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10/09/2008 | LUXEMBOURG | N°23886

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 septembre 2008, 23886


Tribunal administratif N° 23886 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 décembre 2007 Audience publique du 10 septembre 2008 Recours formé par Madame … et par sa fille …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 23886 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 décembre 2007 par Maître Olivier Po

os, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mada...

Tribunal administratif N° 23886 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 décembre 2007 Audience publique du 10 septembre 2008 Recours formé par Madame … et par sa fille …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 23886 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 décembre 2007 par Maître Olivier Poos, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à Prizren (Kosovo), agissant tant en son nom personnel qu’en nom et pour compte de sa fille mineure …, née le 9 avril 2004 à Prizren, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 28 novembre 2007 rejetant leur demande en obtention d’une protection internationale comme n’étant pas fondée, ainsi qu’à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire luxembourgeois contenu dans la même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 février 2008 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Olivier Poos, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 17 mars 2008 ;

Vu le mémoire supplémentaire, qualifié de mémoire en réplique, déposé au greffe du tribunal administratif le 21 avril 2008 par Maître Olivier Poos pour compte des demanderesses ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport complémentaire, ainsi que Maître Arnaldina Ferreira Da Silva, en remplacement de Maître Olivier Poos, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries complémentaires à l’audience publique du 2 juin 2008.

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Le 8 octobre 2007, Madame …, accompagnée de sa fille mineure …, introduisit oralement auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.

Le même jour, elle fut entendue par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur son identité.

Elle fut encore entendue en dates des 19 et 26 octobre 2007 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 28 novembre 2007, envoyée par courrier recommandé le 29 novembre 2007, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, dénommé ci-après le « ministre », informa Madame …, accompagnée de sa fille mineure … …, de ce que leur demande avait été rejetée pour être non fondée, décision libellée comme suit :

« J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration en date du 8 octobre 2007.

En application de la loi précitée, votre demande de protection internationale a été évaluée par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.

En mains le rapport de la Police judiciaire du 8 octobre 2007 et le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration du 19 octobre 2007.

Vous déclarez auprès de la Police judiciaire que vous auriez quitté le Kosovo en date du 5 octobre 2007. Vous auriez pris le bus jusqu'à Belgrade et vous auriez continué votre voyage en voiture jusqu'au Luxembourg. Vous auriez payé la somme de € 3.500.- au passeur.

Vous présentez votre carte d'identité de l'UNMIK ! Il résulte de vos déclarations que vous appartiendriez à l'ethnie des goranais et que votre mari aurait voulu venir avec vous au Luxembourg, cependant le passeur n'aurait pas voulu emmener toute la famille en une fois. Cependant, vous expliquez que votre mari aurait l'intention de vous rejoindre. En outre, vous dites que votre tante et votre frère se trouvent également au Luxembourg et ils auraient aussi déposé une demande de protection internationale. Selon vos dires, vous auriez abandonné vos études à l'école moyenne tout de suite après le conflit et vous indiquez que vous n'auriez jamais travaillé.

Il ressort de vos propos que votre tante serait décédée le 28 août 2002 à l'hôpital de la ville de Prizren. Elle aurait souffert d'une maladie qui aurait attaqué son organisme. Le jour, où elle aurait été admise à l'hôpital de Prizren, elle aurait eu une attaque cérébrale. Selon vos dires, le médecin n'aurait pas voulu consulter son dossier médical de Belgrade, où elle aurait été soignée pendant deux ans. Elle serait décédée le jour même à l'hôpital. Vous indiquez qu'une autopsie aurait dû être faite, cependant vous l'auriez enterrée après deux jours, sans que la raison de sa mort aurait été analysée.

En ce qui concerne vos problèmes, vous dites que pendant vos études, tout de suite après le conflit, un albanais vous aurait suivi pendant deux jours et il vous aurait parlé « d'une manière prétentieuse ». Cependant, vous n'auriez pas compris, comme vous ne parliez pas l'albanais.

Pour cette raison, vous auriez quitté l'école et vous n'auriez plus osé de sortir (sic !) de la maison jusqu'à ce que vous auriez rencontré votre mari dans une épicerie, se trouvant dans votre rue.

Ensuite, vous indiquez qu'il y a deux mois, vous auriez été seule à la maison avec votre petite fille, quand deux personnes auraient frappé à la porte. Vous auriez demandé à deux reprises qui serait devant la porte, mais personne ne vous aurait répondu. Vous auriez appelé votre mari pour qu'il vienne voir qui seraient ces deux personnes. Cependant, elles auraient déjà été parties (sic !) quand votre mari serait arrivé. Vous n'auriez pas appelé la police, afin de ne pas aggraver la situation.

