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10/09/2008 | LUXEMBOURG | N°23553

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 septembre 2008, 23553


Tribunal administratif N° 23553 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 octobre 2007 Audience publique du 10 septembre 2008 Recours introduit par les sociétés …, … contre une décision du ministre des Travaux publics en présence de la société … , … en matière de marchés publics

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 23553 du rôle, déposée le 19 octobre 2007 au greffe du tribunal administratif par Maître Eyal Grumberg, avocat à la Cour, inscrit au tablea

u de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des sociétés …, ayant l’une et l’autre leur sièg...

Tribunal administratif N° 23553 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 octobre 2007 Audience publique du 10 septembre 2008 Recours introduit par les sociétés …, … contre une décision du ministre des Travaux publics en présence de la société … , … en matière de marchés publics

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 23553 du rôle, déposée le 19 octobre 2007 au greffe du tribunal administratif par Maître Eyal Grumberg, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des sociétés …, ayant l’une et l’autre leur siège à …, représentées toutes les deux par leurs gérants, sinon par leurs organes statutaires actuellement en fonction, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’un arrêté du ministre des Travaux publics du 24 septembre 2007 portant annulation de l’arrêté n° 87003/015610 du 20 juin 2007 déclarant adjudicataire l’association momentanée …/… … du marché relatif aux travaux de carrelage à exécuter dans l’intérêt de la construction du nouveau Lycée technique … à … et portant adjudication du même marché à l’association momentanée …-… (mandataire …), déclarant avoir pris leur siège à …;

Vu l’ordonnance du 25 octobre 2007 du premier vice-président du tribunal administratif, agissant en remplacement du président légitimement empêché, déboutant les demanderesses de leur demande en sursis à exécution de l’arrêté ministériel précité du 24 septembre 2007 ;

Vu la constitution d’avocat à la Cour de Maître Pierrot Schiltz, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, pour la société … , déposée au greffe du tribunal administratif en date du 26 octobre 2007 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé le 17 janvier 2008 au greffe du tribunal administratif;

Vu le mémoire en réponse déposé le 21 janvier 2008 au greffe du tribunal administratif par Maître Pierrot Schiltz pour le compte de la société … , notifié par téléfax le même jour à Maître Eyal Grumberg;

Vu le mémoire en réplique déposé le 15 février 2008 au greffe du tribunal administratif par Maître Eyal Grumberg pour le compte de la partie demanderesse;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé le 13 mars 2008 au greffe du tribunal administratif;

Vu les pièces versées et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maîtres Martial Barbian, en remplacement de Maître Pierrot Schiltz, et Murielle Zins, en remplacement de Maître Eyal Grumberg, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Marie-Anne Ketter en leurs plaidoiries respectives.

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Dans le cadre d’une soumission publique initiée par le ministre des Travaux publics, dénommé ci-après, « le ministre », en vue « de travaux de carrelage à exécuter dans l’intérêt de la construction du nouveau Lycée technique … à … », la société …, , en abrégé « la société … », agissant en association momentanée avec les sociétés …, avait soumis une offre, tout comme les sociétés …, désignées ci-après par « les sociétés … ».

Le 20 juin 2007, le ministre, prit un arrêté par lequel il adjugea les travaux en question à l'association momentanée constituée par les sociétés … qui s'étaient classées quatrièmes avec un prix de 994.364,14 € et qui avaient remis la meilleure offre entièrement conforme, tandis que l'association momentanée constituée par la société … et ses partenaires s'était classée cinquième avec un prix de 1.000.975,20 €. Par courrier du 26 juin 2007, le ministre informa la société … de ce que son offre n'avait pas pu être prise en considération, faute d'avoir été la meilleure disante.

Par requête déposée le 11 juillet 2007, la société …, agissant tant en son nom personnel qu'en vertu d'un mandat ad litem lui conféré par les membres de l'association momentanée qu'elle avait constituée en vue de la soumission, introduisit un recours tendant à l'annulation de la décision d'attribuer le marché litigieux aux sociétés …, et, par requête déposée le même jour, elle sollicita le sursis à exécution de la décision attaquée dans le recours au fond.

Par ordonnance du 18 juillet 2007, le président du tribunal administratif prononça le sursis à l’exécution de l’arrêté précité du ministre du 20 juin 2007, en considération notamment de ce que le motif tiré de l’insuffisance des effectifs ainsi que du chiffre d’affaires des sociétés … était à considérer comme étant sérieux et que le risque d’un préjudice grave et définitif dans le chef de la société …, en cas d’exécution de la décision d’adjudication attaquée, d’ailleurs non contesté, était également donné.

