Tribunal administratif Numéro 24337 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 mai 2008 Audience publique du 13 octobre 2008 Recours formé par Monsieur …, Vianden contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de protection internationale
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 24337 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 mai 2008 par Maître Véli Torun, avocat à la Cour, assisté par Maître Faisal Quraishi, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le .. à Kankan (Guinée) et être de nationalité guinéenne, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 31 mars 2008 portant refus de sa demande en obtention d’une protection internationale et tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire compris dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 mai 2008 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Faisal Quraishi et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives.
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Le 27 août 2007, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée la « loi relative au droit d’asile».
Le 12 septembre 2007, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par courrier du 20 septembre 2007, Monsieur … fut invité à se présenter le 28 septembre 2007 au ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration afin de se soumettre à un test linguistique.
Par un document intitulé « Information complémentaire » daté au 28 septembre 2007, Monsieur … fut informé que dans le cadre de la vérification de ses déclarations, le ministre peut le soumettre à un test linguistique, en vertu de l’article 9 (1) de la loi relative au droit d’asile.
Par décision du 31 mars 2008, notifiée par lettre recommandée du 2 avril 2008, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, désigné ci-après par « le ministre », informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été rejetée comme non fondée. Cette décision est libellée comme suit :
« J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration en date du 27 août 2007.
En application de la loi précitée du 5 mai 2006, votre demande de protection internationale a été évaluée par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.
En mains le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration du 12 septembre 2007 ainsi que le résultat du test linguistique du 19 novembre 2007.
Il résulte de vos déclarations qu'en date du 9 février 2007 vous auriez été arrêté par des policiers parce que vous auriez participé à une manifestation à Kankan, manifestation qui aurait été organisée par les syndicats nationaux de la Guinée pour la réclamation des salaires. Vous auriez été amené à la prison de la Sécurité Nationale où vous auriez été menacé, torturé et forcé à des travaux. Vous y seriez resté plus de deux mois. Un jour, après plus de deux mois de détention, vous auriez fait des travaux à l'extérieur de la prison, dans une forêt. Vous auriez ordonné aux autres prisonniers d'attraper votre surveillant. Vous l'auriez attaché et tabassé, puis vous auriez tous profité à vous enfuir. Vous seriez parti de votre côté et vous seriez caché dans une voiture qui vous aurait emmené à Conakry.
Arrivé à Conakry, vous seriez allé au port et seriez monté à bord d'un bateau.
Vous y seriez resté trois semaines. Vous ignorez où le bateau aurait accosté. En descendant du bateau vous auriez suivi des personnes et vous seriez retrouvé dans une gare où vous seriez monté dans un train. Vous vous seriez caché lors des contrôles étant donné que vous dites ne pas avoir été en possession d'un billet de train. Ainsi, vous auriez changé trois fois de train, fuyant les contrôleurs. Vous ignorez où vous auriez changé de train. Finalement, le dernier train se serait arrêté et tout le monde serait descendu. Vous auriez fait de même et ce n'est qu'à ce moment là que vous auriez demandé où vous seriez. On vous aurait dit que vous seriez à la gare du Luxembourg. Le dépôt de votre demande de protection internationale date du 27 août 2007. Vous ne présentez aucune pièce d'identité.
Enfin, vous ne faites pas état d'un autre problème en Guinée. Vous ne seriez pas membre d'un parti politique, la politique ne vous intéresserait pas. Vous n'auriez pas travaillé en Guinée.
Vous pensez être tué en cas de retour en Guinée.
Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Force est de constater qu'à défaut de pièces, un demandeur d'asile doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. Or, il convient de relever les invraisemblances dans les faits relatés que vous avez relatez (sic). En premier lieu, vous déclarez lors de l'entretien avoir couru jusqu'au port (p.8) après votre évasion, puis plus loin, lorsque l'agent vous demande de préciser votre fuite, vous ajoutez avoir fait le trajet jusqu'au port en voiture (p.9). Vous dites avoir pu entrer dans le port parce qu'on vous aurait identifié comme guinéen étant donné que vous auriez parlé mandingo (p.9). Or il convient tout d'abord de relever que le fait de parler mandingo n'est pas une preuve suffisante de la nationalité guinéenne, étant donné que cette langue est parlée dans plusieurs pays de l'Afrique de Ouest (sic). De même, il est invraisemblable que vous ayez pu si facilement entrer dans le port, puis dans un bateau. Vous dites ignorer dans quelle ville le bateau aurait accosté parce qu'il aurait fait sombre (p.11), puis, lorsque l'agent vous a fait remarquer que dans les villes il y a généralement des lumières vous déclarez que vous n'auriez pas fait attention par peur d'être poursuivi (p.11). Vous restez relativement vague en ce qui concerne tout votre voyage à partir de Kankan pour finalement arriver au Luxembourg.