Par ailleurs, vous dites que votre petite fille souffrirait d'asthme et qu'elle aurait déjà été hospitalisée à trois reprises pendant deux semaines. Vous auriez constaté qu'elle n'aurait pas été soignée comme les autres enfants et que vous auriez dû donner de l'argent au médecin pour qu'il « fasse quelque chose ».

De plus, vous dites que vos beaux-parents recevraient des menaces par téléphone.

Enfin, vous admettez n'avoir subi aucune persécution, ni mauvais traitement et vous dites ne pas être membre d'un parti politique.

Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève. Il convient également de souligner que l'appartenance à une minorité est insuffisante, elle aussi, pour obtenir le statut de réfugié.

Or, les faits que vous alléguez ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi modifiée du 5 mai 2006. En effet, en l'espèce, les faits, qu'un inconnu vous aurait suivi dans la rue, il y a 7 ou 8 ans, et le fait que deux inconnus auraient frappé à votre porte, ne sont pas de nature à constituer une crainte fondée de persécution selon la Convention de Genève et de ladite loi. Il en est de même en ce qui concerne le fait que votre tante, malade depuis plusieurs années, serait décédée à l'hôpital, sans que vous connaissez la raison pour sa mort, Force est de constater que des faits non personnels, mais vécus par d'autres membres de la famille, ne sont susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens de la prédite Convention que si le demandeur d'asile établit dans son chef un risque réel d'être victime d'actes similaires en raison de circonstances particulières.

En ce qui concerne la maladie de votre fille, il y a lieu de souligner que des raisons médicales ne sauraient davantage justifier une demande d'asile politique, d'autant plus que vous déclarez qu'elle aurait reçu des traitements à l'hôpital à plusieurs reprises.

Madame, force est de constater que votre crainte traduit plutôt un sentiment général d'insécurité qu'une crainte de persécution. Or, un sentiment général d'insécurité ne constitue pas une crainte fondée de persécution au sens de la prédite Convention.

Il convient de citer un rapport du „Bundesasylamt der Bundesrepublik Österreich" du 14 février 2007, qui dit :

„Die Lage der Goraner ist nach wie vor durch gegenseitiges Misstrauen zwischen der Goraner Gemeinschaft und der albanischen Mehrheitsbevölkerung gekennzeichnet. Jedoch lebt der überwiegende Teil der Goraner unbehelligt und ohne Sicherheitsprobleme in der Gora Region. (Bericht zur Fact Finding Mission in den Kosovo 14.-19.5.2006, 06.2006) In Prizren kam es niemals zu Übergriffen gegen die goranische Volksgruppe-Prizren ist ein Beispiel einer multiethnischen Stadt. Ca. 33% der Bevölkerung von Prizren sind Gorani und sie nehmen Teil am politischen, kulturellen und wirtschaftlichen Geschehen. Sie stellen im Stadtrat gemäß ihrem prozentuellen Anteil, Gemeinderäte, etc. Der Zugang zu den Institutionen in Prizren ist prinzipiell problemlos möglich. Es befinden sich in allen öffentlichen Behörden, Ämtern, Schulen, Polizei, etc. Angehörige der dort lebenden Minderheiten gemäß ihrem prozentuellen Anteil (dies ist eine Strategie v. UNMIK, ethnische Problematiken zu beseitigen und gegenseitige Akzeptanz zu schaffen). (Österreichische Botschaft, Außenstelle Prishtina, Kosovobericht, 04.2006) Goraner waren während der Unruhen im März 2004 keinen direkten Verfolgungshandlungen ausgesetzt. Es gab nur vereinzelt goranische Familien, die ihre Häuser aus Furcht vor Repressionen verließen. Der Großteil kehrte jedoch später in die unzerstörten Gebäude zurück. (UK Home Office, Country Report Serbia/Montenegro, 04.2005) Laut neuestem UNHCR-Papier zur weiteren Schutzbedürftigkeit von Individuen im Kosovo, sind nach Ansicht von UNHCR Angehörige der Minderheiten der Ashkali, Agypter und Goraner nicht mehr als schutzbedürftig anzusehen. (UNHCR's Position on the Continued International Protection Needs of lndividuals from Kosovo, June 2006) Seitens des UNMIK/KPS/KFOR Truppen besteht ausreichender und effektiver Schutz für Angehörige der Volksgruppe der Goraner, insbesondere in deren Hauptsiedlungsgebieten.

