Tribunal administratif N° 23094 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 juin 2007 Audience publique du 14 juillet 2008
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Recours formé par la société anonyme X. S.A., … contre des bulletins d’impôt émis par le bureau d’imposition Sociétés 2 en matière d’impôt sur le revenu des collectivités et d’impôt commercial communal
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 23094 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 22 juin 2007 par Maître Jean-Pierre Winandy, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme X. S.A., établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, tendant à la réformation, sinon à l’annulation des bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités pour les années 2001, 2002, 2003 et 2004 ;
des bulletins de calcul de la base d’assiette globale et de l’impôt commercial communal pour les années 2001, 2002, 2003 et 2004 ;
des bulletins de la retenue d'impôt sur les revenus de capitaux pour les années 2001, 2002, 2003 et 2004 ;
d’un bulletin d’établissement de la valeur unitaire au 1er janvier 2002 ;
tous émis le 13 septembre 2006 par le bureau d’imposition Sociétés 2 de l’administration des Contributions directes ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 novembre 2007 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 20 décembre 2007 par Maître Jean-Pierre Winandy pour compte de la société demanderesse ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les bulletins critiqués ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Jean-Pierre Winandy et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Marie Klein en leurs plaidoiries respectives.
Le 13 mars 2001, la société anonyme X., ci-après « la société X. », fit l’acquisition d’un hélicoptère Ecureil du type AS 355 N, numéro de série 5689, au prix de 13.972.000 francs français, suivant facture de la société Eurocopter du 29 mars 2001.
Le 15 mars 2001, la société X. conclut avec la société anonyme de droit français H., avec siège social à F-…, un contrat de mise à disposition coque nue dudit hélicoptère pour une durée d’un an à compter du 29 mars 2001, tacitement reconductible par périodes de douze mois. Ce contrat précisa que la société H.
souhaita louer cet appareil aux sociétés contrôlées par la société E. S.A. dont la société H. serait elle-même une filiale. Le contrat prévoyait en son article 4 que la mise à disposition de l’appareil était consentie moyennent une redevance horaire de 4.500 francs français (soit 686,02 euros). Le contrat stipula également que l’appareil serait exploité suivant les règles de la classification « transport public de passagers » par la société anonyme de droit français M., une filiale du groupe E..
En date du même jour, la société X. signa avec la société M., avec siège social à l’aérodrome d’Annemasse, un contrat d’entretien et d’assistance d’un hélicoptère de type Ecureil AS 355N, immatriculé F-GVJA.
Le 22 février 2002, la société X. conclut avec Monsieur Alain Lejeune, demeurant à Cologny en Suisse, un contrat de mise à disposition coque nue de l’hélicoptère, moyennant paiement d’une redevance horaire de 686,02 euros hors taxes. Ce contrat précisa que cette mise à disposition était possible « hormis les périodes pendant lesquelles cet appareil est déjà utilisé par d’autres locataires et notamment la société H. (…) et celles pendant lesquelles il doit être immobilisé pour des raisons de maintenance, d’entretien ou de réparation ». Le même jour, un contrat aux mêmes conditions fut signé avec Monsieur Jacques Lejeune, demeurant à Cologny en Suisse.
Le 6 avril 2003, la société X. conclut avec la société H. un nouveau contrat de mise à disposition de l’appareil pour une durée d’un an à partir du 1er avril 2003, tacitement reconductible par périodes de douze mois, prévoyant le paiement d’une redevance horaire de 765 euros hors taxes. Le même jour, un contrat de parking et de garage d’un hélicoptère Ecureil de type AS 355N fut conclu avec la société M..
Suite au dépôt par la société X. de ses déclarations pour l’impôt sur le revenu des collectivités et pour l’impôt commercial communal des années 2001 à 2004, le bureau d’imposition Sociétés II de la section sociétés du service d’imposition de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par le « bureau d'imposition », demanda à la société X., suivant courrier du 4 avril 2006, la production de pièces et renseignements supplémentaires.
