Tribunal administratif N° 23884 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 décembre 2007 Audience publique du 10 septembre 2008
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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 23884 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 décembre 2007 par Maître Yvette Ngono Yah, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … State (Nigeria), de nationalité nigériane, demeurant à …, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 21 novembre 2007, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié et lui ayant refusé le bénéfice de la protection subsidiaire ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 février 2008 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 21 mars 2008 par Maître Yvette Ngono Yah pour le compte du demandeur ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision ministérielle entreprise ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Yvette Ngono Yah, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Claudine Konsbrück en leurs plaidoiries respectives.
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Le 13 avril 2004, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg. Monsieur … fut entendu en date des 9 septembre et 5 octobre 2004 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.
Par décision du 21 novembre 2007, envoyée par lettre recommandée du 26 novembre 2007, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, désigné ci-après par le « ministre », l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :
« J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère de la Justice en date du 13 avril 2004.
En mains le rapport du Service de Police Judiciaire de la même date et les rapports d'audition de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration du 9 septembre 2004.
Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous auriez quitté le Nigeria par bateau en direction de l'Europe, vous ne sauriez cependant pas où vous auriez accosté.
Ensuite vous seriez venu en train jusqu'au Luxembourg. Lors de votre voyage vous auriez été accompagné par un homme blanc. Le dépôt de votre demande d'asile date du 13 avril 2004.
Vous ne présentez aucune pièce d'identité! Il résulte de vos déclarations que vous seriez membre du MASSOB (Movement for Actualization of Sovereign State of Biafra). Dans ce contexte, le 7 février 2004 vous auriez participé à une réunion lors de laquelle l'armée fédérale serait intervenue sur ordre du gouvernement et aurait tué, blessé et arrêté des adeptes de ce mouvement. Vous auriez pu vous échapper de justesse et seriez encore resté deux jours à …. Puis, vous auriez été informé par quelqu'un du Biafra Intelligence Force que vous seriez recherché. Donc, vous vous seriez enfui à … et puis à … avant de quitter finalement avec l'aide d'un ami le Nigeria. A chaque endroit vous auriez eu l'information que vous ne seriez pas en sécurité.
Enfin, vous admettez n'avoir subi aucune autre persécution ni mauvais traitement, et ne pas être membre d'un parti politique.
Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d'asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Force est cependant de constater qu'à défaut de pièces, un demandeur d'asile doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. Or, il convient de relever les contradictions et invraisemblances dans les faits relatés. En premier lieu, vous déclarez auprès de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration que vous seriez devenu un membre actif du MASSOB en novembre 2003, au moment où vous auriez arrêté votre travail. Cependant, plus loin vous révélez qu'après que la police serait intervenue lors d'une réunion de ce mouvement en date du 4 décembre 2002, vous vous seriez déjà engagé plus activement. Puis, lors de l'audition vous évoquez deux réunions différentes et dites d'abord que vous auriez uniquement participé à l'une des deux, mais plus tard vous évoquez que vous auriez été présent aux deux assemblées. En outre, vous indiquez que les cartes de membres seraient uniquement remises aux adeptes du MASSOB lors des réunions et qu'à la fin de celles-ci, ils seraient obligés de les rendre. Or, vous dites que lorsque la police serait intervenue au meeting, elle aurait pris tous les documents ainsi que toutes les cartes des membres présents. Ceci semble invraisemblable puisque l'opération de la police se serait déroulée alors que vous auriez été en pleine réunion et que les cartes auraient été avec les adeptes. Par conséquent, il demeure invraisemblable que quelqu'un aurait pu savoir que vous auriez participé à cette réunion, comme vous dites que vous auriez pu vous échapper par une fenêtre.
En plus, il est surprenant que vous donnez deux noms différents pour désigner une même personne, à savoir le chef temporaire qui s'appellerait une fois Monsieur … et une autre fois Monsieur …. Puis, il est peu concevable que deux de vos amis, lesquels seraient aussi des membres du MASSOB et auraient également participé aux réunions, n'auraient pas reçu, comme vous, de Biafra Intelligence Force l'avertissement de s'enfuir. A cela s'ajoute que les informations concernant le mouvement que vous donnez s'avèrent erronées. En effet, vous dites lors de la première audition que le mouvement MASSOB aurait été créé en mai 2000.
