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10/09/2008 | LUXEMBOURG | N°23427,23843

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 septembre 2008, 23427,23843


Tribunal administratif Nos 23427 et 23843 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrits respectivement les 14 septembre et 19 décembre 2007 Audience publique du 10 septembre 2008

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Recours formés par Madame …, …contre une décision de la secrétaire d’Etat à la Culture, à l’Enseignement supérieur et à la Recherche en matière d’inscription au registre des diplômes

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JUGEMENT

I.

Vu la requête, inscrite sous le numéro 23427 du rôle, déposée le 14 septembre 20

07 au greffe du tribunal administratif par Maître Véronique Hoffeld, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’O...

Tribunal administratif Nos 23427 et 23843 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrits respectivement les 14 septembre et 19 décembre 2007 Audience publique du 10 septembre 2008

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Recours formés par Madame …, …contre une décision de la secrétaire d’Etat à la Culture, à l’Enseignement supérieur et à la Recherche en matière d’inscription au registre des diplômes

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JUGEMENT

I.

Vu la requête, inscrite sous le numéro 23427 du rôle, déposée le 14 septembre 2007 au greffe du tribunal administratif par Maître Véronique Hoffeld, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à …, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du 12 juin 2007 émanant de la secrétaire d’Etat à la Culture, à l’Enseignement supérieur et à la Recherche, refusant l’inscription au registre des titres d’enseignement supérieur du « Diplôme Esmod Styliste/Modéliste » conféré à Madame … par « Esmod International, Private Modeschule für Stylisten und Modelisten in Berlin» ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 21 novembre 2007 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 19 décembre 2007 par Maître Véronique Hoffeld au nom de Madame … ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 11 janvier 2008 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

II.

Vu la requête, inscrite sous le numéro 23843 du rôle, déposée le 19 décembre 2007 au greffe du tribunal administratif par Maître Véronique Hoffeld, préqualifiée, au nom de Madame …, préqualifiée, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du 24 octobre 2007 émanant de la secrétaire d’Etat à la Culture, à l’Enseignement supérieur et à la Recherche, refusant l’inscription au registre des titres d’enseignement supérieur du « Diplôme Esmod Styliste/Modéliste » conféré à Madame … par « Esmod International, Ecole supérieure des arts et techniques de la mode, Paris» ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 29 janvier 2008 ;Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 27 février 2007 par Maître Véronique Hoffeld au nom de Madame … ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 20 mars 2008 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

I. et II.

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Marie-Laure Carat, en remplacement de Maître Véronique Hoffeld, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Guillou-Jacques en leurs plaidoiries respectives.

________________________________________________________________________

Le 19 mai 2003, Madame … se vit décerner le « Diplôme Esmod, Spezialisation 3.

Jahr DOB » attestant que « Frau … absolvierte die Formationen Stilismus und Modelismus mit großem Erfolg » par « Esmod International, Private Modeschule für Stylisten und Modelisten, Berlin ».

Le 7 septembre 2007, « Esmod International, Ecole Supérieure des Arts et Techniques de la Mode, Paris », établie et ayant son siège à Paris, certifia à Madame … qu’elle « est reconnue apte à exercer la profession de Styliste-Modéliste après trois années à Esmod Paris et Esmod Berlin ».

Le 29 mars 2007, Madame … présenta au ministère de la Culture, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, dénommé ci-après « le ministère », une demande tendant à l’inscription de son diplôme délivré par « Esmod International, Private Modeschule für Stylisten und Modelisten, Berlin » du 19 mai 2003 au registre des titres d’enseignement supérieur. Dans ce contexte, elle sollicita plus précisément l’autorisation de porter le titre de « Styliste/Modéliste diplômée ».

Le 13 septembre 2007, Madame … présenta au ministère une demande tendant à l’inscription de son diplôme délivré par « Esmod International, Ecole Supérieure des Arts et Techniques de la Mode, Paris» du 7 septembre 2007 au registre des titres d’enseignement supérieur et sollicita l’autorisation de porter le titre de « Styliste/Modéliste diplômée ».

