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10/09/2008 | LUXEMBOURG | N°23220

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 septembre 2008, 23220


Tribunal administratif N° 23220 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 juillet 2007 Audience publique du 10 septembre 2008 Recours formé par la société anonyme … s.a., … contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu des collectivités et d’impôt commercial communal

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 23220 du rôle, déposée le 17 juillet 2007 au greffe du tribunal administratif par Maître Ma

ria Dennewald, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au no...

Tribunal administratif N° 23220 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 juillet 2007 Audience publique du 10 septembre 2008 Recours formé par la société anonyme … s.a., … contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu des collectivités et d’impôt commercial communal

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 23220 du rôle, déposée le 17 juillet 2007 au greffe du tribunal administratif par Maître Maria Dennewald, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme … s.a., établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 18 avril 2007, répertoriée sous le numéro C 13524 du rôle ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 décembre 2007 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 15 janvier 2008 par Maître Maria Dennewald, au nom de la société anonyme … s.a. ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Maria Dennewald et Madame le délégué du gouvernement Monique Adams en leurs plaidoiries respectives.

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La société anonyme de droit belge P. s.a possédait 100% des participations dans trois sociétés à responsabilité limitée de droit luxembourgeois : la société … s.àr.l., la société … s.àr.l. et la société … s.àr.l.. En décembre 1999, la société P. s.a. vendit la totalité de ses participations dans les sociétés … s.àr.l. et … s.àr.l. à la société … s.àr.l.

pour un montant total de 230.000.000Luf. Le 10 avril 2001, les trois sociétés à responsabilité limitée de droit luxembourgeois furent transformées en sociétés anonymes.

Le même jour, un projet de fusion fut établi par acte notarié, suivant lequel la société … s.a. fusionnait avec les sociétés … s.a. et … s.a. en absorbant ces dernières. En vertu du projet de fusion par absorption, les opérations des sociétés absorbées étaient à considérer du point de vue comptable comme accomplies au nom et pour le compte de la société absorbante à partir du 1er janvier 2001.

Etant donné qu’avant la fusion, la société absorbante … s.a. détenait la totalité des participations dans les sociétés … s.a. et … s.a., la fusion impliqua l’annulation de ces participations. La fusion impliquait partant une perte de fusion dans le bilan de la société absorbante … s.a.. La perte de fusion, s’élevant au montant de 128.864.217 Luf, consiste entre la différence entre la valeur comptable des participations dans les sociétés absorbées (230.000.000 Luf) et la valeur nette comptable des deux sociétés (101.135.783 Luf).

La société … s.a. déduisa dans la déclaration d’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal pour l’année 2001 ladite perte comptable de 128.864.217 Luf.

Par courrier du 2 juin 2006, le bureau d’imposition sociétés Esch de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le bureau d’imposition », informa la société … s.a. qu’après un examen de ses déclarations fiscales pour l’année 2001, il envisageait d’effectuer divers redressements, alors que d’après les articles 170 et 171 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, désignée ci-après par « L.I.R. », la perte de fusion comptable serait à éliminer du résultat comptable pour être remplacée par le bénéfice établi hors bilan, à savoir la différence entre la valeur d’exploitation des participations et leur valeur comptable.

Par courrier du 28 juin 2006 de son expert-comptable, la société … s.a. estima qu’étant donné que le contribuable serait imposé conformément à l’article 170 alinéa 1 L.I.R. la plus value serait imposable et par conséquent, les pertes éventuelles déductibles du bénéfice imposable.

Le 19 juillet 2006 le bureau d’imposition émit les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal de l’année 2001. Le 2 août 2006, le bureau d’imposition émit les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal des années 2002, 2003 et 2004.

Par courrier du 17 octobre 2006, l’expert comptable, mandataire de la société … s.a introduisit auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur », une réclamation contre lesdits bulletins émis le 19 juillet 2006, respectivement le 2 août 2006.

