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06/08/2008 | LUXEMBOURG | N°24682

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 août 2008, 24682


Tribunal administratif Numéro 24682 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 juillet 2008 Audience publique du 6 août 2008 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 24682 du rôle et déposée le 30 juillet 2008 au greffe du tribunal administratif par Maître Barbara Najdi, avocat à la Cour, inscrite au tab

leau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à ...

Tribunal administratif Numéro 24682 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 juillet 2008 Audience publique du 6 août 2008 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 24682 du rôle et déposée le 30 juillet 2008 au greffe du tribunal administratif par Maître Barbara Najdi, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à Agadir (Maroc) et être de nationalité marocaine, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d'une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 21 juillet 2008 prorogeant pour une durée d’un mois son placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er août 2008 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Yasmina Maadi, en remplacement de Maître Barbara Najdi, et Monsieur le délégué du gouvernement Guy Schleder en leurs plaidoiries respectives à l'audience publique du 6 août 2008.

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Monsieur …, alias …, fut interpellé par la police grand-ducale en date du 25 juin 2008, sans qu’il ne dispose de papiers d’identité et sans qu’il n’ait été en mesure d’établir son identité exacte, étant relevé qu’au cours de son interrogatoire par des agents de police, il a donné des informations contradictoires non seulement quant à son identité, mais également quant à son lieu de résidence, tel que cela ressort d’un procès-verbal de la police grand-ducale du 25 juin 2008.

Sur base de l’information ainsi collectée par la police grand-ducale, le substitut du service du Parquet de Luxembourg ordonna une mesure de rétention à l’encontre de Monsieur …. Cette mesure prise par le Parquet fut suivie d’un arrêté pris par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, dénommé ci-après le « ministre », en date du 26 juin 2008, par lequel fut ordonné le placement de Monsieur … au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de la décision en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois. La décision de placement est fondée sur les considérations et motifs suivants :

« Vu l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers ;

Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;

Vu le rapport n° 8582 du 25 juin 2008 établi par la Police grand-ducale C.R.

Esch/Alzette ;

Considérant que le Parquet a prononcé une mesure de rétention en date du 25 juin 2008 ;

Considérant que l’intéressé est démuni de toute pièce d’identité et de voyage valable ;

-

qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels légalement acquis ;

-

qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

Considérant qu’en attendant le résultat des recherches quant à l’identité et à la situation de l’intéressé, l’éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ; ».

Cet arrêté ministériel fut prorogé pour une nouvelle durée d’un mois par décision du ministre du 21 juillet 2008, motivée comme suit :

« Vu l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers ;

Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;

Vu mon arrêté pris en date du 26 juin 2008 décidant du placement temporaire de l’intéressé ;

Considérant qu’un laissez-passer a été demandé auprès des autorités marocaines ;

-

qu’en attendant l’émission de ce document de voyage, l’éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ;

Considérant qu’il y a nécessité absolue de reconduire la décision de placement ; ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 30 juillet 2008, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 21 juillet 2008 par laquelle a été ordonnée la prorogation de la mesure de placement initiale prise en date du 26 juin 2008.

Etant donné que l'article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l'entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l'emploi de la main-d'œuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit en ordre principal contre la décision litigieuse. Il s’ensuit que le recours en annulation est à déclarer irrecevable.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, Monsieur … conteste tout d’abord que les autorités luxembourgeoises aient accompli les diligences appropriées afin d’assurer son éloignement dans les plus brefs délais. Il fait estimer dans ce contexte qu’une simple demande tendant à la délivrance d’un laissez-passer par les autorités marocaines ne serait pas suffisante pour justifier son maintien en rétention administrative. Ainsi, dans la mesure où le gouvernement luxembourgeois ne ferait pas état d’autres démarches en vue d’assurer son éloignement, la mesure de prorogation de son placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière se trouverait être « sans fondement ».

En outre, Monsieur … conclut au caractère inapproprié du lieu de placement audit Centre de séjour, en affirmant qu’il y serait en fait détenu dans des conditions ressemblant à celles applicables à un régime d’emprisonnement, en soulignant qu’il ne bénéficierait pas de suffisamment de temps de sortie de sa cellule et de suffisamment de temps de promenade à l’air libre.

En ce qui concerne l’absence de démarches suffisantes entreprises et par conséquent l’absence de « nécessité absolue » en résultant, pourtant nécessaire à la prorogation de la décision de placement, il appartient au tribunal d’analyser si le ministre a pu se baser sur des circonstances permettant de justifier qu’une nécessité absolue rendait la prorogation de la décision de placement inévitable.

En effet, l’article 15, paragraphe 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972, précitée, dispose que « la décision de placement (…) peut, en cas de nécessité absolue, être reconduite par le ministre (…) à deux reprises, à chaque fois pour la durée d’un mois (…) ».

Une mesure de rétention étant indissociable de l’exécution d’un éloignement d’un étranger non autorisé à séjourner légalement sur le territoire luxembourgeois, il incombe à la partie défenderesse de faire état et de documenter les démarches qu’elle estime requises et qu’elle est en train d’exécuter, afin de mettre le tribunal en mesure d’apprécier si un éloignement valable est possible et est en voie d’organisation, d’une part, et si les autorités luxembourgeoises entreprennent des démarches suffisantes en vue d’un éloignement ou transfert rapide du demandeur, de l’autre part.