Par lettre du 12 septembre 2007, le ministre informa les sociétés … qu’il envisagea, suite à l’ordonnance présidentielle du 18 juillet 2007, d’annuler l’arrêté d’adjudication du 20 juin 2007 et d’attribuer le marché litigieux à l’association momentanée …-….

Par arrêté du 24 septembre 2007, le ministre adjugea, en considération de l’ordonnance précitée du président du tribunal administratif du 18 juillet 2007, les travaux litigieux à « l’association momentanée …/… (mandataire …), à … », tout en annulant la décision ministérielle précitée du 20 juin 2007.

Par requête déposée le 19 octobre 2007, inscrite sous le numéro 23553 du rôle, les sociétés … ont introduit un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision d’attribuer le marché litigieux à l’association momentanée (mandataire …), tel que ressortant de la décision ministérielle précitée du 24 septembre 2007 et, par requête déposée le même jour, inscrite sous le numéro 23554 du rôle, elles ont sollicité le sursis à exécution de la décision attaquée dans le recours au fond. Cette demande en sursis à exécution fut rejetée comme non fondée par ordonnance du premier vice-président du tribunal administratif du 25 octobre 2007.

La loi du 30 juin 2003 sur les marchés publics ne prévoit pas la possibilité d’exercer un recours en réformation contre une décision de rejet d’une offre ou une décision d’adjudication, de sorte que seul un recours en annulation est possible contre la décision querellée. Le tribunal administratif n’est donc pas compétent pour connaître du recours en réformation.

Le recours en annulation, par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi, à l’encontre de la décision déférée, est recevable.

A l’audience des plaidoiries, le mandataire de la société … a sollicité le rejet des débats du mémoire en réplique du 15 février 2008 de la partie demanderesse pour ne pas lui avoir été communiqué dans le délai d’un mois, tel que prévu par l’article 5, paragraphe 5 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

L’article 5 de la loi précitée du 21 juin 1999 prévoit en ses paragraphes (5) et (6) que :

« (5) Le demandeur peut fournir une réplique dans le mois de la communication de la réponse, la partie défenderesse et le tiers intéressé sont admis à leur tour à dupliquer dans le mois.

(6) Les délais prévus aux paragraphes 1 et 5 sont prévus à peine de forclusion. Ils ne sont pas susceptibles d’augmentation en raison de la distance. Ils sont suspendus entre le 16 juillet et le 15 septembre ».

Par ailleurs, au vœu de l’article 5 (5) précité, la fourniture du mémoire en réplique dans le délai d’un mois de la communication du mémoire en réponse inclut -

implicitement, mais nécessairement - l’obligation de le déposer au greffe du tribunal et de le communiquer à la partie voire aux parties défenderesses dans ledit délai d’un mois (cf.

trib. adm. 4 mars 2001, n° 11960 du rôle, Pas. adm. 2006, V° Procédure contentieuse n° 453).

En l’espèce, il ressort des éléments du dossier que les mémoires en réponse respectifs des parties défenderesses et tierce intéressée ont été communiqués au mandataire des demanderesses en date des 17 et 21 janvier 2008. Partant le délai d’un mois prévu par le paragraphe 5 de l’article 5 de la loi précitée du 21 juin 1999 a commencé à courir le 21 janvier 2008 et a partant expiré le 21 février 2008.

Dans la mesure où aucune prorogation de délai n’a été demandée au président du tribunal, conformément à l’article 5 (7) de la prédite loi du 21 juin 1999, ni par la force des choses accordée par ce dernier, le dépôt et la communication du mémoire en réplique des demanderesses auraient dû intervenir pour le 21 février 2008 au plus tard.

S’il est vrai que le mémoire en réplique a bien été notifié à la partie défenderesse le 15 février 2008, et partant dans ledit délai, force est de constater que la notification du mémoire en réplique au mandataire de la partie tierce intéressée, la société …, n’est intervenue, selon les affirmations de ladite société, d’ailleurs non contestées par les demanderesses, qu’en date du 28 mars 2008, soit après l’expiration du prédit délai. Par conséquent, à défaut d’avoir été communiqué et déposé dans le délai d’un mois légalement prévu à peine de forclusion, le tribunal est dans l’obligation d’écarter le mémoire en réplique des débats.

