Tribunal administratif N° 23648 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 novembre 2007 Audience publique du 21 mai 2008 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de tolérance
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 23648 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 novembre 2007 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Gambie), de nationalité gambienne, actuellement sans domicile, tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 10 août 2007, par laquelle il s’est vu refuser l’octroi d’un statut de tolérance ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 janvier 2008 ;
Vu le mémoire en réplique de Maître Frank WIES déposé au greffe du tribunal administratif le 11 février 2008 ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 février 2008 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Frank WIES et Madame le délégué du Gouvernement Jacqueline JACQUES en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 14 avril 2008.
La demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés introduite par Monsieur … fut rejetée comme non fondée par une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 14 avril 2006. Un recours contentieux dirigé contre cette décision ministérielle fut définitivement rejeté par un arrêt de la Cour administrative du 22 mars 2007 (n° 22402C du rôle).
Par courrier du 26 juillet 2007, Monsieur … fit introduire, par l’intermédiaire de son litismandataire, auprès du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », une demande en obtention du statut de tolérance en se basant sur l’article 22 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection.
Ladite demande fut rejetée par décision du ministre du 10 août 2007 libellée comme suit :
« J'ai l'honneur de me référer à votre courrier du 26 juillet 2007 dans lequel vous sollicitez le statut de tolérance pour votre mandant Monsieur ….
Je suis toutefois au regret de vous informer que je ne suis actuellement pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande étant donné qu'il n'existe pas de preuves que l'exécution matérielle de l'éloignement de votre mandant serait impossible en raison de circonstances de fait conformément à l'article 22 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection puisque de sérieux doutes quant à sa véritable identité et nationalité doivent être émis.
En effet, en date du 30 avril 2007 Monsieur … a été présenté devant l'Ambassade de Gambie à Bruxelles afin de déterminer sa nationalité. Cependant, d'après le rapport du Service de la Police Judiciaire du 2 mai 2007, il ressort que Monsieur … a refusé de coopérer avec le responsable de l'Ambassade puis a feint de ne pas comprendre la langue anglaise. Or, le jour du dépôt de sa demande d'asile, votre mandant a inscrit sur la fiche de données personnelles qu'il parlait l'anglais et le Mandingo, ce qu'il a confirmé lors de l'audition du 9 juillet 2004.
En date du 29 mai 2007, deux agents du Ministère des Affaires étrangères, accompagnés d'un interprète en langue Mandingo se sont rendus au Centre de Séjour Provisoire pour étrangers en Situation irrégulière à Schrassig, pour procéder à un enregistrement vocal et ainsi soumettre Monsieur … a un test linguistique. Il a refusé de se soumettre au test et dans un ton désinvolte, il a ajouté ne pas parler le Mandingo mais ne parler que l'anglais.
Ainsi, avant tout autre progrès, votre mandant est prié de fournir une preuve de son identité et de sa nationalité et de faire preuve d'une plus grande coopération, ce qui permettra d'apprécier vers quel pays le retour serait impossible. ».
En date du 10 avril 2007, Monsieur … a fait l’objet d’un refus d’entrée et de séjour.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 12 novembre 2007, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 10 août 2007.
Etant donné qu’aucun recours au fond n’est prévu en matière de refus du statut de tolérance, tel que prévu par l’article 22 de la loi précitée du 5 mai 2006, seul un recours en annulation a pu être introduit, de sorte que le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation.
Le délégué du Gouvernement estime la requête irrecevable en se prévalant de l'article 1er de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives prévoit que la requête doit porter les noms, prénoms et domicile du requérant.
Or, la requête déposée porterait la mention « actuellement sans domicile ». Il fait valoir que le requérant serait effectivement « porté disparu » par le Commissariat aux étrangers depuis le 15 juin 2006, ceci indépendamment des moments passés au Centre de séjour pour personnes en situation irrégulière.
Le demandeur estime que l’indication d’un domicile inexact ne serait une cause de nullité d’une requête introductive d’instance que si cette inexactitude a pu induire en erreur sur l’identité du demandeur.
