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10/09/2008 | LUXEMBOURG | N°22843

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 septembre 2008, 22843


Tribunal administratif Numéro 22843 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 avril 2007 Audience publique du 10 septembre 2008 Recours formé par Monsieur …, … (Suisse) contre un bulletin d’impôt émis par le bureau d’imposition Luxembourg 6 en matière d’impôt sur le revenu

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 22843 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 20 avril 2007 par Maître Alain Steichen, avocat à la Cour, assisté de Maître

Camille Paul Seilles, avocat, les deux inscrits au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg...

Tribunal administratif Numéro 22843 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 avril 2007 Audience publique du 10 septembre 2008 Recours formé par Monsieur …, … (Suisse) contre un bulletin d’impôt émis par le bureau d’imposition Luxembourg 6 en matière d’impôt sur le revenu

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 22843 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 20 avril 2007 par Maître Alain Steichen, avocat à la Cour, assisté de Maître Camille Paul Seilles, avocat, les deux inscrits au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à CH-…, tendant à la réformation d’un bulletin de l’impôt sur le revenu pour l’année 2001, émis à l’égard de Monsieur … et de son épouse, Madame …, en date du 20 mars 2003 par le bureau d’imposition Luxembourg 6 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 septembre 2007 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le bulletin entrepris ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Camille Paul Seilles et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Marie Klein en leurs plaidoiries respectives.

Suite au dépôt par Monsieur … et son épouse, Madame …, de leur déclaration de l’impôt sur le revenu pour l’année 2001, en date du 22 juillet 2002, le bureau d’imposition Luxembourg 6 de la section des personnes physiques du service d’imposition de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par le « bureau d’imposition », émit en date du 20 mars 2003 à l’égard des intéressés un bulletin de l’impôt sur le revenu pour l’année 2001, en s’écartant des déclarations du contribuable sur le point suivant :

« charges extraordinaires – les frais déclarés ne sont pas déductibles comme charges extraordinaires », étant entendu que dans le cadre de ladite déclaration fiscale, Monsieur et Madame …-… avaient sollicité un abattement au titre de charges extraordinaires d’un montant de … LUF qu’ils auraient déboursé dans le cadre de l’entretien de parents nécessiteux.

Par courrier du 22 mai 2003, Monsieur … et son épouse, Madame …, firent introduire par l’intermédiaire d’un réviseur d’entreprises une réclamation contre le bulletin d’impôt précité du 20 mars 2003. Ils firent notamment exposer dans le cadre de ladite réclamation qu’au cours de l’année 2001, Monsieur … aurait versé à sa mère, Madame … ainsi qu’à son frère invalide, Monsieur … … un montant total de ITL …, soit LUF … et ils contestèrent la non prise en considération de ce montant au titre de charges extraordinaires pour l’année d’imposition en question.

Cette réclamation étant restée sans réponse de la part du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après dénommé le « directeur », Monsieur … a fait introduire, par requête déposée le 20 avril 2007 au greffe du tribunal administratif, un recours contentieux tendant à la réformation du prédit bulletin d’impôt pour l’année 2001, émis le 20 mars 2003.

Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung » , en abrégé « AO », et de l’article 8 (3) 3. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours dirigé contre un bulletin de l’impôt sur le revenu en cas de silence du directeur durant plus de six mois suite à une réclamation dûment introduite par le contribuable. Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre ledit bulletin d’impôt sur le revenu du 20 mars 2003, lequel recours est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

S’il est vrai qu’à l’appui de sa requête introductive d’instance, le demandeur a souhaité voir joindre le présent recours avec « deux autres recours » qui auraient été déposés par lui devant le tribunal administratif, et que le délégué du gouvernement s’est opposé à une telle demande de jonction, qui porterait sur deux affaires enrôlées sous les numéros respectifs 22842 et 22844 du rôle, du fait que ces deux autres rôles se présenteraient « tout autrement », il n’en demeure pas moins que cette demande du demandeur n’a pas été reprise au dispositif de ladite requête, de sorte que le tribunal n’a pas à y prendre position, étant donné que l’objet de la demande consistant dans le résultat que le plaideur entend obtenir est celui circonscrit dans le dispositif de la requête introductive d’instance, de sorte que le tribunal ne saurait avoir égard qu’au contenu dudit dispositif et les demandes y formulées pour trancher le litige dont il est saisi.

