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01/10/2008 | LUXEMBOURG | N°24793

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 01 octobre 2008, 24793


Tribunal administratif N° 24793 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er septembre 2008 Audience publique du 1er octobre 2008 Recours formé par Madame …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 23 L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 24793 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er septembre 2008 par Maître Adrian SEDLO, avocat à la Cou

r, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … (...

Tribunal administratif N° 24793 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er septembre 2008 Audience publique du 1er octobre 2008 Recours formé par Madame …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 23 L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 24793 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er septembre 2008 par Maître Adrian SEDLO, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … (Kosovo), agissant en son nom propre ainsi qu’au nom et pour compte de ses enfants mineurs … (Kosovo), tous de nationalité kosovare, demeurant actuellement ensemble à L- … , tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 5 août 2008, par laquelle le ministre a déclaré irrecevable sa nouvelle demande tendant à l’obtention d’une protection internationale telle que prévue par la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 septembre 2008 ;

Vu le courrier du 25 septembre 2008, par lequel le tribunal administratif est informé que dorénavant Maître Pascale PETOUD, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, agira en remplacement de Maître Adrian SEDLO;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Pascale PETOUD et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRÜCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 29 septembre 2008.

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Le 28 novembre 2005, Madame … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Par décision du 20 octobre 2006, notifiée par courrier recommandé du 23 octobre 2006, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration informa Madame … de ce que sa demande avait été rejetée.

Le recours contentieux introduit par Madame … à l’encontre de cette décision ministérielle fut rejeté par jugement du tribunal administratif du 24 octobre 2007 (n° 22183 du rôle), confirmé en appel par arrêt de la Cour administrative du 14 février 2008 (n° 23688C du rôle).

Si Madame … fut ensuite rapatriée au Kosovo, elle revint cependant au Luxembourg et introduisit oralement en date du 1er août 2008 auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection.

Madame … fut entendue le 4 août 2008 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 5 août 2008, notifiée par lettre recommandée expédiée le 8 août 2008, le ministre rejeta cette nouvelle demande pour être irrecevable, décision libellée en les termes suivants :

« Par la présente, j'accuse réception de votre nouvelle demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée le 1er août 2008.

Il ressort de votre dossier que vous avez déposé une première demande d'asile en date du 28 novembre 2005, demande qui a été rejetée par le Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration en date du 20 octobre 2006. Vous aviez invoqué à la base de cette demande que vous auriez vécu en concubinage et que vous auriez trois enfants. Votre concubin vous aurait mal traité et par peur de lui, vous l'auriez quitté en laissant vos enfants avec lui. Par la suite, il vous aurait menacé et vous aviez indiqué que vous auriez eu besoin de repos psychique à cause de ces mauvais traitements que vous auriez subis. Vous n'auriez pas eu d'autres problèmes dans votre pays d'origine.

Il a été constaté dans la décision ministérielle du 20 octobre 2006 que vos problèmes personnels, à savoir les mauvais traitements par votre conjoint et votre peur de ce dernier ne sauraient être considérés comme acte de persécution.

Le rejet de la demande de protection internationale du 20 octobre 2006 a été confirmé par la Cour administrative en date du 14 février 2008. Dans son arrêt la Cour administrative s'est notamment référée sur le fait que vos déclarations traduisaient essentiellement un sentiment d'insécurité vis-à-vis de votre concubin et que vous aviez fait état de problèmes d'ordre personnel et privé qui ne rentrent pas dans le champ d'application de la Convention de Genève. De plus, il a été constaté que vos prétendues craintes et vos problèmes avec votre concubin ne justifiaient pas non plus la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire.

Le 26 mars 2008 vous donnez votre accord pour un rapatriement volontaire au Kosovo et vous retourniez le même jour à Pristina.