Par deux décisions prises le 12 juin, respectivement, le 24 octobre 2007, la secrétaire d’Etat à la Culture, à l’Enseignement supérieur et à la Recherche, ci-après dénommée « la secrétaire d’Etat », sur avis défavorable de la commission des titres d’enseignement supérieur du 6 juin 2007, refusa l’inscription desdits diplômes au registre des titres d’enseignement supérieur.

La décision de refus du 12 juin 2007 est motivée comme suit:

« En réponse à votre demande du 29 mars 2007 concernant l’inscription au registre des titres de votre diplôme ESMOD qui vous a été décerné par la « ESMOD International, Private Modeschule für Stylisten und Modelisten in Berlin », j’ai l’honneur de vous faire savoir que la Commission des Titres a avisé votre dossier lors de sa réunion du 6 juin 2007.

La Commission constate que l'institution ayant délivré le diplôme ci-dessus ne possède pas le statut d'un établissement d'enseignement supérieur reconnu conformément aux dispositions légales régissant l'enseignement supérieur en Allemagne, le titre conféré par cet établissement ne peut de ce fait pas être considéré comme un grade d'enseignement supérieur délivré au sens des dispositions de l'article 1er de la loi du 17 juin 1963 ayant pour objet de protéger les titres d'enseignement supérieur. Je me rallie à cet avis. En conséquence, votre diplôme ESMOD ne sera pas inscrit au registre des titres d'enseignement supérieur (…). » La décision du 24 octobre 2007est libellée de façon suivante :

« En réponse à votre demande du 13 septembre 2007 concernant l’inscription au registre des titres de votre diplôme ESMOD qui vous a été décerné par la « ESMOD International, Ecole Supérieure des Arts et techniques de la Mode, Paris », j’ai l’honneur de vous faire savoir que la Commission des Titres a avisé votre dossier lors de sa réunion du 17 octobre 2007.

La Commission constate que l'institution ayant délivré le diplôme ci-dessus ne possède pas le statut d'un établissement d'enseignement supérieur reconnu conformément aux lois et règlements régissant l'enseignement supérieur en France, le titre conféré par cet établissement ne peut de ce fait pas être considéré comme un grade d'enseignement supérieur délivré au sens des dispositions de l'article 1er de la loi du 17 juin 1963 ayant pour objet de protéger les titres d'enseignement supérieur. Je me rallie à cet avis. En conséquence, votre diplôme de l'ESMOD International ne sera pas inscrit au registre des titres d'enseignement supérieur (…). » Par requête déposée le 14 septembre 2007, Madame … a introduit un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision prévisée du 12 juin 2007.

Par une seconde requête déposée le 19 décembre 2007, Madame … a encore introduit un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision prévisée du 24 octobre 2007.

Dans la mesure où les deux recours introduits concernent les mêmes parties et qu’ils visent des décisions de la secrétaire d’Etat des 12 juin, respectivement 24 octobre 2007 poursuivant un objet identique, à savoir l’inscription au registre des titres de l’enseignement supérieur de diplômes déférés par l’établissement d’enseignement « Esmod International », il convient, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, de joindre les deux recours introduits sous les numéros 23427 et 23843 du rôle et d’y statuer par un seul et même jugement.

Comme l’article 4 de la loi modifiée du 17 juin 1963 ayant pour objet de protéger les titres d’enseignement supérieur, dénommée ci-après « loi du 17 juin 1963 », prévoit un recours de pleine juridiction en la matière, le tribunal est compétent pour connaître des recours principaux en réformation dirigés contre les décisions précitées des 12 juin et 24 octobre 2007. Il s’ensuit que les recours subsidiaires en annulation sont irrecevables.

Les recours en réformation ayant par ailleurs été introduits dans les formes et délai de la loi, ils sont recevables.

A l’appui de ses recours, la demanderesse fait exposer qu’elle aurait obtenu son diplôme la reconnaissant apte à exercer la profession de styliste-modéliste après avoir suivi un cursus de trois années de formation, correspondant à un total de 2.720 heures de cours, dont elle aurait effectué la première année à Paris et les deux années suivantes à Berlin, où l’école « Esmod International » disposerait également d’un établissement.

