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21/08/2008 | LUXEMBOURG | N°24646

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 août 2008, 24646


Tribunal administratif N° 24646 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 juillet 2008 Audience publique extraordinaire du 21 août 2008 Recours formé par Monsieur … … et consorts, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 23 L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 24646 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 juillet 2008 par Maître Olivier LA

NG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mon...

Tribunal administratif N° 24646 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 juillet 2008 Audience publique extraordinaire du 21 août 2008 Recours formé par Monsieur … … et consorts, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 23 L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 24646 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 juillet 2008 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, né le … à … (Monténégro), de Madame … …-…, née le … à … (Monténégro), agissant en leur noms propres ainsi qu’au nom et pour compte de leurs enfants mineurs … …, née le … à …, … …, née le … à … et … …, née le … à …, tous de nationalité monténégrine et demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 17 juin 2008 par laquelle ledit ministre a déclaré irrecevable leur nouvelle demande tendant à l’obtention d’une protection internationale ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 15 juillet 2008, intervenue sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 août 2008 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Olivier LANG et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRÜCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 20 août 2008.

Le 2 septembre 2005, Monsieur … … et son épouse, Madame … …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs …, … et …, ci-après « la famille … », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Cette demande fut rejetée par une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 1er juin 2006. Le recours contentieux introduit par la famille … à l’encontre de cette décision ministérielle fut rejeté par jugement du tribunal administratif du 14 décembre 2006 (n° 21617 du rôle).

Aucun appel ne fut interjeté contre ce jugement.

Par courrier de leur mandataire du 9 mars 2007, la famille … fit introduire une demande tendant à la délivrance d’une autorisation de séjour sur base humanitaire, sinon d'une attestation de tolérance au sens de l’article 22 (2) de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection.

Par décision du 12 mars 2007, le ministre refusa de faire droit à cette demande au motif qu'il n'existait pas de preuves que l'exécution matérielle de l'éloignement de la famille … serait impossible en circonstances de fait, décision qu’il confirma en date du 4 juin 2007 suite à un recours gracieux. Le recours contentieux introduit par la famille … à l’encontre de cette décision ministérielle fut rejeté à son tour par jugement du tribunal administratif du 3 décembre 2007 (n° 23041 du rôle).

Le 10 juin 2008, la famille … fit adresser par son mandataire au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration une nouvelle demande tendant à se voir accorder la protection internationale conformément à la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection.

Par décision du 17 juin 2008, notifiée au mandataire de la famille … par lettre recommandée expédiée le 18 juin 2008, le ministre rejeta cette nouvelle demande pour être irrecevable, décision libellée en les termes suivants :

« J'ai l'honneur de me référer à votre nouvelle demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée par courrier en date du 10 juin 2008, reçu le 13 juin 2008, au profit de vos mandants Monsieur et Madame …-… et de leurs enfants mineurs.

Il ressort du dossier de vos mandants qu'ils ont déposé une première demande en obtention du statut de réfugié au Luxembourg le 2 septembre 2005, demande qui a été rejetée par le Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration en date du 1 er juin 2006. La demande en obtention du statut de réfugié a été définitivement rejetée par le Tribunal administratif en date du 14 décembre 2006. Vos mandants ont invoqué à la base de leur demande un risque pour leur vie et leur intégrité physique dans leur pays d'origine. Il est en effet allégué que Monsieur … …, militaire de carrière, aurait découvert, par hasard et à son insu, la présence de Monsieur Ratko Mladic dans la région et serait de ce fait devenu un témoin indésirable poursuivi par les autorités monténégrines.

Vous motivez une nouvelle demande le 10 juin 2008 par l'apport de pièces qui figurent déjà au dossier administratif.

Dans un premier temps, il convient de rappeler que le requérant a été débouté de sa première demande d'asile pour cause d'inconsistances et invraisemblances dans son récit notamment révélées suite à une confrontation du demandeur avec les enquêteurs du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie. Ainsi, l'apport de nouvelles pièces visant à étayer une crainte dès lors considérée comme fictive par des sources sûres, n'est pas de nature à constituer un élément nouveau. Au contraire, tel que le Ministre l'avait constaté dans sa décision de refus d'un statut de tolérance en date du 4 juin 2007, l'origine douteuse de telles pièces ne fait que renforcer l'absence de crédibilité du récit de vos mandants.

