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27/10/2008 | LUXEMBOURG | N°24069

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 octobre 2008, 24069


Tribunal administratif N° 24069 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 février 2008 Audience publique du 27 octobre 2008 Recours formé par la société anonyme …, …, contre une décision du directeur du Musée National d’Histoire et d’Art en présence des sociétés AAA s.à r.l., …, BBB s.àr.l., …, CCC s.à r.l., …, et DDD SA, …, en matière de marchés publics

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JUGEMENT

Vu la requête déposée le 13 février 2008 au greffe du tribunal administratif par Maître

Victor ELVINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la so...

Tribunal administratif N° 24069 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 février 2008 Audience publique du 27 octobre 2008 Recours formé par la société anonyme …, …, contre une décision du directeur du Musée National d’Histoire et d’Art en présence des sociétés AAA s.à r.l., …, BBB s.àr.l., …, CCC s.à r.l., …, et DDD SA, …, en matière de marchés publics

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JUGEMENT

Vu la requête déposée le 13 février 2008 au greffe du tribunal administratif par Maître Victor ELVINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme …, S.A., ayant son siège social à L-…, représentée par son conseil d'administration actuellement en fonctions, tendant à l’annulation de la décision attribuée au ministère de la Culture, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche lui notifiée le 31 janvier 2008 de ne pas prendre en considération son offre relative au marché public « travaux de fouilles sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg – janvier/décembre 2008 », ainsi que de la décision du même ministère d'adjuger le marché en question à un autre adjudicataire ;

Vu l'exploit de l'huissier de justice Alex MERTZIG, immatriculé près le tribunal d'arrondissement de Diekirch, du 14 février 2008, portant signification du recours en annulation à la société à responsabilité limitée AAA, avec siège à L-…, représentée par son gérant actuellement en fonctions et à la société à responsabilité limitée BBB , avec siège à L-…, représentée par son gérant actuellement en fonctions ;

Vu l'exploit de l'huissier de justice Tom NILLES, immatriculé près le tribunal d'arrondissement de Luxembourg, du 14 février 2008, portant signification du recours en annulation à la société à responsabilité limitée CCC, avec siège à L-…, représentée par son gérant actuellement en fonctions et à la société anonyme DDD S.A., avec siège à L-

…, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions ;

Vu la constitution d’avocat à la Cour de Maître Pierrot SCHILTZ, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée AAA, déposée au greffe du tribunal administratif en date du 21 février 2008 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 mai 2008 ;

Vu le mémoire en réponse déposé le 14 mai 2008 au greffe du tribunal administratif par Maître Pierrot SCHILTZ, au nom de la société à responsabilité limitée AAA, notifié le même jour à Maître Victor ELVINGER ;

Vu le mémoire en réplique déposé le 13 juin 2008 au greffe du tribunal administratif par Maître Victor ELVINGER, au nom de la demanderesse, notifié le même jour à Maître Pierrot SCHILTZ ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 juillet 2008 ;

Vu le mémoire en duplique déposé le 14 juillet 2008 au greffe du tribunal administratif par Maître Pierrot SCHILTZ au nom de la société à responsabilité limitée AAA, notifié le même jour à Maître Victor ELVINGER ;

Vu les pièces versées et notamment les décisions attaquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Serge MARX, en remplacement de Maître Vic ELVINGER, Maître Martial BARBIAN, en remplacement de Maître Pierrot SCHILTZ, et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRÜCK et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives aux audiences publiques des 6 et 13 octobre 2008.

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Dans le cadre d'une soumission publique lancée par le ministère de la Culture, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche pour la réalisation du projet public « travaux de fouilles sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg – janvier/décembre 2008 » la société anonyme … présenta une offre.

Par courrier du 30 janvier 2008, le directeur du Musée National d’Histoire et d’Art (MNHA) l'informa de ce que son offre ne correspondrait pas aux points 4.2.1 (bilan introduit seulement pour 2 années), 4.3.1, 4.3.3, et 4.3.5 des critères de sélection du cahier des charges.

