Tribunal administratif Numéro 23450 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 septembre 2007 Audience publique du 10 septembre 2008 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 23450 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 septembre 2007 par Maître Alex Schmitt, avocat à la Cour, assisté de Maître Stéphanie Doeble, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Kinshasa (République démocratique du Congo), de nationalité congolaise, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 8 août 2007 portant refus de sa demande en obtention du statut de réfugié et portant refus de lui accorder le statut de la protection subsidiaire ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 décembre 2007 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 14 janvier 2008 par Maître Alex Schmitt, assisté de Maître Stéphanie Doeble, pour compte du demandeur ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Stéphanie Doeble, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives.
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Le 26 août 2005, Monsieur … … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Le même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur son identité et sur son itinéraire de voyage suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.
En dates des 23 septembre, 31 octobre et 12 décembre 2005, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié.
Par décision du 8 août 2007, envoyée par lettre recommandée en date du 21 août 2007, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, désigné ci-après par « le ministre », informa l’intéressé que sa demande en reconnaissance du statut de réfugié avait été rejetée comme non fondée et que le statut de la protection subsidiaire lui était refusé. Cette décision est libellée comme suit :
« J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration en date du 26 août 2005.
En mains le rapport du Service de Police Judiciaire de la même date et la compilation de rapports d'audition de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration du 23 septembre 2005.
Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous auriez quitté Kinshasa le 20 août 2005 par avion de la compagnie aérienne Hewa Bora en direction de Bruxelles. Vous auriez voyagé avec un passeport congolais, mais vous ignorez à quel nom il aurait été établi parce que vous ne l'auriez jamais eu en mains. Par la suite, une personne vous aurait conduit en voiture au Luxembourg où vous seriez arrivé le 21 août 2005. Vous auriez hébergé pendant plusieurs jours chez une personne africaine avant de déposer votre demande d'asile le 26 août 2005. Vous présentez une attestation de perte de pièce émise le 30 août 2002 à Kinshasa.
Après confrontation du policier ayant procédé à votre déposition vous admettez avoir séjourné en France de janvier à mars 2005 en tant que touriste. Vous dites que votre frère habiterait au Royaume-Uni et que vous auriez voulu le rejoindre, mais que vous auriez été arrêté par la police française. Vous auriez utilisé un document appartenant à votre cousin. En effet, il résulte du prédit rapport de police que vous êtes connu en France sous l'identité de « Hayouba Bazi, né le 27 novembre 1978 ». Par ailleurs, vous admettez également avoir menti sur le fait de ne pas être en possession d'un passeport. Vous revenez sur vos dires et confirmez avoir un passeport congolais établi à votre nom et muni d'un visa Schengen émis par l'ambassade allemande. Or, il résulte des recherches policières que cette ambassade ne vous a jamais émis de visa.
Il résulte de vos déclarations que vous seriez membre du parti politique d'opposition UDPS depuis 1998. Depuis 2000, vous auriez été secrétaire cellulaire chargé de la mobilisation, propagande et presse de la cellule de Bula-Mbemba de la commune de Ngaba/Kinshasa. Vous présentez une carte de membre de l'UDPS établie le 15 janvier 2001 à Kinshasa.
Le 30 juin 2005 l'UDPS aurait organisé des manifestations et des marches contre le report des élections. Les militaires auraient procédé à des arrestations. Ainsi, vous auriez été arrêté avec nombreux autres membres de l'UDPS. Vous auriez été emmenés au « quartier général de la PIR, commune de la Gombe à Kin-Mazière ». Vous y auriez été tabassé et n'auriez rien eu à boire. La cellule aurait été surpeuplée et vous auriez été libéré après deux jours, mais on vous aurait interdit de participer à d'autres manifestations. Après votre libération vous auriez repris votre vie normale et auriez travaillé normalement.
Une semaine plus tard, un grand de la musique congolaise, Francis Katombo, rallié du côté présidentiel serait venu vous faire des propositions alléchantes consistant d'adhérer au parti politique au pouvoir et il vous auriez (sic !) promis un poste dans le prochain gouvernement. Il vous aurait donné une enveloppe, mais vous auriez refusé.
Par la suite, votre femme aurait eu des menaces verbales par ce chanteur et il aurait également contacté le chef hiérarchique de votre femme travaillant chez « Wimbidira Airways ».