En outre, il convient de constater que les pièces versées en l'espèce ne sont pas nouvelles puisqu'elles avaient déjà été communiquées en date du 24 avril 2007 respectivement du 17 août 2007 dans le cadre de la demande d'autorisation de séjour sinon de statut de tolérance formulée en date du 20 avril. Dans ce contexte, le Tribunal administratif s'était également prononcé sur les pièces dont il est question pour confirmer qu'elles « ne sont pas de nature à rendre plus crédible le récit des demandeurs ».

Ainsi, je suis au regret de vous informer qu'en vertu des dispositions de l'article 23 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, votre demande de protection internationale pour le compte de vos mandants …-… est irrecevable au motif que vous n'avez présenté aucun élément ou fait nouveau augmentant de manière significative la probabilité qu'ils remplissent les conditions requises pour prétendre à une protection internationale. Même à considérer les pièces versées comme nouvelles, elles n'ont de toutes façons pas été communiquées, dans le cadre de la nouvelle demande, endéans le délai de quinze jours prévu par l'article 23(2).

La nouvelle demande en obtention d'une protection internationale est dès lors déclarée irrecevable.

La présente décision est susceptible d'un recours en annulation devant le Tribunal administratif. Ce recours doit être introduit par requête signée d'un avocat à la Cour dans un délai d'un mois à partir de la notification de la présente. La décision du Tribunal administratif ne sera susceptible d'aucun appel. (…) » Suite à un recours gracieux introduit en date du 14 juillet 2008 par le mandataire de la famille … , le ministre prit une décision confirmative de sa décision initiale en date du 15 juillet 2008.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 21 juillet 2008, la famille … a fait introduire un recours tendant à l’annulation des décisions ministérielles prévisées des 17 juin et 15 juillet 2008.

Etant donné que l’article 23 (3) de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection prévoit un recours en annulation en matière de nouvelles demandes déclarées irrecevables, seul un recours en annulation a pu être dirigé contre les décisions ministérielles critiquées.

Le recours en annulation, par ailleurs introduit dans les formes et délais de la loi, est dès lors recevable.

La famille … fait en substance grief au ministre d’avoir écarté sa demande sans examen au fond des nouveaux éléments produits à l’appui de sa nouvelle demande. Elle estime qu’une nouvelle demande de protection internationale ne pourrait être déclarée irrecevable et être ainsi privée d'un examen au fond, que dans les seules conditions qui peuvent être dégagées d'une lecture à contrario du premier paragraphe de l'article 23, à savoir, lorsque les éléments ou les faits qui apparaissent ou sont présentés par le demandeur, ne sont pas des faits nouveaux, qu'ils n'augmentent pas de manière significative la probabilité qu'il remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire, et que si, par sa faute, il a été dans l'incapacité de les faire valoir au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse.

La famille … reproche plus particulièrement à ce sujet au ministre d’avoir conclu à tort que « l'apport de nouvelles pièces visant à étayer une crainte dès lors considérée comme fictive par des sources sûres, n'est pas de nature à constituer un élément nouveau » un tel raisonnement revenant selon la famille … à dénier le caractère incontestablement nouveau des nouvelles pièces versées, et ce alors que ces pièces n'existaient pas à l'époque de la première procédure d'asile. La demanderesse critique de même le fait que le ministre ait retenu que ces pièces auraient déjà été communiquées dans le cadre de la demande d'autorisation de séjour sinon du statut de tolérance formulée en date du 24 avril 2007, alors qu’il importerait peu que ces pièces aient été communiquées dans le cadre d'une autre procédure que celle aux termes de laquelle la première demande d'asile de la famille … a été rejetée.

La famille … reproche encore au ministre d’avoir sanctionné le fait que les pièces en question n’ont pas été produites dans le délai de 15 jours requis par l'article 23 de la loi modifiée du 5 mai 2006 à compter du moment où elle a obtenu ces informations par l'irrecevabilité de la nouvelle demande, une telle sanction n’étant pas prévue par la loi.

Elle dénie de même le droit au ministre de se prévaloir d’une décision antérieure du tribunal administratif selon laquelle les nouvelles pièces ne seraient pas de nature à rendre plus crédible son récit, et ce parce qu’une telle considération ne serait pas prévue par la loi. A titre subsidiaire, la demanderesse donne à considérer que le jugement en question a été prononcé dans le cadre d’une demande en autorisation de séjour pour raisons humanitaires, de sorte à ne pas être transposable dans la présente matière, à savoir celle de la protection internationale, où l'approche à tenir pour appréhender la crédibilité d'un demandeur de protection internationale serait définie à l'article 26 (5) de la loi modifiée du 5 mai 2006.