Par courrier du 21 avril 2006, le bureau d’imposition adressa à la société X. les copies des projets d’imposition pour les années 2001 à 2004, tout en l’invitant à y prendre position le cas échéant.
En réponse au questionnaire posé par le bureau d’imposition par courrier du 4 avril 2006, la société X. fournit le 2 mai 2006 les pièces et renseignements sollicités par le bureau d’imposition.
En date du 20 juillet 2006, le bureau d’imposition invita la société X. à lui fournir des pièces et renseignements supplémentaires, invitation à laquelle la société X. donna suite par lettre du 8 août 2006.
Le 18 août 2006, le bureau d’imposition adressa à la société X. les copies des projets d’imposition des années 2001 à 2004, remplaçant le projet d’imposition communiqué le 21 avril 2006.
La société X. prit position par rapport à ces projets d’imposition dans un courrier du 7 septembre 2006 à travers lequel elle contesta les conclusions du bureau d'imposition et notamment, d’une part, le fait d’avoir ajusté forfaitairement le résultat imposable pour les quatre années d’imposition en rajoutant un montant forfaitaire au résultat commercial entraînant que la société réalise pour chacune des années en question une marge bénéficiaire de 20% calculée sur l’ensemble des charges de la société et, d’autre part, le fait d’avoir refusé de lui accorder le bénéfice de la bonification d’impôt pour investissement en application de l’article 152bis de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu (LIR) au motif que la condition de la mise en œuvre physique sur le territoire du Luxembourg ne serait pas remplie.
En date du 13 septembre 2006, le bureau d'imposition émit à l’encontre de la société X. les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités pour les années 2001 à 2004, les bulletins de calcul de la base d’assiette et de l’impôt commercial communal pour les années 2001 à 2004, les bulletins de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux pour les années 2001 à 2004, ainsi que le bulletin de la valeur unitaire au 1er janvier 2002.
Par le bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités pour l’année 2001, le bureau d’imposition majora le résultat déclaré de l’année 2001 de - 4.245.169 LUF d’un montant de 5.900.000 LUF et fixa le revenu imposable arrondi à 1.568.000 LUF, entraînant une cote d’impôt sur le revenu des collectivités de 470.400 LUF. Ledit bulletin comporta également la fixation de la bonification d’impôt pour investissement à zéro. Ce bulletin renseigna encore ce qui suit :
« Vu qu’une société est censée poursuivre un but de lucre, le bureau d’imposition fixe le revenu imposable par application d’une marge bénéficiaire de 20% sur l’engagé (amortissements des immob. corporelles comprises). Le résultat déclaré à titre de l’année 2001 est alors majoré d’un montant de 5.900.000 flux.
Ainsi, les produits défaillants sont considérés comme avantage revenant au bénéficiaire économique de X. S.A.
Cet avantage constitue une distribution cachée de bénéfice, qui est soumise à une retenue à la source de 25%.
Refus de la bonification d’impôt pour investissement (art. 152bis L.I.R., vu que la condition de « la mise en œuvre physique sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg » n’est pas remplie pour l’hélicoptère. » Par le bulletin de l’impôt commercial communal pour l’année 2001, le bureau d’imposition fixa le bénéfice d’exploitation imposable arrondi de la société X. à 868.000 LUF et la cote d’impôt à 86.800 LUF. Le bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux pour l’année 2001 fixa une cote de retenue de 1.475.000 LUF du chef de la distribution cachée de bénéfice.
Par les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités pour les années 2002, 2003 et 2004, le bureau d’imposition procéda à des réintégrations dans les revenus imposables de distributions cachées de bénéfices à hauteur de 242.000 € pour l’année 2002, de 243.000 € pour l’année 2003 et de 242.000 € pour l’année 2004 et retint dans le chef de la société X. un revenu imposable arrondi de 41.550 € et une cote d’impôt de 9.141 € pour l’année 2002, un revenu imposable arrondi de 50.500 € et une cote d’impôt de 11.110 € pour l’année 2003 et un revenu imposable arrondi de 47.600 € et une cote d’impôt de 10.472 € pour l’année 2004.