Le 30 juillet 2005 vous auriez fait une intervention à la télévision « Antenne A » et auriez déclaré que des arrestations arbitraires auraient eu lieu le 30 juin 2005 contrairement aux dires du gouvernement. Vous auriez également dénoncé le «phénomène du KataKata » qui consisterait dans l'élimination des personnes de l'opposition par le gouvernement en les amputant. Vous auriez également demandé la démission du gouvernement.
Votre cousin, officier colonel auprès de l'ANR (Agence nationale de renseignement) vous aurait dit que vous seriez sur une « liste noire ». Vous auriez eu peur et auriez quitté la RDC. Vous faites également état de quatre autres arrestations lors de manifestations.
La reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d'asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Force est d'abord de constater que vous avez fait de fausses déclarations auprès de la police judiciaire lors du dépôt de votre demande d'asile. Ce n'est qu'après confrontation du policier que vous admettez avoir séjourné et France et d'être en possession d'un passeport. Par ailleurs, vous avez prétendu avoir reçu un visa de la part des autorités allemandes ce qui s'est révélé être faux après recherches faites. Notons que lors de votre audition vous dites avoir obtenu un visa de la part des autorités françaises.
De même vous avez déclaré à la police judiciaire avoir voulu vous rendre au Royaume-
Uni parce que votre frère qui y habiterait aurait fait une crise cardiaque. Vous dites avoir utilisé le passeport de votre cousin. En audition pourtant, vous prétendez avoir voulu vous rendre au Royaume-Uni parce que votre oncle maternel serait décédé et vous n'y dites pas avoir voyagé avec le passeport de votre oncle.
Notons également qu'il est peu convaincant que vous soyez retourné en RDC en mars-avril 2005 alors que vous ayez déjà prolongé illégalement votre séjour en Europe pour de nouveau quitter Kinshasa en août 2005. Vous n'êtes par ailleurs pas en mesure de prouver votre retour en RDC en mars-avril 2005.
Quoi qu'il en soit et même à supposer les faits que vous alléguez comme établis alors que vous n'apportez aucune preuve de ces derniers, ils ne sauraient, en eux-mêmes, constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1 er, section 1, § 2 de la Convention de Genève. En effet, vous dites avoir été arrêté le 30 juin 2005 et amené au « quartier général de la PIR, commune de la Gombe à Kin-Mazière » parce que vous auriez participé à une manifestation ayant eu lieu le 30 juin 2005. Il y a d'abord lieu de soulever que le « quartier général » de la PIR (Police d'Intervention Rapide) n'est pas situé à la commune de la Gombe, ni dans les locaux dits de Kin-Mazière, mais l'état-
major de la PIR se trouve avenue Victoire dans la commune de Kasa-Vubu. Des doutes quant à cette arrestation doivent donc être émis. A cela s'ajoute que vous dites avoir été relâché après deux jours. Même à supposer votre arrestation comme établie, elle n'est pas d'une gravité telle pour fonder à elle seule une demande en obtention du statut de réfugié. Vous faites état d'autres arrestations lors de manifestations, sans pour autant vous attarder sur ces dernières. Elles ne sauraient davantage fonder une demande en obtention du statut de réfugié.
Les menaces dirigées contre votre femme par un musicien connu ne peuvent également pas établir une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève.
Vous dites avoir fait une intervention sur une chaîne télévisée privée critiquant le gouvernement en place et demandant sa démission. Votre cousin, travaillant à l'ANR vous aurait dit que vous seriez sur une liste noire. Vous ne faites pas état de problèmes concrets et dites avoir quitté la RDC. Or, de simples craintes hypothétiques qui ne sont basées sur aucun fait réel ou probable ne sauraient cependant constituer des motifs visés par la Convention de Genève. Vos motifs traduisent plutôt un sentiment général d'insécurité qu'une crainte de persécution. Or, un sentiment général d'insécurité ne constitue pas une crainte fondée de persécution au sens de la prédite Convention.