UNMIK/KPS/KFOR sind weiters willens und in der Lage Schutz für diejenigen zu bieten, die Furcht vor Verfolgung haben und können sicherstellen, dass die gesetzlich vorgeschriebenen Maßnahmen zur Ausforschung, Anklage und Bestrafung der Täter auch umgesetzt bzw durchgeführt und angewandt werden. (UK Home Office, Operational Guidance Note, Republic of Serbia (including Kosovo), 06.2006) Bewegungsfreiheit und Sprachgebrauch Bewegungsfreiheit und Sprachgebrauch der Gorani/slawischen Muslime verbesserten sich weiter und können mittlerweile als problemlos bezeichnet werden. In Prizren kann heute problemlos bosnisch gesprochen werden. Frauen werden jedoch teilweise wegen ihrer traditionellen Kleidung belästigt. (Bundesamt für Migration BFM, Migrations- und Länderanalysen, Focus Kosovo, Lage der Minderheiten - Aktualisierung August 2006) Die Bewegungsfreiheit für Goraner ist gewährleistet. Nach mehreren Aussagen auch der Goraner selbst, sind diese in der Lage innerhalb und außerhalb des Kosovo zu reisen. Darüber hinaus sind Goraner auch im Rahmen der Verwaltung voll eingebunden wie etwa bei der KPS oder im Municipality Court. (Bericht zur Fact Finding Mission in den Kosovo 14.-19.5.2006, 06.2006) Medizinische Versorgung, Bildungswesen und Sozialleistungen Der Zugang zu den medizinischen Strukturen, dem Bildungswesen und den Sozialleistungen ist gewährleistet. In allen medizinischen Strukturen sowie in den Schulen sind Gorani/slawische Muslime als Ärzte, Pflegepersonal und Lehrer beschäftigt. Das Zusammenleben mit den Kosovo-Albanern funktioniert im Alltag gut. (Bundesamt für Migration BFM, Migrations- und Länderanalysen, Focus Kosovo, Lage der Minderheiten – Aktualisierung August 2006) In Dragash/Dragas sind die Gorani in allen wichtigen öffentlichen Strukturen (Politik, Polizei, Gesundheitswesen) proportional vertreten. Die Tradition der Gorani als Zuckerbäcker, respektive der slawischen Muslime während der Bausaison das Tal zu verlassen besteht weiter.

(Bundesamt für Migration BFM, Migrations- und Länderanalysen, Focus Kosovo, Lage der Minderheiten – Aktualisierung August 2006)." Au vu de ce qui précède force est de constater que vous n'alléguez aucun fait susceptible de fonder raisonnablement une crainte de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.

En outre, votre récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits invoqués à l'appui de votre demande ne nous permet pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

Ainsi, les faits que vous alléguez ne justifient pas non plus la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire.

Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.

La présente décision vaut ordre de quitter le territoire. (…). » Par requête déposée le 27 décembre 2007, Madame …, agissant également au nom de sa fille mineure …, a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 28 novembre 2007 en ce qu’elle porte rejet de leur demande en obtention d’une protection internationale comme étant non fondée, ainsi qu’à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire luxembourgeois inclus dans la même décision.

1. Quant au refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19 (3) de la loi précitée du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse expose qu’en tant que membre de la minorité ethnique des Goranais du Kosovo, elle aurait fait l’objet d’actes motivés par la haine raciale, qui auraient été exercés à son encontre de la part de membres de la population majoritaire des Albanais qui auraient pour seul but d’obtenir « un Kosovo ethniquement pur ». Ainsi, Madame Selimi soutient avoir été l’objet non seulement de harcèlements contenus de la part de ressortissants albanais mais également d’agressions, sans qu’elle n’ait été en mesure d’obtenir une protection appropriée de la part des autorités en place dans son pays d’origine. Madame Selimi fait exposer en outre que la plupart du temps les victimes de tels actes n’auraient pas le courage de se rendre auprès d’un commissariat de police, de peur de voir les représailles s’intensifier par la suite. Comme elle aurait habité dans la maison de ses beaux-parents, elle aurait eu à subir des actes de harcèlement téléphonique dirigés à l’encontre de son beau-père à qui ils auraient été dirigés en sa qualité de membre du parti politique SDA et elle ajoute qu’elle aurait également souffert des agressions physiques dirigées contre son grand-père ainsi que contre sa tante maternelle.

Quant à la situation générale régnant actuellement au Kosovo, elle fait exposer que l’accès aux services de santé serait toujours restreint pour les ressortissants de la communauté des Goranais.