S’il est exact que la « NOTE DOMICILE » du 10 avril 2007, versée par l’Etat et non autrement contestée par la partie demanderesse, mentionne effectivement que Monsieur … est répertorié comme disparu depuis le 15 juin 2006, le recours en annulation déposé le 12 novembre 2007 mentionne néanmoins expressément que le demandeur a élu domicile en l’étude de son litismandataire pour les besoins de la présente procédure.
Par ailleurs, il se dégage des mémoires déposés par le délégué du Gouvernement que l’Etat n’a pas pu se méprendre sur l’identité, ainsi que sur la situation juridique du demandeur, puisqu’il a pu prendre position quant au fond de l’affaire sous analyse, de sorte que même si le demandeur est actuellement sans domicile connu, cette circonstance n’a pas concrètement porté atteinte aux droits de la défense de l’Etat.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le moyen d’irrecevabilité du recours en annulation soulevé par le délégué du Gouvernement dans son mémoire en réponse est à écarter pour ne pas être fondé.
Partant, le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.
A l’appui de son recours, outre de se prévaloir de la situation sécuritaire dans son pays d’origine, le demandeur fait valoir qu'il y aurait impossibilité matérielle de le rapatrier dans son pays puisque pendant les trois mois de son placement le Ministère n'aurait pas pu obtenir de laissez-passer de la part de l'Ambassade de Gambie. Il en déduit que tout rapatriement serait impossible au sens de l'article 22 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.
Le délégué du Gouvernement relève que le demandeur a été présenté à l'Ambassade de Gambie le 30 avril 2007, mais qu’il aurait refusé toute coopération avec les autorités gambiennes, en faisant semblant de ne pas comprendre l'anglais alors qu'il serait certain qu'il connaît cette langue en plus du Mandingo. De plus, en date du 29 mai 2007, deux agents du ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration se seraient présentés avec un interprète en langue Mandingo, au Centre de Séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour faire un test linguistique. Une fois encore, le requérant aurait refusé de coopérer, en refusant de procéder à cet enregistrement vocal et il aurait déclaré qu'il ne parlait que l'anglais et qu'il ne parlait pas le Mandingo. Il estime que ce serait donc par le manque de coopération que le ministère se serait trouvé dans l'impossibilité d'obtenir le laissez-passer nécessaire au retour du demandeur et que l'adage Nemo auditur propriam turpitudinem allegans s'appliquerait en l’espèce pour en conclure que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur.
Dans son mémoire en réplique le demandeur fait valoir que l’adage Nemo auditur propriam turpitudinem allegans se cantonnerait au seul domaine des actions en répétition des obligations qui ont été exécutées en vertu d’un contrat synallagmatique à titre onéreux, annulé pour objet ou cause illicites, voire immoraux, en se basant sur un arrêt de la Cour d’appel du 1er mars 2000, publié dans la Pasicrisie No. 31, p.367.
Le délégué du Gouvernement fait valoir dans son mémoire en duplique qu’une personne qui sollicite le bénéfice d’une tolérance a l’obligation de coopérer avec les autorités luxembourgeoises et qu’elle ne peut plus rendre l’Etat luxembourgeois responsable de sa situation et se prévaloir de sa propre turpitude aux fins de revendiquer par la suite la délivrance du statut de tolérance en se basant sur un arrêt de la Cour administrative du 12 juillet 2007, n° 22518C du rôle.
A l’audience publique du 14 avril 2008, le litismandataire du demandeur fait valoir que l’obligation de coopération avec l’administration de la part d’un demandeur du statut de tolérance ne serait pas prévue par la loi, de sorte qu’elle ne saurait être invoquée en tant que motif de refus.
Aux termes de l’article 22 (1) de la loi précitée du 5 mai 2006, « si le statut de refugié est refusé au titre des articles 19 et 20 qui précèdent, le demandeur sera éloigné du territoire », tandis que l’article 22 (2) dispose que « si l’exécution matérielle de l’éloignement s’avère impossible en raison de circonstances de fait, le ministre peut décider de tolérer l’intéressé provisoirement sur le territoire jusqu’au moment où ces circonstances de fait auront cessé ».
Il en découle que le bénéfice du statut de tolérance est réservé aux demandeurs du statut de réfugié déboutés dont l’éloignement se heurte à une impossibilité d’exécution matérielle, avec la conséquence qu’il appartient au demandeur qui, par définition, se trouve en séjour irrégulier lorsqu’il prétend au bénéfice d’un statut de tolérance, d’établir l’impossibilité alléguée pour prétendre à l’octroi dudit statut.