Puis, lors de la deuxième audition vous expliquez que la fondation aurait eu lieu en mai 1999.
Force est de constater que ces deux déclarations sont fausses, puisque la création date du 19 septembre 1999. Ensuite, Biafra n'inclut pas neuf Etats comme vous l'indiquez, mais uniquement cinq. En plus, en tant que membre actif vous ignorez la hymne nationale du Biafra et les quelques mots que vous donnez à l'agent du Ministère n'y figurent même pas.
A cela s'ajoute que lors de l'audition vous déclarez que vous auriez quitté le Nigeria entre le 25 et le 29 mars 2004 et que le voyage en bateau aurait duré entre trois et quatre semaines. Or, il s'avère que la traversée maritime aurait été plus courte que ce que vous prétendez, puisque vous avez déjà déposé votre demande d'asile au Luxembourg le 13 avril 2004. Dans le même contexte vous dites également que vous seriez encore resté à … début avril, ce qui est contradictoire avec la date de départ que vous donnez lors de l'audition.
Ensuite, auprès de la Police judiciaire vous déclarez que vous ne sauriez pas dans quel pays vous seriez arrivé en bateau. Cependant, lors de l'audition vous dites que vous auriez pensé être en Grande-Bretagne. Puis, il est peu concevable que vous ne sachiez pas, où vous auriez accosté avec le bateau alors qu'un ami vous y aurait fait entrer et vous aurait présenté au capitaine. Enfin, soulignons également que quelques informations que vous donnez sur le Nigeria s'avèrent fausses. En effet, le village … ne se situe pas dans l'Etat d'…, mais dans celui d'….
Force est de constater que de telles allégations nous permettent donc de douter de la véracité des faits que vous alléguez et il convient de souligner que ces invraisemblances et contradictions dans votre récit rendent peu crédibles vos motifs de fuite.
En tout état de cause, même à supposer les faits que vous alléguez établis, ils ne sauraient pour autant constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu'ils ne peuvent à eux seuls établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève. En effet, selon vos déclarations vous auriez été un membre actif du MASSOB. Cependant, il ne ressort pas de vos récits quel aurait été votre travail au sein de cette organisation, interdite par le Gouvernement en 2001. Vous indiquez uniquement, de manière assez confuse, que le « provisional leader» convoquait les membres pour les réunions. Plus loin, vous dites que vous devriez informer le « provisional leader» de convoquer les membres pour les réunions. Cependant, vous ne précisez pas qui vous ordonnerait de faire organiser une réunion. En supposant le fait que vous auriez vraiment été membre de cette organisation interdite, il ne ressort pourtant pas de vos déclarations que vous auriez été un membre éminent qui pourrait craindre des persécutions de la part du Gouvernement. En effet, selon le rapport du UK Home Office du 18 janvier 2007, " The "human rights situation has improved since the return to civilian rule in 1999.
However, the Federal Government does not take any chances with any groups that threaten the unity of the country such as MASSOB, whose members will usually be from the Igbo speaking southeast states of Abia, Anambra, Ebonyi, Enugu and Imo. The leadership of MASSOB, i.e. "those that energize and mobilize support for the movement", and those affiliated with the leaders, are at risk of arrest and detention by the authorities on account of their political opinion. Less prominent persons who are affiliated with MASSOB might be at risk of ill-treatment bv the authorities in order to intimidate others. Normally anonymous sympathizers of MASSOB do not draw the adverse attention of the authorities.
If it is accepted that the claimant has had significant political involvement in MASSOB and has previously come to the adverse attention of the authorities, then a grant of asylum is likely to be appropriate. However, the number of such claims is likely to be very small and given the prominence of the individuals concerned the identity and veracity of their claims can be readily verified. Claimants who assert that they have been detained in connection with MASSOB activities for short periods of less than a few days on a limited number of occasions, and have not been seriously ill-treated, will be clearly unfounded. Those claimants who describe low-level activities and have not previously come to the attention of the authorities would not be in need of international protection and such claims will be clearly unfounded." Vos motifs traduisent donc plutôt un sentiment général d'insécurité qu'une crainte de persécution. Or, un sentiment général d'insécurité ne constitue pas une crainte fondée de persécution au sens de la prédite Convention.
