Tribunal administratif N° 23961 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 janvier 2008 Audience publique du 24 septembre 2008 Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié et de protection internationale
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 23961 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 janvier 2008 par Maître Pascale PETOUD, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Ethiopie), de nationalité éthiopienne, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 29 octobre 2007 ayant porté rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée et lui ayant refusé le bénéfice de la protection subsidiaire, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 19 décembre 2007 prise sur recours gracieux ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 mars 2008 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 7 avril 2008 par Maître Pascale PETOUD ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Pascale PETOUD et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 9 juin 2008.
Madame … introduisit en date du 30 mars 2004 une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Elle fut entendue le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux de la police grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur son identité.
Elle fut entendue le 25 novembre 2004 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.
Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration informa Madame … par décision du 29 octobre 2007, lui envoyée par courrier recommandé expédié en date du 5 novembre 2007, de ce qu’elle ne saurait bénéficier ni de la protection accordée par la Convention de Genève ni de la protection subsidiaire telle que prévue par la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection. La décision est libellée comme suit :
« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire de la même date, le rapport d'audition de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration du 25 novembre 2004 ainsi que le rapport de police du Service Documents de Voyages du 25 janvier 2007.
Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous auriez quitté votre pays d'origine le 23 février 2004. Vous seriez partie en camion de … / Ethiopie afin de vous rendre au Kenya. Il ressort du rapport que vous seriez arrivée à … le 15 mars 2004. Vous ajoutez avoir été malade et avoir fait plusieurs pauses en chemin. Vous auriez dû attendre quelques jours à … avant d'être emmenée en Europe, durant votre séjour on aurait préparé vos documents de voyage et on vous aurait prise en photo. Vous prétendez ne pas savoir sous quelle identité vous auriez voyagé. Vous seriez partie le 28 mars 2004 vers 10.00 heures en avion, un africain vous aurait accompagnée jusqu'en Europe. Vous précisez n'avoir pris qu'un seul avion, vous dites cependant ignorer la destination de ce dernier. En sortant de l'aéroport d'arrivée vous auriez été attendue par un chauffeur africain qui vous aurait conduite au Luxembourg en voiture, votre accompagnateur serait resté à l'aéroport. Ce voyage aurait duré 3 à 4 heures, vous précisez avoir passé la nuit dans la voiture. Vous seriez arrivée au Luxembourg le matin du 29 mars 2004. Vous auriez dû payer une somme de 5000 dollars américains, le ticket vous aurait coûté 1000 dollars américains supplémentaires. En date du 1 er février 2005 vous présentez uniquement une carte d'identité éthiopienne.
Il résulte de vos déclarations que vous auriez vécu à … / Ethiopie dans le quartier … avec votre mari … et vos deux soeurs …t et … Vos parents seraient tous deux décédés, votre mère le 31 octobre 1990 suite à un accouchement et votre père aurait été tué par des bandits le 13 septembre 2000. Votre mari serait membre du parti politique des …. Vous dites qu'il existe un conflit entre deux ethnies en Ethiopie, à savoir les … et les …. En effet, vous précisez que les … seraient privilégiés dans beaucoup de domaines par rapport aux …, ils seraient d'ailleurs supportés par l'Etat. Vous affirmez que ce conflit serait provoqué par l'Etat pour éviter que ces deux ethnies ne se retournent contre lui.
Régulièrement une ou deux fois par mois votre mari aurait tenu des réunions chez vous à la maison, mais vous n'y auriez jamais participé. Vous supposez qu'un espion se serait infiltré dans ces réunions. Ainsi, le 12 décembre 2003, alors que vous étiez sortie de la maison, des militaires auraient emmené votre mari en l'accusant d'être membre du parti des … et de les supporter. Alors que vous auriez été au marché, vous auriez entendu des coups de feu et les gens se seraient dispersés. Vous n'auriez pas trouvé votre mari à la maison et une personne vous aurait dit l'avoir vu parmi les gens tués par les militaires.