En ce qui concerne la situation sécuritaire dans le pays d’origine du demandeur, celui-
ci fait en substance état des mêmes faits que ceux soumis au ministre dans le cadre de sa demande d’asile qui rendraient tout retour dans son pays d’origine impossible. Dans ce contexte, il échet de relever que la demande en reconnaissance du statut de réfugié du demandeur a été définitivement rejetée comme non fondée par l’arrêt précité de la Cour administrative du 22 mars 2007 (n° 22402C du rôle).
Or, un sentiment général d’insécurité, tel celui éprouvé par le demandeur, ne suffit pas pour établir une impossibilité matérielle de procéder à son éloignement vers son pays d’origine. Une telle situation ne saurait partant justifier le bénéfice de la mesure provisoire qu’est le statut de tolérance.
En ce qui concerne l’impossibilité d’établir l’identité du demandeur en vue de la délivrance d’un laissez-passer, force est de constater que s’il est exact que l’adage Nemo auditur propriam turpitudinem allegans est d’origine purement civiliste, et que son champ d’application se limite à faire obstacle à la répétition des obligations exécutées en vertu d’un contrat qui est annulé pour cause d’immoralité,1 l’idée à la base de l’adage précité, à savoir que nul se peut se prévaloir de sa propre immoralité2 ou indignité,3 ne se limite pas au 1 v. Alex ENGEL, Le préjudice illicite, dans Annales du droit luxembourgeois 2003, p. 393, n°19 ; Philippe le TOURNEAU, Contrat et obligations, Exception d’indignité, Règles « Nemo auditur » et « In pari causa », dans Jurisclasseur civil, articles 1131 à 1133, Contrats et obligations : fasc. 10-1 2 v. Philippe SIMLER, Contrat et obligations, Cause, Notion. Preuve. Sanctions, dans Jurisclasseur civil, articles 1131 à 1133, Contrats et obligations : fasc. 10, n° 87 3 v. Philippe le TOURNEAU, op. cit., n° 3 et suivants domaine contractuel4 et rejoint le principe général du droit administratif imposant tant à l’administration qu’aux administrés un devoir de collaboration procédurale et notamment au citoyen de collaborer loyalement à l’action administrative.5 Il s’ensuit qu’en matière de statut de tolérance, ni l’origine ni la persistance des circonstances de fait qui rendent l’exécution matérielle impossible en vertu de l’article 22 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ne doivent être imputables au demandeur d’asile définitivement débouté.
En l’espèce, il résulte tant du procès-verbal du 2 mai 2007 que de la « NOTE AU DOSSIER TEST LINGUISTIQUE » du 29 mai 2007 que le demandeur a refusé toute collaboration avec les autorités tant gambiennes que luxembourgeoises afin d’établir son identité, de sorte que le demandeur ne saurait plus rendre l’Etat luxembourgeois responsable de sa situation en se prévalant de sa propre turpitude aux fins de revendiquer la délivrance du statut de tolérance.
Il s’ensuit que la légalité de la décision ministérielle litigieuse n’est pas utilement énervée par les moyens présentés par le demandeur, de sorte que son recours est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le dit non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 21 mai 2008 par :
Mme Thomé, premier juge M. Sünnen, juge M. Fellens, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Thomé 4 v. Philippe le TOURNEAU, op. cit., n° 55 5 v. Patrick GOFFAUX, Dictionnaire élémentaire de droit administratif, Bruylant 2006, p. 53, v° Collaboration procédurale (devoir de -) ; Conseil d’Etat belge, 24 mars 1989, n° 32.320 : « que les principes de bonne administration […] n’impliquent pas uniquement que l’administration doit agir raisonnablementenvers le citoyen, mais également l’inverse », cité dans Patrick GOFFAUX, op. cit., p. 53 ; pour l’obligation de collaboration de l’administration, v. TA 3 mai 2000, n° 11549 , cité par Maître Roger NOTHAR en collaboration avec Maître Steve HELMINGER, dans La procédure administrative non contentieuse, 2002, p.63 5