Tribunal administratif Numéro 24836 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 septembre 2008 Audience publique du 1er octobre 2008 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 15 Loi du 28.3.1972)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 24836 du rôle et déposée le 22 septembre 2008 au greffe du tribunal administratif par Maître Fernando DIAS-SOBRAL, avocat à la Cour, assisté de Maître Roby SCHONS, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … , de nationalité algérienne, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation d'une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 10 septembre 2008, notifiée le 11 septembre 2008, ordonnant son placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de cette décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 septembre 2008 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 25 septembre 2008 pour compte du demandeur ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Roby SCHONS et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l'audience publique du 29 septembre 2008.
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Monsieur …, entré irrégulièrement au Grand-Duché de Luxembourg au cours de l’année 2003, sans préjudice quant à la date exacte, fit l’objet d’un arrêté de refus d’entrée et de séjour pris à son encontre le 9 septembre 2004 par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ainsi que d’une mesure de placement en vue de son éloignement du territoire. Son éloignement n’ayant cependant pas été réalisé, il fut libéré après trois mois de séjour au Centre de séjour pour étrangers en situation irrégulière. Il fut ensuite condamné par arrêt de la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, cinquième chambre, siégeant en matière correctionnelle, à une peine d’emprisonnement de cinq ans assortie du sursis pour la période d’un an ainsi qu’à une amende de 10.000 €, de même que par jugement du tribunal d’arrondissement de la 13ième chambre correctionnelle du 23 janvier 2007 à une peine d’emprisonnement de 18 mois assortie d’un sursis pour la période de six mois, ainsi qu’à une amende de 1.500 €.
Par courrier de son mandataire du 30 mars 2007, Monsieur … s’est adressé au ministre pour lui demander de bien vouloir reconsidérer sa position quant à l’interdiction d’entrée et de séjour prononcée à son égard le 9 septembre 2004, tout en faisant valoir que sa situation aurait notoirement changé depuis lors en ce sens qu’il serait le père d’un enfant né sur le territoire luxembourgeois et de mère luxembourgeoise, enfant qu’il aurait d’ailleurs reconnu.
Par décision du 10 septembre 2007, le ministre informa le mandataire de Monsieur … qu’il n’était pas en mesure de rapporter ou de tenir en suspens son arrêté de refus d’entrée et de séjour du 9 septembre 2004, ceci au motif que « il ressort d’une enquête sociale menée par le commissariat du gouvernement aux étrangers du ministère de la Famille et de l’Intégration que Monsieur … a reconnu …à la commune de … sans l’accord de Madame …, la mère de l’enfant, ni la preuve qu’il est vraiment le père de l’enfant.
De même, il n’existe plus de relation affective réelle entre votre mandant et Madame …».
Le recours gracieux que Monsieur … a fait introduire à l’encontre de cette décision par courrier de son mandataire du 17 septembre 2007 s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 12 octobre 2007, Monsieur … a fait introduire un itératif recours gracieux par courrier de son mandataire du 3 décembre 2007.
Conformément aux informations adressées par le ministre au mandataire de Monsieur … par courrier du 24 janvier 2008, cette intervention du 3 décembre 2007.
Par courrier du 15 avril 2008, le ministre informa enfin le mandataire de Monsieur … que vu le rapport de l’ « Ombudscomité fir d’Rechter vum Kand » du 18 mars 2008, il n’était pas en mesure de faire droit à sa demande du 3 décembre 2007 tendant au rapport de l’arrêté de refus d’entrée et de séjour pris à son encontre le 9 septembre 2004.
Par arrêté du 10 septembre 2008, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois, décision libellée comme suit :
« Vu l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers ;
Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;
Vu les antécédents judiciaires de l’intéressé ;
Vu mon arrêté de refus d’entrée et de séjour du 9 septembre 2004 ;
Considérant que l’intéressé est démuni de toutes pièces d’identité et de voyage valable ;
- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;
- qu’il est susceptible de compromettre la sécurité et l’ordre publics ;
Considérant qu’un accord de délivrance d’un laissez-passer a été donné par les autorités algériennes ;
- qu’en attendant l’émission de ce document de voyage, l’éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;
Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ; (…) » Par requête déposée le 22 septembre 2008, Monsieur … fit introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision ministérielle de placement prévisée du 10 septembre 2008.
Etant donné que l'article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l'entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l'emploi de la main-d'œuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision litigieuse. Ledit recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
Au fond, Monsieur … se prévaut à l’appui de son recours de la directive n° 2004/38 du Parlement Européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leur famille de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres, pour soutenir qu’en tant que membre de la famille de sa fille naturelle Samira Amber, ressortissante luxembourgeoise, il bénéficierait d’un droit de séjour personnel et direct au regard de l’article 7, 2 de cette directive, de même qu’en vertu du considérant 16 de cette directive, il ne devrait pas faire l’objet d’une mesure d’éloignement aussi longtemps qu’il ne deviendrait pas une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale dans un Etat membre d’accueil.
