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17/07/2008 | LUXEMBOURG | N°24598

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 juillet 2008, 24598


Tribunal administratif Numéro 24598 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 juillet 2008 Audience publique extraordinaire du 17 juillet 2008 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 24598 du rôle et déposée le 10 juillet 2008 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, in

scrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Mal...

Tribunal administratif Numéro 24598 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 juillet 2008 Audience publique extraordinaire du 17 juillet 2008 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 24598 du rôle et déposée le 10 juillet 2008 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Mali), de nationalité malienne, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 2 juillet 2008, prorogeant pour une nouvelle durée d’un mois son placement audit Centre de séjour provisoire, institué initialement par arrêté du même ministre du 17 avril 2008 et prorogé déjà une première fois par arrêté du 2 juin 2008 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 juillet 2008 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 15 juillet 2008 par Maître Louis TINTI au nom de Monsieur … ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Louis TINTI et Madame le délégué du Gouvernement Jacqueline JACQUES en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 16 juillet 2008.

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Après s’être vu délivrer une carte d’identité d’étranger au Grand-Duché de Luxembourg en 1998 en tant que ressortissant français, Monsieur … s’est trouvé en séjour irrégulier au pays, étant donné qu’une enquête du centre de coopération policière et douanière avait révélé qu’il n’était pas de nationalité française et que suite à une demande de renouvellement de sa carte de séjour du 5 novembre 2003, le ministre de la Justice ne s’est pas vu communiquer les documents d’identité valables de sa part.

En date du 17 avril 2008, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration prit une mesure de rétention à l’encontre de Monsieur … sur le fondement de l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, ladite mesure de rétention ayant été notifiée à l’intéressé en date du 8 mai 2008 à 18.10 heures.

Cette décision fut basée sur les considérations suivantes :

« Vu l'article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l'entrée et le séjour des étrangers ;

Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;

Vu divers rapports de la police grand-ducale ;

Considérant que l’intéressé est démuni de toute pièce d’identité et de voyage valable ;

- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels légalement acquis ;

- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

Considérant qu’en attendant le résultat des recherches quant à l’identité et à la situation de l’intéressé, l’éloignement immédiat n’est pas possible ;

Considérant qu'il existe un risque de fuite, alors que l'intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d'éloignement ».

Par courrier du 19 mai 2008, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration s’adressa à l’ambassade de la République du Mali à Bruxelles en vue de la délivrance d’un titre de voyage ou d’un laissez-passer permettant le rapatriement de Monsieur …, tout en soumettant aux autorités maliennes une copie du passeport expiré de l’intéressé.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 20 mai 2008, Monsieur … fit introduire principalement un recours en réformation et subsidiairement un recours en annulation à l’encontre de la décision ministérielle de placement précitée du 17 avril 2008.

Ce recours fut rejeté comme non fondé par jugement du tribunal administratif du 29 mai 2008 (n° 24387 du rôle).

Par arrêté du 2 juin 2008, notifié le 6 juin 2008, le ministre prorogea une première fois la mesure de rétention ci-avant visée pour une nouvelle durée d’un mois sur base des considérations suivantes :

« Vu l'article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l'entrée et le séjour des étrangers ;

Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;

Vu mon arrêté pris en date du 17 avril 2008, notifié le 8 mai 2008, décidant du placement temporaire de l’intéressé ;

Considérant qu’un laissez-passer a été demandé auprès des autorités maliennes en date du 19 mai 2008 ;

- qu’un rappel a été adressé à ces mêmes autorités maliennes en date du 28 mai 2008 ;

- qu’en attendant l’émission de ce document de voyage, l’éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l'intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d'éloignement ».