Par requête déposée le 13 février 2008, inscrite sous le numéro 24069 du rôle, la société anonyme … a introduit un recours en annulation contre cette décision ainsi que contre la décision du ministère de la Culture, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche d'adjuger le marché en question à un autre adjudicataire, et par requête déposée le même jour, inscrite sous le numéro 24070 du rôle, elle sollicita le sursis à exécution de ces deux décisions, requête qui fut déclarée non fondée par ordonnance présidentielle du 26 février 2008.

Quant à la recevabilité :

Etant donné que ni la loi du 30 juin 2003 sur les marchés publics, ci-après dénommée la « loi de 2003 », ni une quelconque autre disposition légale ne prévoient la possibilité d’exercer un recours en réformation contre une décision de rejet d’une offre ou contre une décision d’adjudication, seul un recours en annulation a pu être introduit contre les décisions attaquées.

Les parties défenderesses soulèvent de prime abord l’irrecevabilité du recours contre la décision d’adjudication du marché, au motif qu’au jour du dépôt du recours, aucune décision d’adjudication n’aurait encore été prise, celle-ci n’étant intervenue que postérieurement, à savoir en date du 27 février 2008.

Le mandataire de la société à responsabilité limitée AAA soutient encore que le courrier déféré du directeur du MNHA daté du 30 janvier 2008 ne comporterait pas d’élément décisionnel propre, mais ne ferait que porter à la connaissance de la société … s.a. le fait que son offre n’a pas pu être prise en considération ainsi que les raisons sous-

jacentes à cette décision, de sorte que cette lettre d’information ne saurait faire l’objet d’un recours en annulation devant les juridictions administratives.

Il conteste enfin tout intérêt à agir dans le chef de la société … s.a. en plaidant que comme l’offre de la société … s.a. n’était en tout état de cause pas régulière, en ce sens qu’elle ne respectait pas les dispositions du cahier des charges, elle ne pouvait de toute façon pas être retenue, de sorte que la demanderesse n’aurait pas intérêt à agir, puisqu’elle n’aurait pas pu être déclarée adjudicataire du marché.

Il se réfère à ce sujet à une jurisprudence, qui subordonnerait par principe l'intérêt à agir d'un soumissionnaire à la condition pour celui-ci d'avoir déposé une offre « utile», en d'autres termes d'avoir déposé une offre conforme au cahier des charges et donc susceptible d'être mise en concurrence dans le cadre du choix de l'offre économiquement la plus avantageuse. En l’espèce, il estime cependant que la partie demanderesse n’aurait pas déposé dans le cadre de la soumission une offre régulière (ou « utile ») alors que son offre ne respectait pas les conditions fixées par les articles 4.2.1, 4.3.1, 4.3.3 et 4.3.5. du cahier des charges, de sorte qu’elle ne justifierait pas d'un intérêt à agir suffisant.

La société … s’oppose à ces moyens d’irrecevabilité en s’emparant de l’article 90 du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003 portant exécution de la loi du 30 juin 2003 sur les marchés publics, dont elle déduit que les décisions d'adjudication et de rejet devraient être concomitantes. La demanderesse estime en application de cet article qu’une décision de rejet serait en réalité la conséquence de la décision d'adjudication qui devrait obligatoirement précéder l'information des autres concurrents du rejet de leur offre.

La société … donne à considérer que le fait que le pouvoir adjudicateur ait scindé le moment de la décision de rejet et celle de l'adjudication, en inversant leur chronologie en violation de l'article 90 précité, ne permettrait pas d'invoquer l'irrecevabilité du recours dirigé contre la décision d'adjudication, conformément à l'adage nemo auditur propriam turpitudinem allegans.

En ce qui concerne le moyen de la société AAA selon lequel la décision de rejet du 30 janvier 2008 ne serait pas une décision administrative faisant grief, la partie demanderesse rétorque qu’il ne s'agirait pas que d'une simple lettre d'information qui ne contiendrait pas d'élément décisionnel propre, mais au contraire d’une décision faisant grief, le courrier en question indiquant lui-même constituer une décision.