En lui refusant la possibilité de voir reconnaître sa qualification professionnelle au Luxembourg, la commission des titres d’enseignement supérieur, tout comme la secrétaire d’Etat, l’empêcheraient de trouver un emploi correspondant à sa qualification professionnelle et rémunéré de manière adéquate. Dans ce contexte, elle précise qu’elle se serait inscrite à l’établissement en question en l’année 2000 alors qu’elle en aurait eu connaissance à la Foire de l’Etudiant organisée à Luxembourg par le Centre de Documentation et d’Information sur l’Enseignement Supérieur (CEDIES) qui constituerait un service du département de l’enseignement supérieur du ministère.

Quant à la motivation des décisions sous examen, et plus précisément en ce qui concerne l’argument de la secrétaire d’Etat que ni l’établissement allemand, ni l’établissement français ne posséderaient le statut d’un établissement d’enseignement supérieur reconnu conformément aux dispositions légales régissant l’enseignement supérieur en Allemagne respectivement en France, la demanderesse fait valoir tout d’abord qu’« Esmod International » implanté à Berlin ne constituerait qu’un établissement étranger de l’établissement d’enseignement supérieur « Esmod International » situé à Paris, et que le diplôme déféré par « Esmod International » Berlin correspondrait donc en fait à un diplôme déféré par « Esmod International » Paris, reconnu en France comme un établissement d’enseignement supérieur. A cet égard, la demanderesse précise que le ministère se serait renseigné auprès de l’« ENIC-NARIC France CIEP » qui aurait fourni l’information que « le diplôme est certifié et homologué au répertoire national de la commission nationale de la certification rattachée auprès du Premier Ministre (Fillon) au niveau III, c’est-à-dire au niveau BTS ». Dans la mesure où cette réponse ne lui aurait jamais été communiquée et qu’en plus aucune information ne lui aurait été fournie quant aux dispositions légales sur base desquelles les décisions litigieuses auraient été prises, il y aurait lieu de considérer que lesdites décisions auraient été prises en violation de l’article 12 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relative à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, désigné ci-après par le « règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ». Etant donné qu’Esmod International Paris serait inscrit au « Répertoire National des Certifications Professionnelles » et donc reconnu par l’Etat français et que le diplôme décerné par cet établissement serait certifié et homologué au niveau BTS, la secrétaire d’Etat aurait dû procéder à l’inscription du diplôme au registre des titres de l’enseignement supérieur, ce en application de l’article 1er de la loi du 17 juin 1963 et de la Convention du 11 avril 1997 sur la reconnaissance des qualifications relatives à l’enseignement supérieur dans la région européenne.

Le délégué du gouvernement rétorque que concernant la présence d’Esmod International à la Foire de l’Etudiant organisée annuellement par le Centre de Documentation et d’Information sur l’Enseignement Supérieur, celle-ci relèverait de l’obligation qui serait faite à cette administration d’informer les étudiants luxembourgeois sur toutes les possibilités d’études supérieures qui leur sont offertes, ceci dans le respect de l’article 23 de la Constitution qui stipulerait que « […] chacun est libre de faire ses études dans le Grand-Duché ou à l’étranger et de fréquenter les universités de son choix ». Il serait cependant de la responsabilité de l’étudiant de s’informer sur les critères de reconnaissance des diplômes qu’il entendrait préparer ainsi que sur les perspectives de débouchés professionnels.

Quant à la tentative de Madame … de faire croire qu’en refusant d’inscrire son titre, « la Commission des Titres et la Secrétaire d’Etat l’empêcheraient de trouver un emploi correspondant à sa qualification professionnelle et donc rémunéré en conséquence», le représentant étatique tient à préciser que l’inscription au registre des titres d’enseignement supérieur aurait comme seul but de protéger les titres d’enseignement supérieur, c’est-à-dire de conférer au titulaire d’un diplôme inscrit l’autorisation de porter ce titre en public, l’inscription au registre des titres ne règlerait pas pour autant l’accès à une profession. Par ailleurs, dans la mesure où la profession de styliste/modéliste constituerait une profession non réglementée au Luxembourg, l’accès y serait libre et le diplôme pour y accéder serait au libre choix de l’employeur.