Par arrêté du 2 juillet 2008, la mesure fut prorogée une itérative fois pour une nouvelle durée d’un mois sur base des considérations suivantes :

« Vu l'article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l'entrée et le séjour des étrangers ;

Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;

Vu mes arrêtés pris en date des 17 avril et 2 juin 2008 décidant du placement temporaire de l’intéressé ;

Considérant que l’intéressé a été présenté aux autorités maliennes en date du 19 juin 2008 ;

- qu’en attendant le résultat des recherches entamées par les autorités maliennes quant à l’identité et à la situation de l’intéressé, l’éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l'intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d'éloignement ;

Considérant qu’il y a nécessité absolue de reconduire la décision de placement » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 10 juillet 2008, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision de prorogation précitée du 2 juillet 2008.

Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi précitée du 28 mars 1972 institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision litigieuse.

Ledit recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur critique la décision déférée au motif que le ministre resterait en défaut d’établir la nécessité absolue justifiant la reconduite de la mesure de placement initiale. Il soutient plus particulièrement qu’aucune démarche n’aurait été entreprise depuis le 19 juin 2008, date à laquelle il fut présenté à l’ambassade du Mali sise à Bruxelles aux fins de se voir délivrer un laissez-passer. Il en déduit que les démarches entreprises en vue de limiter sa rétention dans ses effets seraient insuffisantes, même si la rétention administrative était légitime en son principe. Le demandeur fait valoir en outre que le simple fait qu’il faille attendre le résultat des investigations auxquelles s’est engagée de procéder l’ambassade du Mali, ne saurait suffire pour établir l’existence d’une nécessité absolue, de même que le danger de fuite, invoqué par le ministre, ne saurait être simplement présumé, faute d’un texte de loi en ce sens. Or, à cet égard, le ministre resterait en défaut de soumettre à l’appréciation du tribunal des éléments de fait suffisamment pertinents pour établir l’existence d’un tel risque.

Pour conclure finalement au caractère disproportionné de la mesure critiquée, le demandeur se réfère à une attestation testimoniale faisant état de son attachement à son enfant Emilie, pour faire état de souffrances qui résulteraient de la rupture provoquée par une mesure de rétention administrative qui se prolongerait excessivement.

Dans son mémoire en réponse, l’Etat insiste sur le défaut de collaboration de l’intéressé ainsi que sur le caractère contradictoire de ses affirmations concernant son identité et sa nationalité. Le représentant étatique estime en outre que le ministre aurait accompli toutes les diligences nécessaires afin d’assurer le rapatriement du demandeur en ayant pris contact tant avec les autorités du Burkina Faso où le demandeur a indiqué avoir vécu avec ses parents jusqu’à l’âge de deux ans, qu’avec l’ambassade du Mali, étant donné qu’il était en possession d’un passeport malien.

En ce qui concerne le moyen tiré de l’absence de « nécessité absolue », nécessaire à la prorogation de la décision de placement initiale, il appartient au tribunal d’analyser si le ministre a pu se baser sur des circonstances permettant de justifier qu’une nécessité absolue rende la prorogation de la décision de placement inévitable (cf. trib. adm. 20 décembre 2002, n° 15747 du rôle, Pas. adm. 2006, V° Etrangers, n° 404 et autres références y citées).

En effet, l’article 15, paragraphe 2 de la loi prévisée du 28 mars 1972 dispose que « la décision de placement (…) peut, en cas de nécessité absolue, être reconduite par le ministre (…) à deux reprises, chaque fois pour la durée d’un mois ».

Le tribunal vérifie si l’autorité compétente a veillé à ce que toutes les mesures appropriées soient prises afin d’assurer un éloignement dans les meilleurs délais, en vue d’éviter que la décision de placement ne doive être prorogée, étant donné que la prorogation d’une mesure de placement doit rester exceptionnelle et ne peut être décidée que lorsque des circonstances particulièrement graves ou autrement justifiées la rendent nécessaire (cf. trib.

