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03/09/2008 | LUXEMBOURG | N°24047

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 03 septembre 2008, 24047


Tribunal administratif N° 24047 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 février 2008 Audience publique du 3 septembre 2008 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de port d’armes

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 24047 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 11 février 2008 par Maître Gaston Vogel, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mo

nsieur …, employé privé, demeurant à …, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de...

Tribunal administratif N° 24047 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 février 2008 Audience publique du 3 septembre 2008 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de port d’armes

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 24047 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 11 février 2008 par Maître Gaston Vogel, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, employé privé, demeurant à …, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 17 décembre 2007 portant refus de sa demande de renouvellement de l’autorisation de port d’arme de sport no … du 10 février 2004, telle que confirmée par une décision du même ministre du 14 janvier 2008, suite à l’introduction d’un recours gracieux le 10 janvier 2008 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 25 avril 2008 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision ministérielle attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Frédéric Mioli, en remplacement de Maître Gaston Vogel, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives.

En date du 5 février 2007, Monsieur … sollicita auprès du ministre de la Justice, ci-

après dénommé « le ministre », le renouvellement de son autorisation de port d’arme de sport no … du 10 février 2004.

Par décision du 17 décembre 2007, le ministre refusa de faire droit à ladite demande de renouvellement. Cette décision est libellée comme suit :

« J'ai l'honneur de me référer à votre demande du 05 février 2007 par laquelle vous sollicitez la prorogation de votre permis de port d'arme de sport no. … du 10 février 2004.

Toutefois, il ressort de votre dossier administratif que vous avez fait l'objet des procès-verbaux suivants :

 Procès-verbal no. … du 06 mai 2007 dressé par la Police grand-ducale de Capellen pour coups et blessures volontaires ainsi que destruction volontaire ;

 procès-verbal no. … du 09 novembre 2006 dressé par la Police grand-ducale de Luxembourg pour stationnement abusif sur un emplacement réservé aux handicapés ;

 procès-verbal no. … du 05 septembre 2004 dressé par la Police grand-ducale de Luxembourg pour injures et coups et blessures volontaires ;

 procès-verbal no. … du 18 mai 2004 dressé par la Police grand-ducale de Dudelange pour port illégal d'arme prohibée.

Je tiens en outre à faire état ici de la condamnation prononcée le 21 mars 2002 par le Tribunal correctionnel de Luxembourg du chef de conduite en état d'ivresse et dépassement de la vitesse autorisée.

Il convient de mentionner finalement l'avis défavorable du 27 novembre 2007 de Monsieur le Procureur d'Etat de Luxembourg, avis auquel je me rallie et qui est censé faire partie intégrante de la présente décision. Cet avis stipule notamment comme suit : « …Le soussigné estime que l'on ne saurait exclure, eu égard au nombre et au contenu des procès-

verbaux dressés à charge de Monsieur…, que celui-ci ne fasse un mauvais usage de ses armes (cf. article 16 alinéa 2 de la loi du 15 mars 1983 sur les armes et munitions) et qu'il y a dès lors lieu de révoquer le permis de port d'arme de sport dont il bénéficie actuellement».

Il résulte de ce qui précède que vous ne présentez plus les qualités morales requises pour la détention et le port d'une arme à feu, de sorte que l'autorisation sollicitée est refusée en application de l'article 16 alinéa 2 de la loi du 15 mars 1983 sur les armes et munitions.

En exécution de la présente décision vous êtes invité à vous dessaisir endéans la quinzaine des armes et des munitions en votre possession, soit en les remettant provisoirement à un commissariat de Police, soit en les cédant directement et à titre définitif à une personne autorisée ou à autoriser par le Ministère de la Justice, telle qu'un armurier.

La présente décision peut faire l'objet d'un recours en annulation devant le Tribunal administratif, à introduire dans un délai de trois mois à partir de la notification de la présente décision par une requête signée par un avocat à la Cour. » Par courrier du 10 janvier 2008, Monsieur … introduisit un recours gracieux auprès du ministre, qui confirma sa décision initiale de refus par courrier du 14 janvier 2008, à défaut d’éléments pertinents nouveaux.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 11 février 2008, Monsieur … a fait introduire un recours en annulation à l’encontre de la décision ministérielle de refus du 17 décembre 2007, telle que confirmée par décision du ministre du 14 janvier 2008.

Etant donné que ni la loi modifiée du 15 mars 1983 sur les armes et munitions, ni aucune autre disposition légale ne prévoient la possibilité d’introduire un recours de pleine juridiction en la matière, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision litigieuse.

A titre liminaire, le tribunal est amené à analyser le moyen d’irrecevabilité du recours, soulevé par le délégué du gouvernement dans le cadre de son mémoire en réponse et tiré du fait que Monsieur … a dirigé son recours contentieux contre la seule décision de refus initiale du 17 décembre 2007 et non point contre la décision ministérielle confirmative du 14 janvier 2008, intervenue suite au recours gracieux.