A travers les bulletins de l’impôt commercial communal pour les mêmes années, à savoir 2002, 2003 et 2004, le bureau d’imposition fixa un bénéfice d’exploitation imposable arrondi à 24.050 € et la cote d’impôt à 1.803 € pour l’année 2002, un bénéfice d’exploitation imposable à 33.000 € et la cote d’impôt à 2.475 € pour l’année 2003 et un bénéfice d’exploitation imposable à 30.100 € et la cote d’impôt à 2.257 € pour l’année 2004.
Par les bulletins de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux, le bureau d’imposition fixa une retenue d’impôt de 20% pour les années de 2002, 2003 et 2004 au titre de la distribution cachée de bénéfice, fixant une cote d’impôt de 48.400 € pour les années 2002 et 2004 et une cote d’impôt de 48.600 € pour 2003.
Sa réclamation du 7 décembre 2006 à l’encontre de ces bulletins étant restée sans réponse de la part du directeur de l’administration des Contributions directes, la société X. a fait introduire, par requête déposée le 22 juin 2007, un recours contentieux tendant à la réformation, sinon à l’annulation des bulletins prévisés de l’impôt sur le revenu des collectivités pour les années 2001 à 2004, de l’impôt commercial communal pour les années 2001 à 2004, de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux pour les années 2001 à 2004 ainsi que d’établissement de la valeur unitaire au 1er janvier 2002.
Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », et de l’article 8 (3) 3. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif, le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre des bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités, de l’impôt commercial communal, de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux et d’établissement de la valeur unitaire en l’absence d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes ayant statué sur les mérites d’une réclamation contre ces mêmes bulletins. Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours principal en réformation. Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.
Le recours en réformation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.
A l’appui de son recours, la société demanderesse reproche en premier lieu au bureau d’imposition d’avoir procédé à une imposition forfaitaire, en estimant que la détermination arbitraire d’une marge bénéficiaire de 20%, motivée exclusivement par la considération qu’une société est censée poursuivre un but de lucre, ne respecterait pas les principes consacrés par les paragraphes 204 et 217 AO. En effet, le bureau d’imposition, en fixant un rendement de 20% de l’actif investi qui serait en tout état de cause excessif, n’aurait pas tenu compte de l’activité particulière de la société. Elle fait valoir dans ce contexte que l’activité de la location d’un hélicoptère coque nue serait particulière en ce sens que la croissance des sociétés proposant de tels services serait étroitement liée à la réputation acquise par ces sociétés au fur et à mesure de leur existence. En outre, les clients de ces sociétés ne seraient pas si nombreux et il pourrait s’écouler des années avant qu’une société ne fasse des bénéfices. Elle précise encore que sa situation déficitaire pour les années 2001 à 2004 ne s’expliquerait non seulement par la nature de son activité, mais également par le fait que le taux d’amortissement de l’hélicoptère aurait été trop important du fait d’une surestimation initiale du taux d’usure. En effet, la durée de l’amortissement économique de ce genre d’aéronef serait en général de 20 ans, mais sur les conseils de son réviseur d’entreprises, elle aurait pratiqué un amortissement sur 14 ans avec une valeur résiduelle à zéro.
Quant à la distribution cachée de dividendes, la société demanderesse conteste que les tarifs pratiqués à l’égard de ses bénéficiaires économiques seraient inférieurs au prix du marché. Elle donne à considérer qu’elle louerait l’hélicoptère aux sociétés H. et M., qui ne seraient pas liées à elle ou à ses bénéficiaires économiques, au même tarif qu’à ses propres bénéficiaires économiques et que pour les années 2001 à 2004, elle aurait facturé chaque utilisation sur la base du prix de marché quel que soit l’utilisateur de l’appareil. Elle précise que le tarif, fixé au départ à 686,02 euros hors taxes par heure de vol, serait passé à partir du mois de mars 2003 à 765 euros hors taxes par heure de vol.
