La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

08/05/2008 | LUXEMBOURG | N°23430

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 mai 2008, 23430


Tribunal administratif N° 23430 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 septembre 2007 Audience publique du 8 mai 2008 Recours formé par Monsieur … et la société à responsabilité limitée R., …, contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de permis de travail

______________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 23430 du rôle et déposée le 14 septembre 2007 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Jacques LORA

NG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsi...

Tribunal administratif N° 23430 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 septembre 2007 Audience publique du 8 mai 2008 Recours formé par Monsieur … et la société à responsabilité limitée R., …, contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de permis de travail

______________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 23430 du rôle et déposée le 14 septembre 2007 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Jacques LORANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, de nationalité chinoise, né le 17 février 1982, demeurant à L-…, ainsi qu’au nom de la société à responsabilité limitée R.

s.àr.l., établie et ayant son siège social à L-…, tendant principalement à la réformation, et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 20 décembre 2006 refusant la délivrance d’un permis de travail à Monsieur … ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 décembre 2007 ;

Vu le mémoire en réplique, intitulé « mémoire en réponse », déposé au greffe du tribunal administratif le 18 février 2008 par Maître Jean-Jacques LORANG pour le compte des demandeurs ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 mars 2008 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Emilie HUGUE, en remplacement de Maître Jean-Jacques LORANG, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline GUILLOU-

JACQUES en leurs plaidoiries respectives.

______________________________________________________________________________

Par courrier du 24 juillet 2006, accompagné d’une déclaration d’engagement, la société à responsabilité limitée R. s.àr.l., ci-après désignée par « la société R. », introduisit une demande en obtention d’un permis de travail pour un poste de cuisinier en faveur de Monsieur ….

Par décision du 20 décembre 2006, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, dénommé ci-après « le ministre », refusa la délivrance du permis de travail sollicité en les termes suivants :

« En réponse à votre demande en obtention d’un permis de travail dans le chef de Monsieur …, permettez-moi de vous informer de ce qui suit.

J’ai le regret de vous informer, que je ne saurai pas réserver de suite favorable à votre demande, alors que Monsieur … est titulaire d’un certificat attestant que l’intéressé a des connaissances en cuisine de niveau 4, connaissances insuffisantes pour occuper une fonction qualifiée comme celle de cuisinier.

La présente décision repose sur les avis de l’Administration de l’Emploi et de la Commission d’avis spéciale en matière de permis de travail.

Copie de la présente est adressée à Madame le Directeur de l’Administration de l’Emploi pour information.

(…) » Par courrier de leur mandataire du 19 mars 2007, la société R. et Monsieur … introduisirent un recours gracieux auprès du ministre contre la décision de refus précitée du 20 décembre 2006. Ce recours gracieux resta sans réponse de la part du ministre.

Par requête déposée en date du 14 septembre 2007, la société R. et Monsieur … ont fait introduire un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du 20 décembre 2006.

A titre liminaire, le tribunal est amené à examiner le mo…n tiré de la tardivité du mémoire en réplique, intitulé « mémoire en réponse », déposé au nom des demandeurs le 18 février 2008, tel que soulevé par le délégué du gouvernement dans son mémoire en duplique, au motif qu’il n’aurait pas été déposé dans le délai d’un mois prévu à l’article 5 (5) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives. - Dans ce contexte, il echet de relever qu’il est indifférent qu’un mo…n ait été soulevé dans un mémoire, qui, le cas échéant, devra être écarté, étant donné que ce mo…n a trait à l’ordre public et comme tel doit être soulevé d’office.

Aux termes de l’article 5 de la loi précitée du 21 juin 1999 : « (…) (5) Le demandeur peut fournir une réplique dans le mois de la communication de la réponse, la partie défenderesse et le tiers intéressé sont admis à leur tour à dupliquer dans le mois.

(6) Les délais prévus aux paragraphes 1 et 5 sont prévus à peine de forclusion. Ils ne sont pas susceptibles d’augmentation en raison de la distance. Ils sont suspendus entre le 16 juillet et le 15 septembre. (…) » En l’espèce, le mémoire en réponse a été déposé par le délégué du gouvernement au greffe du tribunal administratif en date du 11 décembre 2007. Le mémoire en réplique des demandeurs, déposé en date du 18 février 2008, a donc été déposé en dehors du délai d’un mois à compter du dépôt du mémoire en réponse fixé par l’article 5 (5) de la loi précitée du 21 juin 1999, de sorte qu’il est à écarter des débats. Dans la mesure où la duplique ne constitue qu’une réponse à la réplique, le mémoire en duplique est également à écarter des débats.

Ni la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers, 2. le contrôle médical des étrangers, 3. l’emploi de la main d’œuvre étrangère, ni la loi modifiée du 31 juillet 2006 portant introduction d’un code du travail, ni aucune autre disposition légale ne prévoient un recours au fond en la matière, de sorte que le tribunal administratif est incompétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal.

Le recours subsidiaire en annulation est recevable pour avoir été par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur demande, les demandeurs soutiennent que ce serait à tort que le ministre aurait refusé de délivrer un permis de travail à Monsieur …. Ce dernier possèderait, contrairement aux affirmations du ministre, les qualifications professionnelles requises pour exercer en tant que cuisinier dans un restaurant de spécialités chinoises. Ils expliquent le système de la qualification professionnelle en Chine et soutiennent que « l’attitude négative des autorités décisionnaires » procèderait d’une confusion entre le système chinois et le système luxembourgeois. Ils exposent que Monsieur … serait titulaire d’un diplôme de niveau 4, correspondant à une compétence mo…nne qualifiée de « medium skill level », permettant de diriger en Chine le personnel d’une cuisine. A l’appui de leurs explications, ils versent un certificat établi par l’Ecole de Formation des Techniciens de Shanghai de la Ville de Lishui.