Le 18 avril 2007, le directeur prit à l’égard de la société … s.a. la décision suivante, répertoriée sous le numéro C 13524 du rôle :

« Vu la requête introduite le 18 octobre 2006 par le sieur Jean-Claude Lucius, au nom de la société anonyme …, avec siège social à L-3254 Bettembourg, pour réclamer contre :

- les bulletins de l'impôt sur le revenu des collectivités et de l'impôt commercial communal de l'année 2001, émis le 19 juillet 2006 ;

- les bulletins de l'impôt sur le revenu des collectivités et de l'impôt commercial communal des années 2002, 2003 et 2004, tous émis le 2 août 2006 ;

Vu le dossier fiscal ;

Vu les paragraphes 228 et 301 de la loi générale des impôts (AO) ;

Considérant que les bulletins de l'impôt commercial communal des années 2001, 2002, 2003 et 2004 sont critiqués à l'aide de moyens qui visent les bulletins de la base d'assiette y afférentes ;

qu'en application du paragraphe 5 de la 2e GewStVV du 16 novembre 1943 et de la GewStR. 13 (cf. paragraphe 7 GewStG), les bulletins de la base d'assiette de l'impôt commercial des années 2001, 2002, 2003 et 2004 se trouvent affectés d'office pour le cas où il résulterait du recours sous analyse une variation du bénéfice d'exploitation soumis à l'impôt commercial communal ;

Considérant que si l'introduction de plusieurs instances par une seule et même requête n'est incompatible, en l'espèce, ni avec le secret fiscal, ni avec les règles de compétence et de procédure, elle ne dispense pas d'examiner chaque acte attaqué en lui-même et selon ses propres mérites ;

qu'en l'occurrence les instances paraissent cependant suffisamment connexes pour être jointes ;

Considérant que les réclamations ont été introduites par qui de droit, dans les forme et délai de la loi ;

Considérant que la réclamante fait grief au bureau d'imposition :

1. de ne pas avoir tenu compte au niveau de l'établissement des bases d'imposition de l'année 2001, d'une perte de 2.278.551 € résultant de la fusion par absorption, par la réclamante, des sociétés anonymes … et … ;

2. de ne pas avoir tenu compte au niveau de l'établissement des bases d'imposition des années 2002, 2003 et 2004 du report de pertes de l'exercice 2001 ;

Considérant qu'en vertu du § 243 AO, une réclamation régulièrement introduite déclenche d'office un réexamen intégral de la cause, sans égard aux conclusions et moyens de la requérante, la loi d'impôt étant d'ordre public ;

qu'à cet égard le contrôle de la légalité externe de l'acte doit précéder celui du bien-fondé ;

qu'en l'espèce la forme suivie par le bureau d'imposition ne prête pas à critique ;

Considérant que les représentants des trois sociétés …, … et … ont comparu le 10 avril 2001 devant notaire pour faire acter un projet de fusion par absorption, projet qui fut publié au Mémorial C n° 397 du 30 mai 2001 ;

qu'en vertu de cet acte, la fusion ne prend effet qu'un mois après la publication du projet de fusion au Mémorial C ;

que les opérations des sociétés absorbées sont cependant à considérer du point de vue comptable comme accomplies au nom et pour le compte de la société absorbante à partir du 1er janvier 2001 ;

Considérant qu'en matière fiscale, toute transmission de l'actif social d'une société de capitaux ou d'une société coopérative à une autre personne entraîne en principe la découverte et l'imposition des plus-values inhérentes aux biens transférés (article 170, alinéa 1 L.I.R.) ;

Considérant toutefois qu'en vertu de l'article 170 alinéa 2 L.I.R., dans sa version applicable en 2001, le bénéfice réalisé à l'occasion de la transmission en bloc de l'actif social d'une société de capitaux résidente à une autre société de capitaux résidente pleinement imposable, est exonéré dans la mesure où certaines conditions sont remplies ;

qu'une de ces conditions consiste dans le fait que la transmission doit être opérée contre remise de droits sociaux créés à cette fin par la société bénéficiaire de la transmission et attribués aux associés de la société apporteuse ou contre annulation d'une participation de la société bénéficiaire de la transmission dans la société apporteuse ;

Considérant qu'il résulte des comptes annuels établis pour l'exercice 2001 que la réclamante a repris les biens actifs et passifs des sociétés absorbées à la valeur comptable ;

Considérant qu'en raison de la détention intégrale des sociétés absorbées par la réclamante, société absorbante, la transmission en bloc de l'actif social a eu pour conséquence l'annulation des participations dans les sociétés absorbées ;

qu'en l'occurrence, l'annulation des participations dans les deux sociétés absorbées a donné lieu, au bilan après fusion, à une perte comptable de 100.984.224 francs relative à la société apporteuse … et à une perte comptable de 27.879.993 francs relative à la société apporteuse … ;

