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27/10/2008 | LUXEMBOURG | N°24029

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 octobre 2008, 24029


Tribunal administratif N° 24029 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 février 2008 Audience publique du 27 octobre 2008 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 24029 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 février 2008 par Maître Anne-Marie Nicolas, avocat à la Cour, assistée de Maître Rosy-M

athilde Mounthault, avocat, les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, ...

Tribunal administratif N° 24029 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 février 2008 Audience publique du 27 octobre 2008 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 24029 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 février 2008 par Maître Anne-Marie Nicolas, avocat à la Cour, assistée de Maître Rosy-Mathilde Mounthault, avocat, les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Bota-Limbe (Cameroun), de nationalité camerounaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 28 décembre 2007, ayant rejeté sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée et lui ayant refusé le bénéfice de la protection subsidiaire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 avril 2008 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision ministérielle critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Rosy-Mathilde Mounthault et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Guillou-Jacques en leurs plaidoiries respectives.

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Le 27 juillet 2004, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut entendu les 3, 8 et 23 septembre 2004 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile. Par décision du 28 décembre 2007, notifiée par lettre recommandée du 7 janvier 2008, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, dénommé ci-après le « ministre », l’informa que sa demande en obtention du statut de réfugié avait été rejetée comme non fondée et que le bénéfice de la protection subsidiaire lui était refusé. Cette décision est libellée comme suit :

« J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère de la Justice en date du 27 juillet 2004.

En mains le rapport du Service de Police Judiciaire de la même date et le rapport d'audition de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration du 3 septembre 2004.

Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous auriez été arrêté par la police de Bali-Nyonga-Mezam en date du 14 juillet 2004. Le 24 juillet 2004, vous auriez pu vous enfuir et vous cacher dans la brousse, où vous auriez rencontré un certain Monsieur BAHTON. Ce dernier vous aurait emmené chez le SCNC (Southern Cameroon National Council) et vous aurait donné des chaussures, des vêtements et € 50.-. Par après il vous aurait conduit à l'aéroport et vous auriez pris un avion, ensemble avec lui. Vous ne pouvez pas indiquer où vous auriez atterri, comme il aurait fait nuit. A votre arrivée, ce Monsieur BAHTON vous aurait abandonné et vous auriez pris un train quelconque pour finalement arriver au Luxembourg.

Vous ne présentez aucune pièce d'identité et vous affirmez que [vous] auriez pu voyager sans documents ! Il résulte de vos déclarations que vous seriez membre de l'organisation SCNC (Southern Cameroon National Council) depuis l'année 2000 et que vous seriez un des coordinateurs de la subdivision des jeunes. Le 14 juillet 2004 vous seriez allé de Njenka à Bamenda pour y distribuer des tracts aux jeunes. Cependant, vous auriez été arrêté par la Brigade Mixte Mobile (BMM) et on vous aurait accusé de troubler les futures élections présidentielles de l'octobre 2004. En outre, on vous aurait accusé d'être un « agent de distribution de journaux du sud du Cameroun », lesquels ne seraient pas soutenus par le Gouvernement. Vous déclarez qu'après cinq jours, un gendarme vous aurait dit que vous seriez transféré au prison de Kondengui (sic !), un endroit d'où les prisonniers ne reviendraient jamais. Le 24 juillet, après 10 jours de détention, une ambulance aurait été appelée pour qu'un prisonnier malade puisse être transféré à l'hôpital. Le gendarme qui vous aurait prévenu de votre transfert vous aurait demandé de porter le malade dans l'ambulance et ainsi vous auriez eu l'occasion de vous enfuir. Après avoir été caché pendant quelques heures dans la brousse, vous auriez rencontré plusieurs femmes, lesquelles vous auraient amené chez un membre du SCNC, Monsieur Victor NKUM, à Santa. Ce dernier vous aurait alors conduit à Douala, où un autre membre du SCNC, Monsieur Gabila Emmanuel aurait organisé votre départ du Cameroun. Selon vos dires, il aurait été trop dangereux de rester au Cameroun en raison de votre fuite de la prison et en raison de votre appartenance au SCNC.

Vous indiquez que vous auriez été conduit à l'aéroport de Douala, où vous auriez pris l'avion en direction de l'Europe. Vous expliquez que vous auriez pu voyager sans papiers, comme la police du Cameroun serait corrompue. En outre, vous précisez que vous auriez été accompagné par un inconnu et que vous n'auriez pas immédiatement su que vous quitteriez le continent africain. Seulement après une certaine durée du vol, vous auriez réalisé que vous ne voyageriez pas au Nigeria, comme vous l'auriez cru, mais que vous voyageriez plus loin.