Vous déposez une demande de protection internationale en date du 1er août 2008 et êtes entendue sur les motifs de celle-ci le 4 août 2008. Vous déclarez ne pas trouver d'accord avec votre ex-concubin sur le droit de garde de vos trois enfants. Selon vos dires, votre ex-concubin vous aurait suggéré de garder le fils cadet et de vous rendre les deux autres enfants. Vous n'auriez pas été d'accord avec cette solution comme vous auriez voulu avoir la garde de tous vos enfants. Vous dites que vous l'auriez menacé de prendre les enfants et de revenir au Luxembourg et par conséquent vous auriez eu des disputes avec lui. Vous déclarez que vous seriez blasée de ces disputes et ainsi vous auriez décidé de prendre deux de vos trois enfants et de revenir au Grand-Duché. En date du 22 juillet 2008, vous auriez quitté le Kosovo avec l'aide d'un passeur à qui vous auriez payé la somme de € 3.000.-.

Je suis au regret de vous informer qu'en vertu des dispositions de l'article 23 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, votre demande de protection internationale est irrecevable au motif que vous n'avez présenté aucun élément ou fait nouveau augmentant de manière significative la probabilité que vous remplissiez les conditions requises pour prétendre à une protection internationale. En effet, même si vous faites état de nouveaux faits ayant eu lieu lors de votre retour au Kosovo, ils ont traits à votre première demande de protection internationale et constituent des problèmes d'ordre strictement personnel qui ne sauraient augmenter de manière significative le fait que vous remplissez les conditions requises pour prétendre à une protection internationale.

La nouvelle demande en obtention d'une protection internationale est dès lors déclarée irrecevable. (…) » Etant donné que l’article 23 (3) de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection prévoit un recours en annulation en matière de nouvelles demandes déclarées irrecevables, seul un recours en annulation a pu être dirigé contre la décision ministérielle critiquée, de sorte que le recours principal en réformation est à déclarer irrecevable.

Le recours subsidiaire en annulation, par ailleurs introduit dans les formes et délais de la loi, est pour sa part recevable.

La demanderesse expose à l’appui de son recours être retournée au Kosovo suite au rejet définitif de sa précédente demande d’asile, mais qu’elle y aurait subi des persécutions du fait de son appartenance à la minorité musulmane slave du Kosovo de la part des Albanais du Kosovo, et notamment de la part de son ex-compagnon, remarié à une Albanaise.

Elle affirme dans sa requête avoir subi de la part de celui-ci des menaces et des persécutions non autrement précisées, menaces et persécutions qui auraient été encouragées par les autorités albanaises du Kosovo dans la mesure où celles-ci ne poursuivaient pas leurs auteurs.

Elle précise encore que son père aurait été enlevé et exécuté en 1999 et que son frère aurait également fait l’objet d’un enlèvement par les Albanais du Kosovo.

Madame …, se basant sur un rapport de l’UNHCR, met enfin en évidence le fait que les minorités bosniaques, au même titre d’ailleurs que les autres minorités du Kosovo, subiraient au quotidien des violences et persécutions.

Le délégué du Gouvernement estime pour sa part que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse, de sorte que celle-ci serait à débouter de son recours.

Aux termes de l’article 23 (1) de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, telle que modifiée par la loi du 17 juillet 2007 « le ministre considérera comme irrecevable la demande de protection internationale d’une personne à laquelle le statut de réfugié ou la protection internationale ont été définitivement refusés ou d’une personne qui a explicitement ou implicitement retiré sa demande de protection internationale, à moins que des éléments ou des faits nouveaux apparaissent ou sont présentés par le demandeur et qu’ils augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire, à condition que le demandeur concerné a été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de les faire valoir au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse ».

Le droit à l’ouverture d’une nouvelle procédure d’instruction d’une demande de protection internationale est ainsi conditionné par la soumission d’éléments qui, d’une part, doivent être nouveaux et être invoqués dans un délai de 15 jours à compter du moment où le demandeur les a obtenus et, d’autre part, doivent augmenter de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur devant avoir été dans l’incapacité - sans faute de sa part - de se prévaloir de ces nouveaux éléments au cours de la procédure précédente, en ce compris la procédure contentieuse.

Il appartient dès lors au ministre d’analyser les éléments nouveaux soumis en cause par Madame … afin de vérifier le caractère nouveau des éléments lui soumis ainsi que leur susceptibilité d’augmenter de manière significative la probabilité que la demanderesse remplisse les conditions requises pour l’obtention de la protection internationale, le caractère nouveau des éléments avancés en cause s’analysant notamment par rapport à ceux avancés dans le cadre de la précédente procédure.

