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06/08/2008 | LUXEMBOURG | N°24634

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 août 2008, 24634


Tribunal administratif N° 24634 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 juillet 2008 Audience publique du 6 août 2008 Recours formé par Madame …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 15, L. 5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 24634 du rôle et déposée le 17 juillet 2008 au greffe du tribunal administratif par Maître Cathy Arendt, avocat à la Cour, inscrite

au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à Berane (Mo...

Tribunal administratif N° 24634 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 juillet 2008 Audience publique du 6 août 2008 Recours formé par Madame …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 15, L. 5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 24634 du rôle et déposée le 17 juillet 2008 au greffe du tribunal administratif par Maître Cathy Arendt, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à Berane (Monténégro), de nationalité monténégrine, demeurant actuellement à L-… tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 24 juin 2008, portant déclaration d’incompétence à connaître de sa demande en obtention d’un statut de protection internationale, au motif que la compétence afférente reviendrait à la Slovénie ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 22 juillet 2008 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Yves Murschel, en remplacement de Maître Cathy Arendt, et Monsieur le délégué du gouvernement Guy Schleder en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 6 août 2008.

Le 14 mai 2008, Madame … introduisit oralement une demande en obtention d’une protection internationale auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, dénommé ci-après le « ministre », ayant eu connaissance du fait qu’elle était titulaire d’un visa slovène valable du 15 janvier jusqu’au 15 février 2008, s’adressa aux autorités slovènes afin de solliciter leur accord en vue du transfert de l’intéressée par application du règlement CE n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers.

En date du 23 juin 2008, les autorités luxembourgeoises ont obtenu l’accord des autorités slovènes pour la prise en charge de Madame ….

Par décision du 24 juin 2008, notifiée en date du 15 juillet 2008 en mains propres, le ministre se déclara incompétent pour examiner la demande en obtention d’une protection internationale de l’intéressée aux motifs suivants :

« Par la présente, j'accuse réception de votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée le 14 mai 2008.

Je regrette de vous informer qu'en vertu des dispositions de l'article 15 de la loi précitée du 5 mai 2006 et des dispositions de l'article 9§4 du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003, ce n'est pas le Grand-Duché de Luxembourg, mais la République de Slovénie qui est responsable du traitement de votre demande d'asile, En effet, il résulte des informations dont nous avons connaissance que vous êtes titulaire d'un visa slovène valable du 15 janvier 2008 jusqu'au 15 février 2008.

Le Grand-Duché de Luxembourg n'étant pas compétent pour examiner votre demande, je regrette de ne pas pouvoir réserver d'autres suites à votre dossier.

La présente décision est susceptible d'un recours en annulation devant le Tribunal administratif. Ce recours doit être introduit par requête signée d'un avocat à la Cour dans un délai d'un mois à partir de la notification de la présente. La décision du Tribunal administratif ne sera susceptible d'aucun appel. (…) » A la suite de l’émission, en date du 11 juillet 2008, d’un laissez-passer en faveur de Madame … par le ministre dans le cadre de l’organisation de son transfert à Ljubljana afin qu’elle se présente à « l’autorité slovène compétente en matière d’asile politique avant le 23 décembre 2008 », les opérations d’organisation du transfert en question ont dû être suspendues temporairement en raison de la disparition de l’intéressée, son transfert vers Ljubljana ayant été prévu initialement pour le 17 juillet 2008.

Par arrêté du 17 juillet 2008, l’entrée et le séjour furent refusés à Madame …, au motif qu’elle ne disposait pas de moyens d’existence personnels légalement acquis, qu’elle se trouvait en séjour irrégulier au pays et qu’elle était susceptible de compromettre la sécurité et l’ordre public.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 17 juillet 2008, Madame … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision d’incompétence du ministre du 24 juin 2008.

L’article 17 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection prévoit qu’en matière de décisions d’incompétence prises au titre de l’article 15 de la même loi, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives, de sorte que le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation introduit qui est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse fait exposer qu’elle ne souhaiterait introduire le recours en question qu’à « titre conservatoire », dans la mesure où sa demande en reconnaissance d’un statut de protection internationale ne serait maintenu « qu’à titre subsidiaire » par rapport à une demande introduite par elle en date du 16 juillet 2008 auprès du ministre en vue de la délivrance d’une autorisation de séjour.

Elle fait encore soutenir que l’article 15 de la loi précitée du 5 mai 2006 ne saurait trouver application en l’espèce, étant donné qu’elle n’aurait à aucun moment présenté une demande de protection internationale en Slovénie et que le visa slovène qui lui a été délivré en date du 15 janvier 2008 par les autorités compétentes slovènes n’aurait eu pour seul but que de lui permettre d’effectuer une visite auprès de sa soeur résidant en Slovénie, étant entendu qu’elle aurait mis fin à ladite visite avant l’expiration du visa en question en retournant au Monténégro.