Il se prévaut plus particulièrement à cet égard d’une jurisprudence récente de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 25 juillet 2008 ayant retenu que l’article 3 paragraphe 1 de la directive 2004/38 doit être interprété en ce sens que le ressortissant d’un pays tiers, conjoint d’un citoyen de l’Union séjournant dans un Etat membre dont il n’a pas la nationalité, qui accompagne ou rejoint ce citoyen de l’Union bénéficie des dispositions de ladite directive, quelque soit le lieu et la date de leur mariage, ainsi que la manière dont ce ressortissant d’un pays tiers est entré dans l’Etat membre d’accueil. Il demande partant que ledit article 3 soit interprété en l’espèce en ce sens que cet article dise pour droit que le ressortissant d’un pays tiers, père d’un citoyen de l’Union, séjournant dans un Etat membre dont il n’a pas la nationalité, qui accompagne ou rejoint son enfant, bénéficie des dispositions de ladite directive, quelque soit le lieu et la date de l’établissement de leur lien familial et quelque soit le mode d’établissement de leur lien familial, ainsi que la manière dans ce ressortissant d’un pays tiers est entré dans l’Etat luxembourgeois.
Concrètement, le demandeur estime que moyennant l’interprétation ainsi préconisée dudit article 3, l’arrêté de refus d’entrée et de séjour du 9 septembre 2004, invoqué à la base de l’arrêté ministériel litigieux ordonnant son placement, serait à considérer comme étant devenu inopérant, de sorte à ne plus avoir pu utilement être invoqué en tant que fondement de ladite mesure de placement.
Une décision administrative est appelée à disparaître de l’ordonnancement juridique en principe uniquement dans l’hypothèse d’une révocation ou d’un retrait explicite ou implicite par l’autorité administrative compétente en la matière, voire à l’issue d’une procédure contentieuse ayant abouti à son annulation ou à sa réformation. Même à admettre que le texte communautaire invoqué puisse utilement justifier le rapport de la décision du 9 septembre 2004, encore faudrait-
il que le demandeur fasse valoir cet argument à l’appui d’une demande de rapport, voire à l’appui d’un recours contentieux dirigé contre le refus ministériel de rapporter cette décision du 9 septembre 2004.
En l’espèce le demandeur a agi par la voie directe contre le refus du ministre de rapporter l’arrêté de refus d’entrée et de séjour du 9 septembre 2004 moyennant un recours distinct de celui sous examen sans pour autant avoir eu recours à la possibilité lui ouverte par la loi de saisir le président du tribunal administratif d’une requête en institution d’une mesure de sauvegarde et il s’est par ailleurs opposé à une demande en abréviation des délais d’instruction formulée par l’Etat, de sorte à avoir renoncé concrètement à voir toiser au provisoire, voire dans les meilleurs délais la question de la légalité du refus ministériel de rapporter l’arrêté du 9 septembre 2004.
Ledit arrêté garde partant, à l’heure où le tribunal est appelé à statuer, son existence sans que le tribunal ne saurait se prononcer utilement sur la légalité ou le bien fondé de la décision ministérielle du 15 avril 2008 sous peine de statuer ultra petita.
Il s’ensuit que les moyens afférents du demandeur tendant à établir l’illégalité du refus ministériel de régulariser sa situation de séjour au Grand-Duché de Luxembourg laissent d’être opérants dans le cadre de la présente instance.
A titre subsidiaire, le demandeur conclut à l’annulation de l’arrêté ministériel du 10 septembre 2008 pour violation de la loi et notamment de l’article 15 de la loi du 28 mars 1972 précitée en faisant valoir qu’il serait manifeste que cette décision est de nature à faire grief à ses droits et notamment à sa liberté dans la mesure où il serait maintenu dans un milieu carcéral alors pourtant que la loi ne le permettrait pas.
Force est de constater à cet égard que le demandeur est placé non pas dans un établissement pénitentiaire, mais dans un centre de séjour provisoire spécialement mis en place pour étrangers en situation irrégulière qui est en principe à considérer comme un établissement approprié au sens de la loi précitée de 1972. Le demandeur n’ayant pas contesté en l’espèce rentrer dans les prévisions de la définition des « retenus » telle que consacrée à l’article 2 du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant le Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, le moyen de l’illégalité de ce lieu de placement, en l’absence d’autres éléments de fait et de droit, laisse d’être fondé.
Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le dit non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 1er octobre 2008 par:
Paulette Lenert, vice-président, Marc Sünnen, premier juge, Claude Fellens, juge, en présence de Arny Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Lenert 5