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30/07/2008 | LUXEMBOURG | N°24073

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 30 juillet 2008, 24073


Tribunal administratif N° 24073 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 février 2008 Audience publique du 30 juillet 2008 Recours formé par Monsieur …, contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 24073 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 février 2008 par Maître Nicky Stoffel, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre

des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Nigeria), de nationalité nigériane...

Tribunal administratif N° 24073 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 février 2008 Audience publique du 30 juillet 2008 Recours formé par Monsieur …, contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 24073 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 février 2008 par Maître Nicky Stoffel, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Nigeria), de nationalité nigériane, ayant demeuré à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 4 décembre 2007 portant refus de l’entrée et du séjour au pays ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 mars 2008 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif par Maître Nicky Stoffel au nom de Monsieur … en date du 16 avril 2008 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en ses plaidoiries, Maître Nicky Stoffel n’étant pour sa part ni présente, ni représentée.

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En date du 28 septembre 2004, Monsieur … introduisit une demande en obtention d’un statut de réfugié auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration.

Cette demande fut rejetée comme non fondée par une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », du 6 avril 2006. Le recours contentieux introduit par Monsieur … contre cette décision ministérielle de refus, fut rejeté comme non fondé par un jugement du tribunal administratif du 4 décembre 2006 (no 21670 du rôle), confirmé sur appel, par un arrêt de la Cour administrative du 22 mars 2007 (no 22386C du rôle).

Un statut de tolérance fut refusé à Monsieur … par une décision du ministre du 14 mai 2007, à la suite d’une demande introduite par lui le 18 avril de la même année. Un recours contentieux introduit contre cette décision ministérielle fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 11 février 2008 (n° 23391 du rôle).

Par arrêté du 4 décembre 2007, notifié à l’intéressé en date du 8 janvier 2008, le ministre refusa l’entrée et le séjour sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg à Monsieur …, aux motifs suivants :

« Vu l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers ;

Attendu que l’intéressé ne dispose pas de moyens d’existence personnels légalement acquis ;

Attendu que l’intéressé se trouve en séjour irrégulier au pays ;

Attendu que l’intéressé est susceptible de compromettre la sécurité et l’ordre publics ;

(…) » Par requête déposée le 15 février 2008, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du 4 décembre 2008.

En date du 28 février 2008, Monsieur … fut rapatrié par les autorités luxembourgeoises vers son pays d’origine, le Nigeria.

Etant donné qu’en matière d’autorisation de séjour, la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main d’œuvre étrangère ne prévoit pas de recours de pleine juridiction, seul un recours en annulation a pu être introduit. Il s’ensuit que le tribunal est incompétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal.

A titre liminaire, le tribunal est amené à analyser le moyen d’irrecevabilité du recours pour défaut d’objet, tiré du fait que le demandeur aurait été rapatrié vers son pays d’origine en date du 28 février 2008, soulevé par le délégué du gouvernement.

L’objet du recours est constitué par le résultat que la partie demanderesse entend obtenir1.

Le résultat escompté par le demandeur, qui introduit un recours contre une décision ministérielle lui refusant une autorisation de séjour, consiste dans l’annulation de ladite décision. Le fait que le demandeur ait été rapatrié depuis l’introduction de son recours, ne produit aucun effet sur le résultat que le demandeur entend obtenir, qui reste inchangé. Le moyen d’irrecevabilité soulevé par le délégué du gouvernement tiré du défaut d’objet est partant à écarter pour ne pas être fondé.

Le recours en annulation est partant recevable dans la mesure où il a été par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi.

En second lieu, il y a lieu de retenir que l’action susceptible d’être portée devant le tribunal administratif n’est pas dirigée contre les personnes ou autorités auteurs de la décision entreprise, mais contre l’acte attaqué en tant que tel. Pour que le tribunal soit saisi valablement d’un recours contre une décision administrative, il suffit que l’acte attaqué soit 1 Cf. trib. adm. 27 octobre 2004, no 17634 du rôle, Pas. adm. 2006, Vo Procédure contentieuse, no 197 et autres références y citées.

identifié dans la requête avec toute la précision voulue2. En cas de désignation inexacte de la décision attaquée au dispositif de la requête, le fait de verser la décision déférée avec la requête introductive d’instance est suffisant pour rendre le recours recevable3.

En l’espèce, le tribunal est amené à constater que si le demandeur affirme dans sa requête introductive d’instance, avoir introduit une demande en obtention d’une autorisation de séjour pour raisons humanitaires auprès du ministre, sans indiquer la date de ladite demande, et avoir reçu en date du 4 décembre 2007 une réponse du ministre lui refusant ladite autorisation de séjour, il ne figure toutefois, ni parmi les pièces versées au dossier par le demandeur, ni dans le dossier administratif versé en cause, une demande d’autorisation de séjour adressée au ministre, ni une quelconque réponse du ministre à pareille demande.

