Tribunal administratif Numéro 24365 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 mai 2008 Audience publique du 19 mai 2008 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 24365 du rôle et déposée le 8 mai 2008 au greffe du tribunal administratif par Maître Barbara NAJDI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Buea (Cameroun), de nationalité camerounaise, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d'une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 22 avril 2008 ordonnant son placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de cette décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 mai 2008 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Yasmina MAADI, en remplacement de Maître Barbara NAJDI, et Madame le délégué du gouvernement Marie-Anne KETTER en leurs plaidoiries respectives à l'audience publique du 19 mai 2008.
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Par décision du 23 janvier 2007, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, dénommé ci-après « le ministre », refusa à Monsieur … la reconnaissance du statut de réfugié sur base de l’article 11 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, ainsi que la reconnaissance d’un statut de protection subsidiaire tel que prévu par la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, décision qui lui fut notifiée en mains propres en date du même jour.
Par courrier du 25 janvier 2007, le ministre s’adressa à l’ambassade de la République du Cameroun située à Bruxelles en l’informant que Monsieur … n’était pas détenu à la date en question et que son adresse était inconnue, avec la précision que ladite ambassade serait recontactée « au cas où une nouvelle situation se présenterait ».
En date du 6 juin 2007, le ministre adressa un nouveau courrier à l’ambassade de la République du Cameroun en lui transmettant une fiche de renseignements contenant les données personnelles de Monsieur …, ainsi que des photos d’identité, en la priant de lui délivrer un laissez-passer en faveur de Monsieur …, en considération de ce que ce dernier ne disposait pas d’un passeport valable et qu’il devrait être rapatrié vers la République du Cameroun. Il fut également précisé dans ledit courrier que « l’intéressé ne se trouve actuellement pas sur une mesure de rétention ».
Suivant une note figurant au dossier administratif de Monsieur …, tel que déposé au greffe du tribunal administratif, datant du 25 juillet 2007, Monsieur … était considéré comme ayant disparu depuis le 26 janvier 2007.
A la suite d’une demande afférente présentée par les autorités belges compétentes, Monsieur … fut transféré vers le Luxembourg en date du 23 avril 2008 en application des dispositions afférentes du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers.
Par arrêté du 22 avril 2008, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de la décision en question en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois. La décision de placement est fondée sur les considérations et motifs suivants :
« Vu l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers ;
Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;
Considérant que l’intéressé est démuni de toute pièce d’identité et de voyage valable ;
- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels légalement acquis ;
- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;
Considérant qu’un laissez-passer sera demandé auprès des autorités camerounaises dans les meilleurs délais ;
- qu’en attendant l’émission de ce document de voyage, l’éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;
Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ».
Cet arrêté fut notifié à Monsieur … le 23 avril 2008 et mis à exécution à partir de cette date.
Par courrier du 24 avril 2008, le ministre contacta à nouveau l’ambassade de la République du Cameroun à Bruxelles en vue de l’obtention d’un laissez-passer afin d’assurer le rapatriement de Monsieur … au Cameroun.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 8 mai 2008, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle de placement précitée du 22 avril 2008.
Etant donné que l'article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l'entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l'emploi de la main-d'œuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision litigieuse.
Ledit recours ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Le recours en annulation introduit en ordre subsidiaire est dès lors irrecevable.
A l’appui de son recours, le demandeur déclare marquer son accord en vue d’un rapatriement au Cameroun, en déclarant souhaiter « coopérer pleinement à cet effet ».
En droit, le demandeur conteste tout d’abord que les autorités administratives luxembourgeoises aient accompli des démarches suffisantes afin d’assurer son refoulement vers son pays d’origine dans les meilleurs délais, en s’interrogeant sur la durée prévisible des démarches devant aboutir à la délivrance d’un laissez-passer. En deuxième lieu, le demandeur conclut au caractère inapproprié du lieu de placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, au motif qu’il y subirait en réalité une détention, en exposant les conditions dans lesquelles il déclare être retenu audit Centre de séjour, qui correspondraient en fait à un « régime d’emprisonnement inacceptable ».
Le délégué du gouvernement rétorque que contrairement aux allégations du demandeur, le Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière serait à considérer comme un établissement approprié au sens des dispositions légales applicables et qu’en ce qui concerne les démarches accomplies par les autorités luxembourgeoises, il y aurait lieu de « laisser le temps nécessaire aux autorités camerounaises de faire leur travail et établir le laissez-passer », à la suite de la demande leur adressée par le courrier précité du 24 avril 2008.
En vertu de l’article 15, paragraphe (1) de la loi précitée du 28 mars 1972, lorsque l’exécution d’une mesure d’expulsion ou d’éloignement en application des articles 9, 12 ou 14-1 de la même loi ou d’une demande de transit par voie aérienne est impossible en raison des circonstances de fait, l’étranger peut, sur décision du ministre compétent, être placé dans un établissement approprié à cet effet pour une durée d’un mois.
Il en découle qu’une décision de placement au sens de la disposition précitée présuppose l’impossibilité d’exécuter une mesure d’expulsion ou d’éloignement dans le chef de la personne concernée.
Le ministre compétent est dans l’impossibilité de procéder à l’éloignement immédiat d’un étranger lorsque ce dernier ne dispose pas de documents d’identité et de voyage requis pour permettre son éloignement immédiat et si des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères au vu de l’obtention d’un accord de reprise de l’intéressé. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a conféré au ministre un délai initial maximal d’un mois pour obtenir de la part des autorités étrangères concernées les documents de voyage nécessaires au rapatriement.