Enfin, vous n'apportez en l'espèce aucune raison valable justifiant une impossibilité de vous installer dans une autre région de votre pays d'origine pour ainsi profiter d'une fuite interne. Selon vos déclarations, vous auriez vécu à … avant de venir en Europe, sans avoir rencontré un quelconque problème. En plus, malgré votre prétendu rôle actif au sein du MASSOB, vous n'êtes pas une personnalité d'envergure nationale qui pourrait craindre d'être poursuivi par les autorités gouvernementales.
Ainsi, vous n'alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Une crainte fondée de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social n'est par conséquent pas établie.
En outre, votre récit ne contient pas non plus de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, la situation générale du Nigeria n'est pas telle qu'elle pourrait être qualifiée de « violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international» comme le prévoit l'alinéa c). Ainsi, les faits que vous alléguez ne justifient pas la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire.
Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile; 2) d'un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. Le bénéfice de la protection subsidiaire tel que prévu par la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection doit également vous être refusé.» Par requête déposée en date du 24 décembre 2007, Monsieur … a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation de la décision ministérielle prévisée du 21 novembre 2007.
Etant donné que tant l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2) d’un régime de protection temporaire, que l’article 19 (3) de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, prévoient un recours en réformation en matière de demandes d’asile et de protection subsidiaire déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être introduite contre la décision ministérielle litigieuse.
Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de son recours, le demandeur expose être originaire de la ville de Kano au Nigeria, être de confession chrétienne et appartenir à l’ethnie des …. En tant que sympathisant du « MASSOB » (Movement for the Actualization of the Sovereign State of Biafra), il serait devenu membre à part entière en 1999, sans préjudice quant à la date exacte, du groupement qui soutiendrait la cause de l’indépendance du Biafra et dont il aurait immédiatement été nommé au poste « d’assistant au chef temporaire » avec pour mission d’organiser des réunions d’information. Le demandeur relève plus particulièrement que, lors d’une des réunions dudit mouvement ayant eu lieu le 7 février 2004 à Sablon-Gerri (Kano), l’armée fédérale serait intervenue, se serait emparée des documents appartenant à la section « MASSOB » de Kano et aurait tiré sur la foule présente au meeting. Contrairement à d’autres participants, qui auraient été « tués, arrêtés et traduits en justice », le demandeur aurait pu s’enfuir par une fenêtre et échapper ainsi à une mise en détention sans procès. Après un court séjour dans la ville de Kaduna, il aurait été informé par la « Biafra Intelligence Force » de ce qu’il ne s’y trouverait pas en sécurité et se serait rendu à Lagos vers le 8 février 2004.
Toujours sur information de la « Biafra Intelligence Force », qui lui aurait fait savoir qu’il serait recherché par la police, il aurait quitté le Nigeria avec l’aide d’un certain ….
Quant aux prétendues contradictions et invraisemblances soulevées dans la décision ministérielle, le demandeur souligne tout d’abord avoir été un membre sympathisant du mouvement « MASSOB » jusqu’au moment où une réunion du 4 décembre 2002 du « MASSOB » à Okigwe aurait été dérangée par la police fédérale qui aurait tiré sur de nombreux sympathisants, ce qui l’aurait amené à joindre définitivement le mouvement.
Concernant la question de savoir comment l’armée aurait pu avoir connaissance du fait qu’il aurait participé à la réunion du 7 février 2004, il fait expliquer que lors des réunions du « MASSOB », les participants seraient obligés de présenter et de déposer leur carte de membre au « bureau » pour les récupérer seulement à la fin de la réunion. Lors de l’attaque, l’armée se serait emparée de toutes les cartes de membres ainsi rassemblées, de sorte qu’elle disposerait d’une preuve matérielle de sa participation au meeting.
Le demandeur explique encore que la prétendue confusion en relation avec le nom du « provisional leader » du « MASSOB » de la région de Kano soulevée par le ministre, ne saurait être qualifiée comme telle, dans la mesure où cette personne s’appellerait ….. Le demandeur relève encore que les confusions relatives à la date de création du mouvement « MASSOB » ainsi que celles relatives à son fondateur, seraient uniquement dues à l’état de stress dans lequel il se serait trouvé lors de sa première audition en date du 9 septembre 2004, étant donné que les informations fournies par lui au moment de la deuxième audition correspondraient tout à fait à la réalité. De même, si le Biafra aurait compris cinq Etats de la Fédération du Nigeria au départ, à savoir : « Imo State», « Anambra State », « Cross River State », « River State » et « Enugu State », il y en aurait neuf aujourd’hui, dans la mesure où « Aba aurait fait partie de Imo State, qu’en 1991 l’Etat de Abbia aurait été créé et que par voie de conséquence, la ville de Aba ferait partie intégrante de l’Etat de Abbia, Ebony State, et le Bayesla State, Akwa Ibom State et Delta State » (sic).