Quant au reproche lui adressée selon lequel elle n’aurait pas intérêt à agir, elle fait plaider que pour apprécier l'intérêt à agir, il n'y aurait pas lieu d'analyser la régularité de l'offre, le simple fait d'avoir participé à la soumission public et d'avoir un intérêt de concurrence étant des conditions suffisantes pour disposer d'un intérêt à agir.

Elle rappelle par ailleurs que son offre a été classée en deuxième place.

En ce qui concerne le défaut d’intérêt à agir dans le chef de la demanderesse, il y a lieu de rappeler que l’intérêt pour agir est l’utilité que présente pour le demandeur la solution du litige qu’il demande au juge d’adopter1, étant souligné que l’intérêt à agir n’est pas à confondre avec le fond du droit en ce qu’il se mesure non au bien-fondé des moyens invoqués à l’appui d’une prétention, mais à la satisfaction que la prétention est censée procurer à une partie, à supposer que les moyens invoqués soient justifiés2 :

l’intérêt à agir ne dépend pas du sérieux des moyens invoqués à l’appui du recours, dont l’analyse ne sera faite que dans le cadre de l’examen au fond3.

Or en l’espèce, la société AAA soulève le défaut d’intérêt dans le chef de la demanderesse en arguant de la non-conformité de son offre par rapport au cahier des charges, moyen que le tribunal n’entend cependant pas analyser au titre de la recevabilité du recours, mais ultérieurement, s’agissant d’un moyen de fond. Il convient plus particulièrement de souligner qu’admettre la thèse de la société AAA, consistant à dénier tout intérêt à agir à un soumissionnaire dont l’offre aurait été écartée pour être irrégulière, reviendrait à écarter tout soumissionnaire se trouvant dans cette situation, de la possibilité de faire contrôler l’irrégularité lui opposée par le juge administratif.

Il convient au contraire de souligner qu’aux termes de la jurisprudence de la juridiction administrative suprême, un intérêt de concurrence est suffisant pour conférer à une entreprise voulant participer à une soumission publique un intérêt à voir respecter les dispositions légales et réglementaires régissant les adjudications publiques4.

Il s’ensuit que la société … doit en tant que soumissionnaire évincé être considérée comme justifiant d’un intérêt de concurrence suffisant pour faire examiner le respect des dispositions légales et réglementaires régissant les adjudications publiques.

Partant, le moyen d’irrecevabilité du recours en raison d’un défaut d’intérêt suffisant pour agir dans le chef de la demanderesse laisse d’être fondé.

1 Voir Encyclopédie Dalloz, Contentieux administratif, V° Recours pour excès de pouvoir (Conditions de recevabilité), n° 247.

2 Trib. adm. prés. 27 septembre 2002, n° 15373, Pas. adm. 2007-2008, V° Procédure contentieuse, n° 2.

3 Trib. adm., 25 octobre 2001, n° 12415, Pas. adm. 2007-2008, V° Procédure contentieuse, n° 4.

4 Cour adm., 11 juillet 2007, n° 20192C, Pas. adm. 2007-2008, V° Marchés publics, n° 125.

En ce qui concerne la recevabilité du recours tel que dirigé contre la décision du ministre d'adjuger le marché en question à un autre adjudicataire, force est de constater que la décision d’adjudication est en l’espèce matérialisée par le courrier de la secrétaire d’Etat à la Culture, à l’Enseignement supérieur et à la Recherche datée du 27 février 2008, informant la société AAA que le marché en question lui a été adjugé.

Si la partie demanderesse entend tenir cette réalité en échec en se prévalant de l’article 90 du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003 précité, aux termes duquel, selon la demanderesse, les décisions d'adjudication et de rejet devraient nécessairement être concomitantes, la partie étatique, pour sa part, estime que ledit article ne prévoirait aucune chronologie, « sauf que l’adjudication doit intervenir après l’écoulement d’un délai de quinze jours suivant l’information donnée aux concurrents ».

