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20/08/2008 | LUXEMBOURG | N°24715

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 août 2008, 24715


Tribunal administratif Numéro 24715 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 août 2008 Audience publique du 20 août 2008 Recours formé par Monsieur … …, Schrassig, contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 24715 et déposée le 11 août 2008 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tablea

u de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, né le …, de nationalité chino...

Tribunal administratif Numéro 24715 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 août 2008 Audience publique du 20 août 2008 Recours formé par Monsieur … …, Schrassig, contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 24715 et déposée le 11 août 2008 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, né le …, de nationalité chinoise, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 7 août 2008, prorogeant pour une nouvelle durée d'un mois son placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à partir de la notification de cette décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 août 2008 ;

Vu le mémoire en réplique déposé par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH pour compte du demandeur au greffe du tribunal administratif le 14 août 2008 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRÜCK en leurs plaidoiries respectives à l'audience publique du 20 août 2008.

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Monsieur … … fut appréhendé en date du 10 juillet 2008 par la police à l’occasion d’un contrôle effectué dans un restaurant chinois. Monsieur … se trouvant en séjour irrégulier au Grand-Duché de Luxembourg, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-

après « le ministre », prit le même jour à son encontre une décision de placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois.

Cet arrêté ministériel fut prorogé pour une nouvelle durée d’un mois par décision du ministre du 7 août 2008, motivée comme suit :

« Vu l'article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l'entrée et le séjour des étrangers ;

Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;

Vu mon arrêté pris en date du 10 juillet 2008 décidant du placement temporaire de l’intéressé ;

Considérant qu’un laissez-passer a été demandé auprès des autorités chinoises ;

- qu’en attendant l’émission de ce document de voyage, l’éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ;

Considérant qu’il y a nécessité absolue de reconduire la décision de placement ».

Par requête déposée le 11 août 2008 au greffe du tribunal administratif, le demandeur a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l'encontre de la décision de prorogation du 7 août 2008.

Etant donné que l'article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l'entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3.

l'emploi de la main-d'œuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision litigieuse. Ledit recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Le recours en annulation introduit en ordre subsidiaire est dès lors irrecevable.

A l’appui de son recours, le demandeur se rapporte de prime abord à la sagesse du tribunal quant à la validité de la date de notification de la décision déférée.

Monsieur … reproche ensuite au ministre de ne pas avoir démontré qu’il serait en mesure d’exécuter effectivement son éloignement et il critique encore la décision déférée au motif que le ministre resterait en défaut d’établir, d’une part, avoir entrepris en temps utile des démarches pour son éloignement et, d’autre part, qu’il serait en train « d’exécuter la mesure de placement en vue d’un éloignement très rapide ».

Il querelle encore la décision déférée pour être motivée de façon identique à la motivation gisant à la base de la décision de placement initiale, « respectivement sans que ne soit établie l'existence d'une nécessité absolue alors que le contraire reviendrait à mettre le tribunal dans l'impossibilité de vérifier la légalité de la mesure entreprise, de même que pareille décision constituerait une violation des droits de la défense en ce sens que le justiciable ne serait pas placé dans une situation lui permettant d'apprécier la portée juridique exacte de la décision lui notifiée ».

Au travers du dispositif de son recours, tendant à se voir placer dans un autre établissement plus approprié à sa situation personnelle, il conclut enfin au caractère inapproprié du lieu de placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière.

Il affirme à cet égard dans le cadre de son mémoire en réplique que du fait de son enfermement de 20 heures sur 24 heures sa situation relèverait plutôt d’une peine au sens pénal.

L’Etat conclut au bien-fondé de la décision litigieuse.

En ce qui concerne le premier moyen relatif à la validité de la date de notification de la décision déférée au demandeur, il y a lieu de rappeler que le demandeur, dans le cadre de son recours, doit formuler les moyens à la base de son recours avec une précision telle que le tribunal appelé à statuer soit mis en mesure d'analyser in concreto la légalité de la décision déférée et il lui incombe de fournir des éléments concrets sur lesquels il se base aux fins de voir établir l'illégalité qu'il allègue1, les moyens simplement suggérés, sans être soutenus effectivement, n’étant pas à prendre en considération par le tribunal2.

Le moyen en question n’étant en l’espèce pas autrement explicité, il n’y a pas lieu de l’examiner.

En ce qui concerne le moyen tendant à l’absence de preuve quant à la possibilité de procéder effectivement au rapatriement du demandeur, il y a lieu de rappeler que la certitude quant à l’aboutissement effectif de la mesure d’éloignement n’est pas une prémisse conditionnant la validité d’une mesure de rétention3, de sorte que la preuve ne saurait en être exigée du ministre, le moyen afférent du demandeur étant par conséquent à rejeter.