Enfin, il faut également soulever que la situation politique a changé en RDC depuis votre départ en 2005. En effet, on assiste à un réel effort de la part du pouvoir en place de rétablir la paix et de former un gouvernement démocratique à représentation géographique et ethnique. Ainsi, le 16 décembre 2002 un Accord Global sur le partage du pouvoir fut signé afin de créer un gouvernement d'unité nationale au terme duquel le président Joseph Kabila demeurera à son poste et ce, jusqu'à la tenue des premières élections libres et démocratiques. Durant la transition M. Kabila a été assisté par quatre vice-présidents, représentant respectivement le gouvernement, le Rassemblement congolais pour la démocratie-Goma (RDC-Goma), le Mouvement de libération du Congo (MLC) et l'opposition politique non armée. Nombreux progrès ont été réalisés durant la transition. Ainsi, une nouvelle Constitution adoptée par référendum ayant eu lieu en décembre 2005 a été promulguée le 17 février 2006 et une loi électorale en date du 9 mars 2006. Au terme d'élections présidentielles ayant eu lieu les 30 juillet 2006 et 29 octobre 2006 dans un environnement généralement calme, marquées seulement par quelques incidents isolés, Joseph Kabila fût élu président. Des députés ont également été élus au parlement.
Ainsi, vous n'alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Une crainte fondée de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social n'est par conséquent pas établie.
En outre, votre récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits invoqués à l'appui de votre demande ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
En effet, vous ne faites pas état d'un jugement ou d'un risque de jugement vous condamnant à la peine de mort. Vous ne faites également pas état de risques concrets et probables de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants en cas de retour en RDC ou de risques émanant d'une violence aveugle résultant d'un conflit armé interne ou international.
Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile ; 2) d'un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. Le bénéfice de la protection subsidiaire tel que prévu par la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection doit également vous être refusé. (…) ».
Par requête déposée le 21 septembre 2007 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 8 août 2007.
Etant donné que tant l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile; 2) d'un régime de protection temporaire, que l’article 19 (3) de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après désignée par « la loi relative au droit d’asile », prévoient un recours en réformation en matière de demandes d’asile et de protection subsidiaire déclarées non fondées, une demande en réformation a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable.
Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de son recours, le demandeur déclare être de nationalité congolaise et qu’il aurait fait l’objet de persécutions ainsi que de menaces dans son pays d’origine en raison de ses activités politiques au sein du parti politique d’opposition UDPS (Union pour la démocratie et le progrès social), parti dont il serait membre depuis 1998 et au sein duquel il aurait exercé la fonction de « secrétaire cellulaire chargé de la mobilisation, propagande et presse de la cellule de Buba-Mbemba dans la commune de Ngaba/Kinshasa ». Ainsi, il fait état d’une arrestation qualifiée d’arbitraire dont il aurait fait l’objet en date du 30 juin 2005, à la suite de sa participation à une manifestation publique dirigée contre le gouvernement en place. Au cours de cette arrestation, ensemble avec d’autres membres de son parti et de sa détention, qui aurait duré deux jours, il aurait été « séquestré et tabassé plusieurs fois » dans un lieu qu’il qualifie d’insalubre et où il aurait été privé de nourriture et de boissons. Le demandeur fait encore préciser qu’à la suite de son arrestation en date du 30 juin 2005, il aurait continué son action politique, en n’hésitant pas à faire des déclarations publiques sur une chaîne de télévision privée, qui figurerait parmi les plus populaires de la République démocratique du Congo. Ainsi, il serait connu pour « son franc parler et sa position de secrétaire dans le parti de l’UDPS ». Dans ce contexte, le demandeur fait encore valoir que cette arrestation aurait constitué le début d’une série d’actes de persécution dirigés contre sa famille par le pouvoir en place dans son pays d’origine, en soutenant que par la suite des menaces verbales auraient été proférées à l’égard de son épouse et de ses enfants. Il soutient encore figurer sur une « liste noire » qui aurait été dressée par « l’Agence nationale de renseignements », en faisant état de ce que ledit service de renseignements continuerait à arrêter arbitrairement des membres de son parti politique. En se basant sur les faits précités, le demandeur estime qu’il ferait valablement état d’une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève. Le demandeur se réfère en outre à différents rapports d’organisations internationales pour soutenir que les droits de l’homme ne seraient pas toujours respectés dans son pays d’origine et que ce dernier ne saurait être considéré comme un pays suffisamment sûr dans son chef.
Dans sa requête introductive d’instance, le demandeur fait encore prendre position par rapport aux prétendues contradictions et incohérences relevées par le ministre dans la décision sous analyse.
En droit, le demandeur reproche au ministre d’avoir fait une appréciation erronée des faits de l’espèce et de ne pas avoir tiré les conséquences qui se seraient imposées des persécutions qu’il aurait subies.
Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur. Il fait tout d’abord ressortir des différences entre le récit présenté par le demandeur auprès de la police judiciaire et le récit qu’il aurait présenté à l’agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration qui a procédé à son audition, pour en conclure que le demandeur aurait fait de fausses déclarations auprès de la police judiciaire, de sorte que son récit serait incrédible. Le représentant étatique doute encore de la réalité de la prétendue arrestation du demandeur en date du 30 juin 2005, en relevant que le demandeur n’aurait pas été en mesure d’indiquer l’adresse exacte de l’état major de la police d’intervention rapide où il aurait été détenu, en mettant encore en doute la réalité « d’autres arrestations » auxquelles le demandeur a fait référence au cours de ses auditions par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration, du fait qu’il n’aurait fourni aucun détail précis quant à ces autres arrestations. En outre, en ce qui concerne la prétendue inscription du demandeur sur une « liste noire », le délégué du gouvernement relève que le demandeur n’aurait fait état d’aucun problème concret qu’il aurait eu en raison de ladite inscription, de sorte que celle-ci ne saurait justifier une crainte valable de persécution au sens de la Convention de Genève.
D’une manière générale, le représentant étatique soutient que le demandeur ferait essentiellement état de craintes purement hypothétiques, de sorte qu’il y aurait lieu de conclure à l’existence d’un sentiment général d’insécurité dans son chef, excluant toute crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Concernant la situation politique générale existant actuellement en République démocratique du Congo, le représentant étatique estime que cette situation se serait normalisée à la suite des élections, en relevant qu’une nouvelle Constitution aurait été adoptée par voie de référendum au mois de décembre 2005, avec une promulgation en date du 17 février 2006 et le vote d’une loi électorale en date du 9 mars 2006. Il soutient encore que des élections présidentielles auraient pu se tenir en date des 30 juillet 2006 et 29 octobre 2006 dans un « environnement généralement calme ».
Dans son mémoire en réplique, le demandeur fait contester la conclusion du délégué du gouvernement suivant laquelle il aurait fourni de fausses informations à la police judiciaire, en fournissant des éléments d’explication afférents.
Il conteste encore l’existence d’un sentiment général d’insécurité dans son chef, en soutenant qu’il aurait à bon droit pu faire état d’une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève au vu des faits par lui soumis au ministre. Il soutient encore ne pas pouvoir bénéficier d’une protection appropriée dans son pays d’origine, étant donné que les persécutions qui auraient été dirigées à son encontre auraient été initiées par des membres des services spéciaux de la police nationale congolaise.
Le demandeur conteste également la conclusion du délégué du gouvernement suivant laquelle la situation politique en République démocratique du Congo se serait normalisée à la suite des récentes élections, en insistant sur un prétendu « usage excessif de la force » de la part des services de police afin d’étouffer les manifestations publiques, tels que ces faits ressortiraient de différents rapports établis par des organismes internationaux.
Aux termes de l’article 1er, section A, 2 de la Convention de Genève, la notion de « réfugié » s’applique à toute personne « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinons politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité, et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels évènements, ne peut ou en raison de ladite crainte ne veut y retourner. » En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social au sens de l’article de l’article 1er, section A, 2 de la Convention de Genève.
Une crainte de persécution au sens de l’article 1er, section A, 2 de la Convention de Genève, doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions. Or, force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal.
En effet, la crainte de persécutions invoquée par le demandeur est fondée essentiellement sur un fait, à savoir son arrestation en date du 30 juin 2005 et l’emprisonnement subséquent de deux jours. Ce fait, qui est certes condamnable, constitue cependant un fait isolé qui n’est pas d’une gravité telle que la vie du demandeur lui serait rendue intolérable en cas de retour dans son pays d’origine. Il échet de relever dans ce contexte que d’après les propres dires du demandeur, cette arrestation a eu lieu au cours d’une manifestation publique au cours de laquelle de nombreuses autres personnes, dont des membres de son parti politique d’opposition, avaient été arrêtées, de sorte qu’il y a lieu de constater que cette mesure n’a pas été dirigée concrètement et individuellement contre le seul demandeur. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces et éléments du dossier que le demandeur ait exercé une fonction au sein du parti politique UDPS à tel point importante qu’il doive être considéré comme étant particulièrement exposé à des mesures de persécution de la part du pouvoir actuellement en place dans son pays d’origine. Cette conclusion n’est pas énervée par le fait non autrement établi en cause suivant lequel, d’après le récit du demandeur, il aurait fait des déclarations publiques à une chaîne privée de télévision, émission au cours de laquelle des personnes non autrement définies auraient été interrogées notamment quant à leurs opinions politiques, étant donné qu’il ne ressort pas des explications du demandeur lui-même qu’il aurait été interrogé à cette occasion en sa qualité de membre actif de son parti politique.
