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24/09/2008 | LUXEMBOURG | N°24198

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 24 septembre 2008, 24198


Tribunal administratif N° 24198 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 mars 2008 Audience publique du 24 septembre 2008 Recours formé par Monsieur et Madame … et consorts, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 24198 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 20 mars 2008 par Maître Ardavan FATHOLAH

ZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom ...

Tribunal administratif N° 24198 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 mars 2008 Audience publique du 24 septembre 2008 Recours formé par Monsieur et Madame … et consorts, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 24198 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 20 mars 2008 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … Bosnie-

Herzégovine, de Madame …, née le … à …, Bosnie-Herzégovine, et de leurs deux enfants mineurs …, né le 9 novembre 2002 à Genève, Suisse, et …, né le 7 octobre 2004 à …, Bosnie-

Herzégovine, tous les quatre de nationalité bosnienne, demeurant actuellement ensemble à …, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 14 février 2008 rejetant leur demande en obtention d’une protection internationale comme n’étant pas fondée, ainsi qu’à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire luxembourgeois contenu dans la même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 mai 2008 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 26 mai 2008.

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Le 3 juillet 2007, Monsieur …, Madame …, et leurs enfants mineurs … et …, ci-après « la famille … », introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration une demande de protection internationale au sens de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.

Le même jour ils furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Ils furent encore entendus séparément respectivement en dates des 11 et 26 septembre et les 3 et 24 octobre 2007 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration sur leur situation et sur les motifs à la base de leur demande en protection internationale.

Par décision du 14 février 2008, envoyée par courrier recommandé le 21 février 2007, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration informa la famille … de ce que leur demande avait été rejetée pour être non fondée, décision libellée comme suit :

«J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration en date du 3 juillet 2007.

En application de la loi précitée du 5 mai 2006, votre demande de protection internationale a été évaluée par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.

En mains le rapport du Service de Police Judiciaire de la même date, les rapports d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration des 11 septembre, 26 septembre, 3 octobre, et 24 octobre 2007.

Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous auriez été en possession de passeports bosniaques contenant deux visas expirés. Vous expliquez avoir déposé une demande d'asile en Suisse en 2002 mais être retourné volontairement en Bosnie en décembre 2003. Puis le 21 octobre 2006, Monsieur vous auriez à nouveau quitté votre pays pour vous rendre en Italie, alors que Madame, vous seriez venue au Luxembourg avec vos enfants pour rendre visite à une parente, Madame …. Vous seriez restés deux ou trois jours puis seriez retournés en Bosnie. A la fin du mois d'octobre, vous auriez encore une fois quitté la Bosnie pour retourner en … où vous auriez déposé une nouvelle demande d'asile. Votre demande aurait été rejetée le 11 juin 2007 et seriez donc retournés à … en avion. Le dimanche (1er juillet 2007) une voiture vous aurait conduit via … jusqu'au Luxembourg où vous seriez arrivé le 2 juillet et auriez déposé votre demande d'asile le 3 juillet 2007.

Monsieur, il résulte du rapport de votre entretien que vous auriez commencé à avoir des problèmes avec un inspecteur de police vers l'année 2000, alors que vous auriez travaillé comme videur dans une boîte de nuit de …, le …. Ayant interdit l'accès à votre établissement à des trafiquants de drogue, le responsable du réseau, un inspecteur de police dénommé … et réputé pour sa double vie, vous aurait menacé et aurait exigé votre implication personnelle dans son trafic. Face à votre refus, il aurait tenté de violer une de vos sœurs et persécuté l'autre. Après deux années de problèmes, agressions physiques et menaces quotidiennes, vous auriez fui pour ..

en été 2002. Vous y auriez déposé une demande mais seriez retourné volontairement en Bosnie suite à l'appel d'un ami qui vous aurait annoncé l'arrestation de l'inspecteur et vous aurait incité à témoigner contre lui. Il se serait agi d'un piège et à votre retour, l'inspecteur vous aurait à nouveau poursuivi. Par conséquent, en 2004, vous auriez cherché une protection auprès de l'OHR, en vain puisque vous n'auriez pas pu apporter suffisamment de preuves à l'appui de votre requête. L'inspecteur aurait donc continué à essayer de vous impliquer dans son trafic en vous forçant de transporter des sacs dont vous ignoriez le contenu d'une adresse à l'autre, mais vous n'auriez jamais cédé malgré les coups. Vous seriez ensuite allé vous cacher dans la maison de week-end de votre père à …, mais ils vous auraient retrouvé 15 jours plus tard. Puis, à partir du début de 2005, vous auriez travaillé comme chauffeur et garde du corps pour … qui aurait été suffisamment influent pour vous protéger contre … et ses hommes. Cependant, le 20 novembre 2005, votre employeur serait décédé suite à un soi-disant accident de travail mais qui selon vous aurait été un meurtre par les frères de la victime. Vos problèmes auraient alors recommencé et un jour d'août 2006, en rentrant d'une excursion à …, vous auriez été bloqué par deux voitures sur la route et battu par 8 ou 9 hommes au point de perdre connaissance. Vous vous seriez retrouvé à l'hôpital et votre femme aurait été violée par trois hommes. Ni vous, ni le médecin de l'hôpital n'aurait porté plainte. Vous auriez commencé à préparer votre départ de Bosnie et auriez durant les deux mois suivants logé chaque jour dans un endroit différent afin que vos agresseurs ne vous retrouvent pas.