En droit, le délégué du gouvernement rappelle que conformément aux dispositions de l’article 1er de la loi du 17 juin 1963, un titre serait inscrit au registre des titres d’enseignement supérieur s’il était délivré conformément aux lois et règlements du pays où le grade a été conféré. Or, d’après les informations obtenues par courrier du 24 avril 2007 de la « Zentralstelle für Ausländisches Bildungswesen der ständigen Konferenz der Kultusminister der Bundesrepublik Deutschland », « Esmod International » ne serait pas un établissement reconnu par les autorités allemandes en ce que « […] handelt es sich bei der Modeschule Esmod um eine private, staatlich nicht anerkannte Schule, die keine Hochschulausbildung anbietet, sondern deren Ausbildungen eher Berufsfachschulen zuzuordnen wären. Die Ausbildungszeit beträgt i.d.R. drei Jahre im Vollzeitunterricht, bei dem Abschlusszeugnis handelt es sich um ein schulinternes Abschlussdiplom. » En outre, et contrairement à l’argumentaire de la partie demanderesse, selon les informations de l’« ENIC NARIC France » « Esmod International Paris » ne serait pas un établissement d’enseignement supérieur reconnu par les autorités françaises : « Esmod est un établissement légalement ouvert, mais qui ne bénéficie pas d’une reconnaissance par l’Etat ». Pour le surplus, la procédure d’inscription au Répertoire National des Certifications Professionnelles, auquel le diplôme de la demanderesse serait effectivement enregistré, aurait remplacé la procédure d’homologation. Il s’agirait d’une classification par niveaux et par spécialités, des titres délivrés par des organismes qui en feraient la demande. Cependant, le fait qu’un diplôme y serait inscrit n’équivaudrait pas à un visa de l’Etat. Finalement, le fait que le diplôme de Madame … serait homologué au niveau III, équivalent à un niveau BTS (BAC + 2), n’aurait aucune incidence sur une éventuelle inscription au registre des titres, étant donné que pour qu’un titre d’enseignement supérieur puisse être inscrit au registre des titres, il faudrait qu’il sanctionne des études d’au moins trois ans. Dans ce contexte, la Convention de Lisbonne du 11 avril 1997 sur la reconnaissance des qualifications relatives à l’enseignement supérieur n’aurait pas de valeur contraignante, mais se contenterait de donner un cadre qui aiderait à diffuser l’idée qu’un diplôme ou une période d’études accomplie avec succès dans un pays signataire aurait la même valeur que son équivalent dans un autre Etat signataire. En ce qui concernerait la violation alléguée de l’article 12 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, le délégué du gouvernement fait valoir que par la décision de refus du 24 octobre 2007, la secrétaire d’Etat aurait informé la demanderesse que la base de la décision de refus serait à trouver dans le fait que l’établissement émetteur du diplôme ne serait pas reconnu en France et que le titre ne pourrait de ce fait pas être considéré comme grade d’enseignement supérieur délivré au sens des dispositions de la loi du 17 juin 1963. Ainsi le recours en réformation serait à rejeter comme non fondé.