Quant à sa situation personnelle au Monténégro, elle fait exposer qu’elle y serait mariée et qu’elle y aurait deux enfants, en signalant toutefois qu’elle aurait été obligée d’introduire une procédure de divorce au Monténégro en raison des problèmes d’alcool de son mari et des violences que celui-ci aurait eu à son égard, qui auraient notamment eu pour conséquence qu’elle aurait été obligée de quitter le domicile conjugal situé à Podgorica. Elle se serait par la suite installée auprès de l’un de ses frères résidant à Berane, auprès de qui elle n’aurait pas pu rester, en raison du fait que celui-ci souffrirait d’une maladie psychique, qu’il n’aurait pas d’emploi et que sa famille, composée de quatre personnes, devrait vivre d’allocations sociales d’un montant de 120,- € par mois. Ledit frère serait assisté financièrement par un autre frère, à savoir Monsieur … …, vivant à …. Au vu de cette situation « désastreuse » régnant au sein de la famille du frère de la demanderesse à Berane, celle-ci aurait été amenée à solliciter un visa auprès des autorités slovènes afin de rendre visite à sa soeur résidant en Slovénie. Comme celle-ci n’aurait pas non plus été en mesure de la loger d’une manière prolongée, elle serait retournée, avant l’expiration de ce visa, auprès de son frère résidant à Berane. Elle relève dans ce contexte qu’au cours de son séjour en Slovénie, elle n’aurait présenté aucune demande de protection internationale auprès des autorités slovènes. Après son retour au Monténégro, elle y aurait résidé du mois de février au mois de mai 2008 et comme la situation financière de son frère y résidant à Berane aurait été « désastreuse », et en désespoir de cause, elle aurait décidé de se rendre au Luxembourg afin d’y être accueillie par son frère, Monsieur … … qui résiderait à … ensemble avec son épouse et une autre de ses soeurs, à savoir Madame … …. Après le décès de leur père, ledit frère aurait également pris en charge leur mère vivant également au Luxembourg.

La demanderesse fait soutenir que dans la mesure où elle serait venue directement du Monténégro pour se rendre au Luxembourg, la question de la délivrance d’un visa par les autorités slovènes n’aurait aucun rapport avec « le présent dossier », de sorte que les autorités luxembourgeoises seraient a priori compétentes pour assurer le traitement de la demande de protection internationale introduite au Luxembourg par elle.

Le délégué du gouvernement soutient que la compétence du pays ayant délivré un visa s’étendrait aux titulaires de visas dont la validité n’a pas expiré depuis plus de six mois. Il relève encore que suivant l’article 15 de la loi précitée du 5 mai 2006, le ministre doit se déclarer incompétent pour l’examen d’une demande de protection internationale lorsque le pays responsable en vertu d’engagements internationaux accepte la prise en charge de la demande. En l’espèce, ledit accord de reprise aurait été émis en date du 23 juin 2008 par les autorités slovènes, à la suite de l’introduction auprès de ces autorités, en date du 2 juin 2008, d’une demande afférente, se basant sur l’article 4, paragraphe 4 du règlement CE n° 343/2003, au vu de l’existence d’un visa de tourisme slovène délivré à la demanderesse avec une durée de validité allant du 15 janvier au 15 février 2008.

Le représentant étatique soutient que le fait que la demanderesse serait retournée au Monténégro pour une période allant du mois de février au mois de mai 2008 ne serait confirmé ni par le dossier administratif ni par les renseignements se trouvant à la disposition des autorités slovènes, de sorte que celles-ci auraient valablement pu accepter la prise en charge de l’intéressée sur base de l’article 9, paragraphe 4 du règlement CE n° 343/2003. Il relève dans ce contexte que le passeport de la demanderesse, détenu par le ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration, ne contiendrait ni un cachet de sortie de l’Espace Schengen après le mois de janvier 2008, ni un cachet d’entrée de nature à documenter son voyage du Monténégro vers le Luxembourg pour y présenter la demande d’asile actuellement litigieuse.

Quant au moyen invoqué par la demanderesse suivant lequel elle n’aurait à aucun moyen présenté une demande d’asile ou une demande de protection internationale en Slovénie, le délégué du gouvernement soutient qu’il ne serait pas pertinent, puisqu’il suffirait, en application de l’article 9, paragraphe 4 précité, qu’un demandeur ait été titulaire d’un visa périmé depuis moins de six mois pour attribuer la compétence pour l’examen d’une demande de protection internationale à l’Etat membre qui a délivré le visa de tourisme.

Il échet de prime abord de prendre position par rapport au prétendu caractère conservatoire que posséderait le présent recours, en ce qu’il n’aurait été introduit qu’à titre subsidiaire par rapport à une demande tendant à la délivrance d’une autorisation de séjour. Il échet ainsi de relever que la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ne prévoit pas la possibilité d’introduire un recours à titre seulement conservatoire en attendant l’issue d’autres procédures administratives ou contentieuses. Il s’ensuit qu’un seul type de recours peut être introduit devant le tribunal administratif par rapport auquel le tribunal doit prendre position par un jugement à partir du moment où l’affaire est instruite d’après les dispositions légales applicables, telles qu’elles ressortent notamment du règlement de procédure. Il n’appartient partant pas à un demandeur de subordonner un recours à une autre procédure, qu’elle soit administrative ou contentieuse, en cours au moment de l’introduction ou de l’instruction d’un recours contentieux.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le fait que la demanderesse a souhaité introduire le présent recours à titre conservatoire par rapport à une instance administrative en cours en vue de la délivrance d’une autorisation de séjour ne saurait avoir une quelconque incidence sur le déroulement de la présente procédure, étant entendu encore que suivant l’article 17 de la loi précitée du 5 mai 2006, le tribunal doit statuer « dans le mois de l’introduction de la requête [sous analyse] ».