A cet égard, il échet de relever qu’une décision, intervenue sur recours gracieux, purement confirmative d’une décision initiale, tire son existence de cette dernière et dès lors, les deux doivent être considérées comme formant un seul tout1.

En l’espèce, force est au tribunal de constater que bien que le recours ne soit introduit que contre la seule décision de refus initiale du 17 décembre 2007, cela ne saurait porter à conséquence, étant donné qu’en cas d’annulation de la décision ministérielle déférée, la décision de refus confirmative tomberait également puisque celle-ci tire son existence de la première. Il s’ensuit que le moyen d’irrecevabilité du délégué du gouvernement laisse d’être fondé.

Le recours en annulation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur reproche à la décision ministérielle de refus d’être entachée d’excès de pouvoir. Il estime que la décision aurait été prise en violation des règles du contradictoire. Il fait ensuite valoir que les procès-verbaux auxquels se réfère le ministre dans sa décision n’auraient à ce jour pas été suivis d’une condamnation judiciaire et conteste les infractions lui reprochées en insistant sur le fait qu’il bénéficierait d’une présomption d’innocence et que l’administration aurait violé en l’espèce un principe élémentaire des droits de l’homme. Enfin, il estime que la condamnation judiciaire, remontant à l’année 2002, « ne saurait jouer aucun rôle », surtout alors que la prorogation du 10 février 2004 aurait été accordée en connaissance de ce jugement.

Le délégué du gouvernement estime en premier lieu que les règles du contradictoire n’auraient pas été violées en l’espèce, étant donné que le demandeur aurait formulé une demande, à laquelle le ministre aurait répondu. Il ajoute que dans le cadre d’une procédure non-contentieuse en 2006, le demandeur aurait reçu un avertissement, par rapport auquel il aurait pris longuement position. De plus, le demandeur aurait exercé en l’espèce un recours gracieux contre la décision de refus initiale du ministre.

Le représentant étatique se réfère ensuite à la jurisprudence des juridictions administratives pour soutenir que le ministre serait juge de l’opportunité d’octroyer ou de refuser l’autorisation de port d’arme, à condition de fonder sa décision sur des critères objectifs et que le renouvellement d’une telle autorisation ne s’opérerait point de façon automatique. Il ajoute, en se référant également à la jurisprudence des juridictions administratives, que le refus de renouvellement d’une autorisation de port d’arme n’entrerait pas en conflit avec le principe de la présomption d’innocence. Par ailleurs, le refus de renouvellement d’une autorisation de port d’arme ne serait pas soumis à la condition d’une condamnation au pénal, mais pourrait reposer uniquement sur des procès-verbaux. Enfin, il estime que le comportement, voire la moralité du demandeur ne serait pas compatible avec une quelconque autorisation en matière d’armes à feu.

1 cf. trib adm. 21 avril 1997, no 9459 du rôle, Pas.adm. 2006, Vo Procédure contentieuse, no 136 et autres références y citées Aux termes de l’article 16 de la loi modifiée du 15 mars 1983 précitée :

« l’autorisation (…) de porter (…) des armes et munitions est délivrée par le ministre de la Justice ou son délégué, si les motifs invoqués à l’appui de la demande sont reconnus valables.

L’autorisation peut être refusée lorsqu’il est à craindre que le requérant, compte tenu de son comportement, de son état mental et de ses antécédents, ne fasse un mauvais usage de l’arme ».

Il convient de rappeler qu’en matière d’autorisations de port d’armes, le ministre est juge de l’opportunité d’octroyer, de refuser, voire de retirer l’autorisation de porter des armes, à condition que son appréciation repose sur des critères objectifs et s’opère d’une manière non arbitraire2. Le juge de l’annulation vérifie à cet égard les faits formant la base de la décision administrative qui lui est soumise et examine si ces faits sont de nature à justifier la décision.

Cet examen amène le juge à vérifier si les faits à la base de la décision sont établis, cette vérification pouvant s’étendre le cas échéant au caractère proportionnel de la mesure prise par rapport aux faits établis, mais elle est cependant limitée aux cas exceptionnels où une flagrante disproportion des moyens laisse entrevoir un usage excessif du pouvoir par cette autorité3.

La gravité de la décision d’accorder une autorisation de porter une arme impose au ministre de faire application de critères très restrictifs pour la reconnaissance de motifs valables. Afin de minimiser le risque d’un mauvais usage d’une arme, les titulaires du droit de porter une arme doivent impérativement faire preuve d’une attitude irréprochable et d’un sens aigu des responsabilités.

En l’espèce, le ministre s’est basé sur l’article 16, alinéa 2 de la loi précitée du 15 mars 1983 pour refuser au demandeur le renouvellement de ses autorisations de port d’armes. Il y a donc lieu d’analyser si cette décision de refus n’est pas entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.