C onsi dérant que le t r ai t ement fi s cal d' une annul at i on de participation dans le cadre d'une transmission d'un actif social est réglé par les dispositions de l'article 171 L.I.R. ;

qu'aux termes de l'article 171 L.I.R. en vigueur à l'époque, le bénéfice de la société absorbante qui a possédé une participation dans la société absorbée est calculé comme si la participation avait été réalisée au prix de sa valeur d'exploitation, indépendamment de l'évaluation des biens repris et sans préjudice de l'article 166 ;

que dès lors la perte comptable totale de 128.864.217 francs est à éliminer du revenu imposable de l'année d'imposition 2001 et à remplacer par le bénéfice calculé comme si les deux participations avaient été réalisées au prix de la valeur d'exploitation ;

Considérant que c'est donc à bon droit que le bureau d'imposition, en établissant les bases d'imposition de l'année d'imposition 2001, a éliminé la perte comptable totale de 128.864.217 francs du revenu imposable de l'année d'imposition 2001 pour la remplacer par le bénéfice calculé suivant article 171 L.I.R. ;

Considérant que le bureau d'imposition a procédé à l'évaluation de la valeur d'exploitation à 172.000.000 francs en ce qui concerne la participation dans … et à 58.000.000 francs en ce qui concerne la participation dans … ;

que les valeurs d'exploitation retenues par le bureau d'imposition correspondent aux montants respectifs des prix d'acquisition des deux participations ;

que le bénéfice résultant de l'annulation des dites participations et déterminé par la différence entre la valeur comptable et la valeur d'exploitation s'élève dès lors à 0 franc ;

Considérant qu'en guise de motivation de sa réclamation, la requérante a produit un rapport d'expert établi en date du 21 septembre 2006 par Grant Thornton et évaluant les participations dans les sociétés absorbées … et … au moment de la fusion en 2001, notamment à une valeur nettement inférieure au prix d'acquisition s'élevant à 79.388.923 francs (1.968.000 €) en ce qui concerne la société … et à une valeur de 58.694.555 francs (1.455.000 €) en ce qui concerne … ;

qu'après mise en compte de ces valeurs, le résultat calculé en vertu de l'article 171 L.I.R. représenterait une perte globale de -91.916.522 francs (-

2.278.551 €) que la réclamante entend faire valoir ;

Considérant qu'en vertu de l'alinéa 1 de l'article 27 L.I.R., la valeur d'exploitation d'un bien est considérée comme étant le prix qu'un acquéreur de l'entreprise entière attribuerait au bien envisagé dans le cadre du prix d'acquisition global, l'acquéreur étant supposé continuer l'exploitation ;

Considérant que la réclamante a acquis les participations dans les sociétés anonymes absorbées … et … en date du 15 décembre 1999 à un prix d'acquisition de 172.000.000 francs respectivement de 58.000.000 francs ;

que ces prix d'acquisition ont été fixés sur base d'évaluations effectuées en date du 23 novembre 1999 par la société J. Lippens, S. Rabaey & Co. ;

que la requérante a acquis ces participations de la société anonyme belge Photo Hall qui détient 100% du capital social de la réclamante ;

Considérant qu'en matière fiscale, les sociétés membres d'un groupe doivent être considérées comme agissant entre elles sur un marché de pleine concurrence (normes OCDE) ;

qu'à l'époque du transfert des participations à l'intérieur du groupe Photo Hall, les prix de cession ont donc dû être conformes suivant le principe de la pleine concurrence aux prix convenus dans des conditions similaires entre tiers ;

C o n s i d é r a n t q u ' i l n ' e s t p a s c l a i r p o u r q u o i a u m o m e n t d e l'établissement du projet de fusion en date du 10 avril 2001, quelque 16 mois après leur acquisition, la valeur de la participation dans … aurait donc diminué de plus de 50% ;

