Tribunal administratif N° 23408 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 septembre 2007 Audience publique du 30 juin 2008
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Recours formé par Madame … et consorts contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt commercial communal
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 23408 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 septembre 2007 par Maître Jacques WOLTER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, enseignante, demeurant à F-…, Monsieur …, architecte, demeurant à L-…, Monsieur …, médecin, demeurant à L-…, Madame …, infirmière, demeurant à F-… et Madame …, employée privée, demeurant à L-…., tendant à la réformation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 4 juin 2007 (n° C 13905 du rôle) rejetant partiellement comme non fondée leur réclamation introduite contre le bulletin d’établissement séparé et en commun du bénéfice commercial et le bulletin de la base d’assiette de l’impôt commercial communal de l’année 2002, ainsi que de la décision portant refus implicite de leur réclamation dirigée contre le bulletin d’établissement séparé et en commun du bénéfice commercial et le bulletin de la base d’assiette de l’impôt commercial communal de l’année 2003 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 décembre 2007 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision directoriale entreprise ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Jacques WOLTER et Madame le délégué du gouvernement Monique ADAMS en leurs plaidoiries respectives.
Madame …, Monsieur …, Monsieur …, Madame … et Madame …, ci-après « les consorts … », ont chacun hérité de leur père, décédé ab intestat le 22 mai 1972, 10 parts indivises sur 100 de l’immeuble et de l’exploitation de la Clinique Dr …, établie avant janvier 2006 à la route d’Arlon à Strassen.
A la mort de leur mère, Madame …, survenue le 7 février 2005, les 50 parts indivises détenues par celle-ci dans l’immeuble et l’exploitation de la Clinique Dr …, sont échues à ses cinq enfants, les consorts …, qui détiennent chacun désormais 20 parts indivises sur 100.
Le 14 mars 2007, le bureau d’imposition Luxembourg 1 de la section des personnes physiques du service d’imposition de l’administration des Contributions directes, émit un bulletin d’établissement des revenus d’entreprises collectives et de copropriétés de l’année 2003 de la copropriété Clinique Dr … (n° fiscal 1956 5600 012) et fixa le revenu total de la copropriété au titre de bénéfice commercial à 792.311,19 euros et répartit ce revenu entre les cointéressés.
Le même jour, le bureau d’imposition Luxembourg 1 émit à l’égard de la copropriété Clinique Dr … un bulletin de l’impôt commercial communal pour l’année 2002 qui retint dans le chef de la copropriété un bénéfice commercial de 2.162.797,69 euros. Ce bulletin renseigna encore concernant l’établissement de la base d’assiette globale ce qui suit :
« Ajout de la provision « Dotations suivant Arrêté Grand-Ducal » au montant de 1573683,25 (cf. notre lettre du 29.8.2006).
Ajout de l’allocation au montant de 238.407,84 perçue sur base du règlement grand-ducal du 2.5.1996 déterminant les règles relatives à l’apurement des créances existantes au 31.12.1994 dans le secteur hospitalier (cf. notre lettre du 7.2.2007).
(…) » En date du même 14 mars 2007, le bureau d’imposition Luxembourg 1 émit encore un bulletin de l’impôt commercial communal pour l’année 2003. Ce bulletin retint dans le chef de la copropriété Clinique Dr … un bénéfice commercial de 792.311,19 euros et renseigna encore concernant l’établissement de la base d’assiette globale ce qui suit :
« Ajout de l’allocation au montant de 238.411,47 perçue sur base du règlement grand-ducal du 2.5.1996 déterminant les règles relatives à l’apurement des créances existantes au 31.12.1994 dans le secteur hospitalier (cf. notre lettre du 1.3.2007). (…) » Par courrier du 11 avril 2007, la copropriété Clinique Dr …, représentée par Monsieur Pierre …, introduisit une réclamation auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur », contre les bulletins de l’impôt commercial communal pour les années 2002 et 2003 émis en date du 14 mars 2007, en critiquant le fait que le bénéfice commercial de l’année 2002 avait été majoré des subventions annuelles fixes que la clinique s’est vu attribuer entre 1995 et 2001 en exécution du règlement grand-ducal du 2 mai 1996 déterminant les règles relatives à l’apurement des créances existantes au 31 décembre 1994 dans le secteur hospitalier, ci-après le « règlement de 1996 », ainsi que le fait que pour les années 2002 et 2003, les subventions annuelles reçues au titre de ces mêmes années avaient été ajoutées au bénéfice commercial de ces années, alors que ces subventions ne constitueraient pas des revenus imposables.