Selon vos dires, vous seriez atterri à un endroit qui vous aurait été inconnu et après une heure d'attente vous auriez continué votre voyage en avion. Vous expliquez que vous ne sauriez préciser où vous auriez fait escale, comme vous auriez dormi pendant tout le vol.

Enfin, vous dites que vous ne pourriez retourner au Cameroun, sinon vous seriez arrêté et tué par les forces gouvernementales.

Enfin, vous admettez n'avoir subi aucune autre persécution ni mauvais traitement, et ne pas être membre d'un parti politique.

Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d'asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.

A défaut de pièces, un demandeur d'asile doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. Force est cependant de constater que les invraisemblances dans votre récit laissent planer des doutes quant à l'intégralité de votre passé et au motif de fuite invoqué. Ainsi, en premier lieu, il est difficilement concevable que des membres du SCNC, lesquels vous auriez à peine connus, vous auraient aidé à quitter votre pays d'origine et auraient organisé votre départ en une seule nuit. Ensuite, il est peu crédible que vous auriez pu partir du Cameroun par la voie aérienne sans contrôle et sans papiers. Soulignons que vous dites d'abord que vous n'auriez pas dû présenter des pièces d'identité, comme la police camerounaise serait corrompue et vous aurait laissé monter à bord de l'avion sans contrôle.

Cependant, lors de votre deuxième entretien auprès du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration, vous dites que le Monsieur qui vous aurait accompagné vous aurait donné un passeport lors de chaque contrôle. En outre, vous précisez que vous auriez pris deux avions pour venir au Luxembourg, cependant auprès de la Police judiciaire vous ne parlez que d'un seul avion. En outre, vous indiquez chez la police que vous auriez pris un train quelconque, lequel vous aurait emmené par hasard au Luxembourg. De plus, selon vos déclarations auprès du Ministère, vous auriez été accompagné tout au long de votre trajet. Cependant, auprès de la Police judiciaire, vous dites qu'un certain Monsieur BAHTON vous aurait accompagné lors du vol et vous aurait abandonné à un endroit qui vous aurait été inconnu. Il convient également de souligner que vous ne mentionnez ce Monsieur BAHTON nulle part lors de vos entretiens auprès du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration. Vous ne mentionnez que Monsieur Victor NKUM, Gabila EMMANUEL et un certain Bah TON en relation avec votre voyage en Europe. Pour le surplus, il demeure complètement invraisemblable que vous ne sauriez indiquer des détails quant à vos lieux d'atterrissages, comme vous auriez été trop nerveux pour vous concentrer sur les signalisations aux deux aéroports. Pour rendre vos déclarations sur votre départ du Cameroun et votre voyage en Europe encore moins crédible, vous dites que vous ne pourriez donner des détails quant aux deux vols, comme vous auriez dormi pendant les trajets. Il en résulte que les déclarations concernant votre voyage entier doivent être présumées comme étant fausses.

En deuxième lieu, quant à votre arrestation du 14 juillet 2004, vous dites d'abord que la BMM vous aurait accusé d'être un « agent de distribution de journaux du sud du Cameroun », lesquels ne seraient pas soutenus par le Gouvernement et que vous seriez en outre accusé de troubler les futures élections présidentielles de l'octobre 2004. Cependant, à la page 13 de l'audition, vous dites que vous auriez été arrêté pour avoir distribué des tracts du SCNC. D'ailleurs, vous dites que vous n'auriez pas été interrogé par les autorités de la prison. Ainsi, il est surprenant que vous pourriez indiquer les différentes raisons pour votre arrestation. Enfin, quant à votre soi-disant arrestation, notons qu'il est peu crédible que vous auriez pu vous enfuir de la prison sans aucun problème.

En troisième lieu, soulignons que vos connaissances et déclarations sur le Cameroun et sur le SCNC sont très vagues ou même éronnées (sic !). Vous déclarez entre autres que le SCNC "is supposed to be a legal organization because it is recognized by the Commonwealth of Nations, but it is not recognized by the Government of Cameroon." (p. 4). En outre, vous dites, "It is like a pressure group created in 1994 to fight against the restoration of the independance of the southern Cameroon. It fights for the rights of the southern minority." Force est de constater que le SCNC est un mouvement indépendantiste créé en 1995 et non en 1994. Le mouvement revendique le droit à l'autodétermination de la population anglophone du pays, qui s'estime marginalisée par le pouvoir essentiellement francophone.

