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14/08/2008 | LUXEMBOURG | N°24708

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 août 2008, 24708


Tribunal administratif Numéro 24708 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 08 août 2008 Audience publique extraordinaire du 14 août 2008 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 24708 du rôle et déposée le 8 août 2008 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Co

ur, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant...

Tribunal administratif Numéro 24708 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 08 août 2008 Audience publique extraordinaire du 14 août 2008 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 24708 du rôle et déposée le 8 août 2008 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à Tanger (Maroc), de nationalité inconnue, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation d'une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 21 juillet 2008 prorogeant pour une durée d’un mois son placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 août 2008 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline JACQUES entendus en leurs plaidoiries respectives à l'audience publique du 13 août 2008.

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En date du 29 avril 2008, le ministère de la Justice informa le ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après « le ministère », que Monsieur … fut condamné par le tribunal correctionnel de Luxembourg à une peine d’emprisonnement de 18 mois dont 9 mois avec sursis du chef de vol et que le terme de la peine se situe au 28 juin 2008.

Le 26 mai 2008, le Centre de coopération policière et douanière luxembourgeois fut informé de la part des autorités françaises que Monsieur … fut condamné en France pour diverses infractions commises entre 2002 et 2007 et qu’il ne posséda pas de titre de séjour en France.

Par courriel du 2 juin 2008, le ministère demanda à la police luxembourgeoise de lui remettre des photos d’identités et les empreintes digitales de Monsieur …. Cette demande fut réitérée par courriel du 27 juin 2008.

Le 27 juin 2008, Monsieur … fut appréhendé par la police luxembourgeoise, car il se trouvait en situation irrégulière sur le territoire luxembourgeois.

Le même jour, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après « le ministre », ordonna le placement de Monsieur … au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois. Cette décision de placement est fondée sur les considérations et motifs suivants :

« Vu l'article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l'entrée et le séjour des étrangers ;

Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;

Considérant que l’intéressé est démuni de toute pièce d’identité et de voyage valable ;

- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels légalement acquis ;

- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

Considérant qu’en attendant le résultat des recherches quant à l’identité et à la situation de l’intéressé, l’éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l'intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d'éloignement ».

Par courrier du 10 juillet 2008, le ministre transmit au Consulat du Royaume du Maroc les empreintes digitales et les photos d’identité de Monsieur … et sollicita un laissez-passer pour le compte de ce dernier. Par courrier du 21 juillet 2008, le ministre rappela une nouvelle fois au Consulat du Royaume du Maroc sa demande de délivrance d’un laissez-passer pour Monsieur ….

En date du 21 juillet 2008, le ministre prit un arrêté ordonnant la prorogation de la mesure de placement de Monsieur … au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une nouvelle durée d’un mois à partir de la notification, aux motifs suivants :

« Vu l'article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l'entrée et le séjour des étrangers ;

Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière;

Vu mon arrêté pris en date du 27 juin 2008 décidant du placement temporaire de l'intéressé;

Considérant qu’un laissez-passer a été demandé auprès des autorités marocaines;

-

qu’en attendant l’émission de ce document de voyage, l’éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible;

Considérant qu'il existe un risque de fuite, alors que l'intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d'éloignement ;

Considérant qu’il y a nécessité absolue de reconduire la décision de placement ; ».

Cet arrêté fut notifié à Monsieur … le 25 juillet 2008.

Le 28 juillet 2008, le Consul Général du Royaume du Maroc informa le ministère que la demande d’identification de Monsieur … fut transmise, pour étude, auprès des services compétents marocains.

Par requête déposée le 8 août 2008, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision de prorogation prévisée du 21 juillet 2008.

Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, ci-après « la loi du 28 mars 1972 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre l’arrêté litigieux, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, Monsieur … conteste que la condition de nécessité absolue au sens de l’article 15 de la loi du 28 mars 2008 soit remplie en l’espèce. En effet, la décision de prorogation de la mesure de rétention administrative serait motivée de façon identique que la mesure de rétention initiale ce qui mettrait le tribunal administratif dans l’impossibilité de vérifier la légalité de la mesure. Dans ce contexte, le demandeur conteste que les diligences effectuées par les autorités en vue de son rapatriement seraient suffisantes.

Le délégué du gouvernement estime que le requérant aurait été appréhendé sans documents d’identité, en séjour irrégulier au pays et sans moyens d’existence personnels, de sorte qu’il remplirait les conditions pour prononcer la mesure de placement litigieuse à son encontre. Il fait en outre valoir que contrairement aux affirmations du demandeur, ce dernier n’aurait pas de titre de séjour en France, de sorte qu’un renvoi dans ce pays ne serait pas possible. Par ailleurs, le ministre aurait contacté les autorités marocaines en vue de l’établissement du laissez-passer permettant le rapatriement du demandeur et, le 28 juillet 2008, le Consulat du Maroc aurait accusé réception de la demande des autorités luxembourgeoises. En attendant le résultat des recherches des autorités marocaines et l’émission du laissez-passer, le placement du demandeur au Centre de rétention présenterait le caractère de nécessité absolue requis par la loi.