Le 19 février 2004 il y aurait eu une révolte dans votre quartier. Vous auriez entendu des coups de feu le matin et le dépôt contenant les céréales aurait été mis à feu. Vous dites que les militaires auraient été à l'origine de cet évènement. Vous seriez sortie pour aller voir le dépôt et vous auriez vu des personnes tuées ainsi que des maisons brûlées. Vous supposez que des … auraient supporté les militaires car vous auriez vu des femmes enceintes avec le ventre ouvert, selon vos dires une pratique effectuée par cette ethnie. En cherchant vos deux soeurs qui se seraient enfuies ce jour-là , quatre militaires vous auraient capturée afin de vous poser des questions. Vous auriez subi des coups de pieds, on vous aurait attachée pour vous amener en camionnette à la prison nommée « station de police de … », un peu à l'écart de ….
Emprisonnée, vous auriez partagé une pièce avec d'autres femmes. Vous auriez été interrogée une première fois pendant toute la matinée en prison, le lendemain, l'interrogatoire se serait déroulé durant l'après-midi chez vous à la maison. Vous expliquez avoir été torturée, battue par les militaires durant les deux interrogatoires. Ils auraient demandé des renseignements au sujet de votre mari et réclamé des documents. Lors du premier interrogatoire on vous aurait menacée de mort afin d'admettre que vous auriez participé aux activités de votre mari.
Le 23 février 2004 un certain lieutenant … serait venu vous ouvrir la porte de cellule vers 3.00 heures du matin. Il vous aurait conseillé de vous enfuir très loin pour sauver votre vie ainsi que la sienne. Vous supposez qu'il s'agit d'une connaissance de votre mari. Le même jour vous seriez allée chez la sœur de votre mari pour vous rendre ensemble chez vous à la maison. Vous auriez pris des affaires et vous vous seriez rendue chez une connaissance de votre mari chez qui vous seriez restée quelques heures. Le même jour, le 23 février 2004, vous auriez quitté le pays.
Vous précisez ne pas avoir été membre d'un parti politique. Vous auriez été accusée de connaître les activités de votre mari et de supporter les ….
Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d'asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Force est cependant de constater qu'un demandeur d'asile doit pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. Or, il convient de relever les contradictions et invraisemblances dans les faits relatés. En effet, lors de l'audition du 25 novembre 2004 vous prétendez d'abord avoir vécu 6 ans à … avant de venir au Luxembourg (p.1), donc depuis environ 1998, pourtant vous déclarez ensuite avoir déménagé pour … suite au décès de votre mère le 31 octobre 1990 (p.1). Par ailleurs vous avez indiqué que le 12 décembre 2003, le jour du décès de votre mari, vos deux soeurs se seraient rendues à l'école et elles auraient disparu depuis ce jour (p.3), or plus loin il ressort de l'audition que vos soeurs se seraient enfuies de la maison lors de la révolte du 19 février 2004 (p.10). D'ailleurs, vous êtes revenue sur vos dires et avez expliqué que vos soeurs auraient disparu plus tard après le décès de votre mari (p.3).Concernant les activités politiques de votre mari vous dites d'abord qu'il aurait été membre du « … People Liperation Movement » (p.8), or plus loin vous affirmez au contraire qu'il s'agirait du « … People Liperation Movement » (p.12). Notons que le nom exact n'est ni l'un, ni l'autre, mais le « … People Liberation Party ».
Lors de l'audition vous avez expliqué que le 19 février 2004 des militaires se seraient rendus chez vous à la maison pour arrêter votre mari en l'accusant de supporter le parti … (p.2). Il est étonnant que vous sachiez tout cela alors que selon vos dires vous n'étiez pas à la maison (p.2), vous précisez uniquement que des gens vous auraient dit que votre mari aurait été tué (p.9).
En outre, vous avez déclaré lors de l'audition avoir été incarcérée dans la prison appelée station de police de … qui se trouverait à proximité de … (p.7; p.18). Or il s'avère qu'il existe plusieurs lieux nommés « … » en Ethiopie, mais aucun de ces lieux ne se trouve près de …. De plus, vous avez clairement déclaré avoir été interrogée la première fois le 20 février 2004 (p.6), or plus loin vous dites avoir été interrogée le jour de votre arrestation, le 19 février 2004 (p.12). Par ailleurs, vous relevez que le lieutenant … vous aurait interrogée deux fois en prison, tout en indiquant juste après qu'il n'aurait pas été présent lors du premier interrogatoire (p.6) pour finalement déclarer que ce lieutenant n'aurait pas été présent du tout lors des interrogatoires mais qu'il serait venu vous parler en privé par après (p.7).