Considérant que les sociétés absorbées ont pu consolider leurs chiffres d'affaires au cours de l'exercice 2000 ;

que la société … a réalisé un bénéfice de 17.825.758 francs lors de l'exercice 2000 par rapport au résultat réalisé de 22.949.117 francs en 1999 ;

que les comptes annuels de l'exercice 2000 des sociétés absorbées ne renseignent pas non plus une distribution de bénéfices ;

que les comptes annuels de l'exercice 2000 de la réclamante retiennent des valeurs d'évaluation respectives de 172.000.000 francs et de 58.000.000 francs pour les participations dans les sociétés … et … ;

qu'en vertu de l'article 23 alinéa 3 L.I.R., les participations sont à évaluer au prix d'acquisition ou de revient ; que lorsque la valeur d'exploitation y est inférieure, l'évaluation doit se faire à cette valeur inférieure pour être conforme aux principes d'une comptabilité régulière (article 23 alinéa 1er L.I.R.) ;

que pourtant la réclamante, en établissant ses comptes annuels de l'année 2000, n'a aucunement jugé utile de procéder à une correction de v a l e u r d e s p a r t i c i p a t i o n s d a n s . . . e t . . . ;

Considérant que le rapport d'évaluation produit par la réclamante en cours d'instance se base en plus sur des « indicateurs financiers » en r el ati on avec l a s oci ét é Phot o Hal l, act i onnair e pri nci pal de l a réclamante, ces indicateurs servant à déterminer la valeur de marché tout en considérant les fonds propres des sociétés absorbées ;

que le rapport tient donc compte des résultats tant positifs que négatifs réalisés par les sociétés du groupe Photo Hall parmi lequel les trois sociétés intervenant dans l'opération de fusion font également partie ;

Considérant cependant que pour déterminer la valeur d'exploitation des deux sociétés en cause, seuls les fonds propres de celles-ci doivent être déterminants ;

qu'une évaluation de la valeur d'exploitation de la société … en dessous des prix d'acquisition n'est pas justifiée sur base de ce seul rapport ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de confirmer les valeurs d'exploitation retenues par le bureau d'imposition ;

Par ces motifs reçoit les réclamations en la forme, les dit non fondées. » Par requête déposée le 17 juillet 2007, la société … s.a. a introduit un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du directeur du 18 avril 2007.

A titre liminaire, le tribunal est amené à analyser les moyens d’irrecevabilité du recours, soulevés par le délégué du gouvernement dans son mémoire en réponse.

Ainsi, en premier lieu, le représentant étatique estime que le recours en annulation introduit en ordre subsidiaire serait à déclarer irrecevable.

La société demanderesse rejoint l’argumentation de l’Etat sur ce point.

Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », et de l’article 8 (3) 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation contre un bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités ou contre un bulletin de l’impôt commercial communal. Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours en réformation.

Le recours en annulation introduit à titre subsidiaire est partant à déclarer irrecevable.

En second lieu, le représentant étatique soutient que ce serait à tort que la demanderesse aurait conclu en dernière subsidiarité à l’annulation de la décision du directeur et qu’à défaut d’être circonstanciées ces conclusions seraient irrecevables.

Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler que le tribunal vient de constater que le recours en annulation introduit à titre subsidiaire est à déclarer irrecevable. C’est par ailleurs à juste titre que la société demanderesse estime que l’irrecevabilité d’un recours introduit à titre subsidiaire ne pourrait pas affecter la recevabilité du recours introduit à titre principal. Ce moyen d’irrecevabilité est partant à rejeter.

Le représentant étatique estime encore que concernant les bulletins de l’impôt commercial, le recours en réformation ne serait pas motivé à suffisance de droit, étant donné que les moyens invoqués ne viseraient pas les bulletins litigieux, mais la base d’assiette. Enfin, le délégué du gouvernement estime que concernant les bulletins de l’impôt sur le revenu pour 2002 à 2004, le recours serait sans intérêt puisqu’il ne mettrait pas en cause les bases d’imposition propres à ces années mais tendrait uniquement à réserver un éventuel report de la perte de fusion alléguée pour l’année 2001.

Le tribunal est amené à constater que ces moyens d’irrecevabilité ne sauraient porter à conséquence, étant donné que le présent recours n’est pas dirigé contre des bulletins d’impôt mais contre une décision du directeur. Lesdits moyens sont partant à rejeter.

