La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/05/2008 | LUXEMBOURG | N°23615

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 mai 2008, 23615


Tribunal administratif Numéro 23615 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 novembre 2007 Audience publique du 28 mai 2008

==========================

Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers

--------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 23615 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 novembre 2007 par Maître Gilles PLOTTKE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ord

re des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Stanovc (Kosovo), déclarant être de nationa...

Tribunal administratif Numéro 23615 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 novembre 2007 Audience publique du 28 mai 2008

==========================

Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers

--------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 23615 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 novembre 2007 par Maître Gilles PLOTTKE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Stanovc (Kosovo), déclarant être de nationalité serbe, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 10 octobre 2007 par laquelle il s’est vu refuser l’octroi d’un statut de tolérance sur base de l’article 22 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 janvier 2008 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 11 février 2008 par Maître Gilles PLOTTKE pour compte du demandeur ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 février 2008 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Mélissa BRUEL, en remplacement de Maître Gilles PLOTTKE, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

_____________________________________________________________________

Le 16 août 2006, Monsieur … introduisit une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, laquelle demande fut rejetée comme non fondée par une décision du 27 octobre 2006 du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après dénommé le « ministre ».

Un recours contentieux dirigé contre la décision ministérielle précitée fut rejeté comme non fondé par un jugement du tribunal administratif du 14 février 2007 et l’appel interjeté contre ledit jugement fut déclaré irrecevable par un arrêt de la Cour administrative du 28 juin 2007.

Le 1er août 2007, le ministre prit un arrêté de refus d’entrée et de séjour à l’égard de Monsieur … fondé sur les motifs tirés du défaut de moyens d’existence personnels légalement acquis, du séjour irrégulier au pays et du risque dans le chef de l’intéressé de compromettre la sécurité et l’ordre publics.

Par courrier de son mandataire du 5 octobre 2007, Monsieur … sollicita de la part du ministre l’octroi d’un statut de tolérance sur base de la loi précitée du 5 mai 2006.

Par une décision du 10 octobre 2007, le ministre refusa de faire droit à cette demande en obtention d’un statut de tolérance au motif « qu’il n’existe pas de preuves que l’exécution matérielle de l’éloignement de votre mandant serait impossible en raison de circonstances de fait conformément à l’article 22 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 5 novembre 2007, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 10 octobre 2007.

Etant donné qu’aucun recours au fond n’est prévu en matière de refus du statut de tolérance tel que prévu par l’article 22 de la loi précitée du 5 mai 2006, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision, lequel recours est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur déclare être originaire du Kosovo, d’origine albanaise et de confession musulmane et avoir fui son pays d’origine en raison des persécutions dont il y aurait été victime. Il fait ainsi état de ce qu’il aurait habité dans un village habité à majorité de Serbes et qu’il aurait été victime de brimades et de persécutions de la part d’un policier serbe. Lors des violences de mars 2004, il aurait également été victime d’un attentat à l’explosif et d’une agression à son domicile par quatre hommes masqués qui l’auraient battu. Il ajoute que ses enfants auraient également fait l’objet de violences. Il fait valoir qu’il ne pourrait pas se prévaloir de la protection des autorités de police alors que l’auteur des persécutions ferait lui-même partie des forces de police. Dans ce contexte, il fait état d’une manière générale de la situation sécuritaire prévalant au Kosovo, laquelle demeurerait fragile et imprévisible.

En droit, le demandeur conclut à l’annulation de la décision attaquée pour violation de la loi, sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits au motif que ce serait à tort que le ministre lui aurait refusé l’octroi d’un statut de tolérance, alors que le régime actuellement en place au Kosovo serait loin d’être stabilisé et ne serait pas en mesure d’assurer une protection efficace à ses habitants.

Il reproche ensuite au ministre de ne pas avoir rapporté la preuve que l’exécution matérielle de son éloignement serait possible et en déduit que son rapatriement constituerait une violation de ses droits dont le droit à la sécurité et à la sûreté.

Le demandeur invoque ensuite une violation de l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme en soutenant que son cas n’aurait pas été jugé dans un délai raisonnable, et qu’il aurait dû attendre presque une année entre le dépôt de sa demande de protection internationale et l’arrêt de la Cour administrative pour être définitivement fixé en ce qui concerne sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Il se fonde ensuite sur les tensions existant entre les communautés serbe et albanaise au Kosovo pour soutenir qu’il ne pourrait pas retourner dans son pays d’origine en toute sécurité.

Le demandeur donne encore à considérer qu’il se trouverait depuis le mois d’août 2006 sur le territoire luxembourgeois, qu’il serait bien intégré et qu’il n’aurait jamais porté atteinte à la tranquillité et la sécurité publiques.

Le délégué du gouvernement rétorque que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que ce dernier serait à débouter de son recours. Il souligne encore que l’UNMIK aurait marqué son accord pour reprendre le demandeur et que le transfert de ce dernier avait même déjà été organisé, mais que l’intéressé aurait disparu et qu’il aurait dû être signalé à la police en vue de découvrir sa résidence.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur insiste sur le fait que le ministre n’aurait pris en considération ni la situation générale actuelle au Kosovo ni sa situation particulière. Il se réfère ensuite à un rapport du 3 janvier 2008 du Secrétaire général de l’ONU sur la Mission d’administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo pour soutenir qu’il ne pourrait pas retourner en toute sécurité au Kosovo et qu’il remplirait partant les conditions pour se voir accorder un statut de tolérance.