Par décision n° C 13905 du rôle du 4 juin 2007, le directeur prit position par rapport à cette réclamation en les termes suivants :
« Vu la requête introduite le 13 avril 2007 par le sieur Pierre …, au nom de la copropriété CLINIQUE PRIVÉE DR …, pour réclamer contre les bulletins d'établissement séparé et en commun du bénéfice commercial et les bulletins de la base d'assiette de l'impôt commercial communal des années 2002 et 2003, tous émis le 14 mars 2007 ;
Vu le dossier fiscal;
Vu les §§ 228 et 301 de la loi générale des impôts (AO);
Considérant que si l'introduction de plusieurs instances par une seule et même requête n'est incompatible, en l'espèce, ni avec le secret fiscal, ni avec les règles de compétence et de procédure, elle ne dispense pas d'examiner chaque acte attaqué en lui-même et selon ses propres mérites et ne saurait imposer une jonction qu'il est loisible au directeur des contributions de prononcer lorsque les instances lui paraissent suffisamment connexes, qu'en conséquence la présente décision portera sur les réclamations contre les bulletins de l'année 2002, les autres réclamations étant disjointes pour être vidées séparément, sous le no du rôle C 13934 ;
Considérant que les réclamations ont été introduites par qui de droit dans les forme et délai de la loi, qu'elles sont partant recevables ;
Considérant que la réclamante fait grief au bureau d'imposition d'avoir majoré le bénéfice commercial de l'année 2002 du fait de subventions étatiques annuelles, reçues à partir de l'année 1995, quoique ces subventions ne constituent pas un revenu imposable ;
Considérant qu'en vertu du § 243 A0, une réclamation régulièrement introduite déclenche d'office un réexamen intégral de la cause, la loi d'impôt étant d'ordre public ;
qu'à cet égard le contrôle de la légalité externe de l'acte doit précéder celui du bien-fondé, qu'en l'espèce la forme suivie par le bureau d'imposition ne prête pas à critique ;
I.
Considérant que la réclamante se prévaut du règlement grand-ducal du 2 mai 1996 déterminant les règles relatives à l'apurement des créances existantes au 31 décembre 1994 dans le secteur hospitalier pour en déduire l'exemption fiscale des subventions reçues en vertu dudit règlement ;
Considérant que, dans le cadre de la mise à plat du paysage hospitalier dû à l'introduction de budgets hospitaliers, la réclamante se trouvait visée précisément par l'article 3 du règlement grand-ducal précité, pour assurer le passage d'un hôpital privé à but lucratif dans un système n'admettant en principe plus de bénéfices ;
II.
Considérant que le directeur de l'Inspection générale de la sécurité sociale confirme en 2005 que « lors des pourparlers précédant l'élaboration du règlement la question du traitement fiscal de cette opération a été abordée et il était admis par les auteurs du projet qu'elle ne devrait pas être considérée comme une plus-value pour les propriétaires », soit donc qu'elle devrait rester exemptée d'impôts ;
Considérant que le président de l'Entente des Hôpitaux Luxembourgeois arguait, d'une part, en ce même sens dès 1994 à savoir qu'il aurait fallu « éviter que la compensation ainsi accordée aux propriétaires - et qui est importante pour le bon fonctionnement du système pendant la période intérimaire - ne soit amputée par l'impôt, la plus-value constituant normalement un bénéfice comptable, mais que, d'autre part, en tirait la conclusion claire qu’« aussi une loi devrait-elle venir exempter ce bénéfice » ;
Considérant que l'article 101 de la Constitution du Grand-Duché de Luxembourg prescrit formellement : « Il ne peut être établi de privilège en matière d'impôts. Nulle exception ou modération ne peut être établie que par une loi. » ;
Considérant qu'aucune loi n'est venue confirmer toutes les bonnes intentions d'exempter les dotations prévues par le règlement grand-ducal du 31 décembre 1994 ;
qu'en conséquence les plus-values en découlant constituent effectivement un bénéfice comptable et, en tant que tel, pleinement imposable ;
Considérant encore, qu'en août 2006, le ministre de la Santé et de la Sécurité sociale, tout en reconfirmant la volonté des auteurs du projet de règlement d'exempter de l'impôt la plus-value résultante, conclut néanmoins en prudence qu’« il est évident que le règlement n'a pas pu préciser le traitement fiscal de l'opération entreprise, sous peine de se heurter aux normes supérieures du droit fiscal et de dépasser sa base habilitante »;
Considérant qu'il résulte des développements qui précèdent que les subventions reçues n'ont rencontré aucune exemption fiscale quelle qu'elle soit ;
Considérant donc que c'est à raison que le bureau d'imposition a décidé que ces subventions constituaient un revenu pleinement imposable ;
III.