Cependant, le demandeur a versé ensemble avec sa requête introductive d’instance un arrêté de refus d’entrée et de séjour, pris par le ministre en date du 4 décembre 2007. Le même document figure au dossier administratif versé en cause. Il y a lieu de noter par ailleurs qu’au dispositif de sa requête introductive d’instance, le demandeur sollicite la réformation, sinon l’annulation de l’arrêté du ministre du 4 décembre 2007.

Des considérations qui précèdent, le tribunal est amené à constater qu’en l’espèce le recours du demandeur est dirigé contre l’arrêté de refus d’entrée et de séjour pris par le ministre en date du 4 décembre 2007 et non point, comme indiqué dans la requête introductive d’instance, contre une décision ministérielle du 4 décembre 2007 portant refus d’accorder au demandeur une autorisation de séjour pour raisons humanitaires.

A l’appui de son recours, le demandeur, déclarant appartenir à l’ethnie des Urhobo, fait valoir que le retour dans son pays d’origine serait impossible, en raison des acharnements interethniques opposant depuis 2004 l’ethnie Urhobo à l’ethnie des Itsikeri, en raison des terres riches en pétrole. Il soutient que des membres de l’ethnie des Itsikeri auraient brulé les maisons appartenant à sa famille et tué sa mère et sa sœur. Sa femme se serait alors enfuie avec leurs deux enfants vers Kano, où le demandeur ne pourrait pas les rejoindre puisqu’il serait recherché par les Itsikeri. De plus, le gouvernement serait à la recherche du demandeur en raison de son appartenance au parti politique UPU (Urhobo progressive Union).

Finalement, le demandeur fait valoir que le climat politique deviendrait de plus en plus violent.

Le délégué du gouvernement estime que le demandeur serait en séjour irrégulier au Luxembourg depuis le 22 mars 2007, date du rejet définitif par la Cour administrative de sa demande de protection internationale. Il ajoute que le demandeur ne disposerait pas de moyens d’existence personnels suffisants au sens de l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972. Enfin, les arguments relatifs aux acharnements interethniques entre les Urhobo et les Itsikeri auraient été analysés dans le cadre de la demande de protection internationale Dans son mémoire en réplique, le demandeur soutient qu’à la date de son rapatriement vers le Nigéria, soit le 28 février 2008, deux instances étaient encore pendantes devant les juridictions administratives, à savoir un recours contre le refus d’octroi d’un statut de tolérance et un recours contre l’arrêté de refus d’entrée et de séjour du 4 décembre 2007. Il estime que la procédure de rapatriement aurait violé les règles élémentaires de droit en l’empêchant d’épuiser tous les moyens judiciaires pour faire entendre sa cause. De ce fait, 2 cf. trib. adm. 30 juillet 1997, no 9937 du rôle, Pas. adm. 2006, Vo Procédure contentieuse, no 251 et autres références y citées.

3 cf. trib. adm. 4 février 2002, no13654 du rôle, Pas. adm. 2006, Vo Procédure contentieuse, no 252.

l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme aurait été violé. Le rapatriement constituerait par ailleurs un excès de pouvoir de la part du ministre.

Le demandeur soutient quant au fond que ce serait à tort que le délégué du gouvernement aurait estimé que les arguments relatifs aux acharnements interethniques auraient été traités dans le cadre de la procédure relative à la demande de protection internationale et qu’il aurait été en séjour irrégulier sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg depuis le 22 mars 2007, en raison de la procédure relative à la demande d’un statut de tolérance, toujours pendante devant les juridictions.

Le demandeur estime encore que depuis son arrivée au Luxembourg, il n’aurait jamais troublé l’ordre public.

Force est de constater qu’aux termes de l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 «l’entrée et le séjour au Grand-Duché de Luxembourg pourront être refusés à l’étranger :

- qui est dépourvu de papiers de légitimation prescrits, et de visa si celui-ci est requis, - qui est susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publique, - qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour. » Il ressort de la lecture de cet article que l’entrée et le séjour peuvent être refusés notamment lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers.

En l’espèce, le demandeur ne conteste pas qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels suffisants, et il ne ressort d’aucune pièce versée en cause qu’il en disposerait.

Etant donné que la légalité d’une décision administrative s’apprécie par rapport à la situation de droit et de fait existant au jour où elle a été prise, c’est en principe à juste titre que le ministre a refusé l’entrée et le séjour au demandeur.

Si le refus ministériel se trouve dès lors, en principe, justifié à suffisance de droit par le défaut de moyens d’existence personnels suffisants dans le chef de Monsieur …, il y a encore lieu d’analyser le moyen basé sur l’existence de raisons humanitaires pouvant éventuellement s’opposer au refus d’entrée et de séjour.