La famille … enfin estime que les trois documents versés à l'appui de la nouvelle demande de protection internationale augmenteraient de manière significative la probabilité de remplir les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié politique ou du statut conféré par la protection subsidiaire, alors que ces documents confirmeraient que Monsieur … … court un risque réel de subir des persécutions, sinon les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006, le demandeur étant recherché pour désertion de l'armée, désertion qui serait motivée par la crainte fondée de se voir éliminé pour avoir été un témoin gênant pour les intérêts que protègent les services secrets du Monténégro.

Quant à la pièce versée à l'appui du recours gracieux du 14 juillet 2008, les demandeurs reprochent au ministre de s’être prévalu de l’absence de traduction de cette pièce, un tel motif ne pouvant légalement justifier l’irrecevabilité de la nouvelle demande. Ils contestent encore qu'un mandat d'amener soit au Monténégro « réservé à l'usage interne et non communiqué à la personne concernée », alors que la police monténégrine chargée de l'exécution de ce mandat, en aurait sans difficulté remis une copie au frère de Monsieur … …, sur la demande de celui-ci.

La famille … conteste encore que le fait de ne pas avoir précisé dans quelles conditions elle aurait obtenu cette pièce puisse justifier la décision d’irrecevabilité ; à cet égard, elle précise pour autant que de besoin, que ce serait le frère de Monsieur … …, Monsieur Milorad … qui lui aurait adressé cette pièce via email, après l'avoir scannée, étant lui-même entré en possession de celle-ci suite au passage à son domicile à … de la police monténégrine qui recherchait Monsieur … ….

Enfin, la famille … conteste toute pertinence aux conclusions du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, ces conclusions, outre de ne pas avoir été recueillies contradictoirement, se voyant reprocher de ne ressortir en fait que d’une note interne au dossier administratif du ministère rédigée sur base d’informations téléphoniques recueillies à l'occasion d'un entretien avec un représentant du Tribunal pénal international.

Le délégué du Gouvernement estime pour sa part que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours.

Aux termes de l’article 23 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, telle que modifiée par la loi du 17 juillet 2007 :

« (1) Le ministre considérera comme irrecevable la nouvelle demande d’une personne à laquelle la protection internationale a été définitivement refusée ou d’une personne qui a explicitement ou implicitement retiré sa demande de protection internationale, à moins que des éléments ou des faits nouveaux apparaissent ou sont présentés par le demandeur et qu’ils augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire, à condition que le demandeur concerné a été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de les faire valoir au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse.

(2) Le demandeur concerné devra indiquer les faits et produire les éléments de preuve à la base de sa nouvelle demande de protection internationale dans un délai de 15 jours à compter du moment où il a obtenu ses informations. Le ministre peut procéder à l’examen préliminaire prévu au paragraphe (1) en le limitant aux seules observations écrites présentées hors du cadre d’un entretien ».

Le droit à l’ouverture d’une nouvelle procédure d’instruction d’une demande de protection internationale est ainsi conditionné par la soumission d’éléments qui, d’une part, doivent être nouveaux et être invoqués dans un délai de 15 jours à compter du moment où le demandeur les a obtenus et, d’autre part, doivent augmenter de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur devant avoir été dans l’incapacité - sans faute de sa part - de se prévaloir de ces nouveaux éléments au cours de la procédure précédente, en ce compris la procédure contentieuse.

Il appartient dès lors au ministre d’analyser les éléments nouveaux soumis en cause par la famille … afin de vérifier le caractère nouveau des éléments lui soumis ainsi que leur susceptibilité d’augmenter de manière significative la probabilité que les demandeurs remplissent les conditions requises pour l’obtention de la protection internationale.

Cette vérification, à défaut de toute autre disposition légale, est à effectuer conformément aux dispositions de l’article 26, paragraphe 3 de la loi modifiée du 5 mai 2006 qui régissent l’évaluation d’une demande de protection internationale par le ministre. Il échet de souligner que cet examen au fond n’exclut pas que le ministre parvienne, le cas échéant, à la conclusion que la nouvelle demande doit être déclarée irrecevable, l’irrecevabilité étant la conséquence non seulement de la soumission d’éléments qui ne seraient pas « nouveaux » au sens de l’article 23 de la loi modifiée du 5 mai 2006, mais également de l’évaluation par le ministre de ces éléments comme n’étant pas de nature à augmenter de manière significative la probabilité que les demandeurs remplissent les conditions requises pour l’obtention de la protection internationale. En d’autres termes, le fait que le ministre conclut à l’irrecevabilité de la nouvelle demande n’exclut pas, contrairement à une irrecevabilité prononcée par une juridiction dans le cadre d’une procédure contentieuse, que le ministre se soit, préalablement, livré à l’analyse au fond de la demande au vu des nouveaux éléments lui soumis.

