Tribunal administratif N° 24007 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 janvier 2008 Audience publique du 15 octobre 2008 Recours formé par Monsieur … et Madame …, … (Belgique) contre une décision du directeur de l’administration des contributions directes en matière de remise d’impôts
JUGEMENT
Vu la requête, inscrite sous le numéro 24007 du rôle, déposée en date du 29 janvier 2008 au greffe du tribunal administratif par Maître Sabine MARTIN, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, pour compte de Monsieur … et Madame …, demeurant ensemble à B-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision implicite du directeur de l’administration des Contributions directes refusant de faire droit à une demande de remise gracieuse du 24 juillet 2006 portant sur le principal de l’impôt sur le revenu des années 2003 à 2006 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé le 28 avril 2008 au greffe du tribunal administratif ;
Vu le mémoire en réplique déposé le 27 mai 2008 au greffe du tribunal administratif par Maître Sabrina MARTIN au nom de Monsieur … et de Madame … ;
Vu les pièces versées en cause ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport ainsi que Maître Miloud AHMED-
BOUDOUDA, en remplacement de Maître Sabrina MARTIN, et Monsieur le délégué du Gouvernement Claude LICK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 17 septembre 2008.
Par lettre du 24 juillet 2006, Monsieur … et Madame …, ci-après « les époux …-… », introduisirent auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, une demande de remise gracieuse l’impôt sur le revenu redû pour les années 2003 à 2006 à hauteur de 27.572, 70.- euros.
Par courrier du 27 juillet 2006, le directeur de l’administration des Contributions directes informa les époux …-… que leur requête de remise gracieuse fut mise au rôle de la division gracieuse des impôts sous le N° GR 131.06 et il les invita à élire domicile au Grand-
Duché de Luxembourg dans la mesure où la conception luxembourgeoise de la souveraineté des Etats n’admettrait pas que les autorités fiscales notifient des actes en territoire étranger.
A défaut de réponse quant au fond de leur remise gracieuse, Monsieur … et Madame … ont fait introduire par requête déposée le 29 janvier 2008 au greffe du tribunal administratif, un recours en réformation sinon en annulation contre la décision directoriale implicite de refus résultant du défaut de réponse dans un délai de six mois à partir de la demande sollicitant la remise gracieuse des impôts pour les années 2002 à 2006 incluse, y compris les intérêts de retard.
Le délégué du Gouvernement soulève en premier lieu l’irrecevabilité de la requête introductive d’instance en ce quelle cumulerait un recours en réformation et un recours en annulation, ne serait-ce qu’à titre subsidiaire. Ces deux recours seraient incompatibles car ils ne procèderaient pas de la même cause, n’auraient pas le même objet et reposeraient sur des moyens juridiques fondamentalement différents.
Dans leur mémoire en réplique les demandeurs font valoir que l’interprétation du délégué du Gouvernement serait erronée alors que leur recours serait principalement un recours en réformation et subsidiairement un recours en annulation.
Force est de constater que les demandeurs ont introduit principalement un recours en réformation et subsidairement, c’est-à -dire dans l’hypothèse seulement où le recours introduit à titre principal ne devait pas aboutir, un recours en annulation, de sorte que le reproche du délégué du Gouvernement n’est pas fondé.
Etant donné que le paragraphe 131 de la loi générale des impôts, dite « Abgabenordnung » (AO), prévoit en la matière un recours de pleine juridiction, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation ainsi introduit.
Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
Le délégué du Gouvernement fait valoir ensuite que les époux …-… auraient eu une réponse au recours gracieux introduit en date du 24 juillet 2006 et renvoie à ce sujet à la pièce numéro 7 de Maître MARTIN.
Les demandeurs répliquent à ce sujet que ladite pièce 7 versée ne fournirait aucun élément de réponse concret à leur demande gracieuse.
Force est de constater que la pièce 7 versée en cause constitue un courrier du directeur de l’administration des Contributions directes du 27 juillet 2006 informant les époux …-… que leur requête de remise gracieuse fut mise au rôle de la division gracieuse des impôts sous le N° GR 131.06 et les invitant à élire domicile au Grand-Duché de Luxembourg, dans la mesure où la conception luxembourgeoise de la souveraineté des Etats n’admettrait pas que les autorités fiscales notifient des actes en territoire étranger.