Aucun autre moyen d’irrecevabilité n’ayant été soulevé, il y a lieu de déclarer recevable le recours en réformation introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse reproche principalement à la décision du directeur de ne pas avoir établi la valeur d’exploitation des participations que la société … s.a. détenait dans les sociétés … s.a. et … s.a., sur base du rapport émis par la société Grant Thornton en date du 21 septembre 2006. Elle estime que le directeur n’aurait pas expliqué clairement s’il trouverait une évaluation sur base de fonds propres ou sur base du prix d’acquisition initial plus adaptée pour déterminer la valeur d’exploitation des participations, et créerait ainsi une situation d’insécurité juridique. Elle estime que le directeur aurait finalement retenu la méthode d’évaluation basée sur le prix d’acquisition initial, sans justifier pour quelle raison il estimait qu’il ne faudrait pas procéder à une nouvelle évaluation des participations.

La demanderesse critique ensuite les raisons du directeur pour rejeter une évaluation sur base du rapport du 21 septembre 2006, établi par la société Grant Thornton. Elle estime que les arguments du directeur seraient à réduire au nombre de deux. Premièrement que le rapport n’expliquerait pas la perte de valeur des participations sur une période aussi courte et deuxièmement que la société n’aurait pas procédé à une correction de valeur des participations dans son bilan fiscal. La demanderesse explique que la perte de valeur des participations serait due à la baisse des trois indices boursiers utilisés dans les deux rapports pour l’évaluation des participations. La baisse des indicateurs boursiers s’expliquerait par le recul de la valeur de bourse de l’action P. entre 1999 et 2000. Quant à la correction de la valeur, la demanderesse estime qu’il appartiendrait aux administrateurs de décider de procéder ou de ne pas procéder à une correction de valeur.

La demanderesse soutient encore que le rapport établi en date du 21 septembre 2006 par la société Grant Thornton aurait été établi sur exactement le même mode de calcul que celui à la base du rapport établi en date du 10 décembre 1999 pour évaluer la valeur des participations au moment de la vente de ces dernières par la société de droit belge P. à la société de droit luxembourgeois … s.a. La demanderesse estime qu’il ne serait pas logique de la part du bureau d’imposition d’avoir accepté un mode de calcul en 1999 et de rejeter le même mode de calcul deux ans plus tard.

La demanderesse fait encore valoir que l’évaluation des participations à leur valeur d’acquisition serait contraire au système même de la détermination de la valeur d’exploitation, qui supposerait une exploitation continue de la société détenant des participations.

A titre subsidiaire, la demanderesse estime que si la valeur des participations ne devrait pas être établie sur base du rapport du 21 septembre 2006, elle devrait alors être établie sur la base de la valeur estimée de réalisation des participations, telle que définie par l’article 27 alinéa 2 LIR. Elle fait valoir que la valeur d’exploitation aurait pour limite inférieure la valeur estimée de réalisation et pour limite supérieure la valeur de remplacement. La valeur d’exploitation d’un bien se rapprocherait d’autant plus de la valeur de réalisation que ce bien ne serait pas indispensable à l’exploitation de l’entreprise. Elle en déduit qu’étant donné que les participations d’une société ne seraient pas un élément essentiel à son activité et n’y seraient pas complètement étrangères non plus, la valeur d’exploitation d’une participation serait à rapprocher de sa valeur estimée de réalisation. La société demanderesse estime encore que les participations dans les sociétés … s.a. et … s.a. constitueraient près de la moitié de ses actifs. Elle soutient donc qu’on pourrait raisonnablement penser que les participations représenteraient un élément déterminant dans la fixation du prix qu’un acheteur potentiel serait disposé à offrir pour l’acquisition de la société. Le prix de vente serait donc probablement déterminé sur base de la valeur réelle de ces participations. La demanderesse ajoute que la détermination concrète de la valeur d’exploitation sur base de la valeur estimée de réalisation, devrait se faire selon le « Stuttgarter Verfahren », reposant sur la fortune totale de l’entreprise et sur ses perspectives de rendement. En appliquant ladite méthode de calcul, la demanderesse arrive à une valeur estimée de réalisation pour la société … s.a. de 2.164.562€ et pour la société … de 915.671€, soit à une perte fiscale de 2.621.318€.

A titre plus subsidiaire, la demanderesse estime que si la valeur d’exploitation ne pourrait être établie ni sur base du rapport établi en date du 21 septembre 2006, ni sur base de la valeur estimée de réalisation, elle devrait être établie selon la méthode appelée « Stuttgarter Verfahren ».

