2008 que l’intéressé n’a pas sollicité de demande de protection internationale ;
Considérant que l’intéressé se trouve en séjour irrégulier au pays ;
- que l’éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;
Considérant qu'il existe un risque de fuite, alors que l'intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d'éloignement ; » Ladite décision fut notifiée le 19 septembre 2008 à l’intéressé.
Le 15 octobre 2008, le ministre prit un arrêté de refus de séjour à l’encontre de Monsieur … et ordonna dans un second arrêté la prorogation du placement de l’intéressé au Centre de séjour pour la durée d’un mois à partir de la notification. Ladite décision fut libellée de la façon suivante :
« Vu les articles 120 à 123 de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;
Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;
Vu la décision de refus de séjour du 15 octobre 2008 ;
Vu mon arrêté pris en date du 19 septembre 2008 décidant du placement temporaire de l'intéressé ;
Considérant que l'intéressé est démuni de tout document de voyage valable ;
Considérant qu'un laissez-passer a été demandé auprès des autorités comoriennes ;
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qu'en attendant l'émission de ce document de voyage, l'éloignement immédiat de l'intéressé est impossible en raison des circonstances de fait ;
Considérant qu'il y a nécessité de reconduire la décision de placement ».
La décision de refus de séjour ainsi que la décision de prorogation du placement furent notifiées à l’intéressé en date du 17 octobre 2008.
Par requête déposée le 27 octobre 2008 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle du 15 octobre 2008 portant prorogation de son placement.
Au vu de l’article 123 de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », un recours contre une décision de rétention est ouvert devant le tribunal administratif qui statue comme juge du fond. Le demandeur a donc valablement pu introduire un recours en réformation, qui est recevable pour avoir été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi.
Le recours subsidiaire en annulation est partant à déclarer irrecevable.
A l’appui de son recours, le demandeur, déclarant être d’origine comorienne, estime en premier lieu que la décision de prorogation de la mesure de placement au Centre de séjour serait intervenue en dehors du délai légal.
En second lieu, il fait valoir que la décision de prorogation ne pourrait pas être basée sur les mêmes motifs que la décision initiale de placement au Centre de séjour. Le législateur n’aurait pas entendu permettre au ministre de proroger purement et simplement une mesure de placement au Centre de séjour. Une telle mesure devrait être motivée par une nécessité absolue, or, une telle motivation ne ressortirait pas de la décision déférée.
De plus, le ministre ne démontrerait pas qu’il serait effectivement en mesure de procéder sous peu à l’éloignement du demandeur.
Le ministre resterait par ailleurs en défaut de démontrer qu’il aurait effectué en temps utile des démarches nécessaires à l’éloignement du demandeur et qu’il serait en train d’exécuter la mesure d’éloignement.
Finalement, le demandeur soutient que l’article 120 de la loi du 29 août 2008 imposerait le placement d’un étranger en situation irrégulière dans un établissement approprié, tout en renvoyant à l’avis du Conseil d’Etat du 6 octobre 1992. Il estime qu’il serait soumis à un régime quasiment identique à celui des détenus dans un établissement pénitentiaire.
Le délégué du gouvernement estime que la prorogation de la mesure de placement serait intervenue endéans le délai légal d’un mois. Il précise ensuite que la notion de « nécessité absolue » ne figurerait pas dans la loi du 29 août 2008, laquelle n’imposerait qu’une « nécessité » afin de proroger la mesure de placement. De toute façon, la condition de la nécessité absolue serait remplie en l’espèce.
Le dossier administratif documenterait par ailleurs des nombreuses démarches effectuées par le ministre en vue de l’éloignement du demandeur, ayant abouti à l’accord des autorités de l’Union des Comores d’émettre un laissez-passer au nom du demandeur.
Enfin, la loi du 29 août 2008 n’exigerait plus que l’étranger en situation irrégulière soit placé dans un « lieu approprié » mais dans une « structure fermée ».
Le tribunal est amené à analyser en premier lieu le moyen de la tardivité de la décision de prorogation de la mesure de placement.
Aux termes de l’article 120 de la loi du 29 août 2008 « (1) Lorsque l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 ou d’une demande de transit par voie aérienne en vertu de l’article 127 est impossible en raison des circonstances de fait, ou lorsque le maintien en zone d’attente dépasse la durée de quarante-huit heures prévue à l’article 119, l’étranger peut, sur décision du ministre être placé en rétention dans une structure fermée. Le mineur non accompagné peut être placé en rétention dans un lieu approprié. La durée maximale est fixée à un mois (…) (3) La décision de placement visée au paragraphe (1) qui précède, peut, en cas de nécessité être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois. » La durée maximale d’une mesure de placement initiale est partant fixée à un mois.
Cette mesure peut être prorogée à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois.
En l’espèce, une première décision de placement du 4 septembre 2008 avait été rapportée par un arrêté de placement du 15 septembre 2008, qui fut rapporté à son tour par un arrêté de placement du 19 septembre 2008. En définitive, le demandeur était donc placé au Centre de séjour sur base d’un arrêté ministériel du 19 septembre 2008. Etant donné que la durée maximale d’une mesure de placement est fixée à un mois, cette mesure a expiré le 19 octobre 2008. En date du 15 octobre 2008, soit avant l’expiration de ladite mesure de placement, le ministre a ordonné la prorogation de la mesure de placement. Le 17 octobre, soit toujours antérieurement à l’expiration de la mesure de placement initiale du 19 septembre 2008, la décision de prorogation fut notifiée au demandeur.