Le demandeur reproche ensuite au ministre d’avoir appuyé sa décision de refus uniquement sur des omissions et prétendues contradictions qui n’auraient cependant aucune incidence sur la réalité de sa crainte de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. En effet, en sa qualité d’assistant au chef temporaire du « MASSOB » de la région de Kano, …, il aurait été présent à la réunion du 7 février 2004, raison pour laquelle il serait actuellement recherché par la police fédérale qui ne s’en prendrait pas seulement aux membres influents du « MASSOB », mais également aux simples membres actifs du mouvement qui seraient qualifiés d’opposants à l’unité de la fédération du Nigeria.
Cette crainte serait corroborée par un article de presse du journal « … », selon lequel il aurait été cité lors du procès en cours contre le leader du « MASSOB », …, parmi d’autres militants éminents du « MASSOB », tels que … et …, comme ayant quitté le pays. L’article de presse citerait également l’affirmation de Monsieur …, inspecteur général de la police en charge du dossier que « […] men will arrest and bring them to justice […] ».
Finalement, le demandeur donne à considérer que pour lui, l’histoire de son voyage s’étendrait depuis le départ de la ville de Kano jusqu’en Europe, et qu’au lieu de donner une date de départ exacte, il aurait indiqué « early april » comme moment de départ, de sorte que le voyage se serait fait en deux ou trois semaines, en conformité avec les indications par lui fournies.
Le représentant étatique soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé. A cet égard, il conviendrait de rappeler les sérieux doutes émis quant à la crédibilité des faits allégués par le demandeur en raison des nombreuses contradictions et invraisemblances relevées dans son récit par le ministre et maintenues dans leur totalité. Ainsi, le demandeur, qui prétendrait que tous ses problèmes seraient liés à son affiliation au groupement du « MASSOB », ne serait pas capable d’indiquer de quand exactement daterait son adhésion. En effet, d’un côté, il déclarerait être devenu membre actif en novembre 2003, et, d’un autre côté, il indiquerait que son adhésion aurait eu lieu le 4 décembre 2002, date à laquelle la police serait intervenue lors d’une réunion, et qu’il se serait décidé par la suite de devenir membre à part entière. Même la mandataire de Monsieur … se serait trompée de date en affirmant que ce dernier serait devenu membre en 1999 et que dès son affiliation, il aurait été nommé « assistant au chef temporaire », tandis que plus loin, elle ferait savoir que le demandeur ne serait devenu membre qu’à partir du mois de novembre 2003 et aurait occupé le poste de « assistant provisional leader », ce qui correspondrait exactement à la traduction française du poste d’« assistant au chef temporaire », titre qu’il prétendrait cependant occuper déjà depuis 1999.