A titre encore plus subsidiaire, la demanderesse sollicite que le tribunal donne suite à la méthode de détermination de la valeur d’exploitation défendue par elle et renvoie l’affaire au directeur.

A titre tout à fait subsidiaire, la demanderesse estime qu’il y aurait lieu d’annuler la décision sur réclamation pour incompétence, sinon excès ou détournement de pouvoir, sinon violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés.

Le délégué du gouvernement fait valoir qu’après l’absorption en 2001 des sociétés … s.a. et … s.a. le bénéfice de la société demanderesse devrait être calculé conformément à l’article 171 LIR comme si les participations avaient été réalisées au prix de leur valeur d’exploitation. Il estime que si tant le bureau d’imposition que le directeur auraient retenu sur base de motifs longuement développés, qu’en raison des circonstances la valeur d’exploitation des participations ne serait pas inférieure au prix d’acquisition et que la fusion n’aurait donc pas entrainé une perte au sens de la loi d’impôt, ces motifs ne mériteraient pas d’être écartés « cavalièrement ».

Dans son mémoire en réplique, la demanderesse fait valoir que ni la décision du directeur, ni le mémoire en réponse du délégué du gouvernement n’expliqueraient pour quelle raison la valeur des participations devrait être estimée à leur valeur d’acquisition.

Or, il appartiendrait à l’administration de justifier les raisons pour lesquelles elle s’éloigne de la déclaration fiscale du contribuable.

De prime abord, le tribunal est amené à constater qu’il est constant en cause pour ne pas être contesté par les parties, que l’article 170 LIR trouve application en l’espèce.

Aux termes dudit article, « lorsque l’actif social d’une société de capitaux ou d’une société coopérative est transmis à une ou plusieurs autres personnes, (…) l’imposition a lieu conformément à l’article 169. ». En vertu de l’article 170 (2) LIR dans sa version applicable en 2001, le bénéfice réalisé à l’occasion de la transmission en bloc de l’actif social d’une société de capitaux résidente à une autre société de capitaux résidente pleinement imposable, est toutefois exonéré si certaines conditions sont remplies. La première de ces conditions prescrites par l’article 170 (2) LIR est que la transmission « doit être opérée contre remise de droits sociaux créés à cette fin par la société bénéficiaire de la transmission et attribués aux associés de la société apporteuse ou contre annulation d’une participation de la société bénéficiaire de la transmission dans la société apporteuse ».

Il est également constant en cause pour n’être contesté par aucune partie, que la société … s.a. a fusionné par absorption au cours de l’année 2001, avec effet au 1er janvier 2001, avec les sociétés … s.a. et … s.a. La société … s.a. a repris à l’occasion de cette fusion l’ensemble des biens actifs et passifs des sociétés … s.a. et … s.a. à la valeur comptable, de sorte que la transmission en bloc de l’actif social a impliqué l’annulation des participations détenues dans les deux sociétés absorbées. En raison de cette annulation des participations, le bilan de la société … s.a. présentait après la fusion une perte comptable de 100.984.224 Luf quant à la société … s.a. et 27.879.993 Luf quant à la société … s.a., soit une perte totale de 128.864.217 Luf.

Le tribunal est amené à constater qu’il ressort tant de la décision du directeur que des mémoires échangés au niveau de la procédure contentieuse entre le délégué du gouvernement et la société demanderesse que les parties s’accordent sur le principe que le traitement fiscal d’une annulation de participation dans le cadre d’une transmission d’un actif social est réglé par l’article 171 LIR. Aux termes dudit article, dans sa version en vigueur en 2001 :« En cas d’application de l’article 170, alinéa 2, le bénéfice de la société absorbante qui a possédé une participation dans la société absorbée est calculé comme si la participation avait été réalisée au prix de sa valeur d’exploitation, indépendamment de l’évaluation des biens repris et sans préjudice de l’article 166 ».

En l’espèce, le bénéfice ou la perte de la société … s.a., après annulation des participations détenues dans les deux sociétés absorbées, doit donc être calculé comme si les participations avaient été réalisées au prix de leur valeur d’exploitation. En d’autres termes, d’après l’article 171 LIR, dans sa teneur en vigueur en 2001, le bénéfice ou la perte de la société … s.a. après fusion est constitué par la différence entre la valeur comptable des participations détenues dans les sociétés absorbées- soit en l’espèce 230.000.000 Luf- et la valeur d’exploitation des participations.