La demanderesse se réfère encore à des rapports d’organisations internationales et à des articles de presse pour établir la situation des Goranais au Kosovo.

En ordre subsidiaire, la demanderesse sollicite la reconnaissance d’une protection subsidiaire, au motif qu’elle risquerait de courir un risque réel de traitements inhumains et dégradants au Kosovo en raison de sa seule appartenance à la minorité ethnique des Goranais.

Le représentant étatique soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demanderesses et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 2 a) de la loi précitée du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire, tandis que la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 c) de la même loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays (…) ».

La reconnaissance de la protection internationale n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur de protection internationale qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par la demanderesse lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social ainsi que le prévoit l’article 2 c) de la loi précitée du 5 mai 2006.

Une crainte de persécution doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions et force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal.

En effet, s’il est vrai que le récit de Madame … est crédible, force est néanmoins de constater qu’elle n’a pas fait état à suffisance de droit d’un état de persécution ou d’une crainte de persécution correspondant aux critères de fond définis par la Convention de Genève et l’article 2 c) de la loi précitée du 5 mai 2006, mais uniquement d’un sentiment général d’insécurité insuffisant pour leur reconnaître le statut revendiqué.

Ainsi, en faisant état de ses craintes de subir des actes de persécution de la part de membres de la communauté albanaise du Kosovo, la demanderesse se prévaut d’actes de persécutions émanant non pas des autorités publiques, mais de personnes privées. S’il est vrai qu’en vertu de l’article 28 de la loi précitée du 5 mai 2006, des acteurs non étatiques peuvent être des agents de persécution au sens des dispositions de ladite loi, il n’en saurait être ainsi que s’il peut être démontré que ni l’Etat ni des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions. En outre, la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel1. Il ne saurait en être autrement qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile.

Or, en l’espèce, la demanderesse reste en défaut de démontrer concrètement que les 1 cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, n°s 73-s.

autorités actuellement en place au Kosovo chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics, ont refusé ou ont été incapables d’assurer sa protection, étant donné qu’il se dégage des déclarations de Madame … telles que relatées dans le compte rendu d’audition, qu’après avoir été victime de harcèlements, pendant deux jours, par un jeune Albanais, elle ne s’est pas rendue à la police pour porter plainte contre cet individu qui l’aurait suivi dans la rue. Il n’est partant pas établi en cause que les autorités actuellement en place au Kosovo auraient refusé ou auraient été dans l’incapacité de lui fournir une aide voire une protection appropriée, étant entendu qu’elle a elle-même déclaré n’avoir jamais été agressée physiquement, alors que ledit individu albanais se serait limité à s’adresser à elle en langue albanaise, en lui parlant à haute voix, sans qu’elle n’ait été en mesure de comprendre lesdites paroles.

Au-delà de ce seul fait personnel dont la demanderesse aurait été directement la victime, les autres faits invoqués par elle concernent d’autres membres de sa famille, à savoir, d’une part, son grand-père et, d’autre part, son beau-père qui aurait fait l’objet de menaces téléphoniques en raison de son adhésion au parti politique SDA. Or, des faits non personnels, mais vécus par d’autres membres de la famille ne sont susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève que si le demandeur d’asile établit dans son chef un risque réel d’être victime d’actes similaires en raison de circonstances particulières. A défaut par le demandeur d’asile d’avoir concrètement étayé un lien entre le traitement de membres de sa famille et d’éléments liés à sa propre personne l’exposant à des actes similaires, ces faits ne sont pas de nature à constituer des indications sérieuses d’une crainte fondée de persécution2.

En l’espèce, Madame … ne s’est pas fondée sur des circonstances particulières de nature à justifier une crainte légitime de subir le même sort que les proches parents ci-avant énumérés qui auraient fait l’objet de harcèlements et de menaces de la part de membres de la communauté ethnique des Albanais résidant au Kosovo. Ainsi, le seul fait de résider dans la même maison que son beau-père, qui aurait fait notamment l’objet de menaces téléphoniques en raison de ses activités politiques, n’est pas à lui seul suffisant pour établir qu’elle risque de subir le même type de harcèlements.

