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28/07/2008 | LUXEMBOURG | N°24628

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 juillet 2008, 24628


Tribunal administratif Numéro 24628 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 juillet 2008 Audience publique extraordinaire du 28 juillet 2008 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 24628 du rôle et déposée le 16 juillet 2008 au greffe du tribunal administratif par Maître Myriam Moulla, avocat à la Cou

r, assistée de Maître Victorien Hemery, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l'O...

Tribunal administratif Numéro 24628 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 juillet 2008 Audience publique extraordinaire du 28 juillet 2008 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 24628 du rôle et déposée le 16 juillet 2008 au greffe du tribunal administratif par Maître Myriam Moulla, avocat à la Cour, assistée de Maître Victorien Hemery, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le 2 février 1978 à Tunis, de nationalité tunisienne, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d'une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 10 juillet 2008 ordonnant son placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de cette décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 juillet 2008 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Victorien Hemery, en remplacement de Maître Myriam Moulla et Monsieur le délégué du gouvernement Guy Schleder en leurs plaidoiries respectives à l'audience publique du 25 juillet 2008.

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A la suite d’une demande d’asile présentée sous le nom de …, de nationalité algérienne, le 6 septembre 2005, Monsieur … se vit refuser la délivrance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés suivant décision du 14 septembre 2005 du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministre ». Un recours contentieux dirigé contre ladite décision ministérielle fut rejeté comme étant non fondé par un jugement du tribunal administratif datant du 7 décembre 2005. Aucun appel ne fut introduit à l’encontre de ce jugement.

En date du 10 août 2005, le ministre prit un arrêté de refus d’entrée et de séjour à l’encontre de Monsieur …, fondé sur les motifs tirés du défaut de moyens d’existence personnels légalement acquis, du séjour irrégulier au pays et du danger pour la sécurité et l’ordre publics.

Par courriers des 13 juin, 13 juillet 2006 et 20 février 2007, le ministre contacta le Consulat du Royaume du Maroc à Liège, aux fins de connaître l’état actuel du dossier de Monsieur …, identité sous laquelle Monsieur … avait présenté sa demande d’asile au Luxembourg.

Par courrier du 2 mars 2007, le ministre fit parvenir au Consulat du Royaume du Maroc la fiche signalétique, ainsi que 2 photos de Monsieur …, aux fins d’identification de ce dernier. Le même jour, Monsieur … fut présenté au Consul Général, Monsieur Mohamed Mouadi, au Consulat à Liège.

Le 6 mars 2007, le ministre contacta l’Ambassade de la République tunisienne à Bruxelles tout en sollicitant une audition de Monsieur … en vue de la vérification de sa nationalité.

En date du 16 mars 2007, le ministre fit parvenir au Consulat Général de Tunisie la fiche signalétique, ainsi que 2 photos de Monsieur …, aux fins d’identification de ce dernier.

En date du 20 avril 2007, le Consulat Général du Royaume du Maroc informa le ministre que les recherches effectuées par les services de la Police marocaine n’ont pas permis d’identifier Monsieur ….

Par courrier du 3 juillet 2007, les autorités tunisiennes informèrent le ministre que l’intéressé a pu être repéré sous l’identité de … et se déclarèrent d’accord pour lui établir un laisser-passer.

Suivant jugement du 29 janvier 2008 du tribunal d’Arrondissement de Luxembourg, treizième chambre correctionnelle, Monsieur …, sous l’identité de …, fut condamné à une peine d’emprisonnement de 9 mois pour vol à l’aide de menaces et infraction à la loi modifiée du 19 février 1973 concernant la vente de substances médicamenteuses et la lutte contre la toxicomanie, peine qui prit fin au 10 juillet 2008.

Par l’intermédiaire de son mandataire, Monsieur … fit parvenir le 9 juillet 2008 au ministre copies d’un permis de séjour valable pour l’Italie jusqu’en novembre 2008, de son passeport tunisien, de son extrait de naissance, ainsi que du certificat de mariage entre lui et Madame …, ressortissante italienne.

Par arrêté du 10 juillet 2008, notifié le même jour à l’intéressé, le ministre ordonna le placement de Monsieur …, alias …, au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois, décision libellée comme suit :

« Vu l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers ;

Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;

Vu les antécédents judiciaires de l’intéressé ;

Vu mon arrêté de refus d’entrée et de séjour du 10 août 2005 lui notifié en date du 10 août 2005 ;

Considérant que l’intéressé est démuni de toutes pièces d’identité et de voyage valable ;

- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels légalement acquis ;

- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

- qu’il est susceptible de compromettre la sécurité et l’ordre publics ;

Considérant qu’en attendant le résultat des recherches quant à l’identité et à la situation de l’intéressé, l’éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ; (…) » Le 16 juillet 2008, les autorités italiennes furent contactées par le ministre aux fins de vérification de la validité de l’autorisation de séjour présentée par Monsieur ….

Par requête déposée le 16 juillet 2008, Monsieur … fit introduire un recours en réformation, sinon subsidiairement en annulation à l’encontre de la décision ministérielle de placement prévisée du 10 juillet 2008.

Etant donné que l'article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l'entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l'emploi de la main-d'œuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision litigieuse.

Ledit recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Le recours en annulation introduit en ordre subsidiaire est dès lors irrecevable.