A l’appui de son recours, le demandeur reproche au bureau d’imposition de ne pas avoir pris en considération la déduction d’un abattement pour charges extraordinaires pour un montant de LUF … au titre de l’année d’imposition 2001. Cette charge extraordinaire correspondrait au soutien financier qu’il aurait consenti au cours de l’année en question à sa mère, Madame … ainsi qu’à son frère invalide, Monsieur … …, demeurant tous les deux à … en Italie. Ainsi, il leur aurait payé un montant total de ITL …, soit LUF … ou EUR …, afin de couvrir les « dépenses quotidiennes » tant de sa mère que de son frère ainsi que « pour compléter le remboursement d’un prêt hypothécaire » en rapport avec l’appartement appartenant à sa mère. Il fait en effet soutenir que sa mère, qui serait veuve, ayant bénéficié d’une pension d’un montant global de EUR … par mois, soit EUR … ou LUF … par an et son frère, qui serait invalide, ayant bénéficié d’une pension d’invalidité de ITL … par mois, soit LUF …, n’auraient pas disposé au cours de l’année d’imposition litigieuse de l’argent nécessaire afin d’assurer non seulement le paiement des frais de ménage courants mais également le remboursement du prêt hypothécaire relatif à l’appartement précité, qui, du fait d’avoir été conclu à taux variable qui n’aurait cessé d’augmenter en même temps que la Lire italienne aurait été dévaluée, aurait eu pour conséquence que la valeur du prêt aurait été d’une valeur « très supérieure » à la valeur réelle du bien immobilier en question.

Le demandeur fait encore exposer qu’en raison du fait que sa mère ainsi que son frère n’auraient disposé que d’un montant de LUF … par an, et qu’ils auraient dû rembourser une somme de LUF … par an sur le prêt hypothécaire précité, ils se seraient trouvés manifestement dans le besoin, de sorte qu’il aurait été obligé de leur faire parvenir l’argent nécessaire afin d’assurer non seulement le remboursement de l’intégralité des mensualités relatives au prêt hypothécaire précité, mais également leur subsistance. Ainsi, au cours de l’année d’imposition 2001, il leur aurait fait parvenir la somme de LUF … qui leur aurait permis de retirer une somme de LUF … pour compléter le remboursement de leur prêt, leur laissant ainsi une somme de LUF … pour assurer le financement de leurs frais de ménage courants. Quant au prêt hypothécaire, le demandeur fait préciser qu’il porterait sur un appartement de 80 m2 situé dans la périphérie de … « dans un lieu caractérisé par son haut niveau de délinquance et de criminalité », comme cela ressortirait d’un certificat joint en annexe à sa requête introductive d’instance, dont il ne serait pas propriétaire et dont il ne pourrait retirer un quelconque bénéfice personnel.

En droit, le demandeur conclut que les trois conditions posées par l’article 127, premier alinéa de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu (LIR) seraient remplies en l’espèce, étant donné que la charge qu’il aurait ainsi eue au cours de l’année 2001 serait à la fois extraordinaire, inévitable et aurait réduit de façon considérable sa faculté contributive. Ainsi, il souhaite voir faire droit à sa demande tendant à obtenir un abattement de son revenu imposable pour l’année d’imposition 2001 d’un montant de LUF …, en tenant compte de ce qu’une charge normale de 5 % du montant effectivement déboursé en faveur de sa mère et de son frère devra rester définitivement à sa charge.

Le délégué du gouvernement soutient dans son mémoire en réponse que les secours versés à de proches parents nécessiteux sous la pression d’une obligation juridique ou morale sont déductibles comme charges extraordinaires dans la mesure où ils dépassent la charge normale telle que définie par l’article 127 LIR. Il serait dans ce contexte indifférent de savoir si le revenu du contribuable lui permettrait de supporter la charge même sans la modération d’impôt et si les bénéficiaires des secours résident à l’étranger. En conclusion, il estime qu’il appartiendrait au tribunal d’apprécier dans quelle mesure les faits tels qu’exposés par le demandeur seraient suffisamment établis pour qu’il puisse être fait droit à sa demande.

L’article 127 LIR dispose dans ses paragraphes (1) à (3) que :

« (1) Sur demande le contribuable obtient un abattement de revenu imposable du fait de charges extraordinaires qui sont inévitables et qui réduisent d’une façon considérable sa faculté contributive.

(2) Le contribuable est censé avoir des charges extraordinaires lorsqu’il a des obligations qui n’incombent normalement pas à la majorité des contribuables se trouvant dans une condition analogue quant à la situation familiale et quant à l’importance des revenus et de la fortune. Ne sont toutefois pas à prendre en considération les charges et dépenses déductibles à titre de dépenses d’exploitation, de frais d’obtention ou de dépenses spéciales.

(3) Une charge extraordinaire est inévitable au sens du prédit article, lorsque le contribuable ne peut s’y soustraire pour des raisons matérielles, juridiques ou morales ».

Pour qu’un contribuable puisse bénéficier d’un abattement pour charges extraordinaires, trois conditions de fond doivent être remplies cumulativement, à savoir la charge doit être extraordinaire, elle doit être inévitable et elle doit réduire la faculté contributive du contribuable de façon considérable1.