L’article 15, paragraphe 2 de la loi du 28 mars 1972 dispose que « la décision de placement (…) peut, en cas de nécessité absolue, être reconduite par le ministre [compétent] à deux reprises, chaque fois pour la durée d’un mois ».

Le tribunal appelé à statuer sur la prorogation d'une mesure de placement doit analyser si le ministre compétent a pu se baser sur des circonstances permettant de justifier qu’une nécessité absolue rend la prorogation de la décision de placement inévitable (trib. adm. 6 novembre 2002, n° 15509 du rôle, confirmé par Cour adm. 21 novembre 2002, n° 15593C du rôle, Pas. adm.

2006, v° Etrangers, n° 404). En outre, le ministre doit entreprendre des démarches nécessaires et utiles afin d’assurer un éloignement dans les meilleurs délais, c’est-à-dire de façon à écourter au maximum la privation de liberté (trib. adm. 20 novembre 2002, n° 15592 du rôle, confirmé par Cour adm. 5 décembre 2002, n° 15649C du rôle, Pas. adm. 2006, v° Etrangers, n° 404, 2e tiret).

En l’espèce, il se dégage des éléments du dossier que le ministre avait seulement sollicité par courrier du 10 juillet 2008 auprès du Consulat du Royaume du Maroc la délivrance d’un laissez-passer en faveur de Monsieur … en vue de son rapatriement vers le Maroc, alors que la première mesure de placement date déjà du 27 juin 2008. S’il est vrai qu’au vu du défaut de réaction de la part des autorités marocaines, le ministre a encore rappelé cette demande par un courrier du 21 juillet 2008, et que les autorités marocaines, par courrier du 28 juillet 2008, ont accusé réception de la demande formulée initialement en date du 10 juillet 2008, il est encore vrai, d’après les éléments d’information se trouvant à la disposition du tribunal, qu’aucune démarche ne fut entreprise de la part des autorités luxembourgeoises depuis leur courrier de rappel du 21 juillet 2008.

S’il est exact qu’au vu des diligences – il est vrai, très réduites - effectuées jusqu’au 21 juillet 2008 et le défaut de réponse de la part des autorités marocaines, le courrier accusant réception de la demande de délivrance d’un laissez-passer de la part des autorités marocaines datant seulement du 28 juillet 2008, la décision de proroger la rétention du demandeur se trouvait justifiée à la date du 21 juillet 2008 par la demande de laissez-passer en cours soumise aux autorités marocaines et l’expectative de son traitement utile par ces dernières, il n’en reste pas moins qu’aucune autre démarche documentée auprès des autorités marocaines depuis le courrier prévisé du 21 juillet 2008 ne ressort des éléments du dossier administratif soumis. Ainsi, tout en admettant que fondamentalement le ministre est confiné à attendre les suites données à sa demande de laissez-passer par les autorités étrangères sans pouvoir prendre des démarches permettant de clôturer la procédure de rapatriement sans l’aide desdites autorités, il lui incombe néanmoins de rappeler dans des délais utiles et de manière documentée sa demande de délivrance d’un laissez-passer et la situation de la personne concernée. Or, en laissant s’écouler un délai de 17 jours depuis le courrier du Consulat marocain accusant réception de la demande de délivrance d’un laissez-passer, le ministre n’a pas satisfait aux exigences de l’article 15 paragraphe 2 de la loi du 28 mars 1972, de manière que la nécessité absolue du maintien de la rétention du demandeur laisse d’être établie à l’heure actuelle.

Il découle de ces développements que le recours est justifié et que l’arrêté ministériel entrepris encourt la réformation en ce sens que la libération immédiate du demandeur est à ordonner.

Au vu de l’issue du litige, il n’y a pas lieu de statuer sur les autres moyens développés en cause.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare justifié ;

partant, par réformation de l’arrêté ministériel entrepris du 21 juillet 2008, dit que la mesure de rétention du demandeur n’est plus justifiée à l’heure actuelle et ordonne la libération immédiate de Monsieur … ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Claude Fellens, juge, Lexie Breuskin, juge et lu à l’audience publique extraordinaire du 14 août 2008 par le premier vice-président, en présence de Claude Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 24708
Date de la décision : 14/08/2008

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2008-08-14;24708 ?

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