Considérant à titre de rappel qu'il est certain que les subventions reçues par la réclamante ne sont aucunement exemptes de l'impôt, tout comme il reste constant que le bureau d'imposition était fondé de les ajouter au bénéfice ;
Considérant toutefois que le bureau d'imposition avait omis de soumettre à l'impôt les subventions telles que reçues annuellement depuis l'année 1995 et ce jusqu'à l'année 2001 y comprise ;
qu'en fait, les impositions des années 1995 à 2001 furent arrêtées et dûment notifiées par des bulletins afférents, d'ailleurs non sujets à réclamations, qu'en conséquence autorité légale leur était acquise de longue date ;
Considérant qu'il échet dès lors de constater que c'est à tort que le bureau d'imposition a d'emblée imposé ces subventions, relevant de sept années précédentes, en la seule année d'imposition 2002, tandis que la mise à disposition par annualités constantes aurait dû déclencher l'incidence fiscale, partant l'imposition en chacun des exercices concernés ;
Considérant à ce titre que le principe de l'annualité de l'impôt consacré tant par l'article 100 de la Constitution que par l'article 1er L.I.R. s'oppose au procédé de récupérer des bénéfices antérieurs non imposés, soit par mégarde, soit par interprétation divergente ;
Considérant qu'aucune des possibilités de rectification prévues par la loi générale des impôts n'est susceptible de remédier à l'inconsidéré commis ;
que, d'ailleurs, en plus la prescription générale était encourue pour l'année 2001 et a fortiori pour les précédentes ;
Considérant qu'en ce qui concerne les années 1995 à 2001, les écritures comptables de la déclarante, notamment passant des comptes avoirs en banque débités au crédit du compte capital, au lieu d'un produit comptabilisé par Profits et Pertes, faute de redressement à temps, ne sauraient être contrepassées par une écriture en extourne tardive qui se heurte tant aux principes du droit fiscal, qu'aux règles définies d'une comptabilité régulière et aux procédures en découlant pour l'imposition ;
Considérant qu'il en résulte qu'en l'année 2002 uniquement la subvention reçue au titre de cette année-là devient imposable ;
Considérant que le redressement des bulletins d’établissement en commun du bénéfice et de la base d’assiette de l’impôt commercial communal de l'année 2002 fait l'objet de l'annexe qui constitue une partie intégrante de la présente décision ;
Considérant que pour le surplus, les impositions sont conformes à la loi et aux faits de la cause et ne sont d'ailleurs pas contestées ;
Par ces motifs reçoit les réclamations en la forme ;
les dit partiellement fondées ;
partant réformant, fixe le bénéfice net établi séparément et en commun pour l'année 2002 à 698.903,44 € ;
fixe l'impôt commercial communal dû pour l'année 2002 à 48 791,00 € ;
renvoie au bureau d'imposition pour exécution, notamment pour l'imputation des bonifications d'impôt pour investissement ».
Suite à cette décision directoriale, le bureau d’imposition Luxembourg 1 émit le 13 juin 2007 un bulletin d’établissement rectificatif des revenus d’entreprises collectives et de copropriétés et fixa le revenu de la copropriété Clinique Dr … de l’année 2002 à titre de bénéfice commercial à 698.903,44 euros.
Par requête déposée le 6 septembre 2007, les consorts … ont fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation de la décision directoriale précitée du 4 juin 2007.
Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », et de l’article 8 (3) 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif, le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours dirigé par un contribuable contre une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation introduite contre un bulletin d’établissement séparé et en commun et un bulletin de l’impôt commercial communal.
Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours en réformation introduit par les consorts … contre la décision directoriale du 4 juin 2007.
En ce qui concerne la recevabilité du recours, il échet de relever que si la réclamation introduite par les demandeurs auprès du directeur en date du 11 avril 2007 était dirigée contre les bulletins d’établissement séparé et en commun et les bulletins de la base d’assiette de l’impôt commercial communal pour les années 2002 et 2003, le directeur s’est toutefois limité dans la décision déférée à toiser uniquement la réclamation en ce qu’elle est dirigée contre les bulletins de l’année 2002, tout en précisant que les réclamations introduites contre les bulletins de l’année 2003 seraient vidées par une décision séparée.
Sur demande afférente à l’audience des plaidoiries, le mandataire des demandeurs a déclaré qu’aucune décision du directeur n’est intervenue par la suite et qu’il y aurait partant lieu de retenir le refus implicite de leur réclamation introduite à l’encontre des bulletins de l’année d’imposition 2003.
A cet égard, il y a toutefois lieu de rappeler que les contestations relatives aux impôts directs de l’Etat tombant dans le champ de compétence du tribunal administratif sont énumérées à l’article 8 de la loi précitée du 7 novembre 1996, qui, d’après l’agencement de ladite loi, fait en sorte que ne sont pas applicables en matière fiscale les dispositions de l’article 4, paragraphe (1) de cette même loi, qui permettent l’introduction d’un recours contentieux contre une décision implicite de rejet supposée être prise par l’administration à laquelle une demande a été adressée, sans qu’une décision administrative expresse ne soit intervenue dans un délai de trois mois.
Il s’ensuit qu’en matière fiscale, aucun recours contre une décision implicite de rejet se dégageant du silence gardé pendant plus de trois mois par le directeur à la suite de l’introduction d’une réclamation n’est prévu par la législation en vigueur, mais que le recours doit être dirigé contre les bulletins entrepris par les réclamations non vidées, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
Par voie de conséquence, le recours sous analyse est irrecevable dans la mesure où il est dirigé contre une décision implicite de rejet du directeur suite à la réclamation des demandeurs en ce qui concerne l’année d’imposition 2003.
Il s’ensuit que les moyens et arguments des demandeurs en ce qu’ils ont trait à l’année d’imposition 2003 ne sont pas à analyser par le tribunal, étant donné qu’il n’est pas saisi d’une décision afférente dans le cadre du présent litige.
Le recours en réformation dirigé contre la décision directoriale du 4 juin 2007 ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, est dès lors recevable.
A l’appui de leur recours, les consorts … font exposer qu’ils auraient chacun hérité de leur père, décédé en 1972, 10 parts indivises sur l’immeuble et l’exploitation de la Clinique Dr …, et qu’ils auraient hérité de leur mère, décédée en 2005, 10 parts indivises, de sorte à détenir chacun 20 parts indivises. Ils expliquent qu’ils auraient exploité ensemble avec leur mère la Clinique Dr … et géré en indivision les immeubles dans lesquels cette clinique était établie. Lors de la réforme du secteur hospitalier, ils auraient négocié, par l’intermédiaire de Monsieur Pierre …, avec l’Etat les conditions de changement du régime statutaire de la clinique. Ils font relever que la Clinique Dr … aurait été le seul établissement du secteur hospitalier dont l’exploitation était bénéficiaire et pour laquelle les investissements dans l’infrastructure auraient été faits par les exploitants. Comme la réforme hospitalière devrait mener notamment à une budgétisation des exploitations, de sorte à rendre un bénéfice et un amortissement des investissements impossibles, l’Etat aurait décidé de mettre les compteurs à zéro pour tous les hôpitaux et de compenser leurs pertes d’exploitation et leurs investissements. Les demandeurs ayant fait constater que leur exploitation n’avait jamais reçu de subventions, mais qu’elle avait au contraire généré des bénéfices et des impôts, ils auraient négocié avec l’Etat une compensation pour les subsides que les autres hôpitaux avaient perçus par le passé, payable sous forme d’amortissement qui devrait être payé jusqu’à la fin de l’exploitation dans les immeubles en indivision situés à la route d’Arlon. Ainsi, un accord aurait été trouvé qui prévoyait le paiement d’un amortissement sur base d’une valeur actualisée des constructions et installations pendant la durée de l’exploitation de ceux-ci, accord formalisé dans le règlement de 1996. En date du 2 juillet 1996, le mandataire de l’indivision, Monsieur Pierre … et le président de l’Union des caisses de maladie, Monsieur Robert KIEFFER, auraient signé un protocole d’accord déterminant les valeurs à prendre en considération et les amortissements auraient ainsi été payés annuellement par l’Union des caisses de maladie depuis 1995 jusqu’en 2005 inclus.