Quant au fond, il échet de relever que c’est à bon droit que le représentant étatique a fait état de ce que la demanderesse dispose d’un visa Schengen valable du 15 janvier au 15 février 2008, soit d’un visa périmé depuis moins de six mois au moment de l’introduction de sa demande de protection internationale auprès des autorités luxembourgeoises.

Le ministre a partant valablement pu se référer aux dispositions du règlement CE n° 343/2003 qui dispose dans son article 9, 4. que « si le demandeur est seulement titulaire d’un ou de plusieurs titres de séjour périmés depuis moins de deux ans ou d’un ou de plusieurs visas périmés depuis moins de six mois lui ayant effectivement permis l’entrée sur le territoire d’un Etat membre, les paragraphes 1, 2 et 3 sont applicables aussi longtemps que le demandeur n’a pas quitté le territoire des Etats membres (…) ». Suivant le paragraphe 2 dudit article 9, « l’Etat membre qui a délivré ce visa est responsable de l’examen de la demande d’asile ».

En l’espèce, la demanderesse conteste être venue directement de la Slovénie pour se rendre au Luxembourg, mais soutient avoir quitté la Slovénie avant l’expiration de son visa de tourisme pour retourner au Monténégro, de sorte à être venue du Monténégro au Luxembourg.

Elle admet toutefois que ni lors de la sortie de la Slovénie ni lors de l’entrée sur le territoire de l’Union européenne son passeport aurait été muni d’un tampon par les autorités douanières. Il ressort ainsi du procès-verbal de la police grand-ducale du 15 mai 2008 qu’elle a admis n’avoir aucune preuve d’être retournée dans son pays d’origine, le Monténégro.

Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal est amené, faute par la demanderesse d’avoir rapporté un quelconque élément de preuve contraire, de constater qu’il ne ressort d’aucune pièce ou élément du dossier que la demanderesse aurait séjourné à l’extérieur du territoire de l’Union européenne, voire à l’extérieur de la Slovénie à la suite de l’entrée sur le territoire de ce pays sur base du visa litigieux avant de s’être rendue au Luxembourg pour y présenter sa demande tendant à la reconnaissance d’un statut de protection internationale.

Il suit encore des développements et constatations qui précèdent que la demanderesse rentre partant dans le champ d’application de l’article 9, paragraphe 4, alinéa 1er du règlement CE 343/2003. Il s’ensuit que c’est à bon droit que les autorités luxembourgeoises se sont déclarées incompétentes pour connaître de la demande de protection internationale formée par la demanderesse au Luxembourg en date du 14 mai 2008 et que les autorités slovènes se sont déclarées d’accord à reprendre en charge la demanderesse afin d’y traiter sa demande d’asile.

Il est dans ce contexte indifférent de savoir si la demanderesse a présenté une demande de protection internationale en Slovénie, étant donné qu’une telle condition n’est pas prévue par la disposition précitée se dégageant de l’article 9, paragraphe 4 du règlement CE 343/2003, puisqu’il suffit qu’elle soit en possession d’un visa ayant expiré depuis moins de six mois lui délivré par la République de Slovénie pour que celle-ci puisse à bon droit se déclarer compétente pour traiter la demande d’asile de la demanderesse.

Cette conclusion ne saurait être énervée par la volonté exprimée par la demanderesse, dans une lettre adressée le 16 juillet 2008 au ministre, réitérée par son mandataire au cours de l’audience à laquelle l’affaire a été plaidée, suivant laquelle elle a présenté sa demande de protection internationale par erreur, de sorte qu’elle souhaite y renoncer, étant donné que la légalité de la décision litigieuse du ministre est à apprécier, dans le cadre d’un recours en annulation, au jour où elle a été prise, à savoir, en l’espèce, en date du 24 juin 2008, et qu’à cette date, le ministre n’a pas pu avoir connaissance de ladite volonté de renonciation.

Enfin, en ce qui concerne les considérations d’ordre familial voire humanitaires invoquées par la demanderesse dans le cadre du présent recours, il échet de relever que de telles considérations ne sont pas de nature à avoir une incidence sur la décision prise par le ministre sur base du règlement n° 343/2003, d’autant plus qu’il ne ressort d’aucun élément du dossier que de telles considérations ne puissent pas être prises en considération par les autorités compétentes en République de Slovénie.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Marc Sünnen, juge, Claude Fellens, juge, et lu à l’audience publique du 6 août 2008 par le premier vice-président, en présence du greffier Claude Legille.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 24634
Date de la décision : 06/08/2008

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2008-08-06;24634 ?

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