Par ailleurs, vos connaissances sur la Guinée, notamment géographiques s'avèrent être faibles. En effet, vous ignorez la date de l'indépendance, ainsi que la notion de préfecture, vous ne connaissez aucun village autour de Kankan, village où vous seriez pourtant né et où vous auriez vécu toute votre vie. Vous ne faites que citer trois « quartiers de Guinée » qui ne correspondent pas à des découpages administratifs. Vous ne pouvez également pas citer les quartiers de Kankan. Vous ignorez également la date des dernières élections ayant eu lieu en Guinée.
Dans ce contexte, il y a notamment lieu de souligner que selon les résultats du test linguistique auquel vous avez été soumis le 19 novembre 2007 conformément à l'article 9(1) de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, vous êtes plutôt de nationalité malienne que de nationalité guinéenne. En effet, il ressort de l'expertise linguistique annexée au courrier du 19 novembre 2007 du Bundesamt für Migration und Flüchtlinge que :
« Der Proband spricht Malinke mit vielen Interferenzen aus dem Bamabra.
Malinke wird sowohl in Guinea (als Hauptsprache) als auch in Mali gesprochen. Er verwendet auch Malinke-Ausdrücke, dei (sic) eindeutig in Faranah (Oberguinea) verwendet warden (sic). (…) Der Proband hat eher geringe landeskundliche Kenntnisse über Guinea. Wir sind der Meinung, dass der Proband entweder aus Mali oder Guinea stammt. Was für Mali als Herkunftsland des Probanden spricht, sind folgende Tatsachen:
- er kann uns fast gar nichts über Kankan, seine Heimatstadt, sagen;
- er nennt uns Stadtviertel, die angeblich in Guinea liegen (Hamdallaye, Darsalam, Lafiabougou) und eine Cheik Anta Diop Schule. In Wirklichkeit sind die genannten Viertel Stadtteile von Bamako (Haupstadt Malis (sic)). Auch die Cheik Anta Diop Schule liegt in Bamako, im Stadtviertel Magnambougou.
Was für Guinea als Herkunftsgebiet des Probanden spricht, ist die Tatsache, dass er Malinke spricht und Ausdrücke verwendet, die eindeutig der Malinke-Variante von Faranah (Oberguinea) zugeordnet werden. Aus all diesen Gründen sind wir der Meinung, dass er aus einem der beiden Länder Mali oder Guinea stammt, wobei die Wahrscheinlichkeit einer Herkunft aus Mali grösser ist ».
A cela s'ajoute que vous ne présentez aucune pièce d'identité permettant de confirmer votre identité et nationalité.
L'ensemble des prédites remarques laissent planer de sérieux doutes quant à la véracité de votre récit et de sérieux doutes doivent être émis concernant votre réelle origine ainsi que de votre véritable identité.
Quoi qu'il en soit, les faits que vous alléguez ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006.
En effet, votre détention de 2 mois après avoir participé à une manifestation, même à la supposer établie, ne saurait suffire pour fonder à elle seule une demande en obtention du statut de réfugié, d'autant plus que vous ne faites pas état d'autres problèmes en Guinée.
Ainsi, vous n'alléguez aucun fait susceptible d'établir raisonnablement une crainte de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.
En outre, votre récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits invoqués à l'appui de votre demande ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
En effet, vous ne faites pas état d'un jugement ou d'un risque de jugement vous condamnant à la peine de mort, ni de risques concrets et probables de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants en cas de retour en Guinée. Vous dites être recherché sans apporter la moindre preuve. Par ailleurs, vous ne faites pas état de risques émanant d'une violence aveugle résultant d'un conflit armé interne ou international. Indiquons dans ce contexte que la situation en Guinée s'est calmée depuis les incidents de 2007. Une commission nationale indépendante a été créée en mai 2007 pour enquêter sur les incidents violents de début d'année 2007. Par ailleurs, en février 2008 Lansana Kouyaté fût nommé Premier Ministre et un nouveau gouvernement a été formé.
Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.
La présente décision vaut ordre de quitter le territoire. (…) » Par requête déposée le 2 mai 2008 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du ministre du 31 mars 2008 portant refus de lui accorder une protection internationale, ainsi qu’à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.
1. Quant au recours dirigé contre la décision portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19 (3) de la loi relative au droit d’asile prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, une demande en réformation a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée.
Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Le recours en annulation introduit à titre subsidiaire à l’encontre de la décision ministérielle déférée, en ce qu’elle porte refus d’accorder une protection internationale au demandeur, est partant à déclarer irrecevable.
A l’appui de son recours, le demandeur, déclarant être de nationalité guinéenne, estime que la décision déférée serait contraire à la loi et contiendrait une erreur manifeste d’appréciation des faits, puisque les arguments et motifs mis en avant par le ministre ne seraient pas pertinents et ne pourraient pas valablement motiver la décision. Ainsi, il soutient en premier lieu, que le ministre n’aurait pas respecté l’article 6 (3) de la loi relative au droit d’asile, dans la mesure où il n’aurait pas été informé par écrit et dans une langue qu’il est susceptible de comprendre de tous ses droits et obligations. La remise d’un simple formulaire d’informations générales ne serait pas suffisante pour lui permettre de connaître tous ses droits et obligations au sens de la loi.
En second lieu, le demandeur fait valoir que le ministre ne rapporterait pas la preuve suffisante que son pays d’origine serait sûr conformément à l’article 21 de la loi relative au droit d’asile. Les droits et libertés fondamentales ne seraient pas garantis en Guinée, où les arrestations arbitraires et les actes de torture continueraient.
Le demandeur estime encore que les conditions pour l’attribution d’une protection internationale ou d’une protection subsidiaire seraient remplies en l’espèce, puisqu’il ne serait pas nécessaire pour un demandeur de rapporter des preuves documentaires ou autres tant que les conditions des articles 26 (5) et 27 de la loi relative au droit d’asile seraient remplies.
Quant au fond, Monsieur … soutient, en retraçant le contexte politique des dernières années en Guinée qu’en raison de sa participation à une manifestation anti-
gouvernementale du 9 février 2007 pour le droit des travailleurs, il aurait été arbitrairement arrêté par les autorités publiques et détenu illégalement. Durant cette détention, il aurait été torturé et forcé à des travaux pénibles, dégradants et humiliants.
Enfin, le demandeur reproche au ministre d’avoir tiré les mauvaises conclusions du rapport d’audition, ainsi que du test linguistique. Il soutient que si l’expert ayant évalué le test linguistique aurait retenu qu’il pourrait être originaire du Mali, en raison de ses connaissances géographiques, il aurait également retenu qu’il pourrait être originaire de la Guinée en raison de la langue qu’il parlait. Le demandeur estime qu’alors qu’une géographie pourrait être étudiée, la langue d’un pays ne pourrait être forcée ou apprise. Il précise qu’il aurait été méfiant et inquiet et qu’il y aurait eu des problèmes de compréhension lors de l’entretien. La réalité de ses explications serait par ailleurs démontrée par un certificat médical, attestant de l’existence de plusieurs cicatrices sur ses bras et jambes.
Le délégué du gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé. Il souligne qu’un document intitulé « brochure d’information pour demandeurs de protection internationale » aurait été remis au demandeur lors du dépôt de sa demande de protection internationale. Le non-respect de l’article 6 (3) de la loi relative au droit d’asile ne pourrait donc pas être reproché au ministre.
Le représentant étatique fait valoir qu’il ne pourrait pas non plus être reproché au ministre de ne pas avoir respecté l’article 21 de la loi relative au droit d’asile, en ne démontrant pas suffisamment que le pays d’origine du demandeur était sûr, puisque ledit article 21 n’aurait pas été invoqué par le ministre pour motiver la décision déférée.