Les demandeurs précisent qu’un montant de chaque fois 238.407,84 euros aurait été payé et comptabilisé pour les années 2002 et 2003. Or, pour l’année 2002, l’administration des Contributions directes aurait imposé tous les paiements perçus entre 1995 et 2002, appelés dotations et pour l’année 2003, elle aurait majoré le bénéfice commercial de ce paiement pour fixer ledit bénéfice à 792.311,92 euros.
Suite à leur réclamation, le directeur aurait décidé que le bureau d’imposition aurait à tort imposé les subventions des années 1995 à 2001, mais il aurait rejeté leur réclamation concernant l’inclusion du montant de la subvention reçue au titre de l’année 2002 dans le bénéfice commercial de l’année 2002 et qu’il n’aurait pas pris position quant à l’année 2003.
En droit, les demandeurs font soutenir que les montants litigieux auraient été payés par l’Union des caisses de maladie aux indivisaires de la Clinique Dr … en vertu d’une convention signée le 2 juillet 1996 entre l’Union des caisses de maladie et la Clinique Dr … en vertu du règlement de 1996, de sorte que la décision directoriale violerait ledit règlement aux termes duquel les montants à verser à partir de l’exercice 1995 aux hôpitaux privés à but lucratif, comme la Clinique Dr …, à titre d’amortissements correspondant à la valeur actualisée des constructions et des installations pendant la durée de l’exploitation de ceux-ci ne seraient pas à considérer comme recettes. Ce constat serait encore confirmé par la genèse du règlement de 1996 et notamment par un rapport dressé par Monsieur Norbert VON KUNITZKI qui aurait préconisé une exemption d’impôt. Ils précisent encore que le gouvernement, ayant décidé que les montants en question n’étaient pas à considérer comme des bénéfices, n’aurait pas voulu déposer un projet de loi en vue de faire voter par le Parlement une exemption d’impôt, ce qui expliquerait pourquoi il aurait omis d’imposer les montants versés entre 1995 et 2001 respectant de la sorte l’engagement pris en 1994. Cet engagement aurait d’ailleurs été confirmé par le ministère de la Sécurité sociale en la personne du directeur de l’Inspection générale de la Sécurité sociale qui, dans un courrier adressé le 23 décembre 2005 au directeur, aurait affirmé que lors de l’élaboration du règlement de 1996, il aurait été admis par les auteurs du projet que ces versements ne devraient pas être considérés « comme une plus-value pour les propriétaires ». Ils estiment partant que l’absence d’imposition pour les années 1995 à 2001 n’équivaudrait pas à une simple omission, mais traduirait l’engagement pris antérieurement par l’Etat. Ils soutiennent ainsi bénéficier d’un droit acquis sur l’interprétation de ces versements comme des montants qui ne sont pas à considérer comme des bénéfices et qui ne sont donc pas passibles d’impôts.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours comme n’étant pas fondé pour les motifs exposés par le directeur dans sa décision.
Aux termes de l’article 3 du règlement de 1996 « l’assurance maladie verse à partir de l’exercice 1995 aux hôpitaux privés à but lucratif, ne tombant pas sous l’application de l’article 2 du présent règlement, l’amortissement correspondant à la valeur actualisée des constructions et installations pendant la durée de l’exploitation de ceux-ci. Le montant annuel de l’amortissement est calculé à raison de quatre pour cent sur base de la valeur à neuf desdites constructions et à raison de dix pour cent sur base de la valeur actualisée des installations. Par valeur actualisée on entend la valeur à neuf des constructions et installations déduction faite d’un abattement pour vétusté.