Force est de constater que ces deux thèses procèdent d’une lecture erronée de l’article en question.

En effet, aux termes de l’article 90 en question :

« (1) L'adjudication doit avoir lieu dans le délai prévu ou, si celui-ci est dépassé, dans le délai accepté par le soumissionnaire susceptible d'être déclaré adjudicataire.

(2) L'adjudicataire en est avisé par lettre recommandée.

(3) De même, le pouvoir adjudicateur informe par lettre recommandée les autres concurrents qu'il ne fait pas usage de leur offre, avec l'indication des motifs à la base de la non-prise en considération de celle-ci. Il leur est restitué les échantillons, projets et autres pièces dont ils ont accompagné leur offre.

(4) La conclusion du contrat avec l'adjudicataire a lieu après un délai d'au moins quinze jours à compter de l'information donnée aux autres concurrents suivant les dispositions du paragraphe précédent. Elle a lieu par l'apposition de la signature du pouvoir adjudicateur sur le document de soumission remis par l'adjudicataire. » Il échet de prime abord de constater que la disposition précitée n’impose pas au pouvoir adjudicataire de prendre concomitamment les décisions d'adjudication et de rejet, le texte ne mentionnant à cet égard pas les décisions de rejet, mais seulement l’information des autres concurrents évincés qu'il ne fait pas usage de leur offre, avec l'indication des motifs à la base de la non-prise en considération de celle-ci. Si en pratique la décision de rejet découle fréquemment, implicitement, de la décision d’adjudication, en ce sens que l’attribution du marché à un concurrent déterminé implique nécessairement le rejet des autres offres, de sorte que ces deux décisions sont effectivement, dans ce cas de figure, prises concomitamment, tel n’est pas nécessairement toujours le cas, un concurrent pouvant se voir évincé – notamment pour irrégularité formelle de son offre – avant que le pouvoir adjudicateur décide attribuer le marché à un autre concurrent, ou, par exemple, décide d’annuler la mise en adjudication sur base de l’article 91 du même règlement grand-ducal.

Or en l’espèce, il résulte des explications de la partie étatique que celle-ci a décidé de postposer l’adjudication du marché en attendant l’issue de la procédure en obtention d’un sursis à exécution, procédure ayant donné lieu à l’ordonnance présidentielle précitée datée du 26 février 2008, de sorte que le marché n’a été adjugé que le lendemain de cette ordonnance, à savoir le 27 février 2008, décision concrétisée par la lettre précitée de la secrétaire d’Etat à la Culture, à l’Enseignement supérieur et à la Recherche.

Il s’ensuit que la décision d’adjudication n’a été prise que postérieurement au dépôt du recours en annulation, de sorte que la requête introductive d’instance n’a pas pu valablement saisir le juge d’une décision qui était encore inexistante à la date du dépôt.

Le recours en annulation doit par conséquent être déclaré irrecevable dans la mesure où il porte contre une décision d’adjudication inexistante à la date du dépôt de la requête introductive d’instance, et ce alors qu’au jour de la prise en délibéré de la présente affaire, … n’avait pas introduit de recours contentieux à l’encontre de la décision de la secrétaire d’Etat à la Culture, à l’Enseignement supérieur et à la Recherche publics du 27 février 2008 portant adjudication du marché, de sorte que le tribunal n’est pas en mesure de procéder à une quelconque jonction d’instance dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice.

En revanche, il convient à titre superfétatoire de souligner qu’il est faux de prétendre, à l’instar de la partie publique, que l’article 90 en question impose à l’adjudication d’intervenir après écoulement d’un délai de quinze jours suivant l’information donnée aux concurrents malheureux, cette interprétation reposant sur une confusion entre l’adjudication, décision administrative consistant à déterminer l’adjudicataire, qui n’est pas soumise à un quelconque délai, et la conclusion du contrat avec l'adjudicataire, acte de gestion relevant du juge judiciaire pour ce qui est de son interprétation et de son exécution5, qui non seulement doit nécessairement se situer après l’adjudication, mais qui doit encore respecter un délai de quinze jours après l’information donnée aux concurrents évincés.