La société X. estime ensuite que le simple fait que parmi les utilisateurs de l’hélicoptère figureraient également les bénéficiaires économiques de la société ne permettrait pas de justifier l’ajustement forfaitaire du résultat imposable alors que cette utilisation serait facturée au prix du marché. Dans ces conditions, aucune disposition fiscale n’interdirait l’utilisation par un actionnaire ou un bénéficiaire économique d’un actif de la société. Elle soutient encore que les conditions pour qu’il y ait distribution cachée de bénéfice, telles que prévues par l’article 164 LIR, ne seraient pas vérifiées en l’espèce, au motif qu’elle n’aurait pas accordé un avantage à un actionnaire ou un bénéficiaire économique par rapport au traitement normal. Elle affirme ainsi que toutes les heures d’utilisation de l’hélicoptère auraient été facturées au même tarif horaire qui serait celui du marché, quel que soit le locataire. A l’appui de cette affirmation, la société demanderesse se réfère à un courrier de la société M.
qui confirmerait que les tarifs de location coque nue par elle pratiqués seraient conformes aux tarifs pratiqués sur le marché.
Concernant le refus de la bonification d’impôt pour investissement, la société demanderesse reproche au bureau d’imposition d’avoir fait une interprétation erronée de l’article 152bis, paragraphe 1er LIR en ce qu’il a retenu que la condition de la « mise en œuvre physique sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg » ne serait pas remplie dans le chef de l’hélicoptère. Elle s’étonne d’une telle justification alors qu’une des plus importantes compagnies aériennes du Luxembourg se verrait reconnaître le bénéfice de la bonification d’impôt pour investissement pour ses avions utilisés en trafic international. Elle en déduit que la différence de traitement ainsi pratiquée par l’administration ne serait nullement justifiée. Elle souligne encore que l’hélicoptère ne donnerait nulle part lieu à un établissement stable, de sorte que le revenu résultant de son exploitation serait intégralement imposable au Luxembourg et qu’il n’y aurait donc pas lieu de l’exclure du bénéfice de la bonification d’impôt.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement fait exposer que l’hélicoptère de la société X., qui serait garé dans les hangars de la société M. à Annemasse, servirait essentiellement à l’usage des bénéficiaires économiques de la société demanderesse, deux ressortissants suisses, ce qui aurait amené le bureau d’imposition à voir une distribution cachée de bénéfices dans la mise à disposition des associés suisses d’un appareil trop coûteux pour attirer une clientèle et stationné à proximité.
Quant à la bonification d’impôt pour investissement, le représentant étatique fait valoir que dans la mesure où l’hélicoptère serait suivant contrat stationné à Annemasse, il ne pourrait être considéré comme mis en œuvre sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg au sens de l’article 152bis LIR.
Dans son mémoire en réplique, la société demanderesse insiste sur l’absence de tout « lien de parenté » entre elle-même et les sociétés françaises H. et M.. Elle fait valoir que le litige serait né de la présomption erronée du bureau d’imposition que la société X. et ces sociétés françaises seraient apparentées et que le bureau d’imposition ne serait pas prêt à faire marche arrière sur ce point, bien que l’absence de tout lien de participation soit clairement établie en l’espèce. Elle souligne ainsi qu’il s’agirait d’une transaction entre tiers, que les sociétés H. et M. n’utiliseraient l’appareil qu’en cas de besoin, de sorte qu’il serait disponible pour d’autres locations, et notamment par les bénéficiaires économiques de la société X. contre rémunération aux mêmes conditions que celles dont bénéficieraient les clients tiers. Elle s’insurge encore contre l’argumentation qualifiée de « tendancieuse et incorrecte » du délégué du gouvernement, qui considérerait qu’en dehors des périodes de location facturées à H., l’appareil devrait être mis à la disposition des bénéficiaires économiques, alors qu’il ne s’agirait pas d’une mise à disposition mais d’une location et que les bénéficiaires économiques ne disposeraient pas d’une priorité quant à l’utilisation de l’hélicoptère, de sorte qu’il ne pourrait y avoir de distribution cachée de bénéfice.