Le délégué du gouvernement soutient que la détention d’un certificat de niveau 4 ne pourrait pas être considérée comme suffisante pour exercer la profession de cuisinier d’après les critères usuels du marché de l’emploi luxembourgeois. D’après le représentant étatique, un cuisinier devrait posséder un diplôme au moins équivalent à celui du Lycée technique Alexis Heck. Par ailleurs, l’ambassade du Luxembourg à Bejing estimerait que le certificat attestant à Monsieur … un niveau de connaissance 4 serait insuffisant pour une occupation en tant que cuisinier au Luxembourg. Finalement, il soutient que le niveau du salaire, équivalent au salaire social minimum, proposé par la société R. à Monsieur … confirmerait qu’il s’agirait en l’espèce d’un cuisinier dépourvu des qualifications adéquates.

Aux termes de l’article 10 (1) du règlement grand-ducal modifié du 12 mai 1972 déterminant les mesures applicables pour l’emploi des travailleurs étrangers sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg : « L’octroi et le renouvellement du permis de travail peuvent être refusés au travailleur étranger pour des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi, compte tenu de la priorité à l’embauche dont bénéficient les ressortissants des Etats membres de l’Union européenne et des Etats parties à l’Accord sur l’Espace économique européen, (…) » Il y a tout d’abord lieu de relever que le ministre n’a pas fondé la décision de refus déférée sur l’un des critères énumérés par l’article 10 (1) précité, lui permettant de refuser l’octroi d’un permis de travail, à savoir, des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi, mais qu’il s’est fondé sur ce que le demandeur serait titulaire d’un certificat attestant que l’intéressé possèderait des connaissances en cuisine de niveau 4, connaissances jugées insuffisantes pour occuper une fonction qualifiée comme celle de cuisinier.

S’il est vrai que le ministre peut à juste titre refuser un permis de travail pour un poste que le demandeur ne peut pas valablement occuper1, il appartient par contre dans ce cas au ministre d’établir « in concreto » à l’appui des textes légaux afférents que la qualification du demandeur ne correspond pas à celle requise pour pouvoir occuper le poste convoité. Une affirmation générale selon laquelle le demandeur ne possède pas les connaissances nécessaires pour occuper le poste vacant n’établit pas à suffisance de droit que le demandeur ne peut pas valablement occuper ce poste.

A l’audience des plaidoiries, le tribunal a soulevé d’office la question de la base légale sur laquelle la décision litigieuse se serait fondée. A cet égard, le délégué du gouvernement a estimé que le diplôme de Monsieur … ne serait pas suffisant pour travailler en la qualité de cuisinier au Grand-Duché de Luxembourg, sans préciser les motifs légaux à l’appui de la décision déférée.

Ainsi, le tribunal est amené à constater que la décision litigieuse elle-même indique reposer sur les avis, tant de l’administration de l’Emploi que de la commission d’avis spéciale en matière de permis de travail. Or, d’un côté, seul l’avis de la commission d’avis spéciale en matière de permis de travail figure au dossier administratif versé en cause et de l’autre côté, ce dernier avis se limite à indiquer que la qualification et les diplômes du demandeur seraient insuffisants suivant les « critères luxembourgeois ». Or, ledit avis reste en défaut d’expliquer ces critères luxembourgeois et surtout d’indiquer leur base légale.

De même, le délégué du gouvernement se limite dans son mémoire en réponse à soutenir qu’un certificat de niveau 4 ne peut être considéré comme suffisant d’après les critères usuels du marché de l’emploi luxembourgeois, sans préciser le contenu et la base légale de ces critères.

Le représentant étatique se réfère encore dans son mémoire en réponse à une attestation de l’ambassade de Luxembourg à Bejing, attestation ne figurant cependant également pas au dossier administratif versé en cause, de sorte que le tribunal n’a pas pu prendre position par rapport à ce point.

Il ressort des considérations qui précèdent que ni les avis préalables à la décision ministérielle, ni la décision ministérielle elle-même, ni les explications écrites fournies lors de la procédure contentieuse, ni même les explications fournies par les parties à l’instance sur question afférente du tribunal, ont pu indiquer au tribunal la moindre référence à une base légale ou règlementaire sur laquelle la décision ministérielle pourrait être valablement fondée.

Il s’ensuit que la décision ministérielle déférée du 20 décembre 2006, telle que confirmée implicitement, mais nécessairement, du fait du silence gardé par le ministre pendant un délai de trois mois à la suite de l’introduction du recours gracieux n’est fondée sur aucune base légale ou règlementaire, de sorte qu’elle encourt l’annulation.

1 Voir à ce sujet : trib. adm. 2 février 2004, no 16470 du rôle, Pas. adm. 2006, Vo « Travail », no 58 Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

écarte des débats le mémoire en réplique, intitulé « mémoire en réponse », et le mémoire en duplique ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;

reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;

au fond, le déclare justifié, partant annule la décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 20 décembre 2006 ;

renvoie le dossier au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en prosécution de cause ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

Martine Gillardin, premier juge, Françoise Eberhard, juge, Lexie Breuskin, juge, et lu à l’audience publique du 8 mai 2008 par le premier juge, en présence du greffier Claude Legille.

Legille Gillardin 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 23430
Date de la décision : 08/05/2008

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2008-05-08;23430 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award