Le reproche adressé à cet égard au ministre d’avoir conclu à l’irrecevabilité de la demande sans examen au fond n’est dès lors pas fondé, et ce d’autant plus que le ministre, pour arriver à pareille conclusion, a évalué la crédibilité et la pertinence des nouveaux éléments lui soumis, ce qui ressort tant des décisions déférées que du mémoire de l’Etat.

En ce qui concerne le caractère nouveau des éléments fournis par la famille …, il est en l’espèce indéniable que les documents en cause, portant les dates des 5 février 2007, 7 mars 2007, 18 juillet 2007 et 17 mars 2008, se situent chronologiquement après la précédente procédure ayant abouti au jugement du tribunal administratif du 14 décembre 2006, n° 21617 du rôle, par lequel la famille … fut déboutée une première fois de sa demande d’asile, de sorte qu’ils doivent être considérés comme nouveaux au sens de l’article 23, paragraphe 1 de la loi modifiée du 5 mai 2006, c’est-à-dire par rapport à la précédente procédure d’asile, en ce compris la procédure contentieuse.

Il en résulte encore que le fait que ces documents, à l’exclusion du plus récent, daté du 17 mars 2008, aient déjà été soumis au ministre dans le cadre d’une demande en obtention d’une autorisation de séjour humanitaire ou d’un statut de tolérance en date du 24 avril 2007, n’est pas pertinent de ce point de vue.

En revanche, force est de constater que ces documents, à l’exclusion comme relevé ci-avant du plus récent daté du 17 mars 2008, n’ont pas été produits comme requis par l’article 23, paragraphe 2 précité à la base de la nouvelle demande de protection internationale dans un délai de 15 jours à compter du moment où les demandeurs ont obtenu ces documents complémentaires, à savoir au plus tard le 24 avril 2007, mais seulement plus d’un an après obtention de ces documents, à savoir le 10 juin 2008.

Si c’est à cet égard à juste titre que la famille … relève que la loi ne prévoit pas, explicitement, de sanction en cas de non-respect de ce délai de quinze jours, de sorte que la violation de ce délai ne saurait, automatiquement, avoir pour conséquence que les pièces en question doivent être écartées, il n’en reste pas moins que la violation caractérisée de cette disposition, ainsi que de l’obligation générale faite aux demandeurs en protection internationale de présenter, aussi rapidement que possible, tous les éléments nécessaires pour étayer leur demande de protection internationale, inscrite à l’article 26, paragraphe 1er de la loi modifiée du 5 mai 2006 - les demandeurs ayant disposé de ces pièces depuis plus d’un an avant de s’en prévaloir afin de formuler une nouvelle demande de protection internationale - suscitent des doutes sérieux quant à la crédibilité des demandeurs ainsi que plus particulièrement le soupçon d’une volonté dilatoire dans leur chef.

De ce point de vue, c’est à juste titre que le ministre a tenu tant dans sa décision initiale que dans sa décision confirmative prise sur recours gracieux à mettre en évidence le non-respect par les demandeurs des prédites obligations et d’en tirer comme conclusion, ensemble avec d’autres considérations, que les pièces produites ne constituent pas des éléments nouveaux pertinents.

En ce qui concerne la susceptibilité de ces pièces d’augmenter de manière significative la probabilité que les demandeurs remplissent les conditions requises pour l’obtention de la protection internationale, il y a lieu de constater, indépendamment du manque de crédibilité entachant l’attitude des demandeurs, que ces pièces, en ce compris la dernière en date, ont pour objet d’étayer le récit initial des demandeurs, consistant, en substance, à expliquer leur fuite au Grand-Duché de Luxembourg par le fait que Monsieur … …, qui était à cette époque militaire, aurait aperçu au cours d’une mission en 2005 le général Ratko MLADIC, recherché pour crimes de guerre par le tribunal pénal international de la Haye, dans le quartier général de l’armée yougoslave au Monténégro, de sorte que les services secrets tenteraient depuis cette date de l’éliminer.