De plus, une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève doit nécessairement reposer sur des éléments suffisants desquels il se dégage que considéré individuellement et concrètement le demandeur risque de subir des persécutions. De simples craintes hypothétiques ne sauraient justifier l’obtention du statut de réfugié.
En l’espèce, le demandeur déduit de la prétendue inscription de son nom sur une liste qualifiée de « liste noire » qui serait tenue par les services spéciaux de la police nationale congolaise qu’il risquerait désormais d’être persécuté dans son pays d’origine.
Abstraction faite de ce que le demandeur n’a soumis ni au ministre ni au tribunal un quelconque élément de preuve permettant d’établir la réalité de ce fait, c’est à bon droit que le délégué du gouvernement a relevé que le demandeur n’a fait état d’aucun élément de persécution dont il aurait fait l’objet en raison de son inscription sur ladite « liste noire ». Par conséquent, aucun élément du dossier ne permet d’établir concrètement et de façon probable que le demandeur serait actuellement recherché ou persécuté dans son pays d’origine pour l’un des motifs prévus à l’article 1er, A.2 de la Convention de Genève. La peur du demandeur s’analyse partant en une crainte hypothétique, fondée essentiellement sur des évènements futurs éventuels et ne constitue ainsi pas une crainte de persécution au sens de l’article 1er, section A, 2 de la Convention de Genève.
En outre, le demandeur reste en défaut d’établir l’existence voire la persistance d’un risque individualisé de persécution dans son chef, au vu du changement de la situation politique intervenue dans son pays d’origine depuis son départ.
Les autres craintes invoquées par le demandeur, relatives à la situation politique générale en République démocratique du Congo, s’analysent en l’expression d’un sentiment général d’insécurité insuffisant pour fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.
Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte fondée de persécution susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef.
Quant au volet de la décision litigieuse portant refus d’accorder le bénéfice du statut conféré par la protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 e) de la loi relative au droit d’asile, peut bénéficier de la protection subsidiaire : « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si il était renvoyée dans son pays d’origine ou dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 (…) ».
L’article 37 de la loi relative au droit d’asile définit comme atteintes graves : « a) la peine de mort ou l’exécution ; ou 2) la torture ou les traitements inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; 3) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Le tribunal est amené à constater qu’à l’appui de sa demande tendant à se voir reconnaître un statut de protection subsidiaire, le demandeur fait essentiellement état de la prétendue situation politique instable dans son pays d’origine, qui rendrait tout retour dans son chef impossible, en faisant ressortir sa qualité de secrétaire d’une cellule au sein du parti d’opposition UDPS ainsi que la continuation de ses activités politiques au Luxembourg.
Or, le tribunal vient de constater que la crainte invoquée par le demandeur est fondée, d’un côté, sur un fait isolé, dont la gravité n’est pas telle que sa vie lui serait rendue intolérable, en cas de retour dans son pays d’origine, et, de l’autre côté, sur des craintes hypothétiques. De plus, le demandeur, à part le fait qu’il se réfère d’une manière générale et vague à la situation politique régnant actuellement dans son pays d’origine, n’établit ni qu’il risquerait la peine de mort ou l’exécution, ni qu’il risquerait d’être soumis à la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants en cas de retour dans son pays d’origine. Il n’est par ailleurs pas établi que le demandeur risquerait de faire l’objet de menaces graves et individuelles contre sa vie en sa qualité de personne civile en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Au vu de cette conclusion et en l’absence d’autres éléments, c’est à juste titre que le ministre a retenu que le demandeur n’a pas fait état de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’il courrait, en cas de retour dans son pays d’origine, le risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi relative au droit d’asile et qu’il lui a partant refusé l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 2 e) de la loi relative au droit d’asile.
Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
déclare irrecevable le recours en annulation ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président Martine Gillardin, premier juge, Lexie Breuskin, juge, et lu à l’audience publique du 10 septembre 2008 par le premier vice-président, en présence du greffier de la Cour administrative Anne-Marie Wiltzius, greffier assumé.
Wiltzius Schockweiler 11