Il ajoute que tous les doutes concernant la crédibilité du récit du demandeur, énumérés dans la décision déférée seraient maintenus. En se référant aux résultats du test linguistique, il estime que le demandeur serait très probablement originaire du Mali. De plus, le mandataire du demandeur aurait tiré la phrase : « Die durchgeführte Analyse ermöglicht keine Zuordnung » hors de son contexte, puisque ce bout de phrase ne pourrait pas être séparé de ce qui suit, à savoir des cases à cocher, indiquant soit « … wegen akustischer Unzulänglichkeiten der Tonaufzeichnung », soit « … wegen einer unergiebigen Sprach/Textprobe ».
Le représentant étatique estime encore que ce serait à tort que le demandeur aurait soulevé les articles 26 (5) et 27 de la loi relative au droit d’asile pour soutenir qu’il se serait efforcé d’étayer sa demande. La décision déférée aurait fermement contesté que les déclarations du demandeur pourraient être jugées cohérentes et plausibles et que la crédibilité générale du demandeur aurait pu être établie.
Quant au fond, le délégué du gouvernement souligne que le ministre n’aurait pas nié les troubles et violations des droits de l’homme ayant eu lieu en Guinée, mais qu’il aurait constaté l’amélioration de la situation. Il ajoute, qu’à part une détention de deux mois, le demandeur n’aurait fait état d’aucun problème et de simples éventualités de persécutions futures ne suffiraient pas pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale.
En ce qui concerne tout d’abord l’argumentation du demandeur selon laquelle l’article 6 (3) de la loi relative au droit d’asile n’aurait pas été respecté en ce que le demandeur n’aurait pas été informé par écrit et dans une langue qu’il comprenait de tous ses droits et obligations, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 6, paragraphe 3 de la loi relative au droit d’asile : « Le demandeur est informé par écrit et, dans la mesure du possible, dans une langue dont il est raisonnable de supposer qu’il la comprend, du contenu de la procédure de protection internationale, de ses droits et obligations pendant cette procédure et des conséquences possibles en cas de non-respect de ses obligations et de non-coopération avec le ministre. » En premier lieu, il échet de constater que s’il pèse une obligation d’information sur le ministre en vertu de l’article précité, il n’en demeure pas moins que le défaut d’information n’est en tout état de cause pas de nature à justifier la reconnaissance d’un statut de protection internationale dans le chef d’un demandeur d’un tel statut.
Par ailleurs, le tribunal est amené à constater qu’il ressort des pièces versées au dossier et notamment d’un accusé de réception signé par le demandeur le 27 août 2007, jour du dépôt de sa demande de protection internationale, qu’une brochure d’information pour demandeurs de protection internationale lui a été remise et qu’il en a pris connaissance. Par ailleurs, il ressort des déclarations du demandeur telles qu’actées au rapport d’audition, ainsi que des explications du mandataire du demandeur fournies lors de l’audience des plaidoiries que le demandeur parle le français. Si désormais, il ne ressort pas du prédit accusé de réception dans quelle langue la brochure d’information avait été remise au demandeur, il échet toutefois de constater que ledit accusé de réception est rédigé en langue française et que le demandeur y a indiqué avoir pris connaissance de la brochure d’information. Enfin, le demandeur ne conteste pas avoir reçu la version française de la brochure d’information de sorte qu’il a y lieu de constater que le demandeur a reçu la brochure dans une langue dont il est raisonnable de supposer qu’il la comprend. Quant au contenu de ladite brochure, le tribunal est amené à constater que c’est à tort que le demandeur la qualifie de « simple formulaire d’informations générales ». En effet, l’analyse d’un exemplaire français de la brochure versé au dossier permet de constater qu’elle comporte sur un total de 26 pages des informations sur le dépôt de la demande d’asile, l’instruction de la demande d’asile, le contenu de la protection internationale, la perte de la protection internationale ainsi que le retour dans le pays d’origine, en indiquant de façon claire et précise, le cas échéant, même à l’aide de schémas et d’encadrés, aux demandeurs de protection internationale leurs droits et devoirs au sens de l’article 6 (3) de la loi relative au droit d’asile.
Les droits de la défense du demandeur n’ont donc pas été violés en l’espèce.
Partant, le moyen tiré du non-respect de l’article 6 (3) de la loi relative au droit d’asile est à rejeter pour ne pas être fondé.
