Tribunal administratif Numéro 24364 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 mai 2008 Audience publique du 19 mai 2008 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 24364 du rôle et déposée le 8 mai 2008 au greffe du tribunal administratif par Maître Barbara NAJDI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, sans état connu, né le … (Bénin), de nationalité béninoise, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d'une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 22 avril 2008 prorogeant pour une durée d'un mois son placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une nouvelle durée maximale d’un mois à partir de la notification de cette décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 mai 2008 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Frank WIES, en remplacement de Maître Barbara NAJDI, et Madame le délégué du Gouvernement Jacqueline GUILLOU-JACQUES en leurs plaidoiries respectives à l'audience publique du 19 mai 2008.
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Par arrêté du 20 mars 2008, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration refusa l’entrée et le séjour sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg à Monsieur …, au motif qu’il ne disposait pas de moyens d’existence personnels légalement acquis, qu’il se trouvait en séjour irrégulier au pays et qu’il était susceptible de compromettre la sécurité et l’ordre publics.
Par arrêté du même jour, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration ordonna le placement de Monsieur … au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de la décision en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois. Cette décision de placement était fondée sur les considérations et motifs suivants :
« Vu l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers ;
Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;
Considérant que l’intéressé est démuni de toute pièce d’identité et de voyage valable ;
- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels légalement acquis ;
- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;
Considérant qu’un laissez-passer sera demandé auprès des autorités béninoises dans les meilleurs délais ;
- qu’en attendant l’émission de ce document de voyage, l’éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;
Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ».
Cet arrêté fut notifié à Monsieur … le 25 mars 2008 et mis en exécution à partir de cette date.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 3 avril 2008, Monsieur … fit introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle de placement précitée du 20 mars 2008, recours dont il fut débouté par jugement du tribunal administratif du 10 avril 2008, n° 24244 du rôle.
Cet arrêté ministériel fut prorogé pour une nouvelle durée d’un mois par décision du ministre du 22 avril 2008, motivée comme suit :
« Vu l'article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l'entrée et le séjour des étrangers ;
Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;
Vu mon arrêté pris en date du 20 mars 2008 décidant du placement temporaire de l’intéressé ;
Considérant qu’un laissez-passer a été demandé auprès des autorités béninoises en date du 31 mars 2008 ;
-
qu’un rappel a été adressé à ces mêmes autorités béninoises en date du 17 avril 2008 ;
- qu’en attendant l’émission de ce document de voyage, l’éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;
Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ; » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 8 mai 2008, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la prédite décision ministérielle de prorogation.
Etant donné que l'article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l'entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l'emploi de la main-d'œuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal contre la décision litigieuse.
Ledit recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Il n’y a dès lors pas lieu de se prononcer sur le recours en annulation introduit en ordre subsidiaire.
A l’appui de son recours, le demandeur déclare demander formellement de pouvoir repartir au Bénin et il souligne son intention de coopérer pleinement à cet effet.
Il conclut encore au caractère inapproprié du lieu de placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière et affirme qu’il y serait en fait détenu dans les conditions d’un régime d’emprisonnement « inacceptable et pas prévu par la loi dans ce contexte », et ce parce qu’il ne bénéficierait pas de suffisamment de temps de promenade et de temps de sortie de sa cellule.
Le délégué du Gouvernement expose que le demandeur avait déposé une demande d’asile en date du 25 août 2003, laquelle fut rejetée par une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 22 janvier 2004. Il relève encore qu’un recours contentieux introduit auprès du tribunal administratif contre ladite décision ministérielle a été rejeté par un jugement dudit tribunal du 9 juin 2004, aucun appel n’ayant été interjeté contre ledit jugement.
Quant aux diligences effectuées par les autorités luxembourgeoises afin d’assurer le rapatriement du demandeur vers son pays d’origine, le délégué du Gouvernement relève qu’une procédure en vue d’organiser le retour accompagné du demandeur au Bénin serait en cours.