Il est en l’espèce constant que Madame … s’est vu refuser en date du 20 octobre 2006 le statut de réfugié, refus confirmé par jugement du tribunal administratif du 24 octobre 2007, et, en appel, par arrêt de la Cour administrative du 14 février 2008.

Force est au tribunal de constater que Madame … avait fait état, dans le cadre de cette première demande, de l’enlèvement et de la disparition de son père, de l’enlèvement de son frère ainsi que de maltraitances et de menaces de la part de son ex-mari albanais, éléments qui avaient été rejetés tant au niveau administratif qu’au niveau contentieux comme étant insuffisants pour justifier l’octroi du statut de réfugié, les différentes instances, tant pré-contentieuse que contentieuses, ayant retenu la même conclusion en ce qui concerne la situation générale des Bochniaques au Kosovo mise en avant par la demanderesse.

Il en résulte dès lors que la demanderesse ne présente dans sa requête introductive d’instance aucun élément qui n’ait pas déjà été soumis aux autorités et juridictions luxembourgeoises dans le cadre de la précédente procédure et par conséquent aucun élément nouveau censé justifier la réouverture de la procédure en obtention de la protection internationale, mais qu’elle se borne à réitérer ses moyens produits dans le cadre de sa précédente et infructueuse demande d’asile.

Par ailleurs, il appert à la lecture du rapport d’audition de la demanderesse, rapport versé aux débats par la partie étatique, que la demanderesse a, en sus des éléments écartés ci-avant, encore fait état de difficultés d’ordre familial avec son ex-mari, qui lui aurait, à l’occasion de son séjour au Kosovo suite à son rapatriement, refusé la garde de ses enfants, la demanderesse finalement n’obtenant que la garde de deux de ses enfants, le père refusant de lui confier le troisième enfant, … , âgé de 5 ans, et la menaçant de lui retirer les deux autres enfants.

La tribunal constate à ce sujet une certaine incohérence à la lecture des explications de la demanderesse : en effet, si celle-ci affirme avoir quitté à nouveau le Kosovo à cause des menaces de son ex-mari (« parce qu’il m’a constamment menacé de me prendre les enfants »), elle explique cependant également avoir, dès son retour au Kosovo, annoncé à son ex-mari vouloir quitter à nouveau le pays pour retourner au Luxembourg, mais en emportant cette fois-ci tous les enfants avec elle, ce à quoi son ex-mari se serait opposé (« J’ai tout de suite constaté qu’il n’y a rien à faire là-bas. J’ai tout le temps parlé que je vais prendre les enfants et revenir ici. C’est pour cela qu’il ne voulait pas me les donner »).

Le tribunal dès lors ne décèle pas dans ce récit d’éléments susceptibles de justifier l’obtention de la protection internationale, les seuls éléments nouveaux mis en avant par la demanderesse - et qui ne figurent par ailleurs pas dans la requête introductive d’instance -

consistant en des disputes entre des ex-époux au sujet de la garde de leurs enfants communs, le père s’opposant à ce que la mère emmène les enfants dans un pays étranger. Dans cette optique, le fait que la police ne soit prétendument pas intervenue ne saurait être constitutif de la preuve d’une persécution à connotation ethnique, mais s’explique vraisemblablement par le fait que la police kosovare - à l’instar de la police luxembourgeoise - n’est pas compétente pour intervenir dans une question de droit de garde, relevant des tribunaux civils.

Il s’ensuit que cette seconde demande a valablement pu être déclarée irrecevable en application de l’article 23 de la loi précitée du 5 mai 2006, la demanderesse ne fournissant aucun nouvel élément d'après lequel il existe de sérieuses indications d'une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève ou d’une atteinte grave au sens de l’article 37 de la loi précitée du 5 mai 2006.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours formé par la demanderesse est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation, reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 1er octobre 2008 par :

Paulette Lenert, vice-président, Marc Sünnen, juge, Claude Fellens, juge, en présence du greffier en chef Arny Schmit.

s. Schmit s. Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 24793
Date de la décision : 01/10/2008

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2008-10-01;24793 ?

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