Le 30 décembre 1999, des militants du SCNC proclament à la radio d'Etat la naissance de la « République du Cameroun méridional », présidée par le magistrat Ebong Frederick Alobwede. Six leaders du SCNC sont immédiatement arrêtés pour être finalement relâchés sans jugement en 2001. La SCNC a été interdit en mai 2001 suite à l'auto-proclamation de la « République du Cameroun méridional ». En outre, selon vos dires, vous seriez un des coordinateurs de la subdivision des jeunes du SCNC. Ceci semble assez étonnant, comme selon nos recherches il n'existe pas de subdivision pour les jeunes de cette organisation.

Cependant, selon le " Immigration and Refugee Board of Canada", il existe la ligue des jeunes du Cameroun méridional (Southern National Youth League - SCYL). Elle émane du SCNC et a été formée en 1997. Ebenezer Akwanga, évadé de la prison de Kondengui et en exil au Nigéria, est président de cette ligue.

Il est certes un fait que les membres et même les proches du SCNC courent le risque d'arrestations arbitraires au Cameroun. Cependant, vous n'êtes pas capable d'établir un lien entre le SCNC et votre personne et avec votre soi-disant arrestation à Bamenda.

En dernier lieu, quant aux documents que vous avez remis aux autorités luxembourgeoises, force est d'abord de constater que vous vous faites envoyer un diplôme universitaire du Cameroun, cependant vous n'êtes pas capable de nous fournir un élément de preuve pouvant établir votre identité ! Or, l'incertitude quant à votre identité remet également en cause la crédibilité de la totalité de votre récit, et a fortiori des nombreux autres documents fournis à l'appui de votre demande et dont l'authenticité ne peut pas être établie.

Toutefois, il convient de mettre en évidence qu'un des documents dit que vous auriez été choisi d'être le coordinateur de la Southern National Youth League, ce que vous ne mentionnez nulle part pendant vos récits. Vous parlez uniquement du SCNC et ne mentionnez jamais le SCYL. Notons encore, qu'il s'agit d'une photocopie en couleur et non d'un document officiel. En ce qui concerne la « Declaration of past persecution and imminent danger of further persecution of Mr … », force est de constater que cette déclaration contient 26 points et que votre nom y a été inséré à plusieurs reprises. Ainsi, cette dernière dit que vous seriez un membre militant du parti politique SDF (Social Democratic Front). Il convient de souligner que vous ne mentionnez nulle part que vous seriez un membre militant de ce parti politique. En outre, le point 19 dit que vous auriez été arrêté lors d'une confrontation entre des membres du SCNC et la gendarmerie. Il convient ainsi de noter que ceci représente la troisième version des raisons pour lesquelles vous auriez été arrêté. Notons encore que vous ne mentionnez nulle part l'auteur de ce manifeste, à savoir un certain Abednego Fon Achua, avocat à Bamenda et il convient aussi de relever qu'il est surprenant que cet avocat camerounais détient une adresse e-mail anglaise.

Au vu de ce qui précède, force est de constater que ces trop nombreuses confusions, incohérences, contradictions et même mensonges entachent la crédibilité de votre récit et ne nous permettent pas d'établir de façon probante que vous ayez été victime d'un acte de persécution ou d'une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Ainsi, même à supposer les faits que vous alléguez établis, ils ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans le chef du demandeur d'asile une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève.

Enfin, vous n'apportez en l'espèce aucune raison valable justifiant une impossibilité de vous installer dans une autre région de votre pays d'origine pour ainsi profiter d'une fuite interne.

En outre, votre récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits invoqués à l'appui de votre demande ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile ; 2) d'un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 6 février 2008, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation sinon en annulation contre la décision ministérielle précitée du 28 décembre 2007.

Etant donné que tant l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1.

d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, que l’article 19 (3) de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection prévoient un recours en réformation en matière de demandes d’asile et de protection subsidiaire déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée. Il s’ensuit que le recours en annulation est à déclarer irrecevable.