Madame, vous confirmez les dires de votre mari. Vous décrivez les mauvais traitements que vous auriez également subis à cause de son problème et affirmez ne plus pouvoir rentrer dans votre pays d'origine.

Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

A défaut de pièces, un demandeur d'asile doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. Force est cependant de constater que les invraisemblances dans votre récit ainsi que les contradictions par rapport aux problèmes invoqués lors de votre première demande d'asile en Suisse laissent planer des doutes quant à l'intégralité de votre passé et au motif de fuite invoqué. Ainsi, il est en premier lieu difficilement concevable que vous ayez rencontré autant de problèmes sur une durée si longue à cause du simple fait d'avoir un jour, dans le cadre de vos fonctions, bloqué l'entrée de votre établissement à des dealers de drogue. Puisque l'inspecteur aurait autant d'influence et de personnes travaillant pour lui, la raison pour laquelle il aurait tant insisté pour vous impliquer, contre votre gré et malgré vos résistances, dans son trafic de drogue nous échappe.

En deuxième lieu, à la lecture de vos rapports d'entretien qui, suite à votre accord, nous ont été communiqués par les autorités suisses, nous notons un certain nombre de contradictions qui cependant expliquent mieux les raisons de l'acharnement de l'inspecteur. Vous avouez en effet à l'agent suisse que vous subveniez aux besoins de votre famille en volant de petites choses.

Pris en flagrant délit de vol par un inspecteur, ce dernier vous aurait proposé de vous épargner deux ans et demi de prison à la condition que vous vendiez de la drogue pour lui. Vous vous seriez livré à ce trafic durant deux mois jusqu'au jour où vous auriez perdu votre marchandise et auriez alors eu des problèmes avec l'inspecteur qui aurait exigé de vous le remboursement de la drogue perdue. Votre soeur aurait été kidnappée en vue de vous attirer dans un guet-apens mais vous auriez pu la libérer et vous enfuir. Vous auriez quitté la Bosnie le 13 décembre 2000 et auriez déposé une première demande d'asile en Suisse le 14 décembre 2000. Vous auriez retiré cette demande pour rentrer en Bosnie le 10 mars 2001. Vous auriez ensuite fait une deuxième, puis une troisième demande respectivement les 31 juillet 2002 et 30 octobre 2006 mais auriez à chaque fois été débouté. Soulignons dans ce contexte que vous omettez pourtant dans votre récit auprès de l'agent luxembourgeois de parler de votre première demande en Suisse datant de l'année 2000.

En tout état de cause, même à supposer les faits que vous alléguez établis, ils ne sauraient pour autant constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu'ils ne peuvent à eux seuls établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article Zef, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi modifiée du 5 mai 2006. En effet, même s'il s'avérait exact que vous ayez subi de mauvais traitements infligés par un éventuel trafiquant de drogue pour lequel vous travailleriez, les raisons de ces persécutions ne sauraient nullement rentrer dans le cadre d'application de la Convention de Genève. Malgré le fait que le trafiquant soit également inspecteur de police, le différend qui vous oppose relève de la sphère privée et n'implique pas une persécution dans votre chef par les autorités officielles de Bosnie-

Herzégovine. De plus, d'après nos informations, vous vous seriez rendu coupable d'agissements punissables par la loi et fuyez à présent un règlement de compte personnel à cause de votre implication délibérée dans le milieu para-légal de la drogue. Ainsi, la Convention de Genève ne peut pas vous offrir une protection contre votre risque de condamnation pour les délits de droit commun dont vous êtes coupable.

Enfin, il y a lieu de souligner que des raisons médicales ne sauraient davantage justifier une demande d'asile politique.

Ainsi, vous n'alléguez aucun fait susceptible de fonder raisonnablement une crainte de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays.

Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.

En outre, votre récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, conformément au raisonnement ci-dessus élaboré, les faits invoqués à l'appui de votre demande ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 19§1 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.

La présente décision vaut ordre de quitter le territoire.

La décision de rejet de votre demande de protection internationale est susceptible d'un recours en réformation devant le Tribunal administratif. Ce recours doit être introduit par requête signée d'un avocat à la Cour dans un délai d'un mois à partir de la notification de la présente.