Quant au moyen tiré du fait que le ministre n’aurait pas rapporté la preuve suffisante que le pays d’origine du demandeur serait sûr au sens de l’article 21 de la loi relative au droit d’asile, il y a lieu de constater, en premier lieu, qu’aux termes dudit article :
« (1) Un pays peut être désigné comme pays d’origine sûr pour les besoins de l’examen de la demande de protection internationale.
(2) Un pays qui est désigné comme pays d’origine sûr conformément aux paragraphes (3) et (4) du présent article peut uniquement, après examen individuel de la demande de protection internationale, être considéré comme étant un pays d’origine sûr pour un demandeur, s’il possède la nationalité de ce pays ou s’il avait précédemment sa résidence habituelle dans ce pays, et que le demandeur n’a soumis aucune raison valable permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.
(3) Une demande de protection internationale est rejetée, sans préjudice du paragraphe (2) qui précède, lorsqu’un pays est désigné comme pays d’origine sûr soit par l’Union européenne, soit par règlement grand-ducal. (…) » Il ressort de cet article qu’une demande de protection internationale peut être rejetée si le demandeur est originaire d’un pays qualifié, d’après certains critères, de sûr.
Une demande ne peut être rejetée au seul motif que le demandeur est ressortissant d'un pays figurant sur une liste de pays qualifiés comme sûr. En effet, la prise en compte du caractère sûrs du pays d'origine n'exclut pas le principe de l'examen individuel de la demande de protection internationale.
En l’espèce, le tribunal est cependant amené à constater que la décision refusant de faire droit à la demande du demandeur se fonde expressément sur l’article 19 de la loi relative au droit d’asile. Ladite décision ne contient pas la moindre référence à l’article 21 de la loi relative au droit d’asile pour qualifier le pays d’origine du demandeur comme sûr et rejeter de ce fait la demande du demandeur. Le moyen tiré du fait que le ministre n’aurait pas rapporté la preuve suffisante que le pays d’origine du demandeur serait sûr au sens de l’article 21 de la loi relative au droit d’asile est donc à rejeter pour ne pas être fondé.
Les moyens du demandeur portant sur la crédibilité de son récit ainsi que la motivation à la base de sa demande de protection internationale seront analysés dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, laquelle doit nécessairement porter sur la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.
Ainsi, concernant la situation individuelle du demandeur, il convient de rappeler qu’aux termes de l’article 2 a) de la loi relative au droit d’asile, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 c) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…)».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.
Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur1. A défaut de pièces, le demandeur d’asile doit du moins présenter un récit crédible et cohérent2. En effet, la crédibilité d’un demandeur de protection internationale constitue un élément d’appréciation fondamental dans l’appréciation de la justification d’une demande d’asile, spécialement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut3.
En effet, à ce sujet il y a lieu de relever que la décision ministérielle du 31 mars 2008, outre d’être motivée quant au fond par la considération que les motifs de persécution invoqués par le demandeur ne sauraient, de par leur nature, être utilement retenus pour justifier une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi relative au droit d’asile, est basée principalement sur le constat d’un défaut de crédibilité et de cohérence au niveau du récit présenté par Monsieur … à l’appui de sa demande.
1 cf. trib. adm. 13 novembre 1997, no 9407 du rôle, Pas. adm. 2006, Vo « Etrangers » no 57 et autres références y citées 2 cf. trib. adm. 27 février 1997, no 9599 du rôle, Pas. adm. 2006, Vo « Etrangers » no 58 et autres références y citées 3 cf. Cour adm. 21 juin 2007, no 22858C du rôle, publié sur le site : http://www.ja.etat.lu/ Dans ce contexte, il convient en premier lieu de relever que les déclarations du demandeur concernant son évasion de captivité en Guinée et sa fuite jusqu’au Luxembourg ne sont pas seulement incomplètes et peu compréhensibles, mais présentent des invraisemblances manifestes, ébranlant considérablement la crédibilité du récit du demandeur. Ainsi, le demandeur a déclaré lors de son audition qu’il aurait été enfermé dans une prison de la sécurité nationale à Kankan, d’où il se serait enfui lors de travaux forcés dans une forêt. Il aurait couru longtemps à pied vers Conakry capitale de la Guinée. Sur question de l’agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration, il ajoute qu’il se serait caché dans une voiture durant la fin du trajet pour ainsi rejoindre Conakry. Il y aurait embarqué sur un bateau qui l’aurait ramené après un voyage de trois semaines dans une ville européenne, dont il ignore le nom. A la gare de cette ville il aurait pris un train au hasard, duquel il aurait cependant dû s’enfuir en raison du contrôleur. Il aurait alors rattrapé un autre train en courant et un troisième train l’aurait finalement amené au Luxembourg.
