Tribunal administratif N° 23954 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 janvier 2008 Audience publique du 15 octobre 2008 Recours formé par Monsieur …, Tarchamps contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers (art. 22 L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 23954 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 janvier 2008 par Maître Sandra Vion, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Shkoder (Albanie), de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 1er août 2007 portant rejet de sa demande en obtention d’un statut de tolérance et d’une décision confirmative du même ministre du 18 octobre 2007, intervenue suite à un recours gracieux ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 mars 2008 ;
Vu la constitution de nouvel avocat de Maître Ferdinand Burg déclarant avoir mandat d’occuper pour Monsieur …, déposée au greffe du tribunal administratif le 17 juin 2008 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ferdinand Burg et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives.
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Le 7 juin 2006, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée la « loi relative au droit d’asile ».
Cette demande fut rejetée comme non fondée par une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », du 6 octobre 2006, confirmée suite à un recours gracieux par décision du 13 novembre 2006.
Le recours contentieux introduit par Monsieur … à l’encontre de ces décisions ministérielles fut définitivement rejeté en instance d’appel par un arrêt de la Cour administrative du 12 juillet 2007 (no 22967C du rôle).
Par courrier de son mandataire du 26 juillet 2007, Monsieur … présenta au ministre une demande en obtention d’un statut de tolérance, sur base de l’article 22 de la loi relative au droit d’asile.
Par décision du 1er août 2007, adressée au mandataire du demandeur, le ministre refusa de faire droit à cette demande en obtention d’un statut de tolérance, au motif:
« (…) qu’il n’existe pas de preuves que l’exécution matérielle de l’éloignement de votre mandant serait impossible en raison de circonstances de fait conformément à l’article 22 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection (…). » Par courrier de son mandataire du 16 octobre 2007, Monsieur … fit introduire un recours gracieux contre la décision ministérielle du 1er août 2007 auprès du ministre.
Le 18 octobre 2007, le ministre confirma sa décision de refus initiale à défaut d’éléments pertinents nouveaux.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 17 janvier 2008, Monsieur … a fait introduire un recours en annulation à l’encontre de la décision du ministre du 1er août 2007 portant rejet de sa demande en obtention du statut de tolérance, ainsi qu’à l’encontre de la décision ministérielle confirmative du 18 octobre 2007.
Etant donné qu’aucun recours au fond n’est prévu en matière de refus du statut de tolérance tel que prévu par l’article 22 de la loi relative au droit d’asile, seul un recours en annulation a pu être introduit contre les décisions déférées. Le recours en annulation est partant recevable pour avoir été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur, déclarant être de nationalité albanaise, explique qu’il aurait vécu ensemble avec son épouse, Madame …, en Albanie jusqu’en 2005.
Au mois d’août 2005, il aurait cependant été contraint de quitter son pays d’origine, puisqu’il aurait été agressé lors des élections nationales du 3 juillet 2005, auxquelles il aurait participé en tant qu’observateur pour le parti socialiste.
En droit, il reproche au ministre d’avoir fait une erreur manifeste d’appréciation en lui refusant le statut de tolérance. Il estime que l’exécution matérielle de son éloignement serait impossible en raison des circonstances de fait développées dans le cadre de sa demande de protection internationale. Il affirme craindre des représailles de la part d’un dénommé Bujar Kurti, qui serait membre du parti démocratique actuellement au pouvoir en renvoyant aux pièces versées au cours de la procédure tendant à l’obtention d’une protection internationale.
Par ailleurs, il fait valoir que le conseil du gouvernement aurait, d’une part, établi une liste de pays sûrs, parmi lesquels figurerait l’Albanie et, d’autre part, approuvé en mars 2007 l’accord de réadmission communautaire signé avec l’Albanie en 2005, de sorte que pour les ressortissants de ce pays une procédure de demande accélérée pourrait être demandée. Or, le fait qu’aucune démarche en ce sens n’aurait été effectuée depuis la fin de la procédure de sa demande de protection internationale, serait à considérer comme preuve ou du moins comme présomption de l’impossibilité de l’exécution matérielle de son éloignement.
Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur. Il soutient que les conditions de l’article 22 (2) de la loi relative au droit d’asile ne seraient pas remplies en l’espèce. Subsidiairement, il ajoute que le Luxembourg considérerait l’Albanie comme pays d’origine sûr et que le ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration aurait pris dès novembre 2007 des mesures pour organiser le retour du demandeur.
Aux termes de l’article 22, paragraphe (1) de la loi relative au droit d’asile, « si le statut de réfugié est refusé au titre des articles 19 et 20 qui précèdent, le demandeur d'asile sera éloigné du territoire » et aux termes du paragraphe (2) du même article « si l'exécution matérielle de l'éloignement s'avère impossible en raison de circonstances de fait, le ministre peut décider de le tolérer provisoirement sur le territoire jusqu'au moment où ces circonstances de fait auront cessé ».
Il s’ensuit que le bénéfice du statut de tolérance est réservé aux demandeurs d’asile déboutés dont l’éloignement se heurte à une impossibilité d’exécution matérielle.
Or, en l’espèce, force est au tribunal de constater que le demandeur, au-delà de réitérer des arguments qui ont déjà été toisés par les juridictions administratives dans le cadre de sa demande d’asile, reste en défaut d’établir avec la précision requise que son retour se heurterait à une impossibilité d’exécution matérielle justifiant l’octroi du statut de tolérance dans son chef. En effet, il se contente de renvoyer sommairement aux faits développés et aux pièces versées dans le cadre de la procédure de demande de protection internationale en précisant uniquement qu’il craindrait des représailles d’un dénommé Bujar Kurti, sans cependant soumettre au tribunal suffisamment d’éléments concrets permettant de retenir que son retour serait matériellement impossible en raison de circonstances de fait.
Par ailleurs, le tribunal est amené à constater qu’un demandeur définitivement débouté de sa demande de protection internationale qui, d’un côté demande à l’Etat d’être néanmoins toléré sur son territoire et s’oppose ainsi expressément au retour dans son pays d’origine est malvenu à reprocher, de l’autre côté, à l’Etat de ne pas encore avoir entamé les démarches en vue de l’éloignement vers son pays d’origine et à en déduire que l’exécution matérielle de son éloignement serait impossible.
Pour le surplus, force est de constater que le fait que l’Etat n’ait pas encore commencé les démarches en vue de l’éloignement du demandeur vers son pays d’origine, n’est pas, à lui seul, de nature à établir qu’un tel éloignement serait matériellement impossible. D’ailleurs, en l’espèce, il ressort des pièces versées au dossier administratif, notamment de deux courriers des 7 et 29 novembre 2007 que le ministre est entré en contact avec l’ambassade d’Albanie à Bruxelles dès novembre 2007 afin d’organiser le rapatriement du demandeur vers son pays d’origine.
Le moyen afférent est donc à rejeter pour ne pas être fondé.
Au vu de ce qui précède, la légalité des décisions ministérielles litigieuses n’est pas utilement énervée par les moyens présentés par le demandeur, de sorte que son recours est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Martine Gillardin, premier juge, Françoise Eberhard, juge, et lu à l’audience publique du 15 octobre 2008 par le premier vice-président, en présence du greffier Claude Legille.
s. Legille s. Schockweiler 4