Un recours en annulation devant le Tribunal administratif peut être introduit contre l'ordre de quitter le territoire, simultanément et dans les mêmes délais que le recours contre la décision de rejet de votre demande de protection internationale. Tout recours séparé sera entaché d'irrecevabilité.

Je vous informe par ailleurs que le recours gracieux n'interrompt pas les délais de la procédure. ».

Par requête déposée le 20 mars 2008, la famille … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 14 février 2008 en ce qu’elle porte rejet de leur demande en obtention d’une protection internationale comme étant non fondée, ainsi qu’à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire luxembourgeois inclus dans la même décision.

1. Quant au refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19 (3) de la loi précitée du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent qu’ils auraient quitté la Bosnie-

Herzégovine alors qu’ils auraient estimé que leur vie y aurait été menacé par un groupe mafieux organisé dont le chef serait un inspecteur de police impliqué dans la vente de drogue. Ils estiment que Monsieur … aurait subi de graves persécutions en raison de son refus de participer au trafic de drogue organisé par le groupe mafieux précité dans la mesure où il n’aurait jamais accepté de participer au trafic de drogue. En effet il aurait été menacé avec des armes par les membres du groupe mafieux, menacé de mort et agressé à son domicile, en ville et dans des cafés. La famille … se serait refugiée en Suisse en 2002 et serait retournée volontairement en Bosnie-Herzégovine afin de témoigner contre l’inspecteur de police prétendument arrêté, mais ils se seraient rendus compte qu’il s’agissait d’un piège et les maltraitances auraient recommencé, de sorte que Monsieur … aurait dû se cacher dans la maison de son père. Or, au bout de 15 jours ses agresseurs l’auraient retrouvé. Leur situation se serait améliorée début 2005 quant Monsieur … aurait travaillé comme chauffeur et garde de corps pour un certain …, un homme suffisamment influant pour les protéger. Or, le 20 novembre 2005 il aurait été tué par ses propres frères et les menaces des trafiquants de drogues auraient recommencé. Ils relatent encore un incident datant du mois d’août 2006 lors duquel Monsieur … aurait été battu par plusieurs hommes jusqu’à tomber dans un coma de 6 jours et Madame … relate qu’elle aurait été violé par plusieurs hommes lors du même incident. Ainsi, les demandeurs se seraient refugiés une deuxième fois en Suisse en novembre 2007. Les demandeurs relèvent que malgré le fait d’avoir recherché la protection de l’OHR (Office of the High Representative in Bosnia and Herzegovina) ils n’auraient pas été protégés par cette organisation. Ils estiment que les faits relatés seraient nouveaux par rapport aux demandes d’asiles précédentes en Suisse et augmenteraient ainsi de manière significative la probabilité que les requérants remplissent les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire en vertu de l’article 23 de la loi du 5 mai 2006.

Le représentant étatique soutient que les demandeurs n’auraient à aucun moment répondu à l’argument principal ayant fondé la décision de refus du ministre, à savoir le fait que les demandeurs auraient fait un faux témoignage au sujet des causes des problèmes invoqués auprès des autorités luxembourgeoises. En effet, il ressortirait des rapports d’entretien auprès de l’agent luxembourgeois que Monsieur … aurait toujours refusé de participer au trafic de drogues alors qu’auprès des autorités suisses il aurait expliqué que l’origine des problèmes des requérants avec l’inspecteur de police résiderait dans des délits de droit commun dont il se serait rendu coupable.

Le délégué du Gouvernement conclut par conséquent que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 2 a) de la loi précitée du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire, tandis que la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 c) de la même loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays (…) ».

La reconnaissance de la protection internationale n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur de protection internationale qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leurs opinions politiques ou de leur appartenance à un certain groupe social ainsi que le prévoit l’article 2 a) de la loi précitée du 5 mai 2006.

Une crainte de persécution doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions et force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal.

Il échet de rappeler que le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demande d'asile, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d'asile, tout en prenant en considération la situation générale existant dans son pays d’origine. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur, la crédibilité d’un demandeur d’asile constituant en effet un élément d’appréciation fondamental dans l’appréciation de la justification d’une demande d’asile, spécialement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut1.

Or, à ce sujet il y a lieu de relever que la décision ministérielle du 14 février 2008, outre d’être motivée quant au fond par la considération que les motifs de persécution invoqués par le demandeur ne sauraient pas, de par leur nature, être utilement retenus pour justifier une demande en obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève, est basée principalement sur le constat d’un défaut de crédibilité et de cohérence au niveau du récit présenté par les consorts … à l’appui de leur demande, le ministre, dans sa prédite décision, ayant fait état à cet égard de toute une série d’incohérences et d’éléments mettant en doute la crédibilité des déclarations du requérant.