Le délégué du gouvernement rétorque que le rapport de l’UNMIK produit par le demandeur retiendrait au contraire que la situation au Kosovo serait calme, tout en relevant que le demandeur serait un Albanais du Kosovo et qu’il ne ferait dès lors pas partie d’une minorité à risque.

Concernant tout d’abord le reproche d’une durée excessive de la procédure d’asile en violation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, il convient de relever que le demandeur semble critiquer tant la durée de l’instruction de sa demande d’asile que la durée de la procédure contentieuse proprement dite. Or, indépendamment de la question de l’applicabilité de la Convention européenne des droits de l’homme à la présente matière, l’article 6 ne saurait en tout état de cause que s’appliquer à la procédure contentieuse et non pas à la procédure précontentieuse.

D’autre part, il convient de relever que ce moyen manque non seulement en fait, mais encore qu’une procédure contentieuse dont la durée dépasse les limites découlant de l’article 6, paragraphe 1er de la Convention européenne des droits de l’homme n’est en tout état de cause pas de nature à justifier la reconnaissance d’un statut de tolérance dans le chef d’un étranger non autorisé à résider au pays.

Aux termes de l’article 22 (1) de la loi précitée du 5 mai 2006 « si le statut de réfugié est refusé au titre des articles 19 et 20 qui précèdent, le demandeur sera éloigné du territoire », tandis que l’article 22 (2) dispose que « si l'exécution matérielle de l'éloignement s'avère impossible en raison de circonstances de fait, le ministre peut décider de tolérer l’intéressé provisoirement sur le territoire jusqu'au moment où ces circonstances de fait auront cessé ».

Il se dégage de la lecture combinée des paragraphes 1 et 2 de l’article 22 précité que la faculté pour le ministre de tolérer provisoirement l’intéressé sur le territoire n’est susceptible d’être exercée que dans la situation spécifique où la personne en question s’est vu refuser le statut de réfugié au titre des articles 19 et 20 de la même loi, refus impliquant l’éloignement du territoire.

Il échet encore de relever que l’octroi d’un statut de tolérance en vertu de l’article 22 (2) précité ne se conçoit que dans l’hypothèse expressément visée par l’article 22 consistant dans un ensemble de circonstances de fait vérifiées rendant impossible l’exécution matérielle de l’éloignement du territoire, avec la conséquence qu’il appartient au demandeur qui, par définition, se trouve en séjour irrégulier lorsqu’il sollicite un statut de tolérance, d’établir l’impossibilité alléguée pour prétendre à l’octroi dudit statut.

Il s’ensuit que les circonstances de fait à la base d’une demande de reconnaissance du statut de réfugié, refusée au titre des articles 19 et 20 de la loi précitée du 5 mai 2006, ne sauraient justifier comme telle la présence tolérée sur le territoire luxembourgeois, alors que précisément le refus du statut de réfugié emporte éloignement du territoire selon l’article 22 (1) précité.

Il s’ensuit encore que les éléments de fait rendant impossible l’exécution matérielle de l’éloignement doivent se trouver vérifiés à l’époque de l’éloignement projeté et ne sauraient être simplement extrapolés à partir d’éléments antérieurs en date dont la persistance n’est par ailleurs pas automatiquement vérifiée.

En l’espèce, le demandeur entend se prévaloir en substance des mêmes faits que ceux soumis au ministre dans le cadre de l’examen de sa demande de protection internationale, demande dont il a été débouté par un jugement du tribunal administratif du 14 février 2007 (n° 22245 du rôle), ainsi que par un arrêt de la Cour administrative du 28 juin 2007, qui a déclaré l’appel afférent irrecevable (n° 22634C du rôle).

Or, force est au tribunal de constater que le demandeur, au-delà de réitérer des arguments qui ont déjà été toisés par les juridictions administratives dans le cadre de sa demande de protection internationale, reste en défaut d’établir avec la précision requise que son retour se heurterait à une impossibilité d’exécution matérielle justifiant l’octroi du statut de tolérance dans son chef. En effet, il se limite à renvoyer de façon générale à la situation au Kosovo, sans cependant soumettre au tribunal un élément concret permettant de retenir que son retour en particulier est impossible en raison de circonstances de fait. Quant à la situation générale prévalant actuellement au Kosovo, force est de constater que le demandeur fait essentiellement état de considérations générales et reste en défaut d’apporter un quelconque élément de preuve des risques encourus, de sorte que la crainte exprimée d’une manière non circonstanciée de ne pas se trouver en sécurité en cas de retour dans son pays d’origine, n’est pas pertinente pour étayer d’une manière quelconque une impossibilité matérielle s’opposant à son éloignement du territoire, étant par ailleurs relevé qu’il ne se dégage pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que la situation générale régnant actuellement au Kosovo soit telle qu’elle empêche tout rapatriement d’un demandeur d’asile définitivement débouté.

En ce qui concerne encore l’argumentation du demandeur d’avoir fait sa vie au Luxembourg, d’y être bien intégré et de ne pas avoir troublé l’ordre public, ces affirmations, même à les supposer établies, ne peuvent pas être considérées comme circonstances de fait qui constitueraient un empêchement matériel à procéder à son éloignement vers le Kosovo.

Il s’ensuit que la légalité de la décision ministérielle litigieuse n’est pas utilement énervée par les moyens présentés par le demandeur, de sorte que son recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Martine Gillardin, premier juge, Françoise Eberhard, juge, et lu à l’audience publique du 28 mai 2008 par le premier vice-président, en présence du greffier Claude Legille.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 23615
Date de la décision : 28/05/2008

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2008-05-28;23615 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award