Le représentant étatique fait en outre état d’une contradiction importante entre les dires du demandeur et les affirmations de sa mandataire en relation avec la gestion des cartes de membres lors des réunions du groupement. En effet, le demandeur aurait déclaré à la page 6 de son audition du 9 septembre 2004 que : « We only have the member cards at the meetings because of security reasons. The provisioner holds all of the cards between the meetings. At the end of the meetings, you have to return the cards. When you come in, you write your name and receive your card ». Ce mode opératoire rendrait effectivement invraisemblable le fait que la police aurait pu s’emparer de toutes les cartes de membres, qui, d’après la version donnée par le demandeur, auraient dû se trouver entre les mains des membres. En revanche, la mandataire du demandeur affirmerait le contraire en déclarant que “[…] lorsque les membres du MASSOB se réunissent, chacun doit présenter sa carte de membre au bureau. Cette carte est remise aux participants à la fin de la réunion. […] », pour démontrer que les autorités fédérales auraient pu mettre la main sur la carte de membre du demandeur et auraient ainsi eu connaissance de sa participation à la réunion en question. Dans ce contexte, le représentant étatique s’étonne encore du fait que le demandeur aurait disposé soudainement d’une copie d’une « carte de membre du MASSOB », qualifiée de telle par sa mandataire, pour la remettre au tribunal, alors que selon ses propres dires, la Police fédérale du Nigeria la détiendrait. Plus étonnant encore s’avérerait alors le fait que le demandeur, tout en disposant de sa carte de membre, ne se serait pas rappelé la date exacte de son adhésion au groupement. Par contre, si l’on traduisait « membership form » non pas par « carte de membre », mais par « formulaire d’inscription », il y aurait lieu de constater que ce document n’établirait pas l’appartenance du demandeur au « MASSOB ». En plus, il serait surprenant de voir que le demandeur serait en possession de ce document au lieu de l’avoir remis aux autorités du « MASSOB ». Le représentant relève encore un certain nombre de discordances entre les informations contenues sur le document versé et les affirmations du demandeur, telles qu’une orthographie divergente de son adresse et des dates de naissance différentes, ainsi que le fait que l’emblème du « MASSOB », à savoir l’image du lever du soleil, n’y figurerait pas, pour émettre de sérieux doutes quant à l’authenticité de ce document. Pour le surplus, le représentant étatique tient à souligner que le demandeur serait resté en défaut de remettre une pièce d’identité aux autorités luxembourgeoises, de sorte qu’il n’existerait aucune certitude quant à son identité, sa date de naissance ou quant à ses origines.
Le délégué du gouvernement explique en outre qu’en dehors du fait que le demandeur ne serait pas capable de donner la moindre information sur son arrivée en Europe, le lieu d’accostage du bateau ou encore l’endroit où il aurait pris le train en direction de Luxembourg, les informations par lui fournies quant à la date de création du mouvement « MASSOB » et à sa propagation au Nigeria se seraient également avérées fausses. Il s’y ajouterait qu’en tant que soi-disant membre actif éminent, il ignorerait complètement l’hymne national du Biafra ce qui ébranlerait davantage la crédibilité de son récit.
Ensuite, le délégué du gouvernement émet des doutes en relation avec l’authenticité de l’extrait du journal « …» du 17 mai 2006 indiquant que plusieurs membres du « MASSOB », dont le demandeur, auraient été cités en justice. Il relève en effet que la page 15, sur laquelle se trouve l’article en question, serait beaucoup plus longue en hauteur (43 cm) que les autres 44 pages (40,5 cm) de cette édition du « … », que les caractères seraient plus petits sur cette page que sur les autres et qu’ils différeraient en couleur par rapport au reste du journal. En plus, il constate des différences de mise en page du numéro de page et de l’inscription de la date sur la page en question par rapport au reste du journal, de sorte qu’il s’agirait probablement d’un faux.
Le délégué du gouvernement souligne qu’en dehors des doutes émis quant à la crédibilité de son récit, et en supposant établis les faits allégués, le demandeur resterait en défaut de démontrer qu’une crainte raisonnable de persécution existerait qui serait susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine, dans la mesure où il serait incapable de démontrer qu’il serait un membre du « MASSOB » et d’indiquer les raisons pour lesquelles il serait recherché par la police fédérale du Nigeria. Il conviendrait d’ajouter que selon les recherches menées par les autorités luxembourgeoises, la « Biafra Intelligence Force » n’existerait pas.
Le délégué du gouvernement précise que le demandeur aurait indiqué avoir vécu à Lagos, ville qui compterait tout de même environ 9,2 millions d’habitants, avant de venir en Europe, sans y connaître un quelconque problème, de sorte qu’il conviendrait de constater qu’une fuite interne resterait possible.
En dernier lieu, le délégué du gouvernement ajoute qu’un simple sentiment d’insécurité, tel qu’éprouvé par le demandeur, ne justifierait pas non plus la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire définie à l’article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006.
Dans son mémoire en réplique, le demandeur précise que le fait de ne pas se souvenir de la date exacte de son affiliation au « MASSOB » ne serait pas anormal et ne saurait ébranler la crédibilité de son récit et insiste sur les précisions données dans le recours introductif d’instance. En ce qui concerne l’affirmation du gouvernement que l’extrait du journal « … » constituerait vraisemblablement un faux, le demandeur souligne qu’il appartiendrait au ministre d’en apporter la preuve.
L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.