Le recours en réformation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur conclut tout d’abord à la nullité de la décision déférée au motif qu’elle serait fondée sur l’article 19 de la loi précitée du 5 mai 2006, alors que selon les dispositions transitoires de ladite loi et notamment l’article 74, sa demande d’asile, pour avoir été introduite avant l’entrée en vigueur de la loi du 5 mai 2006, tomberait encore dans le champ d’application de la loi précitée du 3 avril 1996, abrogée par ladite loi du 5 mai 2006.

C’est cependant à juste titre que le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen, étant donné qu’il appert clairement à la lecture de la décision litigieuse qu’elle est fondée, conformément aux dispositions transitoires de la loi du 5 mai 2006, sur l’article 11 de la loi précitée du 3 avril 1996. S’il est certes vrai que l’information en anglais du contenu de la décision et des possibilités de recours fournie en bas de la décision litigieuse fait référence à l’article 19 de la loi du 5 mai 2006, cette erreur de la part de l’autorité ministérielle ne saurait porter à conséquence, étant donné qu’il n’existe pas de différence de délais entre la loi du 3 avril 1996 et la loi du 5 mai 2006, de sorte que les droits de la défense du demandeur n’ont pas été violés en l’espèce.

Le demandeur, en relevant que sa langue maternelle serait l’anglais, reproche ensuite aux autorités luxembourgeoises d’avoir violé l’article 5 de la loi précitée du 3 avril 1996, en ce qu’elles ne l’auraient pas informé de son droit de se faire assister à titre gratuit d’un interprète. Il soutient qu’il n’aurait pas pu s’exprimer auprès d’un interprète, ce qui expliquerait le caractère prétendument confus, incohérent et contradictoire de son récit qui proviendrait du fait que le fonctionnaire chargé de noter ses déclarations aurait également dû les traduire simultanément en français. Il ajoute qu’il aurait dû relire puis signer une déclaration en français, langue dont il n’aurait pas une connaissance poussée.

Le délégué du gouvernement rétorque que contrairement aux affirmations du mandataire du demandeur, l’audition aurait été tenue en langue anglaise et relue en anglais avant que le demandeur ne la signe. Il s’ensuivrait que les déclarations erronées du mandataire du demandeur à cet égard ne seraient pas de nature à expliquer les nombreuses contradictions relevées dans le récit du demandeur, de sorte que des doutes sérieux affecteraient la crédibilité du récit du demandeur.

L’article 5 de la loi précitée du 3 avril 1996, applicable au moment de la tenue de l’audition, prévoyait que : « le demandeur d’asile est informé de son droit de se faire assister à titre gratuit d’un interprète (…). Le fait que ladite information a été donnée au demandeur d’asile devra ressortir du dossier. » Force est de constater que le demandeur a été auditionné en langue anglaise, et partant dans sa langue maternelle, et que ses déclarations ont été rédigées en anglais, ainsi que cela ressort du rapport d’audition du 3 septembre 2004 versé au dossier administratif. Il s’ensuit que la présence d’un interpréte n’était pas requise en l’espèce, étant donné que le demandeur a pu s’exprimer dans sa langue maternelle, sans qu’il ait dénoncé un quelconque problème de compréhension. En outre, le demandeur a signé, en bas du rapport d’audition, la déclaration suivante : « The Interview was in English, a language I speak fluently. There haven’t been any problems between me and the officials treating my asylum request ». Il s’ensuit que le moyen tiré d’une violation de l’article 5 de la loi précitée du 3 avril 1996 est à écarter.

Quant au fond, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire du Cameroun, pays divisé géographiquement en une partie majoritairement francophone et une partie minoritairement anglophone, cette dernière étant dénommée « Cameroun méridional ». A la tête du pays se trouverait le président Paul Biya, considéré par la communauté internationale comme étant à la tête d’un des régimes les plus répressifs au monde, notamment à l’égard des partisans de l’indépendance du Cameroun méridional. Il explique que le mouvement SCNC (Conseil national du Cameroun méridional) défendrait les intérêts de la population anglophone au Cameroun et que, contrairement à ce qui serait soutenu par l’autorité ministérielle, ce mouvement ne serait pas né, mais qu’il se serait « simplement rencontré » de façon officielle pour la première fois en 1995 à Londres, Washington et New York et que dès 2002, les membres du SCNC auraient été arrêtés pour avoir distribué des tracts en faveur de l’indépendance du Cameroun. Il précise encore qu’en 2006, le gouvernement camerounais aurait procédé à de nombreuses arrestations parmi les militants du SCNC et que les personnes détenues au Cameroun et notamment les partisans d’un mouvement interdit comme l’est le SCNC, seraient sujettes à des actes de violence et de torture.