Le représentant étatique conclut encore au bien-fondé de la mesure critiquée, en soulignant que le demandeur, du seul fait de l’imminence de la mesure d’éloignement, serait présumé présenter un risque de fuite, ce qui justifierait sa rétention dans un centre spécial.
Il échet tout d’abord de relever qu’il est constant en cause que le demandeur est placé non pas dans un établissement pénitentiaire, mais au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière. Or, force est de constater que le Centre en question est a priori à considérer comme un établissement approprié au sens de la loi précitée de 1972.
Il convient par ailleurs de rappeler, à l’instar du délégué du Gouvernement, que la mise en place d’un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière repose précisément sur la prémisse qu’au-delà de toute considération tenant à une dangerosité éventuelle des personnes concernées, celles-ci, eu égard au seul fait de l’irrégularité de leur séjour et de l’imminence de l’exécution d’une mesure d’éloignement dans leur chef, présentent en principe et par essence un risque de se soustraire à la mesure d’éloignement, fût-il minime, justifiant leur rétention dans un centre de séjour spécial afin d’éviter que l’exécution de la mesure prévue ne soit compromise.
Le demandeur n’ayant pas contesté en l’espèce entrer dans les prévisions de la définition des « retenus » telle que consacrée à l’article 2 du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, le moyen basé sur l’absence de risque de fuite dans son chef laisse d’être fondé.
Quant au moyen basé plus particulièrement sur ses conditions de rétention, il convient de rappeler que les conditions de rétention résultent en leurs grandes lignes du régime spécifique tel qu’instauré par le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, règlement qui renvoie en son article 5 directement pour toutes les questions qu’il ne règle pas lui-même au règlement grand-ducal modifié du 24 mars 1989 concernant l’administration et le régime interne des établissements pénitentiaires.
Il convient dès lors de souligner que l’assimilation dans ses grandes lignes, excepté les dispositions spécifiques figurant à l’article 4, du régime de rétention à celui des détenus de droit commun, si elle peut prêter à discussion, résulte cependant explicitement du prédit article 5 du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002, dont la légalité ne saurait, en l’état des moyens du demandeur et notamment à défaut de tout moyen afférent, être remis en question.
Or conformément à l’article 18 du prédit règlement grand-ducal modifié du 24 mars 1989, l’autorité chargée de l’application de ces règlements grand-ducaux n’est pas le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, mais le ministre de la Justice, dont dépend l’administration des établissements pénitentiaires, ainsi qu’en application de l’article 19 du même règlement grand-ducal le procureur général d’Etat, chargé de la direction générale et de la surveillance des établissements pénitentiaires. En ce qui concerne les modalités pratiques de la rétention, telles que par exemple les heures de promenade ou celles de fermeture des cellules, ces modalités, en ce qu’elles concernent la gestion journalière du centre de rétention intégré au centre pénitentiaire, relèvent conformément à l’article 68 du prédit règlement grand-ducal modifié du 24 mars 1989 des compétences du directeur de l’établissement qui, aux termes de cet article, assure, sous l’autorité du procureur général d’Etat, la direction et l’administration de l’établissement et qui est responsable du bon fonctionnement de l’établissement en question. Le règlement grand-
ducal modifié du 24 mars 1989 instaure par ailleurs une voie de recours spécifique auprès du procureur général d’Etat au profit des détenus et, en application de l’article 5 du règlement grand-
ducal du 20 septembre 2002, également au profit des retenus, qui s’estiment lésés par une décision du directeur, de sorte qu’un grief relatif aux modalités concrètes et matérielles de placement est étranger à la décision de rétention du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration et au cadre légal dans lequel la décision de rétention a été prise, à savoir la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère.
Aucun autre moyen n’ayant été soulevé en cause, le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond le déclare non justifié et en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de se prononcer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 19 mai 2008 par :
M. Feyereisen, président, M. Sünnen, juge, M. Fellens, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Feyereisen 5