A l’appui de son recours, Monsieur … fait valoir que la décision ministérielle de placement du 10 juillet 2008 aurait été prise en violation de l’article 19 de la loi du 3 juillet 1992 portant approbation de la Convention d’application de l’Accord de Schengen du 14 juin 1985 et subsidiairement en violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme. A cet égard, le demandeur explique que l’impossibilité de son éloignement, sur laquelle serait basée l’arrête de placement, ne serait pas établie, alors que sa nationalité tunisienne serait désormais établie et qu’il serait également établi qu’il disposerait d’un titre de séjour italien en cours de validité. En effet, dans la mesure où il serait titulaire d’un permis de séjour valable dans un Etat-

membre de la Communauté européenne, il serait en droit de circuler librement sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg pour une durée de trois mois et ne saurait de la sorte faire l’objet d’une mesure de rétention. Même le délai nécessaire à la vérification de l’authenticité des pièces fournies à l’appui de sa requête ne justifierait pas le maintien au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig.

En outre, dans la mesure où il serait marié avec Madame …, de nationalité italienne, un rapatriement en Tunisie violerait l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Le délégué du gouvernement explique que le ministre ne disposerait d’aucun original des pièces d’identité du demandeur, son mandataire n’ayant pu fournir que des copies peu lisibles de son titre de séjour italien, de son extrait de naissance, de son passeport, ainsi que de son certificat de mariage. Dans la mesure où de telles copies ne sauraient être utilisées comme telles dans les formalités de renvoi en Italie, lesdits documents devraient d’abord faire l’objet de vérifications par les autorités italiennes avant la délivrance d’un laissez-passer, nécessaire pour rentrer en Italie. Les démarches afférentes auraient été effectuées par les autorités luxembourgeoises. Le délégué du gouvernement explique encore que, nonobstant l’accord des autorités tunisiennes de reprendre le demandeur, celui-ci refuserait le rapatriement en Tunisie. Le représentant étatique souligne le manque de coopération du demandeur, qui, tout en se trouvant en séjour irrégulier au Grand-Duché de Luxembourg depuis le 7 janvier 2006, date à laquelle il a manifestement été débouté de sa demande d’asile, n’a reconnu sa véritable identité qu’en juillet 2007. Un risque de fuite serait donc manifestement donné. En plus, vu l’absence de moyens personnels d’existence ainsi que sa condamnation pour vol avec menaces et trafic de stupéfiants, il serait susceptible de compromettre la sécurité et l’ordre publics.

En matière de rétention administrative, il appartient au ministre non de prouver, a priori, d’être en mesure d’éloigner effectivement la personne visée, mais d’entreprendre toute démarche utile en vue de l’éloignement de la personne visée, dans des délais raisonnables. Cette tâche peut s’avérer particulièrement laborieuse dans les cas où la personne visée refuse toute collaboration avec les autorités notamment en vue de l’établissement de ses identité et nationalité, nécessitant des recherches approfondies et entraînant des délais plus longs.

En l’espèce, il s’avère à l’étude des pièces versées, que l’identité tunisienne du demandeur n’a pu être établie qu’en juillet 2007, après plusieurs tentatives réitérées auprès des autorités d’autres Etats, et ceci en raison des faux nom et identité par lui indiqués. Il ressort ensuite du dossier administratif qu’en date du 9 juillet 2008, à savoir la veille de sa libération du Centre pénitentiaire, il a fait informer les autorités luxembourgeoises par le biais de son avocat du fait qu’il serait titulaire d’un permis de séjour italien ainsi que du fait qu’il serait marié avec une ressortissante italienne pour réclamer ensuite son droit à la libre circulation sur le territoire des Communautés européennes qu’il tirerait de ces circonstances de fait.

Force est de constater que, même si un ressortissant d’un Etat tiers disposant d’un permis de séjour dans une Etat-membre de la Communauté européenne se voit conférer un certain nombre de droits ayant trait à la libre circulation sur le territoire de la Communauté européenne, il n’en demeure pas moins qu’il est indispensable que cette qualité de titulaire d’un permis de séjour doit être établie à suffisance de droit pour valablement pouvoir faire valoir lesdits droits.

De même, si l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme prévoit le droit à l’intégrité de la vie privée, il appartient au demandeur de démontrer l’existence d’une vie privée sujette à protection. Or, en l’espèce, les documents versés à l’appui des déclarations de Monsieur … constituent de simples copies, non authentifiées, et de surplus peu lisibles de ses passeport, acte de naissance, permis de séjour et acte de mariage, de sorte que sa qualité de titulaire d’un permis de séjour en Italie ne se trouve pas établie. Suite aux pièces versées par le demandeur et face à son refus catégorique d’être rapatrié en son pays d’origine, la Tunisie, nonobstant l’accord des autorités tunisiennes de le reprendre, il appartenait aux autorités luxembourgeoises de s’assurer de l’existence et de la validité des documents versés à l’appui de sa demande, à savoir notamment du permis de séjour en question auprès des autorités italiennes compétentes, démarche effectuée en date du 16 juillet 2008. Dans la mesure où la loi permet au ministre de placer un étranger dont l’éloignement s’avère impossible en raison de circonstances de fait au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, et dans la mesure où il s’est avéré en l’espèce qu’un éloignement rapide du demandeur s’est exclusivement heurté, d’une part, à son refus de rentrer en Tunisie et, d’autre part, au fait qu’il à fourni les informations sur l’existence d’un permis de séjour italien tardivement, à savoir la veille seulement de sa libération du Centre pénitentiaire, c’est à juste titre que le ministre a ordonné son placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée d’un mois.

Le recours sous analyse est à rejeter comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation introduit à titre principal en la forme ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 28 juillet 2008 par:

Paulette Lenert, vice-président, Françoise Eberhard, juge Lexie Breuskin, juge en présence de Arny Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 24628
Date de la décision : 28/07/2008

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2008-07-28;24628 ?

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