L’avis des parties en cause diverge sur la question de la détermination de la valeur d’exploitation.

Le bureau d’imposition, ensemble le directeur, et le délégué du gouvernement ont retenu une valeur d’exploitation de la société … s.a. de 172.000.000Luf et de la société … s.a. de 58.000.000 Luf, correspondant aux montants respectifs des prix d’acquisition des participations dans les deux sociétés.

La société demanderesse estime par contre, à titre principal, que la valeur d’exploitation des participations devrait être établie sur base d’un rapport émis par la société Grant Thornton. A titre subsidiaire, elle estime que la valeur d’exploitation devrait être établie selon la valeur estimée de réalisation des participations. A titre plus subsidiaire encore, la demanderesse estime que la valeur d’exploitation devrait être établie selon une méthode intitulée « Stuttgarter Verfahren ».

Le tribunal est amené à constater que la valeur d’exploitation d’un bien est définie à l’article 27 LIR comme étant « le prix qu’un acquéreur de l’entreprise entière attribuerait au bien envisagé dans le cadre du prix d’acquisition global, l’acquéreur étant supposé continuer l’exploitation ».

Il ressort des travaux parlementaires relatifs à cette disposition qu’ « il faut considérer la participation comme un ensemble et non pas isolément les titres dont elle se compose. Généralement la valeur d'exploitation d'une participation est plus élevée que la somme des valeurs d'exploitation des titres la formant » (projet de loi sur l'impôt sur le revenu, doc. parl. 5714, ad art. 32, p. 49).

Afin de préciser d’une manière générale la notion de valeur d’exploitation, les mêmes travaux parlementaires ajoutent que « la valeur de remplacement est choisie comme point de départ pour la détermination de la valeur d'exploitation, parce qu’on peut admettre qu'en règle générale un bien vaut à l'exploitant ce que coûte effectivement son remplacement, le bien étant considéré à l'état où il se trouve à la date envisagée.

La valeur de remplacement est le prix auquel l'exploitant pourrait, à la date envisagée, acquérir ou fabriquer le bien en cause, donc le prix d'acquisition ou de revient à la date envisagée. (..) Un facteur prépondérant dans la détermination de la valeur d'exploitation est la nécessité ou l'utilité du bien économique dans le cadre de l'exploitation. Ce facteur fournit en effet les limites maxima et minima dans le cadre desquelles se meut la valeur d'exploitation.

La valeur d'exploitation a généralement pour limite inférieure la valeur estimée de réalisation du bien envisagé, considéré à l'état isolé. (..) La limite supérieure de la valeur d’exploitation se rencontre dans le cas des immobilisations qui, étant nécessaires à l’exploitation et ne se laissant pas remplacer à tout moment, sont susceptibles, en cas de perte subite, d’entraver la continuation de l’exploitation dans son étendue et avec ses possibilités antérieures. Ici, la valeur d’exploitation est constituée par la valeur ordinaire de remplacement, augmentée d’un montant approprié compensant l’inconvénient économique qu’entraîne pour l’exploitant l’élimination subite du bien » (projet de loi sur l'impôt sur le revenu, doc. parl. 5714, ad art. 32, p. 48).

Il s’ensuit que la valeur d’exploitation d’une participation est essentiellement fonction, d’une part, du coût de remplacement des éléments nécessaires du patrimoine de la société dans laquelle la participation est détenue, utilisés au bénéfice de la société détentrice de cette participation et, d’autre part, du degré d’utilité ou de nécessité de la participation dans le cadre de l’activité globale de la société détentrice. Dans la mesure où le contribuable estime que la valeur d’exploitation d’un bien doit être fixée à un montant inférieur à son prix d’acquisition, il lui incombe de fournir les éléments concrets de nature à justifier cette fixation d’une valeur inférieure1. En d’autres termes, l’assimilation entre la valeur d’exploitation et la valeur d’acquisition des participations ne constitue qu’une présomption simple, pouvant être renversée par le contribuable.

En l’espèce, le tribunal est amené à constater que le directeur a retenu une valeur d’exploitation des participations, correspondant à leur prix d’acquisition. Le directeur a d’ailleurs motivé cette détermination de la valeur d’exploitation par plusieurs explications.