Quant à la condition ayant trait au caractère extraordinaire de la charge, il échet de retenir que le paragraphe (2) de l’article 127 LIR précise ce qu’il y a lieu d’entendre par la notion en question, en retenant qu’il doit s’agir d’obligations « qui n’incombent normalement pas à la majorité des contribuables se trouvant dans une condition analogue ».

En l’espèce, le demandeur se trouve dans la catégorie de personnes devant subvenir aux frais d’entretien d’un parent nécessiteux, à savoir sa mère, et d’un proche parent, à savoir son frère, qui ne font pas partie de son ménage. Il se dégage en outre de l’énonciation des faits à laquelle il a été procédé ci-dessus, non contestés en cause, que la mère ainsi que le frère du demandeur ne disposent même pas des sommes requises pour assurer le financement de leur modeste logement, de sorte qu’ils ne sont en aucune façon en mesure de subvenir au paiement de leurs frais d’entretien courants.

Le demandeur se retrouve partant dans une catégorie de personnes qui doivent assurer l’entretien non seulement d’un parent nécessiteux mais également d’un proche parent, en supportant partant des obligations qui n’incombent normalement pas à la majorité des contribuables dont les parents ou proches parents ne dépendent pas financièrement d’eux.

Il s’ensuit que la condition du caractère extraordinaire de la charge doit être considérée comme étant remplie en l’espèce.

Quant à la condition du caractère inévitable de la charge litigieuse, il échet de se référer au paragraphe (3) de l’article 127 LIR suivant lequel la charge est inévitable « lorsque le contribuable ne peut s’y soustraire pour des raisons matérielles, juridiques ou morales ».

En l’espèce, le demandeur se trouve dans la situation de devoir financer l’entretien de parents sans ressources suffisantes, de sorte qu’il se trouve pour le moins dans une situation d’obligation morale de devoir venir à leur secours afin d’assurer le financement de leurs moyens de subsistance. S’y ajoute qu’en ce qui concerne la mère du demandeur, l’obligation morale est susceptible de prendre la forme d’une obligation juridique, suivant les dispositions du droit italien applicables en la matière, non établies en cause, de sorte que le caractère inévitable de la charge supportée par le demandeur au cours de l’année d’imposition 2001 ne saurait être mis en doute.

Quant à la troisième condition de fond se dégageant de l’article 127 LIR paragraphe (1) précité, tirée de la réduction de la faculté contributive du contribuable, il y a lieu de se référer au paragraphe (4) dudit article 127 suivant lequel pour la classe d’impôt litigieuse du demandeur, à savoir la classe d’impôt 2.2, non contestée en cause, et un revenu annuel supérieur à 60.000 €, il y a lieu de considérer comme dépassant la faculté contributive du contribuable toutes les dépenses extraordinaires effectuées au-delà de 5 % du revenu. En l’espèce, le revenu annuel imposable au titre de l’année 2001 s’est élevé à LUF … Partant, les charges extraordinaires du demandeur, pour autant qu’elles dépassent le montant de 5 % dudit revenu annuel, doivent être considérées comme réduisant sa faculté contributive. Comme par rapport à un tel revenu annuel, la charge normale de 5 % s’élève à LUF … et comme les frais effectivement supportés au titre des charges extraordinaires s’élèvent à LUF …, le montant de 1 cf. trib. adm. 15 juin 2000, n° 11340 du rôle, Pas. adm. 2006, V° Impôts, n° 163 la charge extraordinaire devant être considéré comme réduisant la faculté contributive de Monsieur … s’élève à LUF ….

Il se dégage encore des pièces versées en cause que le paiement de la somme de ITL … au cours de l’année d’imposition 2001 a été dûment établi en cause, notamment par un certificat émis par la mère du demandeur, Madame …, non contesté en cause.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent et notamment du fait que les trois conditions légales de fond telles que fixées par l’article 127 LIR sont remplies en cause, qu’il y a lieu de faire droit à la demande et de décider qu’il y a lieu de déduire du revenu imposable du demandeur un abattement du fait de charges extraordinaires pour un montant de LUF … au titre de l’année d’imposition 2001.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare justifié, partant, par réformation, décide qu’il y a lieu de déduire du revenu imposable de l’année d’imposition 2001 un abattement du fait de charges extraordinaires pour un montant de LUF … ;

renvoie le dossier en prosécution de cause devant le directeur de l’administration des Contributions directes pour attribution au bureau d’imposition compétent ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Martine Gillardin, premier juge, Lexie Breuskin, juge, et lu à l’audience publique du 10 septembre 2008 par le premier vice-président, en présence du greffier de la Cour administrative Anne-Marie Wiltzius, greffier assumé.

s. Wiltzius s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 22843
Date de la décision : 10/09/2008

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2008-09-10;22843 ?

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