En l’espèce, le bureau d’imposition a procédé à une majoration du résultat déclaré par la société X. au titre des quatre années d’imposition, en appliquant d’office une marge bénéficiaire de 20% calculée sur l’engagé de la société et a considéré les produits ainsi défaillants comme une distribution de bénéfice soumise à la retenue à la source sur les revenus de capitaux au profit du bénéficiaire économique de la société X.. Il a justifié cette taxation d’office par la considération qu’ « une société est censée poursuivre un but de lucre ».
Il est constant en cause que le bureau d’imposition, après avoir examiné les déclarations de la société X. pour l’impôt sur le revenu des collectivités et pour l’impôt commercial communal des années 2001 à 2004, lui a adressé en date du 4 avril 2006 un questionnaire tendant plus particulièrement à obtenir des précisions concernant notamment les clients de la société, les factures émises et les créanciers des avances en compte courant. Les pièces et renseignements fournis en réponse ont amené le bureau d’administration à soumettre un second questionnaire à la société X.
tendant notamment à éclaircir la question des bénéficiaires économiques de la société, les modalités d’exercice des activités de la société, ainsi que le carnet de bord de l’hélicoptère.
Les réponses ainsi fournies ont amené le bureau d’imposition à procéder à une taxation d’office en opérant une majoration du résultat déclaré par application d’une marge bénéficiaire de 20%, calculée sur l’engagé de la société.
Il se pose dès lors la question de savoir si l’administration a valablement pu se baser sur le paragraphe 217 AO qui dispose que « (1) soweit das Finanzamt die Besteuerungsgrundlagen (…) nicht ermitteln oder berechnen kann, hat es sie zu schätzen. Dabei sind alle Umstände zu berücksichtigen, die für die Schätzung von Bedeutung sind.
(2) Zu schätzen ist insbesondere dann wenn der Steuerpflichtige über seine Angaben keine ausreichendem Aufklärungen zu geben vermag (…). Das Gleiche gilt, wenn der Steuerpflichtige Bücher oder Aufzeichnungen, die er nach den Steuergesetzen zu führen hat, nicht vorlegen kann oder wenn die Bücher oder Aufzeichnungen unvollständig oder formell oder sachlich unrichtig sind ».
Cette disposition consacre le principe de la taxation d'office par voie d'estimation du bénéfice d'après les éléments et circonstances d'exploitation dans l'hypothèse d'une irrégularité au niveau de la comptabilité non clarifiée à suffisance de droit et de fait.
Il s'ensuit que le recours à la taxation est nécessairement conditionné par le constat préalable que la comptabilité présentée n'est pas régulière, ainsi que par l'impossibilité pour l'administration de constater ou de calculer avec précision le bénéfice imposable.
Les paragraphes 162 à 165 AO imposent non seulement l’existence d’une comptabilité de la part des contribuables visés par les paragraphes 160 et 161 AO, mais exigent encore que cette comptabilité soit tenue de manière régulière.
De par sa forme de société anonyme, la société X. est obligée de tenir des livres de comptabilité conformément au paragraphe 160, alinéa 1er AO.
Le paragraphe 162 AO détermine les conditions de forme et de fond à respecter par les entreprises afin que leur comptabilité soit tenue de manière régulière.
Ainsi, la comptabilité est régulière quant à la forme, lorsqu’elle est agencée de façon claire et ordonnée, de manière à faciliter toute recherche et tout contrôle. Elle est régulière quant au fond, lorsqu’elle est complète et exacte, c’est-à-dire lorsque tous les faits comptables ont été pris en considération de façon exacte.
Le paragraphe 208, alinéa 1) AO dispose encore en sa première phrase que « Bücher und Aufzeichnungen, die den Vorschriften des § 162 entsprechen, haben die Vermutung ordnungsmässiger Führung für sich und sind, wenn nach den Umständen des Falls kein Anla ist, ihre sachliche Richtigkeit zu beanstanden, der Besteuerung zugrunde zu legen ».