En ce qui concerne sa situation personnelle, il soutient qu’il aurait été contraint de fuir son pays d’origine en raison des menaces et persécutions dont il y aurait fait l’objet du fait de son militantisme en faveur du SCNC. A l’appui de son récit, il verse une copie de sa carte de membre du SCNC et une attestation d’un avocat, dénommé Abednego Fon Achua, qui confirmerait sa qualité de membre du SCNC, ses activités et sa fonction de coordinateur au sein du SCYL (« Southern Cameroon Youth League »), un démembrement du SCNC. Il explique encore les différences existant entre ses propres déclarations et l’attestation dudit avocat par le fait qu’il n’aurait pas pu bénéficier d’un interprète et les confusions de noms et de personnes par des différences d’orthographie. Il affirme ensuite que sa qualité de membre du SCNC ne saurait être remise en cause par le ministre, étant donné que le SCYL, auquel sa carte de membre fait référence, serait affilié au SCNC. En ce qui concerne la prétendue incohérence dénoncée par le ministre relative à l’adresse internet britannique de l’auteur de la prédite attestation, un avocat vivant au Cameroun, il précise que toute personne pourrait s’inscrire auprès d’un fournisseur d’adresses e-mail selon le pays de son choix et quel que soit le lieu de sa résidence.

Le demandeur soutient ensuite qu’eu égard à son arrestation arbitraire en date du 14 juillet 2004 pour avoir distribué des tracts de propagande du SCNC, il ne pourrait pas se réclamer de la protection des autorités de son pays d’origine au motif que le Cameroun disposerait d’une « police centralisée et unitaire ». Il soutient que dans ces conditions, un retour sans crainte dans son pays d’origine ne serait pas possible.

Le délégué du gouvernement, pour sa part, estime que les nombreuses confusions, incohérences et contradictions et même mensonges mis en évidence par le ministre dans la décision déférée, affecteraient sérieusement la crédibilité du récit du demandeur. Il soutient que ces invraisemblances ne seraient pas dues à l’absence d’un interprète mais au fait que le demandeur aurait inventé son histoire de toute pièce. Ainsi, le demandeur se contredirait en ce qu’il aurait indiqué trois versions différentes relatives aux raisons de son arrestation. Il met également en doute l’authenticité des pièces versées par le demandeur, en relevant notamment que l’un des documents produits affirmerait que le demandeur serait membre du SDF (« Social Democratic Front »), fait que le demandeur aurait omis de mentionner au cours de ses auditions, de même que les connaissances et informations du demandeur sur le Cameroun et sur le SCNC seraient très vagues et même erronées. En conclusion, il estime que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme de « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

Cette notion de réfugié est encore précisée par les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006.

Le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demande d'asile, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d'asile, tout en prenant en considération la situation générale dans son pays d’origine. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur, la crédibilité d’un demandeur d’asile constituant en effet un élément d’appréciation fondamental dans l’appréciation de la justification d’une demande d’asile, spécialement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut1.

A cet égard, il convient de relever que la décision ministérielle déférée est basée principalement sur le manque de crédibilité du récit du demandeur en raison des nombreuses confusions, incohérences et contradictions voire mensonges affectant son récit. Les reproches du ministre à ce titre portent principalement sur les circonstances de l’évasion de prison du demandeur et celles de son voyage, ses connaissances lacunaires sur le SCNC, ainsi que sur les motifs de son arrestation. Le ministre met par ailleurs en doute la fiabilité des documents produits par le demandeur et en particulier celle de l’attestation d’un avocat camerounais.

Force est toutefois de constater à la lecture du rapport d’audition que les contradictions soulevées par le ministre dans le récit du demandeur ne sont pas si importantes qu’elles permettent de ne pas accorder foi au récit du demandeur dans son ensemble. En effet, il y a lieu de retenir que le demandeur a fourni un récit crédible, constant et circonstancié, de sorte qu’il y a lieu de lui accorder le bénéfice du doute en ce qui concerne la réalité de certains faits mineurs et notamment les circonstances de son voyage pour arriver au Luxembourg.