Dans son mémoire en réplique la demanderesse reproche à la secrétaire d’Etat que la décision de refus d’inscription du titre sous examen serait basée uniquement sur la déclaration d’une certaine Madame …, « chargée de programme » à l’ « ENIC-NARIC France » que « ESMOD International est un établissement légalement ouvert, mais qui ne bénéficie pas d’une reconnaissance de l’Etat », étant donné qu’il ne ressortirait d’aucun texte légal que la reconnaissance d’un diplôme étranger serait conditionnée au Luxembourg par la reconnaissance de l’établissement émetteur du diplôme par l’Etat dans lequel cet établissement a son siège. Au contraire, selon l’article 1er de la loi du 17 juin 1963, la seule condition pour l’inscription d’un titre étranger serait l’obtention de ce diplôme conformément aux lois et règlements du pays où le grade a été conféré. Il s’y ajouterait qu’en France, ce critère de la reconnaissance par l’Etat de l’établissement d’enseignement n’aurait aucune incidence et ce seraient au contraire les diplômes qui devraient être reconnus par l’Etat et qui recevraient une garantie quant à leur niveau. Or, il ressortirait d’un courrier du 25 février 2008 émanant du ministère de l’Education nationale français, versé en cause, que « la formation de styliste-modéliste bénéficie d’une reconnaissance auprès du ministère chargé de la formation professionnelle. Elle est reconnue de niveau III, ce qui correspond au niveau Licence pour les diplômes nationaux. » Cette déclaration vue ensemble avec le fait que le diplôme en question serait enregistré au Registre des diplômes de la Direction de l’Académie de Paris et au Répertoire National des Certifications Professionnelles, témoignerait de ce que le diplôme de styliste-modéliste serait reconnu en France et qu’il aurait partant été obtenu conformément aux lois et règlements en vigueur en France. Au vu des considérations précédentes, il serait inadmissible qu’après avoir suivi une formation de trois années et obtenu un diplôme reconnu par l’Etat français comme équivalent à une licence, elle se verrait refuser la reconnaissance de ses études au Luxembourg et serait considérée de ce fait comme personne n’ayant jamais fait d’études supérieures. Cette circonstance serait susceptible d’entraîner des conséquences négatives pour son avenir professionnel, alors que, pour postuler par exemple à un emploi dans l’administration luxembourgeoise, elle ne pourrait faire valoir que son diplôme de fin d’études secondaires sans que ses études supérieures, reconnues en France comme telles, ne puissent être mises en avant.

Le délégué du gouvernement rétorque que s’il était vrai que le système de reconnaissance des diplômes reposerait sur des bases différentes au Luxembourg et en France, il n’en demeurerait pas moins que pour inscrire un titre au registre luxembourgeois des titres d’enseignement supérieur, la reconnaissance se ferait selon le système luxembourgeois et non pas selon le système français. En vertu des règles luxembourgeoises en la matière, deux critères seraient décisifs, à savoir : a) le statut juridique de l’établissement ayant délivré le diplôme ; et b) le statut du diplôme, qui devrait être final et reconnu par l’Etat dans lequel est établi l’établissement émetteur du diplôme.

En France, par contre, deux procédures de reconnaissance existeraient, à savoir l’homologation, qui serait définie comme un classement effectué par l’Etat, par niveaux et par spécialités, après examen par une commission, des titres délivrés par les organes publics ou privés qui en feraient la demande. L’homologation aurait valeur nationale, le classement serait effectué par niveaux et en référence à une nomenclature. Il s’agirait d’une évaluation officielle, à caractère interministériel, d’un titre de formation professionnelle qui serait accordée pour une durée maximale de trois ans. Cette évaluation ne conférerait pas la valeur juridique d’une équivalence et ne constituerait pas non plus une habilitation d’organismes. L’homologation n’indiquerait rien d’autre qu’un niveau d’études, étant donné que tout titre d’enseignement supérieur homologué serait classé à un des quatre niveaux d’homologation suivants: niveau I- master/doctorat ;

niveau II- licence/maîtrise ; niveau III- BTS/DUT/fin de premier cycle supérieur ; niveau IV- baccalauréats, niveau V- brevet/certificat d’aptitude professionnelle.

En revanche, la procédure de reconnaissance d’un diplôme par le ministre français ayant l’Enseignement Supérieur dans ses attributions serait effectuée au terme d’une procédure d’habilitation qui se traduirait par un contrôle du Ministère de l’Education Nationale français du programme d’études, de la qualification des enseignants intervenant dans le cycle d’études visé et des contenus et programmes d’études. La reconnaissance, c’est-à-dire l’habilitation serait automatique pour tous les établissements d’enseignement supérieur publics. Les établissements privés pourraient être reconnus, c’est-à-dire habilités après une procédure d’habilitation et obtenir pour un terme de 3 à 4 ans le visa du ministre.