Il paraît invraisemblable que le demandeur se soit enfui à pied de Kankan, se situant à l’Est de la Guinée pour rejoindre Conakry, situé à l’extrême Ouest de la Guinée.
Traverser une telle distance à pied aurait requis plusieurs jours, voire des semaines et il n’aurait pas suffi, comme l’indique le demandeur, de courir dans la forêt en cherchant la bonne direction pour finalement arriver à la capitale. Le fait qu’il aurait accompli la fin du trajet à bord d’une voiture paraît également invraisemblable, étant donné qu’il ne rajoute cette explication qu’après l’étonnement de l’agent ayant mené l’audition et qu’il ne peut pas répondre aux questions de l’agent sur le point de contrôle installé à l’entrée de la capitale. S’y ajoute que le demandeur n’arrive pas à expliquer comment il est entré dans le port de Conakry et comment il a pu rentrer de façon inaperçue sur un bateau. Par ailleurs, il ignore le nom de la ville où le bateau aurait accosté. Sur question de l’agent, il répond qu’il n’aurait pas pu voir le nom de la ville puisqu’il aurait fait sombre. Lorsque l’agent lui explique que les gares sont bien éclairées, il explique qu’il aurait eu peur d’être poursuivi et n’aurait ainsi pas vu le nom de la ville. Enfin, il est complètement invraisemblable et même impossible que le demandeur aurait rattrapé un train en courant.
Force est encore de constater que les connaissances du demandeur, tant géographiques que politiques sur la Guinée s’avèrent extrêmement faibles. Ainsi, le demandeur ne peut citer le nom d’aucune ville voisine de Kankan, ville où il serait né et où il aurait habité la majeure partie de sa vie. S’il peut énumérer les zones naturelles de la Guinée, il ignore cependant complètement la notion de préfecture et il ne connaît pas non plus la date des dernières élections en Guinée.
En outre, le rapport du test linguistique effectué arrive à la conclusion que le demandeur pourrait être originaire soit du Mali soit de la Guinée, en précisant que la probabilité qu’il soit originaire du Mali est plus forte, en raison du fait qu’il n’arrive pas à fournir des précisions sur sa ville natale et du fait qu’il croit énumérer les noms de quartiers d’une ville guinéenne lorsqu’en réalité il cite des noms de quartiers de la capitale du Mali. Le rapport sur l’évaluation du test linguistique ajoute que le nom d’une école citée par le demandeur correspond à une école située à Bamako, capitale du Mali et non point à une école guinéenne. (« Aus all diesen Gründen sind wir der Meinung, dass er aus einem der beiden Länder Mali oder Guinea stammt, wobei die Wahrscheinlichkeit einer Herkunft aus Mali größer ist »). D’ailleurs, le demandeur ne peut présenter aucun document permettant de déterminer son identité ou sa nationalité.
Si le demandeur soulève dans son recours que le rapport sur le test linguistique retient qu’il pourrait également être originaire de la Guinée en raison du fait qu’il parle plutôt le Malinke du Faranah, il n’en demeure pas moins que le rapport arrive à la conclusion qu’il est plus probable que le demandeur soit originaire du Mali et que le demandeur n’a pas pu, ni lors de l’audition effectuée par l’agent du ministère ni, lors du test linguistique, fournir des détails géographiques ou politiques sur la Guinée, supposée être son pays natal, de sorte que l’identité et surtout la nationalité du demandeur sont fortement sujettes à caution.