Dans ce contexte, le tribunal est amené à constater qu’il ressort des pièces versées au dossier que le demandeur a fait l’objet de quatre procès-verbaux dressés par la police grand-

ducale entre 2004 et 2007, à savoir d’un procès-verbal no 12103 du 18 mai 2004 de la police grand-ducale de Dudelange pour port illégal d’arme prohibée, d’un procès-verbal no 21422 du 5 septembre 2004 dressé par la police-grand-ducale de Luxembourg pour injures et coups et blessures volontaires, d’un procès-verbal no 31388 du 9 novembre 2006 dressé par la police grand-ducale de Luxembourg pour stationnement abusif sur un emplacement réservé aux handicapés et d’un procès-verbal no 69 du 6 mai 2007 dressé par la police grand-ducale de Capellen pour coups et blessures volontaires ainsi que destructions volontaires.

Or, d’un côté, le fait de faire l’objet de quatre procès-verbaux de la police dans un intervalle de seulement trois années et, de l’autre côté, le fait que le procès-verbal du 18 mai 2004 a été dressé pour port illégal d’arme et celui du 6 mai 2007 a été dressé pour coups et blessures volontaires, témoignent du risque que présente le demandeur de faire un mauvais usage d’une arme et surtout d’un sens de responsabilité peu développé dans le chef du demandeur. En effet, si les infractions reprochées au demandeur et retracées dans les divers 2 trib. adm. 27 mars 1997, n° 9597 du rôle; Pas. adm. 2006, V° « Armes prohibées », n° 1 et autres références y citées.

3 Cour adm. 8 octobre 2002, n° 14845C du rôle, Pas adm. 2006, V° « Recours en annulation », n° 16.

procès-verbaux ne concernent pas toutes des infractions liées à un mauvais usage d’une arme, il n’en demeure pas moins que, considéré dans sa globalité, le comportement du demandeur s’avère peu respectueux des lois. Cette constatation est encore confirmée par les explications du délégué du gouvernement, d’ailleurs non contestées par le demandeur, selon lesquelles il a été condamné par jugement du 21 mars 2002 du tribunal correctionnel du chef de conduite en état d’ivresse et de dépassement de la vitesse autorisée. Si cette condamnation au pénal remonte à l’année 2002 et n’a ainsi pas posé obstacle à la prorogation du permis de port d’arme de sport du demandeur en 2004, cela n’empêche pas qu’elle puisse être prise en compte à l’heure actuelle dans le cadre d’une analyse globale du comportement et du sens de responsabilité du demandeur.

Le tribunal est partant amené à constater sur base des pièces versées au dossier que le comportement du demandeur se caractérise par un sens de responsabilité peu développé et qu’eu égard à ce comportement, le ministre a valablement pu refuser le renouvellement du permis de port d’arme de sport au demandeur.

Ces considérations ne sont pas énervées par les affirmations du demandeur selon lesquelles aucun des procès-verbaux dressés par la police grand-ducale n’a été suivi d’une condamnation pénale, étant donné que dans le cadre de son pouvoir d’appréciation, le ministre peut se baser sur des considérations tirées du comportement du demandeur, telles que celles-ci lui ont été soumises à travers les procès-verbaux et rapports des forces de l’ordre, qui constituent des moyens licites et appropriés pour puiser les renseignements de nature à asseoir sa décision, et cela même indépendamment de toute poursuite pénale4. Le ministre peut donc valablement se fonder sur un procès-verbal de la police pour constater un comportement peu responsable de la part du demandeur et refuser par conséquent le renouvellement d’un permis de port d’arme.

Quant à la violation alléguée du principe de la présomption d’innocence, le tribunal est amené à constater que le refus de renouvellement d’une autorisation de port d’arme, répondant à des impératifs de sécurité publique, n’est pas de nature à entrer en conflit avec le principe de la présomption d’innocence, laissé intact en ce qu’il concerne l’instance pendante au pénal avec laquelle l’arrêté ministériel critiqué n’interfère pas directement eu égard à la différence d’objet des deux procédures en question5.

Dès lors, il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le ministre a valablement pu retenir que compte tenu du comportement du demandeur, celui-ci présentait un risque de faire un mauvais usage de ses armes. Ainsi, le ministre, n’a pas excédé les limites de son pouvoir d’appréciation dans le cadre des attributions lui conférées par la loi précitée du 15 mars 1983 et il a donc légalement pu refuser le renouvellement du permis de port et de détention d’armes sollicité par Monsieur ….

Le recours est partant à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

4 cf. trib. adm. 31 mai 2000, no 11602 du rôle, confirmé par arrêt du 23 novembre 2000, no 12102C du rôle, Vo Pas. adm. 2006 « Armes prohibees » no 18 et autres références y citées.

5 cf. trib. adm. 11 novembre 2002, no 14888 du rôle, confirmé par arrêt du 4 février 2003 no 15655C du rôle, Vo Pas. adm. 2006 « Armes prohibees » no 6 et autres références y citées.

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit non justifié ;

partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

Martine Gillardin, premier juge, Françoise Eberhard, juge, Lexie Breuskin, juge, et lu à l’audience publique du 3 septembre 2008 par le premier juge, en présence du greffier de la Cour administrative Anne-Marie Wiltzius, greffier assumé.

s. Wiltzius s. Gillardin 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 24047
Date de la décision : 03/09/2008

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2008-09-03;24047 ?

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