Vous racontez aussi avoir fui la prison le 23 février 2004 vers 3.00 heures du matin (p.6), vous précisez avoir fui le pays à la même date (p.14). Cependant vous expliquez qu'après votre fuite vous auriez dû attendre qu'il fasse noir avant d'entrer en ville et d'aller chez vous (p.18). Pourtant comme il faisait déjà nuit lors de votre fuite, il est dès lors inconcevable que vous ayez dû attendre qu'il fasse noir ! Concernant votre voyage vous expliquez que vous auriez payé un certain Mohammed qui aurait organisé la préparation de vos documents de voyage et vous ajoutez que vous l'auriez rencontré par le biais de connaissances du commerce (p.5). Pourtant plus tard vous prétendez au contraire que la personne qui aurait fait les documents serait un certain …, présenté par le chauffeur qui vous aurait amenée à … (p.15).
Notons encore que lors de l'audition l'agent vous a demandé de citer quelques villages voisins et vous nommez « … » et « … » (p.21). Il s'avère que ces villages ne sont pas des villages voisins de …. Même en supposant un malentendu, je vous signale qu'il ne s'agit pas non plus de villages voisins de …. Ensuite, confrontée à la question d'indiquer le nom du cours d'eau traversant … vous prétendez ne connaître que « … » (p.19). Ce n'est que lors de la lecture de l'audition faite à une date ultérieure que vous connaissez soudainement le nom correct du fleuve en question (p.19). Selon vous il y aurait beaucoup de rivières et de fleuves (p.19), or je vous signale qu'il n'y a qu'un seul cours d'eau et un affluent de celui-ci qui traverse la ville de …. Par ailleurs, il existe deux fleuves nommés « … » en Ethiopie, « … » et « … », qui prennent leur source près du « … » et se dirigent vers la Somalie. Aucun de ces deux fleuves ne passe par ….
Rappelons en outre que vous n'êtes membre d'aucun parti ou organisation politique, vous ne savez d'ailleurs que très peu de choses au sujet de parti …. Il est de plus peu convaincant que les autorités s'acharnent sur votre personne pour obtenir des renseignements au sujet de votre mari alors que ce dernier aurait été tué par elles-mêmes.
Finalement il convient de souligner qu'en dehors de toutes les remarques précédentes faites au sujet de la crédibilité de votre récit, votre identité est également loin d'être établie.
En effet, votre carte d'identité a été vérifiée par le Service Documents de Voyages au Findel et il ressort du rapport du 25 janvier 2007 qu'elle est à considérer comme étant une falsification d'un document existant, ou bien même un document de fantaisie. Il s'ensuit que votre demande d'asile est à qualifier d'infondée étant donné qu'elle repose sur une fraude délibérée.
Ainsi, une crainte fondée de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social n'est par conséquent pas établie.
En outre, votre récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits invoqués à l'appui de votre demande ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
En effet, conformément au raisonnement élaboré au sujet de votre demande d'asile, votre récit manque de crédibilité de façon à ce qu'une crainte de subir des traitements inhumains ou dégradants, ou bien des tortures en cas de retour dans votre pays d'origine, n'est absolument pas établie.
Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile ; 2) d'un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. Le bénéfice de la protection subsidiaire tel que prévu par la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection doit également vous être refusé.
La présente décision est susceptible d'un recours en réformation devant le Tribunal administratif. Ce recours doit être introduit par requête signée d'un avocat à la Cour dans un délai d'un mois à partir de la notification de la présente. » Madame … fit introduire en date du 5 décembre 2007 un recours gracieux à l’encontre de cette décision.
Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma sa décision antérieure par une décision prise en date du 19 décembre 2007.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 18 janvier 2008, Madame … a fait déposer un recours en réformation à l’encontre des deux décisions ministérielles de refus des 29 octobre et 5 décembre 2007.