Le mémoire en réplique ayant été écarté, le même sort frappe le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé en date du 13 mars 2008, lequel ne constitue qu’une réponse à la réplique fournie.

Quant au fond, les demanderesses font exposer que leur recours serait dirigé à l’encontre de l’arrêté du ministre du 24 septembre 2007 portant retrait du marché public relatif aux travaux de carrelage à exécuter dans le contexte de la construction du Lycée technique … de … dans leur chef, marché qui leur avait pourtant été adjugé par une première décision ministérielle du 20 juin 2007. Les demanderesses précisent qu’après vérification des offres par le bureau d’architectes …, elles se seraient classées quatrièmes avec un prix de 994.364,14 € et auraient soumis la meilleure offre entièrement conforme, tandis que l’association momentanée constituée par la société … et ses partenaires se serait classée en cinquième place seulement. Cependant, suite au recours en annulation introduit par la société … à l’encontre de la décision d’adjudication du 20 juin 2007, et surtout suite à une ordonnance du président du tribunal administratif ordonnant le sursis à exécuter dudit arrêté d’adjudication, le ministre, sans attendre l’issue de l’affaire au fond encore pendante, aurait décidé d’annuler l’arrêté d’adjudication du 20 juin 2007 précité et d’attribuer le marché en question à la société ….

A l’appui de son recours dirigé à l’encontre de la décision d’adjudication initiale du 20 juin 2007, la société … aurait fait valoir qu’alors que l’article 2.2.17 des clauses particulières du dossier de soumission prévoirait qu’au titre des conditions minima de participation à la soumission: « les soumissionnaires doivent présenter un effectif minimum en personnel occupé dans le métier concerné requis pour participer à la soumission : 50 personnes », « un chiffre d’affaires annuel minimum dans le métier concerné requis : 3.650.000 € » et « un nombre minimal de références pour des ouvrages analogues et de même nature : 5 », les sociétés … ne rempliraient pas les conditions minima de participation à la soumission en question, notamment celle relative à l’effectif de personnel occupé dans le métier concerné par la soumission. Les demanderesses font valoir à cet égard que la légalité de la décision ministérielle du 24 septembre 2007 portant annulation de la décision du 20 juin 2007 et adjudication du marché en question à la société …, dans la mesure où elle opérerait un retrait d’une décision administrative créatrice de droits antérieure, serait subordonnée à la condition que cette première décision soit entachée d’illégalité. En se référant à l’ouvrage de P-L Frier (Précis de droit administratif n° 529), les demanderesses exposent que : « les actes créateurs de droit, qu’ils soient individuels ou réglementaires, ne sauraient être remis rétroactivement en cause s’ils sont réguliers. La remise en cause de la stabilité des relations juridiques, l’atteinte à la non-rétroactivité des décisions ne paraissent à priori acceptables que pour assurer le strict respect du principe de légalité, le retrait étant en quelque sorte un substitut de l’annulation contentieuse. » Dans cette même logique, l’article 8 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relavant de l’Etat et des communes, dénommé ci-après « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », permettrait le retrait d’une « telle décision » que pour une des causes qui auraient justifié l’annulation contentieuse de la décision, de sorte que la décision ministérielle du 24 septembre 2007 encourrait l’annulation de ce chef.

En effet, le reproche quant au nombre insuffisant d’effectif de personnel occupé dans le métier concerné serait injustifié, alors qu’elles auraient fourni les documents nécessaires permettant d’établir à suffisance que la société … occuperait 15 personnes et que la société … occuperait 17 salariés. Elles relèvent en outre que leur sous-traitant, à savoir la société … emploierait 21 personnes, de sorte que le nombre requis de 50 employés, fixé par le cahier des charges, serait incontestablement atteint. Les demanderesses, en faisant référence aux affaires … (C-389/92) et … et Commune de … (C-176/98) et Commission C/ République fédérale d’Allemagne (C126-03) de la Cour de Justice des Communautés européennes, désignée ci-après par « la CJCE », soulignent que le droit européen permettrait à un soumissionnaire de se prévaloir des capacités techniques d’autres entités pour justifier de ses capacités économiques et financières, techniques et professionnelles. Pareillement, le Conseil d’Etat français aurait récemment retenu dans un arrêt du 10 mai 2006 (n° 286644 du rôle) que « pour justifier de ses capacités professionnelles, techniques et financières, le candidat peut demander que soient également prises en compte les capacités professionnelles, techniques et financières d’un ou de plusieurs sous-traitants ». Partant, la décision d’adjudication initiale du 20 juin 2007 n’aurait pas été entachée d’illégalité, de sorte que la décision de retrait opérée par le ministre dans son arrêté du 24 septembre 2007 devrait encourir l’annulation pour ne pas être fondé et pour ainsi contrevenir à l’article 8 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.