Selon le délégué du gouvernement, étant donné que le diplôme délivré par « Esmod International » de Madame … ne bénéficierait pas de ce visa ministériel, il ne serait pas reconnu par l’Etat français et ne pourrait donc de la sorte être inscrit au registre des titres d’enseignement supérieur. Le représentant étatique ajoute que l’affirmation de la partie adverse selon laquelle « …elle a effectué un cursus reconnu en France et qu’elle y est considérée comme licenciée de niveau BAC + 3 » serait fausse alors que le diplôme ESMOD serait homologué en France de niveau III ce qui correspondrait à un diplôme Universitaire de Technologie (DUT) ou à un Brevet de Technicien Supérieur (BTS), soit des formations à BAC + 2.

En ce qui concerne en premier lieu le moyen tiré d’une violation alléguée de l’article 12 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 dans la mesure où la réponse de l’« ENIC-NARIC » concernant l’homologation du diplôme ESMOD au répertoire national de la commission nationale de la certification rattachée auprès du Premier Ministre (Fillon) au niveau III, adressée au ministère n’aurait jamais été communiquée à la demanderesse et qu’en plus, aucune information ne lui aurait été fournie quant aux dispositions légales sur base desquelles les décisions litigieuses auraient été prises, il y a lieu de relever tout d’abord que l’article 12, qui dispose que « Toute personne concernée par une décision administrative qui est susceptible de porter atteinte à ses droits et intérêts est également en droit d'obtenir communication des éléments d'informations sur lesquels l'Administration s'est basée ou entend se baser », s’applique aux tiers intéressés par une décision administrative et non pas aux administrés, destinataires directs de la décision administrative en question, auxquels s’applique l’article 11 du règlement grand-

ducal du 8 juin 1979. En l’espèce, Madame … est destinataire directe des décisions sous examen, de sorte que c’est l’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 invoqué qui lui est applicable, au lieu de l’article 12 invoqué.

L’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 dispose que : « Tout administré a droit à la communication intégrale du dossier relatif à sa situation administrative, chaque fois que celle-ci est atteinte, ou susceptible de l'être, par une décision administrative prise ou en voie de l'être.

Il peut demander, à cette occasion, le retrait de son dossier de toute pièce étrangère à l'objet du dossier, si elle est de nature à lui causer un préjudice. La décision prise par l'Administration sur sa demande est susceptible de recours devant la juridiction compétente. » Si les dispositions de l’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 imposent effectivement à l’administration une obligation de communication à première demande, cette obligation n’implique cependant pas que l’autorité administrative concernée soit tenue d’y procéder de façon automatique à défaut d’être sollicitée en ce sens par l’administré intéressé. En l’espèce, il ne ressort pas des pièces versées, que la demanderesse a effectivement fait une demande de communication des informations et documents en cause, de sorte qu’aucune violation de l’article 11 du règlement grand-

ducal du 8 juin 1979 ne saurait être constatée. En plus, abstraction faite de ce que la non-

communication d’un dossier administratif, suite à une décision administrative prise à l’encontre d’un administré, n’est pas de nature à entraîner la nullité de ladite décision, étant relevé qu’un recours spécifique est susceptible d’être introduit contre le refus par l’administration de communiquer le dossier administratif suivant les dispositions applicables du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, il y a lieu de relever qu’il ressort en l’espèce du dossier soumis au tribunal, que l’Etat a versé le dossier administratif concernant la situation administrative de Madame …, de sorte qu’au plus tard au cours de la présente procédure contentieuse, la demanderesse a pu prendre connaissance des différentes pièces et des différents éléments la concernant ayant trait à la décision prise à son encontre, de sorte qu’une lésion de ses droits de la défense n’a pu être constatée par le tribunal.

En ce qui concerne le reproche tiré d’un défaut d’indication par l’administration des bases légales sur lesquelles la décision litigieuse est fondée, il convient de relever que la sanction de l’obligation de motiver une décision administrative contenue à l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 consiste non pas dans l’annulation de la décision administrative concernée, mais dans la suspension des délais de recours. La décision reste valable et l’administration peut produire ou compléter les motifs postérieurement et même pour la première fois devant le juge administratif, ce qui, tel qu’il a été relevé ci-dessus, s’est produit en l’espèce.

Le moyen afférent laisse partant d’être fondé.