Le § 89 de la loi générale des impôts, tel que modifiée, dispose : « Steuerpflichtige, die ihren Wohnsitz oder Sitz im Ausland, aber Inlandsvermögen oder im Inland eine Niederlassung oder Geschäftsstelle haben oder steuer- oder sicherheitspflichtig sind, haben dem Finanzamt auf Verlangen einen Vertreter im Inland zu bestellen, der ermächtigt ist, Schriftstücke zu empfangen, die für sie bestimmt sind. Unterlassen sie dies, so gilt ein Schriftstück mit der Abgabe zur Post als zugestellt, selbst wenn es als unbestellbar zurückkommt. Si l’adresse du destinataire ne peut être établie, il y a lieu de demander, par voie habituelle, l’assistance des autorités de l’Etat du dernier domicile connu, sinon de la dernière résidence connue. » Force est de constater que l’élection de domicile imposée aux non résidents par le § 89 de la loi générale des impôts, vise la notification de tout écrit émanant de l’administration des Contributions directes et prévoit également la sanction de la non communication de l’élection de domicile aux autorités, à savoir que les écrits sont réputés avoir été valablement notifiés avec la remise à la poste, même s’ils reviennent parce qu’ils n’ont pas pu être remis au destinataire.
Dans la mesure où l’information demandée par le directeur de l’administration des Contributions directes ne vise que la notification de la décision au fond et ne lui était donc pas indispensable pour pouvoir trancher le fond de la demande de remise gracieuse, l’absence de communication de l’information demandée n’était pas de nature à faire obstacle dans le chef du directeur de l’administration des Contributions directes à une prise de décision au fond.
D’autre part force est de constater que le courrier du directeur de l’administration des Contributions directes ne contient pas d’éléments décisionnels quant au fond de la demande de remise gracieuse présentée par les époux …-…, de sorte que les demandeurs ont valablement pu se prévaloir des dispositions de l’article 8 (3) de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif qui prévoit la faculté, pour l’administré ayant introduite une demande de remise gracieuse auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, de considérer le silence perdurant du directeur de l’administration des Contributions directes pendant plus de six mois comme valant décision implicite de refus, et de déférer cette décision implicite au tribunal. S’agissant d’une présomption légale contre laquelle aucune preuve n’est admise et dont l’invocation est laissée par le législateur à la discrétion de l’administré, le tribunal doit en tenir compte une fois que l’administré a manifesté son intention d’user de la faculté lui offerte par la loi.1 Le recours, ayant dès lors été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
Au fond, les demandeurs exposent que Monsieur … aurait été gérant-associé de la société à responsabilité limitée … S.à r.l. et que Madame … aurait été employée auprès de la même société. Pour les années 2003 et 2004, ils auraient, sur conseil de leur fiduciaire, perçu des salaires importants, mais au cours des années 2005 et 2006 la société … S.à r.l. aurait connu des difficultés financières en raison de la faillite de son plus important client, de sorte qu’ils auraient dû diminuer considérablement leurs salaires. Malgré leurs efforts et un prêt de 30.000.- euros qu’ils auraient consenti à la société … en date du 1er juin 2005, cette dernière aurait été déclarée en faillite en date du 3 mai 2006. Ainsi les époux …-… auraient perdu leur emploi. Pour subvenir à leurs besoins les plus élémentaires les époux …-… auraient dû emprunter de l’argent à leurs amis et membres de la famille et auraient dû déménager à plusieurs reprises. En raison de cette situation financière critique, ils n’auraient pas pu payer les montants réclamés par l’administration des Contributions directes pour les années 2002 à 2006 incluse et se seraient vus saisir leurs comptes. En invoquant une rigueur subjective au sens du § 131 de la loi générale des impôts, les époux …-… estiment qu’ils sont dans l’incapacité absolue d’assurer le paiement de l’impôt leur réclamé alors que ce paiement serait de nature à aggraver leur situation. Finalement, ils estiment que la décision directoriale de 1 TA 3octobre 2005 n° 20283, Pas.adm. 2006, v° rejet serait une décision implicite ne comportant aucune motivation, de sorte que le directeur de l’administration des Contributions directes n’aurait aucunement justifié son refus de faire droit à leur demande de remise gracieuse. Partant, la décision déférée serait à réformer sinon à annuler.
Le délégué du Gouvernement fait valoir quant au fond que les demandeurs resteraient en défaut d’étayer leur situation financière par des pièces probantes, notamment par un certificat fiscal de leur pays de résidence. D’autre part le § 131 de la loi générale des impôts ne saurait servir à remédier aux négligences fautives des contribuables, ni aux fautes de tiers alors qu’il n’appartiendrait pas au Trésor public de dégager les intervenants de leur responsabilité à charge du budget public.
Dans leur mémoire en réplique les demandeurs estiment qu’ils auraient étayé leur situation financière par des pièces probantes et contestent que leur situation financière serait due à leurs négligences fautives et aux fautes de tiers. En effet, leur situation financière critique serait due au fait que la société au service de laquelle ils étaient employés aurait été mise en faillite. Ils soulignent en outre que le curateur de la faillite n’aurait retenu à leur égard aucune faute de gestion ou professionnelle.