Les documents « nouvellement » produits tendent à cet égard à accréditer le fait que Monsieur … …, ainsi que toute sa famille, en ce compris les membres de sa famille restés au Monténégro, seraient exposés à des menaces graves pour leurs vies, le document daté du 5 février 2007 en particulier, adressé prétendument par le directeur de la police monténégrine au directeur des services secrets, mentionnant un projet d’élimination physique de toute la famille … parce que Monsieur … …, actuellement déserteur de l’armée, aurait été témoin du séjour du général Ratko MLADIC sur le territoire monténégrin.

Force est cependant de constater que la raison de la fuite de la famille …, avancée initialement dans le cadre de sa première demande d’asile, a été écartée comme n’étant pas crédible par le jugement précité du tribunal administratif du 14 décembre 2006, le tribunal administratif se basant sur une note au dossier rédigée par un haut fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration dont il résulte qu’un représentant du tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, auquel fut soumis le récit de Monsieur …, a estimé que le récit pré-relaté « ne correspond nullement aux données recueillies par ledit tribunal, de sorte que son récit concernant Monsieur MLADIC n’est pas crédible », le tribunal dans ledit jugement soulignant qu’ « il ressort encore de ladite note au dossier « que les données sur l’entourage de MLADIC ainsi que les lieux où ces derniers se seraient trouvés ne correspondent pas aux connaissances sur lui pour les années 2004 et 2005, mais plutôt durant la guerre ». Il ressort en outre des informations transmises au ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration par les représentants du tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie que pendant la période désignée par Monsieur … dans son récit, Monsieur MLADIC ne se trouvait pas au Monténégro (…) ».

Si la famille … met actuellement en cause tant la régularité de l’audition de Monsieur … par un représentant du tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie que l’impartialité de l’auteur de la note au dossier, il y a cependant lieu de souligner que la question de la valeur desdites informations, contenue dans la note actuellement critiquée, a d’ores et déjà été débattue dans le cadre de la première demande d’asile et tranchée par le jugement précité du 14 décembre 2006, le tribunal administratif ayant accueilli sans aucune réserve ladite note en tant qu’élément décrédibilisant le récit initial des demandeurs.

Or force est de constater que les demandeurs n’ont à l’époque pas relevé appel dudit jugement, de sorte, outre que ledit jugement est coulé en autorité de chose jugée, que les demandeurs doivent être considérés comme ayant accepté les conclusions du tribunal.

Force est encore de constater que la valeur de la note et des informations y contenues a encore été confirmée par jugement du tribunal administratif du 3 décembre 2007, n° 23041 du rôle, pris dans le cadre de la demande en obtention d’une autorisation de séjour humanitaire sinon d’un statut de tolérance présentée par la famille …, ledit jugement reprenant les conclusions du jugement précité du 14 décembre 2006 : « les craintes de persécutions auxquelles les consorts … font référence ont déjà fait l’objet d’une analyse par le tribunal administratif dans le cadre de la demande d’asile, étant rappelé que les demandeurs ont été définitivement déboutés de leur demande d’asile par un jugement du tribunal administratif du 14 décembre 2006, de sorte que ces éléments ne peuvent justifier à eux seuls la délivrance d’une autorisation de séjour pour raisons humanitaires. En effet, dans le jugement en question, le tribunal a conclu que « la crédibilité et la véracité du récit des demandeurs sont sérieusement ébranlés par les incohérences relevées par le ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration, au vu des constatations faites par les membres du tribunal pénal international pour l'ex-

Yougoslavie, telles que relevées ci-avant et en l'absence d'explications de la part des demandeurs par rapport aux constatations ainsi relevées. – Or, à la lumière de cet état de choses et compte tenu du défaut d'un quelconque élément de preuve tangible relativement à des persécutions concrètes que les demandeurs auraient subies ou des risques réels afférents, le récit des demandeurs n'est pas de nature à dégager l'existence d'un risque réel de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur chef » ».

Force est de constater que ce jugement-là n’a pas non plus fait l’objet d’un appel de la part des demandeurs.