En l’espèce, il n’est pas contesté que le demandeur ne disposait pas de documents d’identité et de voyage valables, tel que cela est d’ailleurs expressément indiqué par l’arrêté de placement litigieux. Or, à défaut de documents d’identité et de voyage valables dans le chef du demandeur, le ministre se voyait effectivement dans l’impossibilité de procéder à une exécution immédiate de la mesure d’éloignement, de sorte qu’à la date de la prise de l’arrêté de placement litigieux, le ministre pouvait valablement ordonner le placement de Monsieur ….
S’il est vrai que le ministre doit pouvoir retenir, au vœu de la disposition légale précitée, un étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire luxembourgeois en attendant que les démarches appropriées soient effectuées afin d’assurer son rapatriement vers son pays d’origine, il n’en demeure pas moins que cette mesure de rétention administrative doit être limitée à une durée la plus brève possible au vu de la privation de liberté de l’étranger en question, de sorte à imposer aux autorités responsables la plus grande diligence dans le traitement du dossier de la personne ainsi retenue.
Il s’ensuit que le tribunal est partant amené à vérifier si l’autorité compétente a veillé à ce que toutes les mesures appropriées ont été prises afin d’assurer l’éloignement dudit étranger dans les meilleurs délais, afin d’éviter à l’intéressé une privation de liberté trop longue. Il incombe partant à l’autorité administrative de faire état et de documenter les démarches qu’elle estime requises et qu’elle est en train d’exécuter, afin de mettre le tribunal en mesure d’apprécier si un éloignement valable est possible et est en voie d’organisation, d’une part, et que les autorités luxembourgeoises entreprennent des démarches suffisantes en vue d’un éloignement ou transfert rapide du demandeur, c’est-à-dire de façon à écourter au maximum sa privation de liberté, d’autre part.
S’il est encore vrai que le législateur a accordé, par l’article 15 de la loi précitée du 28 mars 1972, un délai initial d’un mois à l’autorité luxembourgeoise afin que celle-ci soit mise en mesure d’organiser matériellement le rapatriement de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire luxembourgeois vers son pays d’origine, période dont dispose ladite autorité notamment afin d’obtenir un laissez-passer de la part des autorités du pays d’origine dudit étranger, il n’en reste pas moins que cette période doit être utilisée de la manière la plus efficace possible par ladite autorité luxembourgeoise afin d’organiser dans les plus brefs délais le rapatriement.
En l’espèce, il se dégage du dossier déposé par l’Etat au greffe du tribunal qu’à la suite de la mise à exécution de la mesure de rétention administrative sous analyse, à partir du 23 avril 2008, le ministre a initié une seule démarche auprès de l’ambassade de la République du Cameroun en transmettant à celle-ci une lettre, datée du 24 avril 2008, tendant à la délivrance d’un laissez-passer en faveur de Monsieur …. Il échet toutefois de constater à la lecture dudit document, que celui-ci ne fait pas ressortir le fait qu’à la date en question, Monsieur … se trouvait déjà en rétention administrative, partant privé de sa liberté, en faisant ainsi ressortir l’urgence dont devrait bénéficier le traitement de ce dossier. Il ne ressort pas non plus du dossier administratif que ce courrier ait été réceptionné par l’ambassade de la République du Cameroun.
En outre, à part le fait qu’aucune réaction de ladite ambassade ne ressort du dossier administratif, étant relevé que déjà les deux courriers antérieurs du ministre des 25 janvier et 6 juin 2007 n’ont pas été suivis d’une réaction de la part de ladite ambassade, il n’en ressort pas non plus une quelconque autre démarche effectuée par les autorités luxembourgeoises afin, soit de s’assurer de la bonne réception dudit courrier par l’ambassade en question, soit d’obtenir dans les plus brefs délais la délivrance du laissez-passer requis pour organiser le rapatriement de Monsieur … vers le Cameroun.
Au vu des développements ci-avant énoncés, le tribunal est amené à constater que s’il est vrai que les autorités luxembourgeoises ont entamé dès le lendemain de la mise à exécution de la mesure de rétention administrative sous analyse une démarche auprès de l’ambassade de la République du Cameroun, il n’en demeure pas moins qu’aucune autre démarche n’a été entamée par elle au cours des 25 jours qui suivirent. En considération toutefois du fait qu’une mesure de rétention entraîne pour la personne une privation de liberté et qu’il y a partant lieu de limiter celle-ci à la durée la plus brève possible, il y a lieu de retenir que les autorités luxembourgeoises n’ont pas fait preuve d’une grande diligence dans le traitement du dossier de Monsieur … afin de s’assurer qu’il puisse être rapatrié dans les délais les plus brefs, de sorte que la condition de la proportionnalité de la mesure critiquée n’est plus respectée en l’espèce.
Il s’ensuit qu’il y a lieu de réformer la décision querellée et d’ordonner la libération immédiate du demandeur, sans qu’il y ait lieu d’analyser l’autre moyen invoqué par le demandeur à l’appui de son recours.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare justifié, partant, par réformation de la décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 22 avril 2008, ordonne la mise en liberté immédiate de Monsieur … ;
déclare le recours en annulation irrecevable ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Martine Gillardin, premier juge, Françoise Eberhard, juge, et lu à l’audience publique du 19 mai 2008 par le premier vice-président, en présence du greffier Claude Legille.
s. Legille s. Schockweiler 6