En ce qui concerne les documents auxquels la demanderesse a fait référence dans sa requête introductive d’instance, à savoir une dépêche du courrier des Balkans du 3 octobre 2006 ainsi qu’un document de « Altermedia » du 30 août 2007, il échet de constater que ces documents ne sont pas assez récents pour pouvoir apprécier la situation des Goranais au Kosovo notamment après la déclaration d’indépendance dudit pays. De toute façon, même à supposer que les informations contenues dans lesdits documents soient de nature à refléter la réalité actuelle, il ressort d’un document versé par l’Etat et émis par le « Bundesasylamt » de la « Republik Österreich », du 14 février 2007, que dans la ville de Prizren, dont est originaire la demanderesse, 33 % de la population sont composés de ressortissants Goranais qui participent à la vie politique, culturelle et économique de ladite ville en étant représentés proportionnellement au sein du conseil communal. Il ne ressort par ailleurs pas dudit rapport que les Goranais aient à craindre une quelconque persécution dans la ville de Prizren.

Au vu de ces éléments, le tribunal est amené à conclure que les craintes éprouvées par la demanderesse en raison de son origine ethnique et de la situation sécuritaire prévalant au Kosovo 2 cf. trib. adm. 21 mars 2001, n° 12965 du rôle, Pas. adm. 2006, V° Etrangers, n° 88 constituent en substance l’expression d’un sentiment général d’insécurité, sans que la demanderesse n’ait établi un état de persécution personnelle vécu dans un passé récent ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait rendue intolérable dans son pays d’origine. Il suit de ce qui précède que la demanderesse n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance d’un statut de protection internationale dans son chef.

En ce qui concerne le refus du ministre d’accorder à la demanderesse le bénéfice de la protection subsidiaire telle que prévue par la loi précitée du 5 mai 2006, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 2, e) de la loi du 5 mai 2006 précitée, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire», « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 37 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses littéra a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

En l’espèce, il convient de retenir que la demanderesse n’a pas attaqué ce volet de la décision par des moyens spécifiques, mais qu’elle se prévaut en substance des faits et craintes allégués à l’appui de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié.

Or, force est de constater que le tribunal vient de retenir ci-avant que la demanderesse n’est pas exposée à un risque grave, mais que son récit ne fait que traduire un sentiment général d’insécurité et qu’en l’absence d’autres éléments invoqués et au vu de la conclusion ci-avant dégagée, c’est à juste titre que le ministre a estimé que la demanderesse n’a pas fait état de motifs sérieux et avérés qui permettent de retenir que, si elle était renvoyée au Kosovo, elle encourrait un risque réel de subir une des atteintes graves visées à l’article 37 précité et elle n’est partant pas fondée à se prévaloir du bénéfice de la protection subsidiaire au sens de la loi précitée du 5 mai 2006.

Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

2. Quant à l’ordre de quitter le territoire L’article 19 (3) de la loi précitée du 5 mai 2006 instaurant un recours en annulation contre un ordre de quitter le territoire contenu dans une décision statuant sur une demande de protection internationale, le recours en annulation dirigé contre pareil ordre contenu dans la décision déférée du 28 novembre 2007 est recevable pour avoir par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.

La demanderesse conclut à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire pris à son égard et inscrit dans la décision litigieuse en invoquant les mêmes motifs que ceux exposés à l’appui de sa demande tendant à la reconnaissance d’un statut de protection internationale, en ce que ce refus serait injustifié. Pour le surplus, elle estime qu’elle serait victime d’une rupture du principe d’égalité des citoyens devant la loi, étant donné des personnes appartenant à une minorité ethnique du Kosovo se seraient vu accorder un statut de tolérance provisoire, au motif que le retour au Kosovo ne serait toujours pas considéré comme étant sûr.

Le tribunal vient cependant, tel que développé ci-dessus, de retenir que la demanderesse ne remplit pas les conditions pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, de sorte qu’en l’état actuel du dossier et compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-

fondé de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire. Cette conclusion ne saurait être énervée par l’argumentation développée par la demanderesse quant à une éventuelle rupture du principe d’égalité des citoyens devant la loi, puisque même à supposer que des personnes appartenant à la même minorité ethnique des Goranais voire à une autre minorité ethnique du Kosovo, se sont vues accorder un statut de tolérance au Luxembourg empêchant ainsi leur éloignement vers le Kosovo, cette seule considération de fait n’est pas de nature à rendre illégale la décision prise à son encontre, à défaut de plus amples informations quant à la situation particulière des personnes auxquelles il est ainsi fait référence.

Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs ;

le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 28 novembre 2007 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision déférée portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Françoise Eberhard, juge, Lexie Breuskin, juge, et lu à l’audience publique du 10 septembre 2008 par le premier vice-président, en présence du greffier de la Cour administrative Anne-Marie Wiltzius, greffier assumé.

Wiltzius Schockweiler 11


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 23886
Date de la décision : 10/09/2008

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2008-09-10;23886 ?

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