Enfin, en ce qui concerne le courrier litigieux du 30 janvier 2008 adressé par le directeur du MNHA à la société …, celui-ci se lit comme suit :

« Comme suite à l'adjudication du mardi 29 janvier 2008 et conformément au règlement grand-ducal du 7 juillet 2003 portant exécution de la loi du 30 juin 2003 sur les marchés publics, j'ai le regret de porter à votre connaissance que votre offre n'a pas pu être prise en considération, ceci pour la raison suivante :

votre offre ne correspond pas aux points 4.2.1 (bilan introduit seulement pour 2 années), 4.3.1, 4.3.3, et 4.3.5 des critères de sélection du cahier des charges.

5 Sur la distinction entre l’adjudication et la conclusion du contrat, voir notamment : trib.adm 24 octobre 2005, n° 19309, Pas. adm. 2007-2008, V° Marchés publics 130 et ord. prés. 16 août 2001, n° 13808, Pas.

adm. 2007-2008, V° Procédure contentieuse, n° 404.

Si vous vous estimez lésés par la présente décision, il vous est loisible d'introduire un recours à l'adresse indiquée ci-dessus dans un délai de 15 jours à compter à partir de la présente notification (date du cachet de la poste faisant foi).

Passé ce délai il vous restera toujours loisible d'introduire par voie d'avoué un recours en annulation à l'encontre de la décision d'adjudication auprès du tribunal administratif dans un délai de trois mois à compter de la présente.(…) » L’article 1er de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions administratives limite, d’autre part, l’ouverture d’un recours devant les juridictions administratives notamment aux conditions cumulatives que l’acte litigieux doit constituer une décision administrative, c’est-à-dire émaner d’une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés et qu’il doit s’agir d’une véritable décision, affectant les droits et intérêts de la personne qui la conteste6.

L'acte émanant d'une autorité administrative, pour être sujet à un recours contentieux, doit dès lors constituer, dans l'intention de l'autorité qui l'émet, une véritable décision, à qualifier d'acte de nature à faire grief, c'est-à-dire un acte de nature à produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui réclame7. Plus particulièrement n'ont pas cette qualité de décision faisant grief, comme n'étant pas destinées à produire, par elles-mêmes, des effets juridiques, les informations données par l'administration, tout comme les déclarations d'intention ou les actes préparatoires d'une décision8, ces derniers échappant au recours contentieux pour ne faire que préparer la décision finale et qui constituent des étapes dans la procédure d'élaboration de celle-ci9.

Pour déterminer le caractère décisoire ou simplement informatif d’une lettre, il y a lieu d’analyser son libellé et de qualifier son contenu.

En l’espèce, force est de constater qu’au-delà des informations contenues dans ledit courrier, à savoir le fait que l’offre de la société n’a pas été retenue et les raisons de ce rejet, l’auteur du courrier identifie celui-ci explicitement comme constituant une décision et informe le concurrent écarté des possibilités de recours ouvertes à l’encontre de « la présente décision ».

Il convient encore remarquer que le courrier déféré du directeur du MNHA revient à évincer un soumissionnaire de la procédure d’adjudication tandis que différents éléments textuels lui confèrent un caractère décisionnel, dont, d’une part, l’exposé des 6 F. Schockweiler, Le contentieux administratif et la procédure administrative non contentieuse en droit luxembourgeois, n° 46, p. 28.

7 Trib. adm., 18 juin 1998, n° 10617 et 10618, Pas. adm. 2007-2008, V° Actes administratifs, n° 13, et autres références.

8 Trib. adm., 23 juillet 1997, n° 9658, confirmé sur ce point par arrêt du 19 février 1998, n° 10263C, Pas.

adm. 2007-2008, V° Actes administratifs, n° 26, et autres références.