Partant, la décision de prorogation de la mesure de placement, ainsi que la notification de ladite décision sont intervenues avant l’expiration de la mesure de placement initiale et ainsi dans le délai légal, de sorte que le moyen afférant du demandeur est à écarter pour ne pas être fondé.
Par ailleurs, il ressort des pièces versées au dossier administratif que par courrier du 22 septembre 2008, le ministre avait transmis à l’ambassade du l’Union des Comores à Bruxelles les empreintes digitales ainsi qu’une fiche de renseignement concernant le demandeur tout en demandant l’émission d’un titre de voyage ou d’un laissez-passer au nom du demandeur. En date du 3 octobre 2008, le ministre a contacté le consulat de la République algérienne à Bruxelles afin de procéder à l’identification du demandeur. Le 3 octobre 2008, un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration a tenté sans succès de joindre l’ambassade de l’Union des Comores. Le 6 octobre, l’ambassade de l’Union des Comores à Bruxelles a expliqué à l’agent du ministère qu’il fallait adresser la demande d’émission d’un laissez-passer à l’ambassade de l’Union des Comores à Paris, nouvellement accréditée, information confirmée en date du même jour par le consul honoraire de l’Union des Comores au Luxembourg. Par courrier du 7 octobre 2008, le ministre a demandé l’émission d’un titre de voyage ou d’un laissez-passer à l’ambassade de l’Union des Comores à Paris. Un rappel fut adressé en date du 16 octobre 2008 au consulat de la République algérienne à Bruxelles. Après avoir contacté les ambassades de l’Union des Comores à Bruxelles et à Paris, les 20, 21 et 23 octobre 2008, l’ambassade de l’Union des Comores à Paris a confirmé, le 24 octobre 2008, par voie téléphonique qu’elle délivrerait un laissez-passer au nom du demandeur qui serait envoyé par courrier au ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration.
Au vu de ces faits, le tribunal est de prime abord amené à constater que le ministre a procédé à des démarches suffisantes en vue de déterminer l’identité du demandeur et en vue de l’éloignement du demandeur, d’autant plus que lesdites démarches ont abouti à l’accord de l’ambassade de l’Union des Comores d’émettre un laissez-passer au nom du demandeur.
Un manque de diligence ne peut partant pas être reproché au ministre et le moyen afférent du demandeur est partant à rejeter pour ne pas être fondé.
En second lieu, le tribunal est amené à constater que s’il est certes vrai que le texte de la loi du 29 août 2008 ne conditionne plus la prorogation d’une mesure de placement par la « nécessité absolue », il n’en demeure pas moins que cette nouvelle loi n’a pas enlevé complètement la condition de la nécessité mais impose dans son article 120 (3) que la prorogation de la mesure de placement ne peut avoir lieu qu’en cas de « nécessité ». A ce sujet, il convient de constater que le ministre est dans l’impossibilité de procéder à l’éloignement immédiat d’un étranger, lorsque ce dernier ne dispose pas des documents d’identité et de voyage requis pour permettre son éloignement et si des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères en vue de l’obtention d’un accord de reprise de l’intéressé. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière au Centre de séjour pour la durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée à trois reprises en cas de nécessité.
En l’espèce, il s’avère que si le délai d’un mois avait permis aux autorités du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration d’effectuer des démarches en vue de déterminer l’identité du demandeur et d’obtenir des documents de voyage pour le demandeur, ce délai n’avait pas été suffisant pour permettre auxdites démarches d’aboutir.
Or, au vu des démarches suffisantes effectuées et dans l’attente d’une réponse de la part de l’ambassade de l’Union des Comores, il s’imposait nécessairement de proroger la mesure de placement pour la durée d’un mois. D’ailleurs, la décision ministérielle de prorogation de la mesure de placement indique elle-même avoir été prise dans l’attente d’une réponse de la part des autorités comoriennes lorsqu’elle affirme que « Considérant qu'un laissez-passer a été demandé auprès des autorités comoriennes ; qu’en attendant l'émission de ce document de voyage, l'éloignement immédiat de l'intéressé est impossible en raison des circonstances de fait ».
Par conséquent le moyen du demandeur tiré d’un défaut de nécessité de proroger la mesure de placement est à écarter pour ne pas être fondé.
Enfin, le tribunal est amené à constater que la loi du 29 août 2008 se limite à exiger que l’étranger en situation irrégulière soit placé, en vue de son éloignement, dans une « structure fermée » et n’impose plus le placement dans un « lieu approprié ». Dès lors, le moyen du demandeur tiré du fait qu’il devrait être placé dans un lieu approprié est à rejeter pour ne pas être fondé.
Il découle de l’ensemble des développements qui précèdent que le recours sous analyse n’est justifié en aucun de ses moyens et est à rejeter comme n’étant pas fondé.
PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
déclare le recours en annulation irrecevable ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Catherine Thomé, premier juge, Françoise Eberhard, juge, et lu à l’audience publique du 30 octobre 2008 par le premier vice-président, en présence du greffier Claude Legille.
s. Legille s. Schockweiler 6