Elles font encore valoir que les critères de sélection minima constitueraient des critères fixés par le pouvoir adjudicateur et ne seraient destinés qu’à protéger ce dernier contre des entreprises inaptes à exécuter les travaux, de sorte qu’un éventuel écart mineur, contesté en l’espèce, ne porterait pas préjudice à d’autres soumissionnaires.

En dernier lieu, les demanderesses reprochent au ministre d’avoir agi par excès de pouvoir, dans la mesure où l’analyse des intérêts en cause laisserait apparaître une flagrante disproportion entre les motifs invoqués et la mesure prise.

Le délégué du gouvernement rétorque que suite à l’ordonnance présidentielle du 18 juillet 2007, ordonnant le sursis à exécution de la première décision d’adjudication, et vu l’urgence qui commandait de procéder rapidement au travaux de carrelage, dans la mesure où un arrêt prolongé des travaux de carrelage aurait causé des retards considérables sur tout le chantier et alors que l’ouverture du Lycée technique … avait été prévue pour septembre 2008, le ministre aurait décidé d’attribuer le marché en question à la société ….

Quant au moyen tiré de la violation de l’article 8 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, le délégué du gouvernement se réfère au raisonnement contenu dans l’ordonnance de sursis à exécution du 18 juillet 2007 selon lequel « si la doctrine et la jurisprudence admettent qu’un groupement ou une association d’entreprises qui soumet une offre peut prétendre à se faire apprécier sa capacité technique, financière et économique (…) d’une manière consolidée, chaque membre bénéficiant ainsi de la capacité des autres (…) cette faculté ne paraît cependant pas être illimitée, mais dépendre de la preuve qu’une personne qui se prévaut des capacités d’une autre puisse apporter la preuve qu’elle peut disposer matériellement des qualifications des autres, en d’autres mots, qu’elle puisse exercer concrètement une influence dominante sur celles-ci.

Si tel peut être la situation des succursales, voire des filiales, il n’en est pas ainsi en cas de sous-traitance comme cela est le cas en l’espèce ». Le représentant étatique explique que suite à l’ordonnance présidentielle du 18 juillet 2007 ordonnant le sursis à exécution de l’arrêté ministériel du 20 juin 2007 portant adjudication des travaux aux sociétés …, le ministre aurait estimé que cette décision serait entachée d’une cause d’annulation et l’aurait annulée pour cette raison. Le moyen tiré d’une violation de l’article 8 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ne serait dès lors pas fondé.

Quant au reproche d’excès de pouvoir adressé au ministre, le représentant étatique estime qu’il s’agirait d’un moyen purement théorique qui serait difficile à cerner, de sorte qu’il se trouverait dans l’incapacité de prendre position y relativement. En outre, il ne saurait déceler aucune disproportion entre le motif invoqué et la mesure prise, motif qui serait repris de l’ordonnance du 18 juillet 2007, comme l’énoncerait d’ailleurs clairement l’arrêté ministériel du 24 septembre 2007.

Dans son mémoire en réponse, la société … fait référence au règlement grand-

ducal du 7 juillet 2003 portant exécution de la loi du 30 juin 2003 sur les marchés publics et portant modification du seuil prévu à l’article 106 point 10 de la loi communale du 13 décembre 1988, qui prévoit à son article 2 que « les travaux, fournitures et services ne peuvent être adjugés qu’aux personnes qui, au jour de l’ouverture de la soumission, remplissent les conditions légales pour s’occuper personnellement de l’exécution des travaux, de la livraison des fournitures ou de la prestation de services qui font l’objet du contrat », et qui dispose à son article 85 que « le choix de l’adjudicataire ne peut se porter que sur des soumissionnaires qui se trouvent dans les conditions visées à l’article 2 et dont la compétence, l’expérience et les capacités techniques et financières, la situation fiscale et parafiscale, les moyens d’organisation en outillage, matériel et personnel qualifié, le degré d’occupation ainsi que la probité commerciale offrent les garanties pour une bonne exécution des prestations dans les délais prévus. En cas d’entreprise générale, les conditions précitées devront également être remplies par les sous-traitants », pour en tirer la conclusion qu’en cas d’offre collective, chaque membre du groupement d’entreprises formulant l’offre devrait respecter les conditions de participation à la soumission.