En ce qui concerne les connaissances prétendument erronées sur le SCNC, et notamment la date exacte de sa création, il échet de relever, au vu des divers rapports versés au dossier, que cette date est loin d’être clairement établie, de sorte que l’on ne saurait reprocher au demandeur de ne pas connaître la date exacte de la création du SCNC.

Quant aux prétendues contradictions au sujet du motif d’arrestation du demandeur, il échet de relever que celui-ci a déclaré avoir été arrêté lors d’un meeting avec des jeunes afin de leur expliquer comment distribuer les tracts du SCNC et d’avoir été accusé de vouloir troubler les prochaines élections présidentielles et de distribuer le journal du SCNC. Le tribunal ne saurait partager la conclusion du ministre à cet égard, étant donné que le motif à la base de l’arrestation reste l’engagement du demandeur en faveur du SCNC, quelles que soient par ailleurs les accusations des forces de l’ordre qui ont procédé à son arrestation. La 1 Cour adm. 21 juin 2007, n° 22858C, non publié.

déclaration à cet égard d’un avocat camerounais, un dénommé Abednego Fon Achua, selon lequel le demandeur aurait été arrêté le 14 juillet 2004 par des gendarmes à l’occasion d’une confrontation avec le SCNC ne permet pas de remettre en cause la véracité des propos du demandeur sur ce point, étant donné que le demandeur a lui-même déclaré qu’il a été arrêté par la Brigade mobile mixte à l’occasion d’un meeting auquel participaient plus de soixante-

dix jeunes. Cette déclaration ne saurait partant s’analyser en une véritable contradiction.

Le tribunal ne saurait pas non plus partager le reproche du ministre à l’encontre des déclarations du demandeur selon lesquelles il serait le coordinateur de la subdivision des jeunes du SCNC, alors que selon les recherches du ministre, il n’existerait pas une subdivision des jeunes dans le SCNC. Il convient de relever à cet égard que le demandeur a clairement déclaré au début de son audition du 3 septembre 2004 qu’il était membre du SCNC depuis 2000 et plus particulièrement coordinateur du « Youthwing » du SCNC. Or, il ressort des rapports versés au dossier que la SCYL (Southern National Youth League) est affiliée au SCNC, de sorte qu’aucune contradiction ne saurait être entrevue sur ce point dans les déclarations du demandeur qui produit d’ailleurs une pièce attestant de sa nomination de coordinateur de la SCYL sous l’entête du SCNC.

Au des éléments qui précèdent, si le demandeur n’a pas réussi à dissiper tous les doutes, tels que relevés par le ministre, le tribunal estime cependant pouvoir tenir pour établis à suffisance les principaux faits invoqués par le demandeur, à savoir qu’il a été arrêté par les forces de l’ordre camerounaises et détenu arbitrairement pendant plusieurs jours au cours desquels il a subi de mauvais traitements, du fait de son engagement en faveur du mouvement indépendantiste SCNC.

Force est toutefois de constater qu’il ne ressort d’aucun élément du dossier que le demandeur a encore des raisons de craindre, à l’heure actuelle, d’être à nouveau persécuté du fait de ses opinions politiques en cas de retour au Cameroun. En effet, il y a lieu de relever que le demandeur, au-delà d’affirmer à partir de divers documents Internet faisant état d’arrestations récentes de militants du SCNC, n’apporte aucun élément nouveau permettant de croire qu’il risquerait encore à l’heure actuelle d’être arrêté du fait de ses opinions politiques en cas de retour au Cameroun, étant relevé par ailleurs que la déclaration de l’avocat camerounais lui conseillant de ne pas retourner au Cameroun remonte à octobre 2004.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef.

Quant au volet de la décision litigieuse portant refus d’accorder le bénéfice du statut conféré par la protection subsidiaire, tel que prévu par les dispositions de l’article 37 de la loi précitée du 5 mai 2006, force est de constater que le demandeur n’a pas attaqué spécifiquement ce volet de la décision et qu’il n’a d’ailleurs pas invoqué de moyens à son encontre, de sorte que le tribunal n’a pas à prendre position par rapport à ce volet de la décision.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précède que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

donne acte au demandeur de ce qu’il bénéficie de l’assistance judiciaire ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Catherine Thomé, premier juge, Martine Gillardin, premier juge, et lu à l’audience publique du 27 octobre 2008 par le premier vice-président, en présence du greffier Claude Legille.

Legille Schockweiler 10


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 24029
Date de la décision : 27/10/2008

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2008-10-27;24029 ?

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