De surplus, il convient de relever certaines incohérences au niveau de la motivation de la demande de protection internationale du demandeur. Ainsi, tandis que la requête introductive d’instance du demandeur tente de faire croire que la demande de protection internationale serait fondée sur les convictions politiques du demandeur en indiquant que la révolte contre le régime « n’est pas portée en Guinée par des parties d’opposition aux capacités de mobilisation limitées mais plutôt par une large majorité de la population dont fait partie le sieur … »4, il se dégage des déclarations du demandeur telles qu’actées au rapport d’audition que le demandeur ne porte aucun intérêt à la vie politique. En effet, le demandeur a déclaré lors de son audition qu’il aurait participé à la manifestation du 9 février 2007 parce que les salaires étaient minables (page 6/23). De plus, il a expressément répété à trois reprises que la vie politique ne l’intéressait pas.
Ainsi, il déclare à la page 3/23 du rapport d’audition : « Non, la politique ne m’intéresse pas », à la page 17/23 du rapport d’audition : « (…) je ne suis vraiment pas intéressé à la politique » et à la page 18/23 du rapport d’audition : « Bon là, comme la parti (sic) politique ne me concerne pas ».
Par conséquent, il résulte des considérations qui précèdent que la crédibilité et la véracité du récit du demandeur sont sérieusement ébranlées par les incohérences et contradictions relevées à juste titre par le ministre.
Or, le demandeur, au lieu de donner des explications convaincantes pour apporter des éclaircissements au sujet des contradictions et incohérences constatées, se limite dans son recours contentieux à citer un extrait d’un certificat médical, supposé confirmer la réalité de ses dires, et à affirmer sans aucune précision qu’il y aurait certainement eu des problèmes de compréhension lors de l’entretien au ministère.
A ce sujet, le tribunal est amené à constater, d’une part, qu’aucun certificat médical n’a été versé au dossier, de sorte que cet argument du demandeur est à rejeter pour ne pas être fondé. D’autre part, le tribunal vient de constater ci-avant que le demandeur parle le français. Or, il ressort du rapport d’audition versé au dossier administratif que l’audition au ministère a été effectuée en langue française et qui plus est, en présence de l’avocat du demandeur et qu’à aucun moment lors de l’audition, le 4 Page 8 de la requête introductive d’instance demandeur ou son mandataire n’ont soulevé des problèmes de compréhension, de sorte que l’argument du demandeur basé sur des problèmes de compréhension lors de l’audition est également à rejeter pour ne pas être fondé.
Force est dès lors de constater que le demandeur n’a pas fourni d’explications satisfaisantes susceptibles d’élucider sa situation au regard des incohérences et invraisemblances constatées, de sorte que le tribunal ne peut que constater que la crédibilité et la véracité du récit du demandeur restent sérieusement ébranlées.
Des éléments qui précèdent, il se dégage que le récit incohérent et point crédible du demandeur ne permettant pas de déterminer le pays d’origine du demandeur n’est ainsi pas de nature à établir l’existence d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la loi relative au droit d’asile susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef.
Quant au volet de la protection subsidiaire, il convient d’ajouter que dans la mesure où le tribunal estime que les faits invoqués par le demandeur pour se voir reconnaître la qualité de réfugié manquent de toute crédibilité, il n’aperçoit aucun élément susceptible d’établir, sur base des mêmes événements, qu’il existerait un risque de subir des atteintes graves, telles que la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou des menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international, au sens de la loi relative au droit d’asile.
Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale du demandeur comme non justifiée et que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.
2. Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi relative au droit d’asile prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle attaquée. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
Aux termes de l’article 19 (1) de la loi relative au droit d’asile, une décision négative du ministre en matière de protection internationale vaut ordre de quitter le territoire en conformité des dispositions de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère.
Force est de constater que le demandeur se contente de solliciter l’annulation de l’ordre de quitter le territoire sans avancer un quelconque moyen à l’encontre de cet ordre.
Le tribunal vient cependant, tel que développé ci-dessus, de retenir que le demandeur ne remplit pas les conditions pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, de sorte que le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire.
Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 31 mars 2008 portant refus d’accorder une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
déclare irrecevable le recours en annulation introduit à titre subsidiaire contre la décision ministérielle du 31 mars 2008 portant refus d’accorder une protection internationale ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 31 mars 2008 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
donne acte au demandeur qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Martine Gillardin, premier juge, Françoise Eberhard, juge, et lu à l’audience publique du 13 octobre 2008 par le premier vice-président, en présence du greffier Claude Legille.
s. Legille s. Schockweiler 13