Tribunal administratif N° 23742 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 décembre 2007 Audience publique du 5 mai 2008 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19. L. 5.5.2006)
JUGEMENT
Vu la requête, inscrite sous le numéro 23742 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 4 décembre 2007 par Maître Adrian SEDLO, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo/Etat de Serbie), de nationalité serbe, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 5 novembre 2007 portant refus de sa demande de protection internationale, ainsi qu’à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire luxembourgeois contenu dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 janvier 2008 ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Jean-Philippe FRANCOIS et Madame le délégué du Gouvernement Marie-Anne KETTER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 février 2008 ;
Vu l’avis du tribunal du 18 mars 2008 prononçant la rupture du délibéré afin de permettre aux parties de prendre position sur les incidences de l’actuelle situation au Kosovo sur la présente affaire ;
Vu le mémoire complémentaire du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 31 mars 2008 ;
Vu le mémoire complémentaire déposé le 22 avril 2008 au greffe du tribunal administratif par Maître Adrian SEDLO au nom et pour le compte du demandeur ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Jean-Philippe FRANCOIS, en remplacement de Maître Adrian SEDLO, et Madame le délégué du Gouvernement Jacqueline JACQUES en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 28 avril 2008.
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En date du 28 mars 2006, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Par décision du 3 mai 2006, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa que sa demande avait été refusée.
Le recours contentieux introduit par Monsieur … à l’encontre de cette décision ministérielle du 3 mai 2006 se solda par un jugement du tribunal administratif du 4 décembre 2006, numéro 21471 du rôle qui débouta le demandeur, ce jugement étant confirmé en appel par un arrêt de la Cour administrative du 29 mars 2007, n° 22373C du rôle.
Le 14 mai 2007, Monsieur … fit introduire par son mandataire auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande de protection internationale au sens de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection.
Monsieur … fut entendu le 7 août 2007 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision 5 novembre 2007, envoyée par courrier recommandé le même jour, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », informa Monsieur … que sa demande avait été rejetée comme étant non fondée. Cette décision est libellée comme suit :
« J'ai l'honneur de me référer à votre nouvelle demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous nous avez fait parvenir via votre avocat en date du 14 mai 2007.
En mains le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration du 7 août 2007.
Il ressort de votre dossier que vous avez déposé une première demande d'asile le 18 mars 2006, demande qui a été rejetée comme non fondée par une décision ministérielle en date du 3 mai 2006. Vous aviez invoqué à la base de cette demande d'asile votre appartenance à la minorité bosniaque du Kosovo, plusieurs cambriolages en 2001 et 2002 et le vol de votre porte monnaie en mars 2006. Selon vos dires, ces événements auraient été liés au fait que votre oncle aurait travaillé pour la police serbe.
La demande d'asile a définitivement été rejetée par la Cour administrative en date du 29 mars 2007.
En date du 14 mai 2007 vous présentez une nouvelle demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 et vous avez été entendu à ce sujet en date du 7 août 2007.
Monsieur, vous indiquez à la base de cette demande que vous auriez voulu retourner de manière volontaire après votre refus de votre demande internationale, présentée en date du 18 mars 2006. Cependant, vous auriez reçu des faits nouveaux concernant votre personne, de votre pays d'origine. Selon vos dires, le ministre bosniaque Numal BALIC aurait personnellement organisé une réunion concernant votre personne. Vous précisez que votre mère et votre frère auraient demandé de discuter sur vos problèmes. Le ministre aurait décidé que vous ne pourriez retourner au Kosovo, comme votre vie y serait en danger. Vous dites que votre oncle paternel vous aurait adopté en 1991 et que celui-ci serait considéré comme « un très mauvais policier» qui travaillerait actuellement en Serbie. Vous ajoutez que vous ne seriez plus en contact avec lui depuis 1999, quand il vous aurait abandonné. Vous indiquez que tous vos problèmes seraient liés à votre oncle et que lors de votre séjour au Grand-
Duché, des inconnus seraient venus perquisitionner votre maison, en présence de votre femme. Des inconnus vous auraient aussi battu à plusieurs reprises. Vous ajoutez que des inconnus vous auraient arrêté et vous auraient pris votre argent et votre carte d'identité.
Force est de constater que les motifs exposés à la base de votre deuxième demande de protection internationale ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, fonder dans votre chef une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi modifiée du 5 mai 2006.
En effet, Monsieur, vous invoquez à la base de cette demande de protection internationale que tous vos problèmes seraient liés à votre adoption de votre oncle paternel.
En premier lieu, il convient de souligner que vous n'avez mentionné nulle part lors de votre première demande d'asile que vous auriez été adopté et que vous auriez des problèmes en raison de la profession de votre père adoptif. Vous mentionnez uniquement que vous auriez un oncle paternel qui aurait travaillé pour la police serbe et que vous soupçonneriez que votre famille aurait été agressée, à une seule occasion en 2001, en raison de lui. Selon vos dires, les vols de votre vache et de 450kg de farine seraient également liés à sa personne.