La détermination de la valeur d’exploitation au prix d’acquisition, retenue par le directeur, ne constituant qu’une présomption simple, il appartient à la société demanderesse de la renverser en établissant que la valeur d’exploitation devrait correspondre à une valeur inférieure.

Le tribunal est amené à constater que les moyens invoqués par la société demanderesse ne sont pas de nature à énerver la détermination de la valeur d’exploitation retenue par le directeur.

1 cf. trib. adm. 24 avril 2002, no 13666 du rôle, Pas.adm. 2006, Vo Impôts, no 74 Ainsi, d’après les explications de la société demanderesse, le rapport établi en date du 21 septembre 2006 par la société Grant Thornton, procède à la détermination de la valeur d’exploitation des participations suivant trois indices boursiers, à savoir le rapport entre le prix en bourse d’une action Photo Hall et le résultat net du groupe, le rapport entre le prix en bourse d’une action P. et les flux de trésorerie du groupe et le rapport entre le prix en bourse d’une action P. et les fonds propres du groupe. Si ces indices avaient pu être appliqués en 1999 lors de la cession entre la société de droit belge P., cotée en bourse et la société … s.a., ces indices se rapportant exclusivement à la société P.

ne sont pas transposables à l’opération de fusion par absorption entre la société … s.a. et les sociétés … s.a. et … s.a., dans laquelle la société P. n’intervient pas.

Par ailleurs, la valeur d’exploitation des participations ne peut pas être déterminée sur base de la valeur estimée de réalisation. Aux termes de l’article 27 alinéa 2 LIR, la valeur estimée de réalisation se définit comme : « le prix qui s’obtiendrait lors d’une aliénation normale et librement consentie du bien envisagé, compte tenu de toutes les circonstances et conditions se répercutant sur le prix, (…) ». Dès lors, il y a lieu de distinguer entre la valeur d’exploitation des participations qui exige de procéder à une évaluation fictive des participations, en prenant en compte la valeur globale de tous les éléments composant l’entreprise et la valeur estimée de réalisation, qui consiste à considérer la valeur d’une participation prise isolément. D’après les travaux parlementaires précités, un facteur prépondérant dans la détermination de la valeur d'exploitation est la nécessité ou l'utilité du bien économique dans le cadre de l'exploitation, ce facteur fournissant en effet les limites maxima et minima dans le cadre desquelles se meut la valeur d'exploitation. Toutefois le tribunal est amené à constater que la simple affirmation de la société demanderesse, sans aucune précision, que les participations ne constitueraient ni un élément essentiel, ni un élément étranger à la poursuite de l’activité, et que leur valeur devrait donc être fixée près de la limite minima de la valeur d’exploitation, n’est pas de nature à ébranler la présomption selon laquelle la valeur d’exploitation correspond en l’espèce à la valeur d’acquisition des participations.

Cette constatation est encore confortée par le fait que la société demanderesse se contredit, en affirmant d’un côté que les participations ne constitueraient pas un élément essentiel à l’exploitation de l’entreprise et d’un autre côté que « les participations représentent directement ou indirectement près de la moitié des actifs de la société » et qu’« on peut raisonnablement penser que les participations représentent un élément déterminant dans la fixation du prix qu’un acheteur potentiel serait prêt à offrir pour l’acquisition de la société ».

Enfin, les simples affirmations de la partie demanderesse selon lesquelles la méthode d’évaluation de la valeur d’exploitation, dénommée « Stuttgarter Verfahren » permettrait une meilleure évaluation de la valeur des participations, n’est pas de nature à ébranler la présomption établie par le directeur.

Il ressort des considérations qui précèdent que c’est à juste titre que le directeur a retenu que la valeur d’exploitation correspond au montant du prix d’acquisition des participations et qu’il a ainsi estimé que le bénéfice résultant de l’annulation des participations, consistant dans la différence entre la valeur comptable et la valeur d’exploitation, s’élève à 0 Luf.

Le recours est donc à rejeter pour n’être fondé dans aucun de ses moyens.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne la société … s.a. aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Françoise Eberhard, juge, Lexie Breuskin, juge ;

et lu à l’audience publique du 10 septembre 2008 par le premier vice-président, en présence du greffier de la Cour administrative, Anne-Marie Wiltzius, greffier assumé.

s. Wiltzius s. Schockweiler 14


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 23220
Date de la décision : 10/09/2008

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2008-09-10;23220 ?

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