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12/09/2008 | LUXEMBOURG | N°24756

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 septembre 2008, 24756


Tribunal administratif N° 24756 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 août 2008 Audience publique extraordinaire du 12 septembre 2008 Recours formé par Monsieur … et consorts, ….

contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration en matière de protection internationale (art. 15 L. 5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 24756 et déposée le 19 août 2008 au greffe du tribunal administratif par Maître Arnaud Ranzenbe

rger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mon...

Tribunal administratif N° 24756 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 août 2008 Audience publique extraordinaire du 12 septembre 2008 Recours formé par Monsieur … et consorts, ….

contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration en matière de protection internationale (art. 15 L. 5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 24756 et déposée le 19 août 2008 au greffe du tribunal administratif par Maître Arnaud Ranzenberger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Nigeria) et de son épouse, Madame …, née le …. à …, agissant en leurs nom personnel ainsi qu’au nom et pour le compte de leur enfant mineure …., née le … à …, tous de nationalité nigériane, demeurant actuellement ensemble à …, tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 25 juillet 2008 s’étant déclaré incompétent sur base de l’article 15 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection et des articles 9 § 2, 18 § 1 et 18 § 7 du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 pour statuer sur leur demande de protection internationale ;

Vu le mémoire de Madame le délégué du Gouvernement Jacqueline Jacques du 25 août 2008 portant affirmation que les requérants ont été transférés en Belgique le 22 août 2008 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision ministérielle attaquée;

Le président rapporteur entendu en son rapport et Maître Thomas Stackler, en remplacement de Maître Arnaud Ranzenberger, ainsi que Madame le délégué du Gouvernement Jacqueline Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 septembre 2008.

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Le 16 avril 2008, Monsieur … et son épouse, Madame …, agissant tant en leur nom personnel qu'en celui de leur enfant mineure, …, introduisirent oralement une demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.

Par décision du 25 juillet 2008, le ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration, se basant sur les dispositions des articles 9, paragraphe 2 et 18, paragraphes 1 et 7 du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers, ci-après désigné par « le règlement n° 343/2003 », se déclara incompétent pour connaître de la demande d'asile, en soulignant que ce serait le Royaume de Belgique qui serait responsable du traitement de leur demande d'asile. Cette compétence serait basée sur le fait que les consorts … seraient titulaires de visas d'entrée délivrés par les autorités belges.

Par requête déposée le 19 août 2008, inscrite sous le numéro 24756 du rôle, les consorts … ont introduit un recours tendant à l'annulation de la décision d'incompétence du ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration du 25 juillet 2008.

Ils font exposer qu’ils craindraient pour leur vie en cas de transfert vers la Belgique, où ils seraient activement recherchés par des membres de leur ethnie.

Ils précisent à ce sujet qu’ils auraient été contraints de fuir le Nigéria en urgence, étant donné qu’ils y auraient été pourchassés sur ordre du Conseil des Anciens de leur ethnie qui se servirait d’un « miroir spirituel » et d’un « oracle » pour les retrouver où qu’ils se trouvent, et ce parce que Monsieur … refuserait de devenir roi de cette ethnie, son couronnement impliquant des rites cannibales auxquels il refuserait de se plier.

Ils relatent que de ce fait ils avaient sollicité un visa pour la Belgique, pays dans lequel ils entendaient initialement solliciter l'asile, mais qu’en embarquant dans l’avion à destination de la Belgique, ils se seraient aperçus qu'un membre de leur ethnie les aurait pris en filature dans l'avion. Ils estiment dès lors que leur sécurité ne pourrait pas être garantie en Belgique « alors qu'ils seront sans aucun doute logés dans un foyer pour demandeur d'asile dans lequel résident des Nigérians et certainement des Nigérians de leur ethnie ».

Ils supposent que leur signalement aurait été communiqué parmi les membres de l'ethnie à laquelle ils appartiennent, et ce même en Europe et ils sont partant persuadés qu'ils feront l'objet de persécutions ou d'un enlèvement sur le territoire belge, alors qu’en revanche depuis leur arrivée au Grand Duché ils auraient pu se rendre compte qu'ils y seraient parfaitement en sécurité.

Ils reprochent encore au ministre de ne pas avoir pris en compte leur situation objective, de sorte que le ministre aurait violé les dispositions impératives de l'article 18 de la loi du 5 mai 2006, violation qui serait un motif suffisant pour obtenir l'annulation de la décision litigieuse.

Il ressort des éléments soumis au tribunal que les autorités luxembourgeoises ont obtenu l’accord des autorités belges pour la prise en charge des requérants de sorte que leur transfert fut organisé et a pu avoir lieu le 22 août 2008 sur base du règlement 343/2003.

L’article 17 de la loi précitée du 5 mai 2006 prévoit qu’en matière de décisions d’incompétence prises au titre de l’article 15 de la même loi, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives de sorte que le recours en annulation à l’encontre de la décision ministérielle litigieuse, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, est à déclarer recevable.

Le rôle du juge siégeant en tant que juge de l’annulation consiste à vérifier le caractère légal et réel des motifs invoqués à l'appui de l’acte administratif attaqué, mais exclut le contrôle de considérations d'opportunité.

Tel que documenté par les pièces du dossier administratif librement discutées à l’audience, il est constant que les demandeurs disposaient d’un visa Schengen émis par les autorités belges, valable du 23 mars 2008 au 17 avril 2008, soit d’un titre de séjour en cours de validité au moment de l’introduction de leur demande auprès des autorités luxembourgeoises.