Vous aviez ajouté encore que vous auriez été agressé en 2003 et que les coupables seraient venus présenter leurs excuses à votre père par après. Quant à votre deuxième demande, vous répétez à plusieurs reprises que vous auriez des preuves concernant votre adoption, cependant, il convient de souligner que vous avez manqué jusqu'en date d'aujourd'hui de nous apporter ces documents. Pour le surplus, vous dites lors de votre première demande que vous ne seriez depuis longtemps plus en contact avec votre oncle paternel et vous confirmez ceci lors de votre deuxième demande.
Quant à la réunion qui aurait été organisée par le ministre bosniaque, Numal BALIC, il convient de relever que cette déclaration demeure absolument invraisemblable! A cela s'ajoute que ce dernier s'appelle Numan BALIC et qu'il est membre de l'Assembly of Kosovo et y occupe une fonction dans le Group for Integration.
Quoi qu'il en soit, force est de constater que vous ne présentez aucun fait nouveau ou fait crédible pour fonder votre deuxième demande. Le fait que vous auriez des problèmes en raison de votre adoption par votre oncle paternel semble peu crédible. En plus, il ne ressort pas de vos déclarations que vous auriez vécu auprès de lui. Par ailleurs, tous vos problèmes évoqués, à savoir le vol de votre vache, de votre porte-monnaie, de votre farine et l'agression à laquelle suit une excuse, ne constitue aucune crainte fondée de persécution au sens de la prédite Convention. En effet, toutes vos déclarations se concentrent sur un sentiment général d'insécurité, lequel vous éprouvez par rapport à votre pays d'origine. Cependant, il convient de mettre en évidence que cette crainte d'insécurité n'est pas basée sur des menaces ou des persécutions personnellement subies. Effectivement, Monsieur, vous n'êtes pas capable de démontrer de manière compréhensible pourquoi vous ne vous sentiez pas en sécurité au Kosovo et de qui vous auriez peur.
Enfin, vous n'apportez en l'espèce aucune raison valable justifiant une impossibilité de vous installer dans une autre région de votre pays d'origine pour ainsi profiter d'une fuite interne.
Par ailleurs, il convient de mettre en évidence, en ce qui concerne la situation particulière des bosniaques du Kosovo, il ressort qu'actuellement ceux-ci ont, dans tout le Kosovo non seulement le droit à la participation et à la représentation politique, mais encore accès à la l'enseignement, aux soins de santé et aux avantages sociaux, ce qui fait qu'une discrimination à leur égard ne saurait pas être retenue pour fonder une persécution au sens de la Convention de Genève. A cela s'ajoute qu'il ressort du rapport de l'UNHCR de janvier 2003 sur la situation des minorités au Kosovo qu'en règle générale les bochniaques ne doivent plus craindre des attaques directes contre leur sécurité. Par ailleurs, le rapport de l'UNHCR de juin 2006 intitulé « UNHCR's Position on the Continued International Protection Needs of Individuals from Kosovo» ne mentionne pas la situation des bosniaques et on peut en conclure que l'UNCHR ne les considère plus comme courant de risque particulier. D'ailleurs, l'UNHCR ne s'oppose pas à un retour de bosniaques au Kosovo. De même, il ressort du « UK Operational Guidance Note Republic of Serbia » du 12 février 2007 que « although Bosniaks may be subject to discrimination and/or harassment in Kosovo this does not generally reach the level of persecution. Considering the sufficiency of protection available and the option of internaI relocation, in the majority of cases it is unlikely that a claim based solely on the feat of persecution because of Bosniak ethnicity will qualify for a grant of asylum or Humanitarian Protection and cases from this category of claim are likely to be clearly unfounded ».
De manière plus générale, il convient également de souligner qu'une force armée internationale, agissant sous l'égide des Nations Unies, est installée au Kosovo pour assurer la coexistence pacifique entre les différentes communautés et une administration civile, placée sous l'autorité des Nations Unies, a été mise en place. La situation des minorités ethniques du Kosovo s'est améliorée par rapport à l'année 1999. Les élections municipales du 28 octobre 2000 se sont conclues avec la victoire des partis modérés et une défaite des partis extrémistes. A cela s'ajoute qu'à la suite des élections parlementaires du 17 novembre 2001 les minorités nationales du Kosovo, à savoir les Roms, les Bochniaques, les Turcs et autres se sont vues attribuer quelques sièges leur assurant une représentation au sein du parlement du Kosovo. Après les violences généralisées de mars 2004, « la situation en matière de sécurité est restée, dans l'ensemble, calme et stable» a indiqué Hédi Annabi, sous-secrétaire général aux opérations de maintien de la paix de l'ONU le 5 août 2004. Il faut également souligner que la police des Nations Unies au Kosovo a arrêté environ 270 personnes soupçonnées d'être impliquées dans les violences meurtrières de mars 2004 et qu'une enquête est en cours.