Le montant correspondant à l’amortissement est versé par douzièmes ensemble avec la mensualité des frais fixes. Le montant correspondant à l’exercice 1995 est versé dans un délai de trois mois à partir de la mise en vigueur du présent règlement. » Il se dégage des travaux préparatoires du règlement de 1996 que la Clinique Dr … était spécialement visée à travers l’article 3 précité.
Il ressort encore des pièces du dossier et notamment de la proposition d’arbitrage concernant la prise en considération des frais de capital des hôpitaux de Monsieur Norbert VON KUNITZKI du 26 août 1994 qu’il fallait « éviter que la compensation ainsi accordée aux propriétaires [d’installations hospitalières] et qui est importante (…) pour le bon fonctionnement du système pendant la période intérimaire – ne soit amputée de l’impôt, la plus-value constituant normalement un bénéfice comptable ».
Il se dégage par ailleurs d’une lettre du directeur de l’Inspection générale de la Sécurité sociale, Monsieur Georges SCHROEDER, du 23 décembre 2005 à l’adresse du directeur que « l’hôpital Dr. … dont la situation est visée plus particulièrement par l’article 3 du règlement grand-ducal du 2 mai 1996, présentait un cas particulier, alors qu’il s’agissait d’assurer le passage d’un hôpital privé à but lucratif dans un système n’admettant pas en principe plus (sic) de bénéfices. A cette fin l’hôpital Dr … qui n’avait pas bénéficié de subventions publiques pour des investissements, est entré dans le système de la budgétisation avec sa valeur marchande.
Lors des pourparlers précédant l’élaboration du règlement la question du traitement fiscal de cette opération a été abordée et il était admis par les auteurs du projet qu’elle ne devrait plus être considérée comme une plus-value pour les propriétaires, qui étaient privés désormais de la possibilité de faire des bénéfices.
Il est évident que le règlement n’a pas pu préciser le traitement fiscal de l’opération entreprise, sous peine de se heurter aux normes supérieures du droit fiscal et de dépasser sa base habilitante ».
Cette position a été confirmée par un courrier du 1er août 2006 du ministre de la Santé et de la Sécurité sociale à l’adresse du ministre des Finances.
Au vu des éléments qui précèdent, il convient de retenir que c’est à juste titre que les demandeurs soutiennent que l’intention des auteurs du règlement de 1996 a bien été celle d’exempter fiscalement les versements payés par l’Union des Caisses de maladie à la copropriété Clinique Dr … au titre de l’article 3 du règlement de 1996.
L’article 101 de la Constitution dispose toutefois qu’« il ne peut être établi de privilège en matière d’impôts. Nulle exemption ou modération ne peut être établie que par une loi ».
Ce principe constitutionnel est le corollaire de celui inscrit à l’article 99 de la Constitution, suivant lequel « aucun impôt au profit de l’Etat ne peut être établi que par une loi ».
Or, en l’espèce, il n’est pas soutenu ni a fortiori établi qu’une loi aurait été adoptée qui prévoirait l’exemption fiscale des versements prévus par l’article 3 du règlement de 1996.
Il s’ensuit que même s’il a été dans l’intention des auteurs du règlement de 1996 d’exempter les montants versés à la Clinique Dr … tels que prévus par l’article 3 du règlement de 1996 précité, à défaut de loi prévoyant une telle exemption, c’est à bon droit que le directeur a rejeté la réclamation en ce qui concerne la majoration du bénéfice commercial de l’année 2002 à hauteur de 238.407,84 euros correspondant à la subvention payée au titre de l’année 2002.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme n’étant pas fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
se déclare compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du directeur du 4 juin 2007 ;
déclare le recours irrecevable dans la mesure où il est introduit contre une décision implicite de rejet du directeur ;
le déclare recevable pour le surplus ;
au fond, le dit non fondé, partant en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Martine Gillardin, premier juge, Lexie Breuskin, juge, et lu à l’audience publique du 30 juin 2008 par le premier vice-président, en présence du greffier Claude Legille.
Legille Schockweiler 10