Etant donné que tant l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1.
d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, que l’article 19, paragraphe 3 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection prévoient un recours en réformation en matière de demandes d’asile et de demandes de protection subsidiaire déclarées non fondées, le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours en réformation introduit. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de son recours, Madame … fait valoir qu’elle serait de nationalité éthiopienne et qu’elle aurait vécu ensemble avec son mari et ses deux sœurs à …. Son époux aurait appartenu à la communauté ethnique … et aurait milité activement au sein du parti …, dénommé … People Liberation Movement. En date du 13 décembre 2003, son époux aurait été tué au cours d’un massacre en raison de son appartenance à la communauté …. En février 2004 la demanderesse aurait directement été victime de persécutions en relation avec les activités de son mari, quand elle aurait été arrêtée et emmenée lors d’une nouvelle attaque contre les …s au poste de …. Elle y aurait été interrogée et torturée. Un ami de son mari l’aurait aidée à fuir et elle aurait alors pris la décision de quitter l’Ethiopie.
Afin de répondre au manque de crédibilité et de cohérence de son récit soulevé par le ministre dans sa décision du 29 octobre 2007, elle précise qu’elle serait née à … où elle aurait vécu jusqu’au décès de sa mère en 1990, après quoi elle serait partie vivre à …. Concernant la date de la disparition de ses sœurs, elle soulève qu’elle aurait rectifié cette date lors de la relecture de l’audition en indiquant que ses sœurs seraient décédées après la mort de son époux, à savoir après le 19 février 2004. En ce qui concerne le reproche du ministre qu’elle ne connaissait pas le nom exact du parti auquel aurait appartenu son mari, elle explique qu’elle n’aurait pas été personnellement membre de ce parti et que tant le … qu’elle a cité que le … existeraient mais que seul le deuxième serait reconnu par l’Etat éthiopien. Quant au reproche du ministre qu’elle a donné des détails sur les circonstances de la mort de son mari alors qu’elle n’y a pas assisté, elle explique que les faits lui auraient été rapportés par des gens qui ont vu ce qui s’était passé. Concernant sa détention au poste de … elle souligne qu’il existerait une telle ville dans l’Etat du … et qu’elle aurait été interrogée le 19 février 2004 par des militaires. Quant au déroulement de son départ de l’Ethiopie elle précise qu’elle aurait quitté la prison à trois heures du matin pour rejoindre le domicile de sa belle-sœur avec laquelle elle serait passée chez elle pour prendre quelques affaires, puis elles se seraient rendues chez une connaissance de son époux où elle serait restée quelques heures avant de quitter son pays d’origine. Elle aurait ensuite payé un certain Mohammed qui aurait organisé le voyage de l’Ethopie vers … où elle serait restée quelques jours chez un certain … avant de prendre l’avion pour l’Europe. Elle précise par ailleurs qu’elle aurait rectifié le nom de rivières qu’elle devait citer lors de la relecture de son rapport d’audition. Finalement quant à l’authenticité de son document de voyage elle affirme que seules les autorités éthiopiennes seraient compétentes pour déterminer s’il s’agit d’un faux et que le rapport de la police luxembourgeoise serait insuffisant pour établir à l’exclusion de tout doute que la carte d’identité est un faux.
Le délégué du Gouvernement fait valoir que la décision ministérielle aurait démontré que les dates indiquées par la demanderesse quant à la disparition de ses sœurs, quant à l’interrogatoire et quant à son déménagement pour … différeraient. Au sujet des circonstances dans lesquelles elle aurait rencontré le passeur, les déclarations de la demanderesse seraient également contradictoires. Il observe que la demanderesse déclare lors de son audition que la station de police de … se trouverait « un peu à l’écart de la ville de … » alors que selon ses recherches elle se trouverait à 445 kms de la ville de …. Finalement le délégué du Gouvernement soulève que l’expertise de police versée en cause prouverait incontestablement que le document d’identité que la demanderesse a présenté aux autorités luxembourgeoises constitue un faux.
Dans son mémoire en réplique, la demanderesse fait valoir que son audition s’est déroulée en plusieurs fois ce qui expliquerait l’erreur de date relative à la disparition de ses sœurs, erreur qu’elle aurait par ailleurs rectifiée lors de la relecture du rapport d’audition.
Quant à la date de son interrogatoire elle fait valoir qu’il serait sans pertinence qu’elle ait été interrogée le 19, le 20 ou le 21 février 2004 compte tenu du fait qu’elle aurait subi ces interrogatoires et aurait été soumise à la torture. Elle estime par ailleurs que les conclusions du délégué du Gouvernement quant à la station de police de … sont erronées compte tenu du fait qu’il ressortirait des pièces versées par le délégué du Gouvernement que la ville de … fait partie de l’Etat du … et qu’il n’a jamais été demandé à la demanderesse de préciser à quelle distance se trouve … de …. Finalement elle maintient son argumentation que le rapport de du 25 janvier 2007 du Service Documents de Voyage du Findel ne serait pas de nature à remettre en question l’authenticité de sa carte d’identité.
Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
Les articles 31 et 32 de la loi du 5 mai 2006 précisent également le contenu de la notion de réfugié.
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.
En l’espèce l’examen des déclarations faites par la demanderesse lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures pré-contentieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
Force est en effet de constater que la décision ministérielle litigieuse du 4 mars 2008 est basée principalement sur le manque de crédibilité du récit présenté par la demanderesse.
Ces incohérences consistent principalement dans le constat que la demanderesse a déclaré qu’elle aurait habité depuis 6 ans à …, partant depuis environ 1998, pour prétendre après avoir déménagé à … après la mort de sa mère en 1990. Cette contradiction n’est pas éclairée par la demanderesse au cours de la procédure contentieuse. Au contraire, elle explique dans sa requête introductive d’instance qu’elle serait partie vivre à … après la mort de sa mère en 1990. Par ailleurs, c’est à juste titre que le ministre et le délégué du Gouvernement soulèvent pièces à l’appui que les déclarations de la demanderesse relatives à la station de police de … ne correspondent pas à la réalité. En effet, la déclaration de la demanderesse pendant la relecture du rapport d’audition que la ville de … se trouverait un peu en dehors de la ville de … (voir page 18 du rapport d’audition) est contredite par le Report of the assessment on the situation of Internally Displaced Persons in … region versée en cause qui prouve que la ville de … se trouve à une distance de 445 kms de …. Les explications de la demanderesse lors de la procédure contentieuse, à savoir que la ville de … ferait partie de l’Etat de … et que la question de la distance exacte entre la ville de … et de … ne lui aurait jamais été posée n’emportent pas la conviction du tribunal au vu de la différence flagrante entre la déclaration de la demanderesse et la distance réelle entre ces deux villes. Finalement c’est encore à juste titre que le ministre et le délégué du Gouvernement contestent l’authenticité du document de voyage présenté par le demanderesse. En effet, l’expertise effectuée par la police luxembourgeoise concluant que le document est un faux prouve à suffisance de droit le caractère faux du document jusqu’à la preuve du contraire, preuve que la demanderesse ne rapporte pas en l’espèce A partir des éléments ci-avant relatés, à savoir du caractère incohérent et douteux du récit de la demanderesse, il y a lieu de retenir que celle-ci n’a pas fait état de manière crédible d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef.
Le tribunal est dès lors amené à constater que les déclarations et le récit de la demanderesse n’emportent pas sa conviction quant aux persécutions ou craintes de persécution alléguées, de sorte que le ministre a valablement pu retenir que la demanderesse n’a pas fait état de façon crédible de persécutions vécues ou de craintes au sens de la Convention de Genève susceptibles de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef.
En ce qui concerne le refus du ministre d’accorder à demanderesse le bénéfice de la protection subsidiaire telle que prévue par la loi précitée du 5 mai 2006, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 2, e) de ladite loi, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire», « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
Selon l’article 37 de la loi précitée du 5 mai 2006, sont considérées comme atteintes graves la peine de mort ou l’exécution, la torture ou les traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine et les menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Au vu du défaut de crédibilité du récit de la demanderesse retenu ci-avant par le tribunal, il échet de retenir que la demanderesse n’invoque aucun élément ou circonstance indiquant qu’il existe de sérieux motifs de croire qu’elle serait exposée, en cas de retour au Cameroun, à un risque réel d’y subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi précitée du 5 mai 2006.
Il se dégage dès lors de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’en l’état actuel du dossier, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision litigieuse dans la mesure où celle-ci est motivée par un défaut de crédibilité et de cohérence au niveau du récit présenté par la requérante.
Il suit de ce qui précède que la demanderesse n’a pas fait état de manière crédible d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef ou une protection subsidiaire aux termes de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 24 septembre 2008 par :
Paulette Lenert, vice-président, Marc Sünnen, juge, Claude Fellens, juge en présence de Luc Rassel, greffier.
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