Le tribunal ne saurait dès lors actuellement, dans le cadre de la nouvelle demande de protection internationale, se départir des conclusions des deux précédents jugements, coulés, à défaut de tout appel interjeté par la famille …, en force de chose jugée. Il ne saurait de même être question, tel qu’actuellement plaidé, d’une violation de l’article 6 (1) de la Convention européenne des Droits de l’Homme, la valeur de la note litigieuse, liée d’une part à la régularité de l’audition de Monsieur … par des représentants du tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et d’autre part à l’apparence d’impartialité de l’auteur de la note au dossier, ayant pu être débattue dans le cadre de deux recours distincts, où les demandeurs, bien que disposant à chaque fois de la faculté de relever appel afin de soumettre la question à la Cour administrative, ont à chaque foi omis de profiter du second degré leur offert par la loi.

Force est encore au tribunal de constater que les pièces produites actuellement en tant que pièces « nouvelles » et datées des 5 février 2007 et 7 mars 2007 ont d’ores et déjà été soumises au tribunal administratif qui, dans son jugement du 3 décembre 2007, les a écartées au motif que « les pièces nouvellement versées ne sont pas de nature à rendre plus crédible le récit des demandeurs », jugement qui n’a pas l’objet d’un appel.

C’est en vain que les demandeurs dénient actuellement au ministre le droit de se baser sur cette conclusion du tribunal administratif, au motif qu’une telle considération n’étant pas prévue par la loi, le ministre, au contraire, pouvant, dans le cadre de son évaluation de la demande et de l’appréciation de la crédibilité du récit des demandeurs telles que prévues à l’article 26, paragraphe 3 de la loi modifiée du 5 mai 2006, tenir compte des antécédents procéduraux des demandeurs et notamment des décisions de justice prises dans ce contexte.

Il convient par ailleurs de relever que si la prédite conclusion a été faite par le tribunal administratif dans le cadre de la demande en obtention d’une autorisation de séjour humanitaire sinon d’un statut de tolérance présentée par la famille …, il s’agit d’une conclusion matérielle relative à des faits, indépendante d’un cadre juridique précis, de sorte que cette conclusion peut être transposée sinon reprise dans le contexte actuel de l’évaluation de la nouvelle demande de protection internationale. Il y a par ailleurs lieu de souligner que si l’article 26, paragraphe 3 de la loi modifiée du 5 mai 2006 énumère les éléments dont le ministre doit tenir compte lors de l’évaluation d’une demande, cette liste n’est cependant pas exhaustive, de sorte qu’elle ne saurait être considérée comme interdisant au ministre de tenir compte de toute autre information ou de tout autre élément dont il aurait connaissance.

Quant aux deux documents non encore précédemment soumis à l’appréciation du tribunal administratif, à savoir un rapport prétendument émis par le ministre de l’Intérieur du Monténégro du 18 juillet 2007 ainsi qu’un mandat d’amener daté du 17 mars 2008, émis par un juge d’instruction monténégrin à l’encontre de Monsieur … …, force est de constater que ces documents ne viennent pas davantage rendre le récit initial du demandeur crédible, ce récit ayant été, comme relevé ci-avant, écarté par deux jugements précédents comme étant contredit par les informations fournies par un représentant du tribunal pénal international de la Haye.

Il convient par ailleurs de constater, outre que le mandat d’amener ne permet pas d’établir un quelconque lien avec les prétendues persécutions auxquelles serait exposé la famille … du fait que Monsieur … … aurait été témoin en 2005 du séjour du général MLADIC au Monténégro, que le rapport prétendument émis par le ministre de l’Intérieur du Monténégro du 18 juillet 2007 comporte une incohérence flagrante - le rapport fait état d’une bombe qui aurait été placée le 18 juillet 2007 à 8 heures 30 sous la voiture de … …, pour être ensuite neutralisée par l’équipe de déminage à 8 heures 15 - qui jette des doutes sur la véracité et la crédibilité de ce document.

Il s’ensuit que ces deux documents, indépendamment même du fait que le récit initial des demandeurs a d’ores et déjà été écarté, ne sont pas de nature à augmenter de manière significative la probabilité que les demandeurs remplissent les conditions requises pour l’obtention de la protection internationale.

Il s’ensuit que cette seconde demande a valablement pu être déclarée irrecevable en application de l’article 23 de la loi précitée du 5 mai 2006.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours formé par la famille … est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 21 août 2008 par :

Marc Sünnen, juge, Claude Fellens, juge, Françoise Eberhard, juge, en présence du greffier en chef de la Cour administrative Erny May, greffier assumé.

s. May s. Sünnen 11


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 24646
Date de la décision : 21/08/2008

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2008-08-21;24646 ?

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