9 Cour adm. 22 janvier 1998, n° 9647C, 9759C, 10080C, 10276C, Pas. adm. 2007-2008, V° Actes administratifs, n° 25, et autres références raisons ayant conduit le pouvoir adjudicateur à considérer que l’offre de … contenait des irrégularités et, d’autre part, la conclusion de la non prise en considération de cette offre avec la conséquence d’écarter purement et simplement … de la procédure.

Force est encore de constater que ledit courrier ne se réfère à aucune décision ministérielle allant dans le même sens et que, d’autre part, elle ne se confond pas non plus avec la décision d’adjudication portant attribution du marché public à l’adjudicataire, décision prise, comme retenu ci-avant, postérieurement en date du 27 février 2008.

Finalement, il y a lieu de souligner que non seulement la partie étatique n’a jamais contesté la nature décisionnelle de ce courrier - les contestations afférentes provenant seulement de la partie tierce intéressée, mais non du représentant de l’auteur du courrier litigieux – mais encore que suite à une question afférente du tribunal le délégué du Gouvernement a expressément confirmé « que le courrier du 30 janvier 2008 constitue la seule décision visant à écarter l’offre de la S.A. … ».

Il s’ensuit que la nature décisionnelle dudit courrier étant établie, un recours en annulation à valablement pu être introduit à son encontre.

Le recours en annulation, par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi, est par conséquent recevable dans la mesure où il porte contre la décision du 30 janvier 2008 prise par le directeur du MNHA.

Quant au fond :

Le tribunal, saisi d’un recours en annulation, vérifie si les motifs sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et de contrôler si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés.

Dans ce cadre, il appartient d’abord au tribunal de vérifier la légalité extrinsèque de l’acte lui déféré, avant de se livrer, par le biais de l’examen de la légalité des motifs, au contrôle de la légalité intrinsèque.

En ce qui concerne la question de la légalité extrinsèque de la décision déférée, le tribunal procédera en premier lieu à l’examen du moyen de l’incompétence de l’organe ayant pris les décisions attaquées, question relevant de l’ordre public et soulevée d’office par le tribunal aux audiences publiques des 6 et 13 octobre 2008, le tribunal ayant en effet à ces occasions soulevé la question du caractère décisionnel de l’acte et le cas échéant, celle de la compétence du directeur du MNHA pour prendre la décision déférée.

Il est constant qu’en ce qui concerne les décisions à prendre relativement à la recevabilité ou au mérite d’une offre soumise dans le cadre d’une mise en adjudication publique, respectivement la décision d’attribution d’un marché public, le directeur du MNHA n’est pas l’autorité administrative dotée du pouvoir de décision, ce pouvoir relevant des attributions exclusives du ministre de tutelle, à savoir le ministre de la Culture, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, respectivement la secrétaire de la Culture, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche sur base de l’arrêté grand-

ducal du 22 février 2006 portant délégation de compétence et délégation de signature à celle-ci pour les affaires relevant du ministère de la Culture, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

En effet, le Musée National d´Histoire et d´Art, simple institut, ne dispose pas, en vertu de la loi du 25 juin 2004 portant réorganisation des instituts culturels de l’Etat, de la personnalité juridique, étant donné que l’article 2 de ladite loi prévoit qu’il est placé sous la tutelle du ministre ayant dans ses attributions la Culture. Il s’ensuit que le MNHA ne saurait être considéré comme étant investi de manière autonome du pouvoir d’écarter l’offre d’un soumissionnaire dans le cadre d’un marché public et que son directeur ne peut pas être considéré comme un représentant généralement habilité de l’Etat respectivement pour se prononcer sur les recevabilité et mérite d’offres soumises dans le cadre d’une mise en adjudication publique ou pour attribuer et conclure un marché public, alors que pareille compétence revient au ministre.

Cette conclusion quant à l’absence de tout pouvoir général dans le chef du directeur, signataire de la décision déférée, est encore confirmée par les explications de la partie étatique qui entend se prévaloir d’une délégation de signature accordée au même directeur par la secrétaire de la Culture, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, une telle délégation de signature impliquant implicitement mais nécessairement que le directeur ne dispose pas per se du pouvoir autonome d’engager l’Etat en général et de se prononcer sur les recevabilité et mérite d’offres soumises dans le cadre d’une mise en adjudication publique en particulier.