Force est de constater quant au reproche d’un défaut de motivation de la décision déférée, que le directeur de l’administration des Contribution directes n’a en la matière de remise gracieuse pas de pouvoir discrétionnaire étant donné que le § 131 de la loi générale des impôts stipule qu’il « accordera » la remise d’impôt si les conditions sont données, de sorte qu’il lui faudra à chaque fois spécifier les raisons pour lesquelles il n’a pas fait droit à la demande de remise gracieuse.2 Cependant, l’autorité administrative dont une décision est attaquée devant le tribunal administratif est en droit de fournir voire de compléter sa motivation au cours de la procédure contentieuse, de sorte qu’il appartient au tribunal administratif de contrôler la motivation avancée au cours de la procédure contentieuse.
Au vu du paragraphe 131 AO cité ci-avant, une remise gracieuse se conçoit « dans la mesure où la perception d’un impôt dont la légalité n’est pas contestée entraînerait une rigueur incompatible avec l’équité, soit objectivement selon la matière, soit subjectivement dans la personne du contribuable ».
Une remise gracieuse, à condition que la légalité de l’impôt ne soit pas contestée, n'est justifiée que si ou bien la situation personnelle du contribuable est telle que le paiement de l'impôt compromet son existence économique et le prive des moyens de subsistance indispensables, ou bien si objectivement l'application de la législation fiscale conduit à un résultat contraire à l'intention du législateur.3 L’existence d’une rigueur subjective s’apprécie au jour où le tribunal statue.4 L’idée fondamentale de la remise gracieuse est celle d’une iniquité dans la perception de l’impôt qui pourra résulter de la situation matérielle du contribuable. Tel sera le cas lorsque 2 cf. Alain STEICHEN, Manuel de droit fiscal, Le droit fiscal général, Tome 1, Editions Saint-Paul, 2000, p. 636, n° 869 3 cf. Trib. adm. 18 novembre 1998, n° 10364 du rôle, Pas. adm. 2006, V° Impôts, sous IX. Remise gracieuse, n° 286, p. 507 et autres décisions y citées 4 Cf. Trib. adm. 12 janvier 2000, n° 10661, Pas. adm. 2006, V° Impôts, sous IX. Remise gracieuse, n° 295, p.
508 et autres décisions y citées le paiement de l’impôt compromet son existence économique et le prive des moyens de subsistance indispensables. Outre son état d’indigence, il faudra que le contribuable soit digne de la remise gracieuse. Ceci suppose que sa situation économique ne lui soit pas imputable.5 Force est de constater en l’espèce que les demandeurs, bien que le curateur de la faillite … n’a pas retenu de fautes de gestion ou professionnelles à leurs égards, ont négligemment contribué à leur situation financière actuelle en accordant un prêt de 30.000.-
euros à la société tombée en faillite, argent qui, selon leurs propres dires, constituait tous leurs avoirs (voir pièce 4 de la farde de pièce de Maître Sabrina MARTIN). De surcroît, selon l’analyse du curateur de la faillite, non utilement combattue en cause, ledit prêt ne se trouve pas justifié. Partant, en raison du fait d’avoir contribué eux-mêmes à la genèse de leur situation économique difficile, les époux …-… ne sauraient se voir accorder une remise gracieuse pour rigueur subjective au sens du § 131 de la loi générale des impôts.
En effet, s’il est exact que le dossier versé en cause permet de dégager que la situation actuelle des époux …-… est désastreuse notamment du fait qu’en date du 1er juin 2005, ils ont consentit un prêt de 30.000.- euros, la décision d’investir dans une société qu’ils savaient en difficultés au moment de consentir ce prêt important, notamment en raison de la faillite du plus gros client de leur société, leur est directement imputable, de sorte que c’est leur propre choix de prendre ce risque qui les a mis dans l’impossibilité financière de régler leurs dettes envers le fisc. Ils ne sauraient dès lors se prévaloir de leur propre comportement pour solliciter une remise gracieuse de leurs impôts.
Il s’ensuit que le recours dirigé contre la décision directoriale laisse d’être fondé et doit être rejeté.
PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de se prononcer sur le recours subsidiaire en annulation condamne les parties demanderesses aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 15 octobre 2008 par :
Paulette Lenert, vice-président, Marc Sünnen, juge, Claude Fellens, juge, 5 cf. Alain STEICHEN, Manuel de droit fiscal, Le droit fiscal général, Tome 1, Editions Saint-Paul, 2000, p. 638, n° 871 en présence de Arny Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Lenert 6