Quant au moyen tiré de la prétendue inertie du ministre et par conséquent de l’absence de « nécessité absolue » en résultant, nécessaire à la prorogation de la décision de placement, il appartient au tribunal d’analyser si le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a pu se baser sur des circonstances permettant de justifier qu’une nécessité absolue rende la prorogation de la décision de placement inévitable4.

En effet, l’article 15, paragraphe 2 de la loi prévisée du 28 mars 1972 dispose que « la décision de placement (…) peut, en cas de nécessité absolue, être reconduite par le ministre (…) à deux reprises, chaque fois pour la durée d’un mois ».

Le tribunal vérifie si l’autorité compétente a veillé à ce que toutes les mesures appropriées soient prises afin d’assurer un éloignement dans les meilleurs délais, en vue d’éviter que la décision de placement ne doive être prorogée, étant donné que la prorogation d’une mesure de placement doit rester exceptionnelle et ne peut être décidée que lorsque des circonstances particulièrement graves ou autrement justifiées la rendent nécessaire5. Etant relevé qu’une mesure de rétention est indissociable de l’attente de l’exécution d’un éloignement d’un étranger non autorisé à séjourner légalement sur le territoire luxembourgeois, il incombe à l’autorité administrative de faire état et de documenter les démarches qu’elle estime requises et qu’elle est en train d’exécuter, afin de mettre le tribunal en mesure d’apprécier si un éloignement valable est possible et est en voie d’organisation, 1 Trib.adm. 9 décembre 1997, n° 9683, confirmé sur ce point par arrêt du 18 juin 1998, n° 10504C, Pas. adm.

2007, V° Procédure contentieuse, n° 325 et autres références y citées.

2 Trib.adm., 9 décembre 1998, n° 9833 et 10188, Pas. adm. 2007, V° Procédure contentieuse, n° 632.

3 Trib.adm 6 septembre 2007, n° 23392, Pas. adm. 2007, V° Etrangers, n° 486.

4 cf. trib. adm. 20 décembre 2002, n° 15747 du rôle, Pas. adm. 2007, V° Etrangers, n° 547 et autres références y citées.

5 cf. trib. adm. 6 novembre 2002, n° 15509, confirmé par Cour adm. du 21 novembre 2002, n° 15593C, Pas.adm.

2006, V° Etrangers, n° 547.

d’une part, et que les autorités luxembourgeoises entreprennent des démarches suffisantes en vue d’un éloignement ou transfert rapide du demandeur, c’est-à-dire de façon à écourter au maximum sa privation de liberté, d’autre part.

Le tribunal constate à ce sujet que si les autorités luxembourgeoises ont contacté le 18 juillet 2008 les autorités diplomatiques chinoises afin d’obtenir un laissez-passer pour Monsieur …, il ne ressort pas du dossier administratif versé en cause que les autorités luxembourgeoises aient accompli après cette date, et en particulier depuis la date de la décision de prorogation déférée, une quelconque autre démarche en vue d’organiser le rapatriement du demandeur.

Or il appartient en tout état de cause au ministre de veiller à ce que toutes les mesures appropriées soient prises afin d’assurer le transfert de la personne retenue dans les meilleurs délais, c’est-à-dire de façon à écourter au maximum sa privation de liberté qui doit demeurer exceptionnelle, et en particulier d’insister le cas échéant par les moyens diplomatiques à sa disposition auprès des autorités étrangères afin d’obtenir la collaboration de celles-ci.

Il en résulte que le retard accumulé dans le traitement du dossier sous examen, à la date où le tribunal est amené à statuer, est imputable pour le moins en partie aux autorités luxembourgeoises, celles-ci ayant omis, en l’état actuel du dossier, de faire une quelconque démarche depuis plus d’un mois, de sorte que la condition relative à une nécessité absolue pour justifier l’arrêté ministériel litigieux n’est plus remplie à l’heure actuelle. Cette conclusion n’est pas énervée par l’affirmation non autrement documentée faite par la partie publique à l’audience selon laquelle l’ambassade de Chine aurait été relancée ce jour même, initiative devant être considérée comme intervenue in tempore suspecto, à savoir quelques heures avant l’audience.

Comme le tribunal statuant dans le cadre d’un recours en réformation est appelé à apprécier la décision déférée au jour où il statue, il y a lieu de constater que la décision de prorogation du 7 août 2008 ne remplit plus les conditions imposées par l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972.

Le tribunal est partant amené à réformer la décision querellée et à ordonner la libération immédiate du demandeur.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare justifié ;

partant, par réformation, met fin à la décision du ministre du 7 août 2008 et ordonne la mise en liberté immédiate de Monsieur … ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 20 août 2008 par :

Marc Sünnen, juge, Claude Fellens, juge, Françoise Eberhard, juge, en présence du greffier en chef de la Cour administrative Erny May, greffier assumé.

s. May s. Sünnen 5


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 24715
Date de la décision : 20/08/2008

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2008-08-20;24715 ?

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