Le tribunal constate en particulier à ce sujet que le ministre a relevé à bon droit que le récit des causes des prétendus problèmes des demandeurs avec un inspecteur de police et un groupe mafieux présenté aux autorités administratives luxembourgeoises et soutenu lors de la procédure contentieuse diffère de manière substantielle de celui présenté aux autorités suisses.

En effet, lors des entretiens des 11 et 26 septembre 2007, Monsieur … affirme qu’il aurait été abordé par le groupe mafieux lors de son travail en tant qu’agent de sécurité dans une discothèque. Il aurait refusé que des vendeurs de drogue entrent dans la discothèque et aurait toujours refusé, malgré les pressions de l’inspecteur de police, de participer à la vente de la drogue. De même lors de la procédure contentieuse les demandeurs maintiennent cette version en affirmant que : « Malgré les menaces de l’inspecteur, il n’a jamais cédé pour participer au trafic de drogue ». Cependant, lors des auditions auprès des autorités suisses le 27 décembre 2000, Monsieur … affirme : « J’ai été obligé de travailler pour le compte d’un policier, pour vendre de la drogue et avant cela, pour entretenir mes sœurs, et ma fiancée, j’ai dû souvent voler de petites choses. J’étais en train de voler le cassettophone d’une voiture et il m’a chopé en flagrant délit.

[…], mais il m’a dit aussi que cela pouvait s’arranger. Il m’a expliqué le travail que je devais faire pour lui et aussi qu’il y en avait d’autres dans ma ville qui faisait la même chose. J’ai commencé déjà au mois de juin, ou au début juillet. Je recevais des paquets de différentes drogues chez moi. Il fallait que je les mesure et que je les conditionne pour la vente […]. » Au lieu de donner des explications convaincantes pour apporter des éclaircissements par rapport à ces contradictions et incohérences constatées, les demandeurs se sont limités dans leur recours contentieux à maintenir la version présentée devant les agents du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration.

Force est partant de constater qu’ils n’ont pas fourni d’explications satisfaisantes susceptibles d’élucider leur situation au regard des nombreuses interrogations pourtant clairement posées, de sorte que le tribunal ne peut que constater que lesdits motifs de refus n’ont pas été utilement combattus, les demandeurs n’ayant tout simplement pas concrètement pris position y relativement, de manière à ne pas avoir mis le tribunal en mesure d’accorder une quelconque foi à leur récit.

1 Cour adm. 21 juin 2007, n° 22858C, non publié.

A partir des éléments ci-avant relatés, à savoir du caractère incohérent et douteux du récit des demandeurs, il y a lieu de retenir que ceux-ci n’ont pas fait état de manière crédible d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef.

En ce qui concerne le refus du ministre d’accorder au demandeur le bénéfice de la protection subsidiaire telle que prévue par la loi du 5 mai 2006, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 2, e) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire», « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 37 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses littéra a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Au vu du défaut de crédibilité du récit des demandeurs retenu ci-avant par le tribunal, il échet de retenir que ceux-ci n’invoquent pas d’éléments ou circonstances susceptibles d’établir qu’il existe de sérieux motifs de croire qu’ils seraient exposés, en cas de retour en Bosnie-

Herzégovine, à un risque réel d’y subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi précitée du 5 mai 2006 Il se dégage dès lors de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’en l’état actuel du dossier, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision litigieuse dans la mesure où celle-ci est motivée par un défaut de crédibilité et de cohérence au niveau du récit présenté par les demandeurs.

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état de manière crédible d’une persécution ou d’une crainte de persécution ni au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef ni au sens de la protection subsidiaire aux termes de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

2. Quant à l’ordre de quitter le territoire L’article 19 (3) de la loi précitée du 5 mai 2006 instaurant un recours en annulation contre un ordre de quitter le territoire contenu dans une décision statuant sur une demande de protection internationale, le recours en annulation dirigé contre pareil ordre contenu dans la décision déférée du 16 mars 2007 est recevable pour avoir par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.

Tel que développé ci-dessus, le tribunal vient de retenir que les demandeurs n’ont pas fait état d’une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève, ni d’atteintes graves telles que définies à l’article 37 de la loi précitée du 5 mai 2006, de sorte qu’en l’état actuel du dossier et à défaut d’autres moyens des demandeurs tendant à établir dans leur chef un droit de séjourner au Luxembourg à un autre titre, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire.

Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs ;

le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation contre la décision ministérielle du 14 février 2008 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en annulation contre la décision déférée portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 24 septembre 2008 par :

Paulette Lenert, vice-président, Catherine Thomé, premier juge, Claude Fellens, juge, en présence de Luc Rassel, greffier.

s. Rassel s. Lenert 9


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 24198
Date de la décision : 24/09/2008

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2008-09-24;24198 ?

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