Or, selon la société …, les sociétés … ne respecteraient pas individuellement les conditions minima de participation à la soumission prévues par l’article 2.1.17 des clauses particulières du dossier de soumission, notamment celles relatives à l’effectif minimum en personnel occupé dans le métier concerné par le marché de 50 personnes ainsi que celle relative au chiffre d’affaire. En effet, il résulterait des pièces versées par leur mandataire, que les sociétés … n’auraient employé non pas 15, respectivement 17, mais seulement 8, respectivement 7 salariés en 2007.

La partie tierce intéressée soutient encore que les jurisprudences communautaires sur lesquelles s’appuieraient les demanderesses, en vertu desquelles un soumissionnaire pourrait se prévaloir des capacités techniques, professionnelles, économiques et financières d’autres entités pour justifier ses propres capacités en vue de participer à une adjudication publique, ne seraient pas applicables en l’espèce, dans la mesure où elles auraient trait à des directives communautaires relatives aux marchés publics de services, de surcroît abrogées, tandis que la soumission litigieuse sous examen se situerait en la matière d’un marché public de travaux. Elle ajoute que même, à admettre que la jurisprudence communautaire invoquée par les demanderesses soit applicable en l’espèce et que les capacités technique, financière et économique d’un soumissionnaire pourraient être appréciées non pas de manière individuelle, mais de manière consolidée, il appartiendrait toujours aux sociétés … de rapporter la preuve formelle de pouvoir disposer matériellement et concrètement des capacités des autres membres du groupement. Or, tout d’abord, il ne résulterait d’aucune pièce que le sous-traitant des sociétés …, en l’occurrence la société …, emploierait 21 employés, tel qu’affirmé par les demanderesses. En plus, tel qu’il aurait été souligné dans l’ordonnance présidentielle du 18 juillet 2007, la faculté pour un soumissionnaire de faire apprécier de manière consolidée sa capacité économique, technique et financière ne serait pas illimitée, mais dépendrait de la preuve que le soumissionnaire pourrait matériellement disposer des qualifications des autres entités du groupement d’entreprises, preuve qui ne serait pas rapportée en l’espèce. Elle se réfère encore à l’ordonnance du 18 juillet 2007 précitée en vertu de laquelle « il ne paraîtrait en revanche pas que les sous-traitants avec lesquels le soumissionnaire n’a d’autres liens que le contrat de sous-traitance, puissent renforcer la capacité du soumissionnaire au regard des exigences de capacité pour participer à une procédure d’adjudication ». En dernier lieu, la société … souligne que même en admettant que les soumissionnaires … pourraient faire état des capacités en personnel de la société …, encore faudrait-il que les effectifs du sous-traitant soient occupés dans le métier concerné par la soumission litigieuse, en l’occurrence la pose de carrelages. Dans la mesure où l’objet de l’autorisation de commerce décernée à la société … consisterait notamment dans la confection de chapes, la pose de tapis et d’autres revêtements de sol en matière synthétique, et non pas dans la pose de carrelage, le recours serait à déclarer non-fondé sur cette base également.

L’article 8 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 dispose que :

« En dehors des cas où la loi en dispose autrement, le retrait rétroactif d'une décision ayant créé ou reconnu des droits n'est possible que pendant le délai imparti pour exercer contre cette décision un recours contentieux, ainsi que pendant le cours de la procédure contentieuse engagée contre cette décision.

Le retrait d'une telle décision ne peut intervenir que pour une des causes qui auraient justifié l'annulation contentieuse de la décision. » Force est de constater que la motivation sous-tendant la décision ministérielle de retrait litigieuse, tel que se dégageant de l’arrêté déféré du 24 septembre 2007 et de la motivation complémentaire fournie par le délégué du gouvernement, se confond avec le raisonnement contenu dans l’ordonnance présidentielle du 18 juillet 2007.