Quant au bien-fondé des décisions de refus, l’article 1er de la loi du 17 juin 1963 dispose que : « à l’exception des personnes qui n’ont au Grand-Duché ni domicile ni résidence fixe, nul ne peut porter publiquement le titre d’un grade d’enseignement supérieur a) s’il n’en a obtenu le diplôme conformément aux lois et règlements du pays où le grade a été conféré ;

b) si son diplôme, suivi du nom de l’école ou de l’institution qui l’a délivré, ainsi que l’appellation entière du titre conféré n’ont pas été inscrits au registre des diplômes déposé au ministère de l’éducation nationale.

Sont notamment considérés comme titres d’un grade d’enseignement supérieur au sens de la présente loi les titres de docteur, licencié, ingénieur, architecte ».

Il convient de souligner que l’objet de la loi du 17 juin 1963 est de protéger au Grand-Duché de Luxembourg les titres d’enseignement supérieur, c’est-à-dire de réglementer le port des titres des grades d’enseignement supérieur national ou étranger et que la réglementation de la reconnaissance des titres académiques ne vise pas les questions relatives à l’exercice des professions.

En outre, contrairement à une demande en homologation d’un diplôme étranger, le ministre compétent est uniquement appelé à constater si le diplôme, dont l’inscription au registre est demandée, représente un titre d’enseignement supérieur « conformément aux lois et règlements du pays où le grade a été conféré » sans pouvoir porter une appréciation au fond quant aux études accomplies par la personne concernée.

Force est tout d’abord de constater qu’il appert des libellés des diplômes délivrés tant par « Esmod International Deutschland » que par « Esmod International Paris » que Esmod International est une école supérieure des arts et techniques de la mode dont l’établissement principal se trouve à Paris, de sorte que le tribunal est amené à constater que le diplôme décerné par la dépendance allemande de l’école est à considérer comme émanant en fin de compte d’Esmod International Paris, comme le soutient par ailleurs la demanderesse. Cette conclusion est corroborée par le fait qu’en date du 7 septembre 2007, Esmod International Paris à délivré à Madame … un diplôme final lui certifiant qu’elle est « reconnue apte à exercer la profession de Styliste/Modéliste après trois années à Esmod Paris et Esmod Berlin après avoir satisfait aux épreuves d’examen de fin d’études devant les jurys professionnels de la promotion 2003 à Esmod Berlin » tandis que le diplôme décerné par « Esmod International Deutschland » ne semble pas constituer un diplôme final, dans la mesure où il y est indiqué que « Frau …, Spezialisation 3. Jahr DOB, absolvierte die Formationen Stylismus und Modelismus mit grossem Erfolg ». Il y a partant lieu de considérer les critères conditionnant la demande d’inscription du diplôme Esmod au registre des titres d’enseignement supérieur uniquement par rapport aux lois et règlements régissant la matière en France, où l’établissement émetteur du diplôme final en question a son siège. Dès lors, le recours inscrit sous le numéro 23427 du rôle et dirigé contre le refus de la secrétaire d’Etat du 12 juin 2007 d’inscrire le diplôme délivré par « Esmod International Deutschland » au registre des titres d’enseignement supérieur est à déclarer non fondé, étant donné que ledit diplôme ne constitue pas un diplôme final susceptible de faire l’objet d’une inscription au registre des titres d’enseignement supérieur.

Dès lors, s’il est vrai, ainsi que le soutient la demanderesse, que la loi du 17 juin 1963 n’exige pas la preuve d’une reconnaissance de l’établissement d’enseignement Esmod en France, il n’en reste pas moins qu’il incombe à la demanderesse de prouver que le titre lui conféré par cette institution, dont le siège se trouve à Paris, est reconnu par la législation applicable en France comme titre d’enseignement supérieur, abstraction faite de toute reconnaissance ou équivalence dans un autre Etat.