Dans ce contexte, il convient de rappeler que si le contrôle juridictionnel propre à un recours en annulation ne saurait en principe aboutir à priver l’autorité administrative de son pouvoir d’appréciation, il n’en reste pas moins que, confronté à une décision relevant d’un pouvoir d’appréciation étendu, le juge administratif, saisi d’un recours en annulation, est appelé à vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration, sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute et s’ils sont de nature à justifier la décision, de même qu’il peut examiner si la mesure prise n’est pas manifestement disproportionnée par rapport aux faits établis, en ce sens que cette disproportion laisse entrevoir un usage excessif du pouvoir par l’autorité qui a pris la décision, voire un détournement du même pouvoir par cette autorité4.

4 cf : trib. adm. 12 février 2003, no 15238 du rôle, confirmé par Cour adm. 4 novembre 2003, no 16173C du rôle, Pas. adm. 2006, V° Recours en annulation, no 17.

L’article 14, alinéa dernier de la loi précitée du 28 mars 1972 dispose que « l’étranger ne peut être expulsé, ni éloigné à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou qu’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».

S’il est vrai que cette disposition ne vise expressis verbis que des mesures d’expulsion ou d’éloignement pour les interdire dans les hypothèses y visées, il n’en reste pas moins que le ministre, lorsqu’il est amené à prendre un arrêté de refus d’entrée et de séjour à l’égard d’un étranger qui se prévaut valablement de menaces pour sa vie ou sa liberté ou d’un risque d’être exposé à des traitements visés par cette disposition dans son pays d’origine et qui ne saurait partant faire l’objet d’une mesure de rapatriement, commettrait un excès de pouvoir en usant de la marge d’appréciation lui conférée par l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972, même dans l’hypothèse où un motif de refus y prévu se trouve vérifié, de manière à refuser à cette personne une autorisation de séjour et à la laisser, nonobstant son droit à ne pas être expulsée ou éloignée par les autorités luxembourgeoises vers son pays d’origine, dans une situation de séjour irrégulier.

En l’espèce, le tribunal est amené à constater que la crainte de représailles émanant des membres de l’ethnie des Itsikeri et du gouvernement nigérian, à laquelle le demandeur fait référence, a déjà fait l’objet d’une analyse par les juridictions administratives, dans le cadre de la demande de protection internationale introduite par le demandeur. Ainsi le demandeur a été débouté définitivement de sa demande par arrêt de la Cour administrative, précité du 22 mars 2007, de sorte que ces éléments déjà jugés ne sauraient justifier la délivrance d’une autorisation de séjour pour raisons humanitaires.

Dès lors, le demandeur n’a pas établi qu’il risquerait d’être exposé à l’une des menaces telles que prévues par l’article 14, alinéa dernier de la loi précitée du 28 mars 1972, en cas de retour dans son pays d’origine.

Enfin, la crainte invoquée par le demandeur du fait de la situation générale instable au Nigéria, sans qu’il ait fourni d’éléments pertinents et précis de nature à établir qu’un retour au Nigéria risquerait effectivement de l’y exposer à l’une des menaces telles que prévues par l’article 14, alinéa dernier de la loi précitée du 28 mars 1972, s’analyse en un simple sentiment général d’insécurité.

Le tribunal est encore amené à constater que les développements du demandeur visant à établir que la procédure de rapatriement au Nigéria du 28 février 2008 aurait violé les règles de procédure, ne sont pas pertinents dans le cadre du présent recours, dirigé à l’encontre d’une décision de refus d’entrée et de séjour et non point à l’encontre d’une décision de rapatriement.

Pour le surplus, il convient d’ajouter que ni le recours contentieux introduit contre une décision ministérielle refusant le bénéfice d’un statut de tolérance, ni le recours contentieux introduit contre une décision ministérielle refusant l’entrée et le séjour sur le territoire ne produisent un effet suspensif, de sorte que le ministre a valablement pu procéder à l’éloignement du demandeur, sans commettre un excès de pouvoir, alors même qu’un recours contre une décision ministérielle refusant le bénéfice d’un statut de tolérance et un recours contre une décision ministérielle refusant l’entrée et le séjour sur le territoire étaient encore pendants devant les juridictions administratives.

Eu égard aux considérations qui précèdent, le tribunal est amené à constater que le ministre a valablement pu refuser au demandeur, sans commettre une erreur manifeste d’appréciation, l’entrée et le séjour au Luxembourg.

Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;

reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Françoise Eberhard, juge, Lexie Breuskin, juge, et lu à l’audience publique du 30 juillet 2008 par le premier vice-président, en présence du greffier en chef Arny Schmit.

s. Schmit s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 24073
Date de la décision : 30/07/2008

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2008-07-30;24073 ?

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