En l’espèce, il se dégage du dossier administratif versé par l’Etat qu’en date du 3 juillet 2008 le ministre a contacté le consulat général du Royaume du Maroc en vue de la délivrance d’un laissez-passer à émettre en faveur de Monsieur …, alias …. Cette démarche officielle fait suite à une instruction continue du dossier avec l’objectif de déterminer l’identité et l’origine exactes du demandeur. En effet, il ressort du procès-verbal de police précité du 25 juin 2008, que le demandeur n’était pas en possession de pièces d’identité au moment de son interception par les autorités de police et de son interrogatoire subséquent et il ressort dudit procès-verbal que les agents de police ont pu à bon droit avoir des doutes raisonnables quant à l’identité et à l’origine de l’intéressé, de sorte que des mesures d’instruction complémentaires s’avèrent être nécessaires afin de déterminer celles-ci. Ainsi, le lendemain, des démarches ont été effectuées pour prendre des empreintes digitales ainsi que des photos, afin que des diligences puissent être effectuées auprès des autorités française et belge en vue de connaître le lieu de résidence de l’intéressé, ainsi que l’existence dans l’un de ces pays, de titres de séjour, étant donné que la base de données nationale ne contenait pas de renseignements sur le demandeur. Il ressort encore d’une note figurant audit dossier administratif, datée du 18 juillet 2008, qu’à la date en question, un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration contacta le consulat du Maroc à Liège afin de faire le suivi de la demande tendant à la délivrance d’un laissez-passer par les autorités marocaines en faveur du demandeur. Il ressort de ladite note au dossier que les autorités consulaires ont envoyé la demande afférente des autorités luxembourgeoises aux autorités marocaines « pour vérification » et qu’elles restaient toujours dans l’attente d’une réponse à ladite requête.

Il suit des considérations qui précèdent, et surtout de la considération que l’identité exacte du demandeur n’est toujours pas établie, que les autorités luxembourgeoises doivent nécessairement disposer du temps nécessaire pour obtenir les informations appropriées, et qu’aucun manque de diligence au niveau du déroulement de la procédure tendant à l’éloignement du demandeur vers son pays d’origine ne peut être reproché aux autorités administratives luxembourgeoises, étant relevé par ailleurs que le comportement du demandeur n’a pas été de nature à faciliter les recherches effectuées de la part des agents de police, au vu des informations contradictoires transmises par lui à ceux-ci.

En ce qui concerne le moyen tiré du caractère inapproprié du Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, il échet tout d’abord de relever qu’il est constant en cause que le demandeur est placé non pas dans un établissement pénitentiaire, mais au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière. Or, force est de constater que le Centre en question est a priori à considérer comme un établissement approprié au sens de la loi précitée de 1972.

Il convient de rappeler que les conditions de rétention résultent en leurs grandes lignes du régime spécifique tel qu’instauré par le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, règlement qui renvoie en son article 5 directement pour toutes les questions qu’il ne règle pas lui-même au règlement grand-

ducal modifié du 24 mars 1989 concernant l’administration et le régime interne des établissements pénitentiaires.

Il convient dès lors de souligner que l’assimilation dans ses grandes lignes, excepté les dispositions spécifiques figurant à l’article 4, du régime de rétention à celui des détenus de droit commun, si elle peut prêter à discussion, résulte cependant explicitement du prédit article 5 du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002, dont la légalité n’est pas contestée en l’espèce et ne saurait par voie de conséquence être utilement remise en question par le tribunal dans la présente instance.

Conformément à l’article 18 du prédit règlement grand-ducal modifié du 24 mars 1989, l’autorité chargée de l’application de ces règlements grand-ducaux n’est pas le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, mais le ministre de la Justice, dont dépend l’administration des établissements pénitentiaires, ainsi qu’en application de l’article 19 du même règlement grand-ducal, le procureur général d’Etat, chargé de la direction générale et de la surveillance des établissements pénitentiaires. En ce qui concerne les modalités pratiques de la rétention, telles que par exemple les heures de promenade ou celles de fermeture des cellules, ces modalités, en ce qu’elles concernent la gestion journalière du centre de rétention intégré au centre pénitentiaire, relèvent dès lors, conformément à l’article 68 du prédit règlement grand-ducal modifié du 24 mars 1989, des compétences du directeur de l’établissement qui, aux termes de cet article, assure, sous l’autorité du procureur général d’Etat, la direction et l’administration de l’établissement et qui est responsable du bon fonctionnement de l’établissement en question.

Le règlement grand-ducal modifié du 24 mars 1989 instaure par ailleurs une voie de recours spécifique auprès du procureur général d’Etat au profit des détenus et, en application de l’article 5 du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002, également au profit des retenus, qui s’estiment lésés par une décision du directeur (cf. trib. adm. 13 juin 2007, n° 23011 du rôle et trib. adm.18 juillet 2007, n° 23199 du rôle), de sorte qu’un grief relatif aux modalités concrètes et matérielles de placement est étranger à la décision de rétention du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration et au cadre légal dans lequel la décision de rétention a été prise, à savoir la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère.

Aucun autre moyen n’ayant été soulevé en cause, le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

déclare irrecevable le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Marc Sünnen, juge, Claude Fellens, juge, et lu à l’audience publique du 6 août 2008 par le premier vice-président, en présence de Claude Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 24682
Date de la décision : 06/08/2008

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2008-08-06;24682 ?

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