adm. 6 novembre 2002, n° 15509 du rôle, confirmé par Cour adm. du 21 novembre 2002, n° 15593C du rôle, Pas. adm. 2006, V° Etrangers, n° 404). Etant relevé qu’une mesure de rétention est indissociable de l’attente de l’exécution d’un éloignement d’un étranger non autorisé à séjourner légalement sur le territoire luxembourgeois, il incombe à l’autorité administrative de faire état et de documenter les démarches qu’elle estime requises et qu’elle est en train d’exécuter, afin de mettre le tribunal en mesure d’apprécier si un éloignement valable est possible et est en voie d’organisation, d’une part, et que les autorités luxembourgeoises entreprennent des démarches suffisantes en vue d’un éloignement ou transfert rapide du demandeur, c’est-à-dire de façon à écourter au maximum sa privation de liberté, d’autre part.

En l’espèce, il se dégage des pièces versées au dossier qu’une enquête en vue d’établir l’identité et la nationalité de l’intéressé fut entamée dès la prise de la mesure de rétention initiale et que dans le cadre de cette enquête, un passeport malien du requérant a pu être saisi, de sorte que l’ambassade de la République du Mali fut contactée. Tel que relevé par le demandeur, il fut présenté à l’ambassade du Mali à Bruxelles le 19 juin 2008 et il se dégage du compte-rendu de cette visite établi le 20 juin 2008, que compte tenu notamment des affirmations de l’intéressé qu’il serait burkinabé et de son refus d’expliquer comment il s’est procuré un passeport malien, les autorités maliennes ont déclaré devoir faire des recherches supplémentaires concernant l’identité de l’intéressé avant de pouvoir émettre un laissez-

passer. Il se dégage encore des pièces versées au dossier que suite à cette entrevue, Monsieur … fut à nouveau entendu par la police judiciaire le 25 juin 2008 aux fins de rassembler des éléments complémentaires au sujet de ses prétendues attaches avec le Burkina Faso et que suite à ce complément d’instruction, les autorités luxembourgeoises ont également contacté l’ambassade du Burkina Faso le 2 juillet 2008 pour qu’elle émette un laissez-passer permettant le cas échéant le rapatriement de Monsieur … dans ce pays.

Dans la mesure où le ministre, confronté à cet élément nouveau, a dès lors dû entamer de nouvelles démarches afin de voire clarifier la nationalité du demandeur et que les autorités étrangères, le cas échéant, compétentes en vue d’organiser son rapatriement, ne disposent cette fois-ci pas de documents d’identité susceptibles d’accélérer leurs recherches au Burkina Faso, les délais se sont nécessairement prolongés sans que cette prolongation ne soit pour autant imputable aux autorités luxembourgeoises.

Au vu des diligences déployées par les autorités luxembourgeoises, il y a partant lieu de retenir que le ministre se trouvait dans un cas de nécessité absolue l’autorisant à proroger une deuxième fois la décision de rétention administrative initiale du 17 avril 2008, de sorte que le moyen afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.

Cette conclusion ne saurait être énervée par le fait que l’intéressé entretiendrait des liens avec son enfant …, étant donné que la décision déférée s’inscrit dans les prévisions légales et que l’atteinte portée à cette relation trouve sa source davantage dans la mesure d’éloignement sous-jacente à la mesure de rétention administrative dont l’exécution est actuellement en cours de préparation que dans la décision déférée elle-même.

Quant à l’absence alléguée de risque de fuite, force est de constater que la loi n’érige pas l’existence d’un risque de fuite en tant que condition devant être remplie pour prononcer une mesure de placement, de sorte que le ministre n’a pas besoin de justifier de l’existence d’un risque de fuite dans ce cadre. Par ailleurs, le principe même du placement de l’intéressé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en séjour irrégulier ne saurait prêter à critique puisque ce Centre fut précisément créé afin de recueillir les étrangers faisant l’objet d’une mesure de placement.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 17 juillet 2008 par :

Paulette Lenert, premier vice-président, Martine Gillardin, premier juge, Catherine Thomé, premier juge, en présence de Arny Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 6


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 24598
Date de la décision : 17/07/2008

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2008-07-17;24598 ?

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