Pour apprécier le bien fondé de la décision de retrait sous examen, il échet dès lors d’analyser si les raisons sur lesquelles le ministre a fondé sa décision de retrait du 24 septembre 2007 sont de nature à fonder l’annulation de la décision ministérielle d’adjudication initiale du 20 juin 2007. Dans ce contexte, tout comme il a été soulevé dans l’ordonnance du 18 juillet 2007, la question primordiale est celle de savoir si les capacités technique, financière et économique des sous-traitants peuvent être prises en compte dans le cadre de l’appréciation de la capacité technique, financière et économique du soumissionnaire en vue de participer à une soumission.

Dans ce contexte, force est de constater, à l’instar du développement de l’ordonnance présidentielle précitée, qu’il est admis qu’un groupement ou une association d’entreprises qui soumet une offre collective puisse prétendre à faire apprécier sa capacité technique, financière et économique non pas dans le chef de chacun de ses membres pris individuellement, mais d’une manière consolidée, chaque membre bénéficiant ainsi de la capacité des autres (cf. M.-A. Flamme, Commentaire pratique de la réglementation des marchés publics, 6e éd. La Confédération nationale de la construction, tome 1A, p.603, n°3). Cette solution a été retenue pour la première fois dans un arrêt de la CJCE, du 14 avril 1994 (C-389/92 Ballast Nedam Groep), affaire dans laquelle une société holding qui présentait une demande d’agréation d’entrepreneurs dans le cadre d’un marché public de travaux et qui n’exécutait pas elle-même les travaux, mais se prévalait, pour justifier de ses capacités, des références de ses filiales, la CJCE ayant retenu que : « pour l’appréciation des critères auxquels doit satisfaire un entrepreneur lors de l’examen d’une demande d’agréation présentée par une personne morale dominante d’un groupe, [il est permis] de tenir compte des sociétés qui appartiennent à ce groupe, pour autant que la personne morale en cause établit qu’elle dispose effectivement des moyens de ces sociétés qui sont nécessaires à l’exécution des marchés » (cf. Affaire Ballast Nedam Groep précité, point 18).

Dans une affaire ultérieure (C-176/98 Holst Italia SpA), dans laquelle était en cause la directive 92/50/CEE du 18 juin 1992 portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services, la CJCE, en plus de confirmer la jurisprudence Ballast Nedam Groep, à savoir qu’une personne ne peut être écartée d’une procédure de passation d’un marché public de travaux au seul motif qu’elle entend mettre en œuvre, pour exécuter le marché, des moyens qu’elle ne détient pas en propre mais qui appartiennent à une ou plusieurs autres entités qu’elle-même, a nié la nécessité de l’existence d’un lien structurel caractérisé unissant l’entreprise candidate à celle qui détient les capacités nécessaires à l’exécution du marché, auxquelles l’entreprise soumissionnaire fait référence. Dans cette affaire, la société candidate à la soumission se trouvait en effet dans un état de subordination, et non pas dans une position dominante, par rapport à l’entité dont elle se prévalait des références. Depuis cette décision de principe de la CJCE, pour démontrer ses capacités financière, économique et technique en vue d'être admise à participer à une procédure d'appel d'offres, une société est admise à faire état des capacités d'organismes ou d'entreprises auxquels elle est liée par des liens directs ou indirects, de quelque nature juridique qu'ils soient, toujours sous condition toutefois d'établir qu'elle a effectivement la disposition des moyens de ces organismes ou entreprises qui ne lui appartiennent pas en propre et qui sont nécessaires à l'exécution du marché. Il n’existe donc pas d’exigence dans le chef de l’entité qui entend faire état des capacités d’une autre, consistant à pouvoir exercer une influence dominante sur cette dernière.

Par une dernière série d’arrêts, notamment les affaires Ordine degli Architetti (C-

399/989), Siemens et ARGE Telekom (C-314/01) et Commission CE c/ Allemagne (C-

126/03), la CJCE a encore avancé d’un pas en donnant explicitement aux personnes candidates à la participation d’une soumission la possibilité de se prévaloir de leurs sous-

traitants en vue d’établir qu’elles satisfont aux conditions économique, financière et technique de participation à une procédure de passation, solution désormais valable pour tous marchés publics, qu’ils soient de travaux, de fournitures ou de services (voir notamment Juris-Classeur Europe, Marchés Publics, Fascicule 1052, n°122). Le moyen afférent de la société …, consistant à nier l’applicabilité de la jurisprudence communautaire retracée ci-avant dans le cadre de marchés publics de travaux, laisse donc d’être fondé.