A l’appui de ses déclarations fiscales pour les années 2001 à 2004, la demanderesse a versé ses comptes annuels au 31 décembre de chaque année, comprenant le bilan au 31 décembre, le compte de profits et pertes pour la période allant du 1er janvier au 31 décembre, l’annexe aux comptes annuels, ainsi que le détail des postes. En outre, la société demanderesse a encore remis au bureau d’imposition les pièces et informations par lui sollicités tels que le carnet de bord, les contrats concernant l’hélicoptère, ainsi que le détail des factures émises.
Le bureau d’imposition a donc pu prendre connaissance des bases d’imposition et il ne ressort d’aucune pièce ou information du dossier que le bureau d’imposition n’ait pas eu assez d’informations ou que des renseignements lui auraient été refusés par la société demanderesse ce qui l’aurait mis dans l’impossibilité de vérifier le bénéfice commercial déclaré par la partie demanderesse.
Il ressort de ces pièces que si le chiffre d’affaires s’élevait à 114.864 € en 2001, à 96.751 € en 2002, à 128.553,50 € en 2003 et à 104.538,17 € en 2004, les charges d’exploitation s’élevaient à 104.720 € en 2001, à 140.752 € en 2002, à 159.284,92 € en 2003 et à 128.973,59 € en 2004. Aucun élément du dossier ne permet de mettre en doute le chiffre d’affaires ainsi réalisé. Il n’est pas non plus apparent que des heures de vol n’auraient pas été facturées ou à des prix inférieurs au prix de marché. Faute d’un quelconque élément voire indice en ce sens, le tribunal ne saurait mettre en doute la réalité de ces facturations. En l’absence d’autres indices se dégageant de l’examen des pièces et documents soumis au tribunal ou fournis par la demanderesse, les pièces et documents ci-avant énumérés ne révèlent aucune inexactitude quant à la tenue de la comptabilité de la demanderesse. Par ailleurs, il ne ressort pas du dossier se trouvant à la disposition du tribunal, que l’administration ait prouvé voire allégué des inexactitudes dans la tenue de la comptabilité par la demanderesse. L’administration n’a donc pas spécifié en quoi la comptabilité n’aurait pas de force probante.
Pour retenir une majoration du résultat déclaré par la société, le bureau d’imposition a considéré que la société X. avait accordé un avantage aux bénéficiaires économiques de la société, imputé à la société X. en tant que distribution cachée de bénéfice.
L’article 164 LIR dispose à cet égard que « (1) Pour déterminer le revenu imposable, il est indifférent que le revenu soit distribué ou non aux ayants droit.
(2) Sont à considérer comme distribution dans le sens de l’alinéa qui précède, les distributions de quelque nature qu’elles soient, faites à des porteurs d’actions, de parts bénéficiaires ou de fondateurs, de parts de jouissance ou de tous autres titres, y compris les obligations à revenu variable donnant droit à une participation au bénéfice annuel ou au bénéfice de liquidation.
(3) Les distributions cachées de bénéfices sont à comprendre dans le revenu imposable. Il y a distribution cachée de bénéfices notamment si un associé, sociétaire ou intéressé reçoit directement ou indirectement des avantages d’une société ou d’une association dont normalement il n’aurait pas bénéficié s’il n’avait pas eu cette qualité ».
Les distributions cachées de bénéfices visées par l’article 164 (3) LIR existent si un intéressé reçoit directement ou indirectement d’une société des avantages qu’il n’aurait pu obtenir en l’absence de ce lien. La situation concernée est celle où un gestionnaire prudent et avisé n’aurait pas accordé un avantage similaire à un tiers.
En ce qui concerne la charge de la preuve, il convient de se référer à l’article 59 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives qui dispose que « la preuve des faits déclenchant l’obligation fiscale appartient à l’administration, la preuve des faits libérant de l’obligation fiscale ou réduisant la cote d’impôt appartient au contribuable ».