En ce qui concerne l’incidence de la délégation de signature conférée par la secrétaire de la Culture, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, il convient de prime abord de relever que le directeur, en prenant la décision litigieuse, n’a manifestement pas entendu agir en vertu de cette délégation, mais sur base de pouvoirs propres, l’arrêté lui conférant une délégation de signature lui imposant expressément, lorsqu’il agit en vertu de la dite délégation, de signer par la formule suivante : « Pour la Secrétaire de la Culture, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, …, Directeur du Musée national d’histoire et d’art », formule qui ne figure pas sur la décision litigieuse, le directeur s’y étant contenté de signer sous son propre nom, sans indication d’une quelconque délégation.

Outre cette irrégularité formelle, force est encore au tribunal de constater que la délégation conférée au directeur l’habilite seulement à « signer tous les actes portant sur l’engagement et l’ordonnancement de dépenses ainsi que sur la liquidation et l’ordonnancement de recettes non fiscales relevant du Musée national d’histoire et d’art jusqu’à concurrence de 250.000.- euros ».

La question de la compétence de l’organe administratif ayant pris une décision est une question de fond touchant à l’ordre public pour avoir trait aux règles fondamentales d’organisation administrative de l’Etat, de sorte qu’aucun mandat, ni aucune délégation de compétence opérés en dehors des prévisions légales en la matière ne saurait être admis10.

Or si le pouvoir d’engager l’Etat, et plus particulièrement le pouvoir d’attribuer et de conclure un marché public, comporte nécessairement celui de se prononcer sur les recevabilité et mérite d’offres soumises dans le cadre d’une mise en adjudication publique et dès lors de pouvoir le cas échéant d’écarter l’offre d’un soumissionnaire, ce pouvoir de ne pas engager l’Etat, c’est-à-dire d’écarter l’offre d’un soumissionnaire dans le cadre d’un marché public, doit en conséquence répondre aux mêmes règles de compétences que celles entourant le pouvoir d’engager l’Etat.

En l’espèce, l’enjeu du marché litigieux, est, aux termes mêmes des explications de la partie étatique, d’un montant approximatif d’un million d’euros11, de sorte que le directeur du MNHA, habilité pour engager l’Etat jusqu’à concurrence de 250.000 euros, n’était compétent ni pour attribuer ledit marché, ni, a fortiori, pour se prononcer sur les recevabilité et mérite d’offres soumises dans le cadre du marché public en cause, ni dès lors pour écarter l’offre du soumissionnaire ….

Il s’ensuit que la décision du directeur du 30 janvier 2008 encourt l’annulation pour incompétence de l’autorité administrative l’ayant prise.

La société AAA réclame encore la condamnation de la partie demanderesse à une indemnité de procédure d’un montant de 2.500.- €., demande qui, au vu de l’issue du litige, est à rejeter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

déclare le recours en annulation irrecevable dans la mesure où il porte contre la décision d’adjudication attribuée au ministère de la Culture, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ;

reçoit pour le surplus le recours en annulation en la forme et le déclare recevable ;

au fond le dit justifié ;

partant annule la décision du directeur du Musée National d’Histoire et d’Art datée 31 janvier 2008 de ne pas prendre en considération l’offre de la société anonyme … relative au marché public « travaux de fouilles sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg – janvier/décembre 2008 » ;

rejette la demande en obtention d’une indemnité de procédure présentée par la société AAA ;

10 Voir en ce sens trib.adm. 2 février 2004, n° 17340, Pas. adm. 2007-2008, V° Compétence, n° 14.

11 Page 3 du mémoire en réponse de l’Etat.

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 27 octobre 2008 par :

Paulette Lenert, vice-président, Marc Sünnen, juge, Claude Fellens, juge, en présence du greffier en chef Arny Schmit.

Schmit Lenert 11


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 24069
Date de la décision : 27/10/2008

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2008-10-27;24069 ?

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