Au vu de cette évolution jurisprudentielle, le tribunal est amené à la conclusion que la décision ministérielle du 24 septembre 2007 portant annulation de la décision du 20 juin 2007 et adjudication du marché en question à la société …, doit encourir l’annulation. En effet, dans la mesure où la décision ministérielle du 24 septembre 2007 s’analyse en une décision de retrait d’une décision administrative créatrice de droits, sa légalité est subordonnée à la condition que la première décision d’adjudication, en l’occurrence celle du 20 juin 2007 attribuant le marché litigieux aux sociétés …, soit entachée d’illégalité. Il résulte cependant de l’analyse de la jurisprudence de la CJCE applicable en la matière que les sociétés … ont été en droit de faire valoir les capacités professionnelles, techniques, économiques et financières de leur sous-traitant afin de déterminer si elles disposent des moyens pour exécuter le marché en bonne et due forme.

Dans la mesure où le représentant étatique ne conteste pas par ailleurs le fait que les sociétés …, pris ensemble avec leur sous-traitant, la société …, remplissent les conditions minima de participation à la soumission prévues par l’article 2.1.17 des clauses particulières du dossier de soumission, notamment celle relative à l’effectif minimum en personnel occupé dans le métier concerné par le marché ainsi que celle relative au chiffre d’affaire, mais qu’il se borne à se référer au raisonnement contenu dans l’ordonnance présidentielle du 18 juillet 2007 précitée, et se limite ainsi à douter du principe de la faculté pour un soumissionnaire de se prévaloir des capacités de ses sous-traitants pour participer à un appel d’offre, il y a lieu de constater que le représentant étatique reste en défaut d’avoir démontré à suffisance de droit dans quelle mesure la décision initiale du 20 juin 2007 portant attribution du marché en question aux sociétés … était illégale. Dans ce contexte, le tribunal ne saurait tenir compte des motifs complémentaires développés par la partie tierce intéressée, la société …, dans la mesure où il n’appartient pas à la partie tierce intéressée de fournir la motivation d’une décision ministérielle en lieu et place du ministre, étant constant que ces motifs n’émanent pas de l’autorité ministérielle ayant pris la décision déférée (cf. Cour administrative 20 décembre 2007, n° 22976C du rôle, pas encore publié).

La décision ministérielle du 24 septembre 2007 sous analyse, portant annulation de l’arrêté n° 87003/015610 du 20 juin 2007 déclarant adjudicataire du marché relatif aux travaux de carrelage à exécuter dans l’intérêt de la construction du nouveau Lycée technique … à … l’association momentanée …/… … et portant adjudication du même marché à l’association momentanée …- … est dès lors à annuler pour violation de l’article 8 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.

La société demanderesse réclame encore l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 2.000.- € sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 précitée. Il y a pourtant lieu de constater que les conditions d’application et notamment l’établissement du caractère d’iniquité résultant du fait de laisser les frais non répétibles à charge des demanderesses n’ont pas été rapportées à suffisance comme étant remplies en l’espèce, de sorte qu’il y a lieu de rejeter la demande.

La demande en obtention d’une indemnité de procédure de 2.500.- € sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999, précitée, formulée par la société … est également à rejeter, les conditions légales n’étant pas remplies en l’espèce.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

écarte des débats les mémoires en réplique et duplique ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme;

au fond, le dit justifié;

partant, annule l’arrêté du ministre des Travaux publics du 24 septembre 2007 portant annulation de l’arrêté n° 87003/015610 du 20 juin 2007 déclarant adjudicataire du marché relatif aux travaux de carrelage à exécuter dans l’intérêt de la construction du nouveau Lycée technique … à … l’association momentanée …/… et portant adjudication du même marché à l’association momentanée …- … ;

rejette les demandes en allocation d’une indemnité de procédure formulées tant par les parties demanderesses que par la partie tierce intéressée ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par :

Martine Gillardin, premier juge, Françoise Eberhard, juge, Lexie Breuskin, juge, et lu à l’audience publique du 10 septembre 2008 par le premier juge, en présence du greffier de la Cour administrative Anne-Marie Wiltzius, greffier assumé.

s.Wiltzius s.Gillardin 11


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 23553
Date de la décision : 10/09/2008

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2008-09-10;23553 ?

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