Pour mettre utilement en cause la réalité économique d’une opération, il appartient dès lors au bureau d’imposition d’établir que les conditions légales de la distribution cachée sont remplies, dont notamment en premier lieu le fait qu’un avantage fut effectivement accordé.
En l’espèce, s’il ressort certes du carnet de bord versé en cause par la partie demanderesse que les deux bénéficiaires économiques de la société X. ont utilisé l’hélicoptère, la société X. a toutefois présenté au bureau d’imposition les contrats de mise à disposition de l’appareil qu’elle a conclus avec les bénéficiaires économiques dont il ressort que cette mise à disposition était consentie en contrepartie du paiement d’une redevance par heure de vol fixée contractuellement à 686,02 euros qui est la même que celle fixée contractuellement avec la société H.. D’autre part, il est encore confirmé par une attestation établie le 30 novembre 2006 par le président directeur général de la société M. que ces tarifs correspondaient en ce qui concerne les années 2001 et 2002 à des tarifs de marché. Or, dans la mesure où le bureau d’imposition n’a pas établi que ces utilisations n’ont pas été facturées ou qu’elles n’ont pas été facturées au prix du marché, le bureau d’imposition n’a pas valablement pu retenir qu’un avantage ait été accordé aux bénéficiaires économiques de la société X..
Force est dès lors au tribunal de retenir que le bureau d’imposition reste en défaut d’établir à suffisance de droit que les bénéficiaires économiques aient perçu un avantage indû de la société X., de sorte que les conditions d’application de l’article 164 LIR ne sont pas remplies en l’espèce.
Il s’ensuit que dans la mesure où la présomption de la régularité en la forme et au fond de la comptabilité de la société X. n’est pas ébranlée en l’espèce, c’est à tort que le bureau d’imposition a procédé à une majoration du résultat de la société X.
pour les années fiscales 2001 à 2004 par application d’une marge bénéficiaire de 20% sur l’engagé, alors qu’une distribution cachée de bénéfices n’est pas établie à suffisance de droit. Par voie de conséquence, à défaut de distribution cachée de bénéfice établie en l’espèce, il n’y avait pas non plus lieu de fixer une retenue à la source sur les revenus de capitaux.
Il suit des considérations qui précèdent que les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités pour les années 2001 à 2004 et les bulletins de l’impôt commercial communal pour ces mêmes années encourent la réformation en ce sens que l’imputation à la société X. d’une distribution cachée de bénéfices n’a pas lieu d’être.
Il s’ensuit encore que les bulletins de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux pour les années 2001 à 2004 sont à réformer en ce sens que le montant de la distribution cachée de bénéfices est à fixer à zéro euro et qu’en conséquence la retenue est également à fixer à zéro euro.
Quant au refus d’accorder une bonification d’impôt pour investissement pour l’année 2001, il échet de relever que l’article 152bis LIR dispose en son paragraphe 2 que « … les investissements doivent être effectués dans un établissement situé au Grand-Duché et destiné à y rester de façon permanente ; ils doivent en outre être mis en œuvre physiquement sur le territoire luxembourgeois ».
Il en découle que pour bénéficier de la bonification d’impôt, il appartient dès lors au contribuable d’établir que l’hélicoptère à raison duquel la mesure est sollicitée, est « mis en œuvre physiquement sur le territoire luxembourgeois ».
En l’espèce, il se dégage des éléments du dossier que la société a acquis en 2001 un hélicoptère Ecureuil du type AS 355N destiné à être mis en location coque nue. A cet effet, la société X. a conclu le 15 mars 2001 avec la société de droit français H., établie à Annemasse, un contrat de mise à disposition coque nue de l’hélicoptère par lequel la société X. autorise la société H. à utiliser « de manière régulière » son appareil, l’utilisation étant, d’après les termes dudit contrat, destinée exclusivement au transport public de passagers. Ledit contrat stipule encore que l’appareil sera exploité par la société de droit français M., également établie à Annemasse. A cette fin, ainsi que cela ressort des pièces du dossier, la société X. a conclu avec la société M. un contrat par lequel cette dernière s’engage à assurer le suivi et l’entretien de l’hélicoptère. Ce contrat spécifie en outre que l’hélicoptère stationnera dans les hangars de la société M. à Annemasse. De même, il se dégage d’un contrat intitulé « Contrat de parking et de garage d’un hélicoptère de type Ecureil AS 355N N/S 5689, immatriculé F-GVJA », signé en avril 2003 (la date n’y est pas autrement précisée) entre la société X. et la société M., que cette dernière, dont le siège social est établi à l’aérodrome d’Annemasse, s’engage à fournir un emplacement de garage à l’intérieur d’un hangar couvert et fermé ainsi qu’un emplacement de parking sur la plateforme de ladite société à l’aérodrome d’Annemasse.