Le ministre a partant valablement pu se référer aux dispositions du règlement n° 343/2003 qui dispose dans son article 9 que « si le demandeur est titulaire d’un titre de séjour en cours de validité, l’Etat membre qui a délivré ce titre est responsable de l’examen de la demande d’asile ».

Dans la mesure où c’est le règlement même qui, dans son article 3, consacre le principe qu’une demande d’asile présentée par un ressortissant d’un pays tiers à l’un quelconque des Etats membres est examinée par un seul Etat membre, en l’occurrence celui que les critères énoncés au chapitre III dudit règlement désignent comme responsable, les demandeurs en obtention d’une protection internationale ne disposent partant pas de la possibilité de choisir l’Etat membre qui sera appelé à examiner leur demande quant au fond.

Dans la mesure où il n’est pas contesté en l’espèce que le cas de figure vérifié dans le chef des demandeurs de l’existence d’un visa en cours de validité délivré par les autorités belges permet, par application du règlement, de demander aux autorités belges une prise en charge des intéressés, les développements avancés à l’appui du recours tendant essentiellement au fait qu’ils ont pu demeurer et s’intégrer pendant près de quatre mois au Grand-Duché de Luxembourg, ne sont pas de nature à énerver la légalité de la décision déférée.

En effet, la procédure de prise en charge doit s’inscrire dans le cadre même du règlement qui prévoit des délais à respecter aussi bien dans le chef de l’Etat membre qui requiert la prise en charge par un autre Etat membre que dans le chef de l’Etat membre sollicité qui doit répondre dans les deux mois de la réception de la demande.

Dans la mesure où les autorités luxembourgeoises ont obtenu l’accord des autorités belges pour la prise en charge des requérants, de sorte que leur transfert fut organisé et a pu avoir lieu le 22 août 2008 en vertu du règlement n° 343/2003, la décision déférée ne prête partant pas à critique sous ce rapport.

Il y a par ailleurs lieu de constater que les demandeurs ne contestent pas la légalité intrinsèque de la décision d’incompétence, à savoir qu’ils ne contestent pas que ce soit le Royaume de Belgique qui soit, en application du règlement n° 343/2003, compétent pour connaître de la demande de protection internationale et par conséquent, qu’ils ne contestent pas que les conditions légales justifiant, d’une part, la compétence de la Belgique et, d’autre part, l’incompétence du Luxembourg, se trouvent remplies en l’espèce, de sorte que leurs moyens, à défaut de toute base juridique ou de qualification juridique avancée en cause, sont à considérer comme purement factuels.

A supposer cependant que ces moyens tendent à s’inscrire dans le cadre des articles 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et 14, paragraphe 3 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l'entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l'emploi de la main-d'œuvre étrangère, articles qui, ensemble, prohibent tout transfert d’un étranger vers un pays où sa vie ou sa liberté seraient gravement menacées ou où il serait exposé à des traitements cruels, inhumains ou dégradants, force est de constater au tribunal, à la lecture du récit manuscrit versé en cause par Monsieur …, que celui-ci n’affirme pas que sa famille aurait été suivie à dessein jusqu’en Belgique par un membre de son ethnie, mais, s’il y affirme effectivement qu’un membre du conseil des anciens aurait été présent dans l’avion à destination de la Belgique, il considère cependant la présence de cet homme comme résultant d’une pure coïncidence et non pas d’une traque.

Les seules craintes mises en avant par les demandeurs consistent finalement dans la crainte que, leur séjour en Belgique étant connu de leurs persécuteurs, ils risqueraient de rencontrer des membres de leur ethnie sur le territoire belge, étant donné, comme relevé ci-

avant, qu’ils seraient « sans aucun doute » logés dans un foyer de réfugiés où résideraient d’autres Nigérians.

Ce moyen semble dès lors reposer sur la double prémisse que la Belgique ne constituerait plus un pays sûr et que le Luxembourg n’accueillerait pas de communauté nigériane. Or les requérants n’ont pas apporté d’éléments crédibles démontrant les raisons pour lesquelles ils ne seraient pas à même d’échapper à leurs prétendus persécuteurs dans un pays de la taille de la Belgique alors qu’ils seraient en revanche en sécurité au Luxembourg, pays accueillant une communauté nigériane relativement importante.

De même, il n’appert pas des éléments soumis que la Belgique ne soit pas à même, à admettre la réalité des persécutions mises en avant par les demandeurs, d’assurer la protection de ceux-ci, de sorte qu’il n’est pas établi que les demandeurs soient exposés à un risque de traitement grave tel que prohibé par les articles 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et 14, paragraphe 3 de la loi modifiée du 28 mars 1972.

Les requérants n’ayant pas invoqué de dispositions légales ou réglementaires qui auraient été concrètement violées en l’espèce par le ministre, le recours laisse partant d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

Marc Feyereisen, président, Carlo Schockweiler, premier vice-président, Lexie Breuskin, juge, et lu à l’audience publique extraordinaire du 12 septembre 2008 par Marc Feyereisen, président, en présence du greffier de la Cour administrative Anne-Marie Wiltzius, greffier assumé.

Anne-Marie Wiltzius Marc Feyereisen 5


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 24756
Date de la décision : 12/09/2008

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2008-09-12;24756 ?

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