L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
S’il est vrai que les activités dans un mouvement d’opposition interdit, à les supposer établies, peuvent justifier des craintes de persécutions au sens de la Convention de Genève, il n’empêche que la simple qualité d’adhérent à un tel mouvement ne constitue pas à elle seule un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié.
Or, en l’espèce, en dehors des sérieux doutes quant à la crédibilité du récit du demandeur, provoqués par les nombreuses contradictions et lacunes soulevées par le ministre dans sa décision ainsi que par le délégué du gouvernement dans le cadre du recours contentieux et que le demandeur n’a pas vraiment su dissiper par son argumentation, ce dernier reste en défaut d’établir qu’il a véritablement été membre actif du mouvement « MASSOB », voire qu’il y a joué un rôle prépondérant tel qu’il l’affirme. En effet, si le demandeur a certes déclaré avoir joué un rôle actif au sein du mouvement, ses déclarations se limitent néanmoins à faire état de ce qu’il a eu pour mission d’organiser des réunions d’information dans sa qualité « d’assistant au chef temporaire » et d’avoir assisté à ces réunions. Il ne ressort pas de son récit qu’il a été dans une position particulièrement exposée.
Ainsi, il n’a pas fait état d’un état de persécution vécu ou d’une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, en raison de son appartenance au mouvement « MASSOB ». Concernent la réunion précise du 7 février 2004, lors de laquelle l’armée fédérale serait intervenue et aurait eu connaissance de sa participation au « MASSOB », il échet de constater qu’à la suite de cet évènement, à le supposer établi, il n’a pas été arrêté, ni même interpelé par la police, de sorte qu’il faut conclure qu’il n’a pas connu de persécutions au Nigeria, ni de problèmes qui feraient que sa vie au Nigeria lui serait rendue intolérable. Cette conclusion ne saurait être énervée par l’affirmation du demandeur qu’il aurait dû quitter le pays suite à des avertissements donnés par une certaine « Biafra Intelligence Force », organisation dont l’existence n’est pas établie, dans la mesure où cette affirmation est trop vague pour établir un réel danger de persécution dans le chef du demandeur. De même, force est de constater que le tribunal n’est pas en mesure d’accorder une quelconque force probante à l’exemplaire du quotidien « … » du 17 mai 2006 contenant l’article en question, produit par le demandeur à l’appui de ses déclarations, au vu des réserves très précises et circonstanciées émises par le délégué du gouvernement quant à son authenticité.
Pour le surplus, même en admettant que le demandeur risque de faire l’objet d’actes de persécution dans sa région natale du Nigeria, il reste en défaut d’établir concrètement qu’il ne pourrait pas trouver refuge, dans une autre partie de son pays d’origine, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité sans restriction territoriale.
Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef.
Quant au volet de la décision litigieuse portant refus d’accorder le bénéfice du statut conféré par la protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 e) de la loi précitée du 5 mai 2006, peut bénéficier de la protection subsidiaire : « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 (…) ».
L’article 37 de la loi précitée du 5 mai 2006 définit comme atteintes graves : « a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. » Le tribunal est amené à constater que le demandeur n’a pas attaqué ce volet de la décision relative à la protection subsidiaire par des moyens spécifiques, mais qu’il se réfère aux faits et moyens soulevés à l’appui de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.
Or, dans la mesure où le tribunal vient de constater que les craintes invoquées par le demandeur sont basées sur un récit lacunaire et peu crédible, et qu’il n’a pas soumis d’autres éléments plus pertinents au tribunal, il reste également en défaut d’établir qu’il risquerait la peine de mort ou l’exécution, ou bien qu’il risquerait d’être soumis à la torture ou à des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants en cas de retour dans son pays d’origine. Il n’est par ailleurs pas établi que le demandeur risquerait de faire l’objet de menaces graves et individuelles contre sa vie en sa qualité de personne civile en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Au vu de cette conclusion et en l’absence d’autres éléments, c’est à juste titre que le ministre a retenu que le demandeur n’a pas fait état de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’il courrait, en cas de retour dans son pays d’origine, le risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi précitée du 5 mai 2006 et qu’il lui a partant refusé l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 2 e) de la loi précitée du 5 mai 2006.
Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, déclare le recours non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Martine Gillardin, premier juge, Lexie Breuskin, juge, et lu à l’audience publique du 10 septembre 2008 par le premier vice-président, en présence du greffier de la Cour administrative Anne-Marie Wiltzius, greffier assumé.
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