Au vu de ces éléments, c’est à bon droit que le bureau d’imposition a retenu que la condition de la mise en œuvre physique du bien d’investissement, à savoir l’hélicoptère, sur le territoire luxembourgeois, n’était pas remplie en l’espèce, étant donné qu’il se dégage clairement des éléments du dossier que l’hélicoptère est stationné en France à Annemasse près de la frontière suisse où son entretien et son gardiennage sont assurés. Il s’ensuit que c’est encore à bon droit que le bureau d’imposition a refusé d’accorder la bonification d’impôt pour investissement prévue à l’article 152bis LIR.
Cette conclusion n’est pas énervée par l’argumentation de la société demanderesse consistant à soutenir que la plus importante compagnie aérienne luxembourgeoise bénéficierait de la bonification d’impôt malgré le fait que ses avions seraient exploités en trafic international, étant donné que la base de ces avions, contrairement à l’hélicoptère de la société X., se trouve bien au Luxembourg.
Il découle de l’ensemble des développements qui précèdent que le recours sous analyse est partiellement fondé et que les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités, de calcul de la base d’assiette globale et de l’impôt commercial communal et de la retenue d'impôt sur les revenus de capitaux pour les années 2001, 2002, 2003 et 2004 encourent la réformation dans le sens ci-avant précisé. Dans la mesure où la réformation partielle des bulletins prévisés n’a pas d’incidence quant à la fixation de la valeur unitaire, le recours en tant que dirigé contre le bulletin d’établissement de la valeur unitaire au 1er janvier 2002 laisse d’être fondé.
En application des développements qui précèdent, il y a en conséquence lieu de renvoyer l’affaire au directeur de l’administration des Contributions directes en vue de sa transmission au bureau d'imposition compétent pour que celui-ci procède à l’imposition conformément au dispositif du présent jugement ensemble les motifs à sa base.
Au vu de l’issue du litige, il y a lieu de faire masse des frais et de les imposer pour moitié à la société demanderesse et pour moitié à l’Etat.
En ce qui concerne la demande de la société demanderesse tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure de 3.000 euros sur base de l’article 33 de la loi précitée du 21 juin 1999, il y a lieu de la rejeter, les conditions légales afférentes n’étant pas remplies en l’espèce.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare partiellement justifié ;
partant, par réformation des bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités pour les années 2001 à 2004 et des bulletins de l’impôt commercial communal pour les années 2001 à 2004, tous émis en date du 13 septembre 2006, dit qu’il n’y a pas lieu de tenir compte lors de l’établissement desdits bulletins des majorations de bénéfices y retenues ;
des bulletins de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux pour les années 2001 à 2004, dit que le montant de la distribution cachée de bénéfices est à fixer à zéro euro et qu’en conséquence, la retenue est également à fixer à zéro euro ;
rejette le recours en réformation pour le surplus ;
renvoie l’affaire devant le directeur de l’administration des Contributions directes en vue de sa transmission pour exécution au bureau d’imposition compétent ;
déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par la société demanderesse ;
fait masse des frais et les impose pour moitié à la société demanderesse et pour moitié à l’Etat.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Martine Gillardin, premier juge, Françoise Eberhard, juge, et lu à l’audience publique du 14 juillet 2008 par le premier vice-président, en présence du greffier Claude Legille.
Legille Schockweiler 12