En l’espèce, le tribunal est amené à constater que la demanderesse a établi que son diplôme de « Styliste/Modéliste» délivré par « Esmod International» sanctionne un grade d’enseignement supérieur d’après la législation applicable en France au moment de la délivrance dudit diplôme. En effet, la lettre émise par le ministère de l’Education Nationale français, Division des Etablissements, en date du 25 février 2008, certifie, d’une part, que la formation de « Styliste/Modéliste » bénéficie d’une reconnaissance auprès du ministre chargé de la formation professionnelle et, d’autre part, que le diplôme dont l’inscription au registre est sollicitée est par ailleurs reconnu au Répertoire National des Certifications Professionnelles de niveau III, correspondant au niveau licence pour les diplômes nationaux. Ladite lettre est de nature à établir, à elle seule, que le diplôme en question sanctionne un tel enseignement supérieur, étant donné qu’un courrier émis par le ministère de l’Education Nationale français constitue une attestation délivrée par une autorité publique, c’est-à-dire un élément objectif établissant à suffisance de droit la valeur du diplôme en question.

Dans la mesure où il est ainsi établi que le diplôme litigieux sanctionne des études supérieures, il reste à examiner si le diplôme litigieux a été obtenu « conformément aux lois et règlements du pays où le grade a été conféré », tel que prescrit par l’article 1er, a) de la loi du 17 juin 1963.

Or, il se dégage des pièces versées en cause que le titre de Styliste/Modéliste se trouve répertorié au « Répertoire National des Certifications Professionnelles (RNCP) » avec une description détaillée des modalités d’accès à cette certification, du niveau de l’activité à exercer par le détenteur du diplôme, l’autorité responsable de la certification, à savoir, Esmod International, la qualité du signataire de la certification, ainsi qu’avec un résumé du référentiel d’emploi et des éléments de compétence acquis, de sorte que le tribunal n’est pas amené à partager la conclusion de la secrétaire d’Etat selon laquelle le diplôme sanctionnant l’enseignement de type supérieur suivi par Madame … ne constitue pas un diplôme obtenu conformément aux lois et règlements en France. Par voie de conséquence, il y a lieu de faire droit à la demande d’inscription au registre des titres d’enseignement supérieur du diplôme « Esmod » décerné par « Esmod International, Paris » .

Il convient d’ajouter que les explications du délégué du gouvernement concernant les niveaux d’homologation en général, le niveau d’homologation du diplôme acquis par la demanderesse ainsi que la nécessité d’un visa ministériel en France et la prétendue non-reconnaissance dudit diplôme par l’Etat français qui résulterait de l’absence d’un tel visa ministériel, ne sauraient être prises en considération, étant donné qu’elles restent à l’état de simple allégation.

Il suit de ce qui précède que, par réformation de la décision de la secrétaire d’Etat du 24 octobre 2007, le diplôme délivré à Madame …, suivi du nom de l’institution qui l’a délivré, ainsi que l’appellation dans son intégralité du titre conféré, est à inscrire au registre des diplômes.

Eu égard à la solution du litige, il y a lieu de faire masse des frais et de les imposer pour moitié à la demanderesse et pour l’autre moitié à l’Etat.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

prononce la jonction des recours introduits sous les numéros 23427 et 23843 du rôle ;

reçoit les recours en réformation en la forme ;

au fond, déclare le recours inscrit sous le numéro 23427 du rôle non justifié et en déboute ;

au fond, déclare justifié le recours inscrit sous le numéro 23843 du rôle ;

partant, par réformation de la décision de la secrétaire d’Etat susvisée du 24 octobre 2007, dit que le diplôme délivré à Madame …, suivi du nom de l’institution qui l’a délivré, ainsi que l’appellation dans son intégralité du titre conféré, est à inscrire au registre conservé par le ministre de l’Education nationale ;

renvoie ledit dossier à la secrétaire d’Etat à la Culture, à l’Enseignement supérieur et à la Recherche pour exécution ;

déclare les recours subsidiaires en annulation irrecevables ;

fait masse des frais et les impose pour moitié à la demanderesse et pour l’autre moitié à l’Etat.

Ainsi jugé par :

Martine Gillardin, premier juge, Françoise Eberhard, juge, Lexie Breuskin, juge, et lu à l’audience publique du 10 septembre 2008 par le premier juge, en présence du greffier de la Cour administrative Anne-Marie Wiltzius, greffier assumé.

s. Wiltzius s. Gillardin 11


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 23427,23843
Date de la décision : 10/09/2008

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2008-09-10;23427.23843 ?

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