Ainsi une persécution systématique de minorités ethniques est actuellement à exclure.
Ainsi, vous n'alléguez aucun fait susceptible de fonder raisonnablement une crainte de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.
En outre, vous n'invoquez pas non plus des motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi précitée. En effet, il ne ressort pas de votre dossier que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
En effet, vous ne faites pas état d'un jugement ou d'un risque de jugement vous condamnant à la peine de mort, ni de risques concrets et probables de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants en cas de retour au Nigeria.
Par ailleurs, vous ne faites pas état de risques émanant d'une violence aveugle résultant d'un conflit armé interne ou international.
Votre nouvelle demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusées comme non fondée au sens de l'article 19 §1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.
La présente décision vaut ordre de quitter le territoire.
La décision de rejet de votre demande de protection internationale est susceptible d'un recours en réformation devant le Tribunal administratif. Ce recours doit être introduit par requête signée d'un avocat à la Cour dans un délai d'un mois à partir de la notification de la présente.
Un recours en annulation devant le Tribunal administratif peut être introduit contre l'ordre de quitter le territoire, simultanément et dans les mêmes délais que le recours contre la décision de rejet de votre demande de protection internationale. Tout recours séparé sera entaché d'irrecevabilité.
Je vous informe par ailleurs que le recours gracieux n'interrompt pas les délais de la procédure. (…) » Par requête déposée le 4 décembre 2007, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre du 5 novembre 2007 en ce qu’elle porte rejet de sa demande en obtention d’une protection internationale comme étant non fondée, ainsi qu’à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire luxembourgeois inclus dans la même décision.
1.
Quant au recours visant la décision du ministre du 5 novembre 2007 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19 (3) de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit, lequel est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a dès lors pas lieu de se prononcer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de ce recours, le demandeur expose plus particulièrement qu’il appartiendrait à la minorité bosniaque et que de ce fait, ainsi que du fait qu’il ne comprendrait et ne parlerait pas l’albanais, il aurait fait l’objet de persécutions graves et répétées de la part de la population albanaise.
Il expose qu’il aurait été contraint de se rendre en Bosnie pour pouvoir bénéficier de soins médicaux convenables, étant donné que les médecins albanais soit refuseraient de traiter des patients issus de minorités, soit les traiteraient à dessein avec négligence.
Il affirme encore qu’un individu armé aurait pénétré dans sa maison, que sa maison aurait été ensuite saccagée et pillée, et qu’on lui aurait volé des vivres ainsi qu’une vache.
Le demandeur relate par ailleurs avoir fait l’objet de plusieurs agressions alors qu’il circulait en voiture et que des individus auraient une fois tenté de lui voler son véhicule tout en réussissant, une seconde fois, à lui voler son argent, ses papiers d’identité ainsi que son permis de conduire.
Il souligne de surcroît ne pas posséder de logement au Kosovo, mais avoir été hébergé par son oncle paternel qui avait travaillé au sein de la police serbe, de sorte que le demandeur serait ainsi « associé aux structures serbes du Kosovo », ce qui le désignerait en cas de retour au Kosovo comme cible des Albanais.
Le demandeur estime dès lors, au vu des persécutions subies, répondre aux critères de qualification du statut de réfugié politique. Il se prévaut encore de la situation actuelle au Kosovo pour en déduire un risque réel que les persécutions subies auparavant se reproduisent en cas de retour au Kosovo et il se prévaut à cet égard d’un rapport de l’UNHCR du mois de juin 20061.
Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.
Sur question expresse du tribunal administratif, les parties ont encore, par le biais d’un mémoire complémentaire, pris position par rapport à la situation actuelle du Kosovo au vu en particulier de la déclaration d’indépendance unilatérale du Kosovo en date du 17 février 2008.
La partie étatique insiste dans son mémoire complémentaire en substance sur les circonstances de ladite proclamation d’indépendance, caractérisées par la volonté affichée du 1 UNHCR Position on the Continued International Protection Needs of Individuals from Kosovo, June 2006.
nouveau gouvernement de respecter et d’intégrer les minorités du Kosovo.
Elle souligne encore le fait que les seuls incidents à déplorer à l’occasion de ladite proclamation d’indépendance sont à attribuer à des Serbes.
Par ailleurs, prenant appui sur divers rapports du Bundesasylamt der Bundesrepublik Österreich, du Bundesamt für Migration und Flüchtlinge allemand, de l’International Crisis Group et du Home Office britannique, la partie étatique relève la normalisation de la situation sécuritaire au Kosovo, restée calme et stable, en particulier en ce qui concerne la minorité bosniaque.
Le demandeur, pour sa part, insiste notamment sur les conclusions du prédit rapport de l’UNHCR de 2006, pour ensuite souligner que son village d’origine ne constituerait pas une enclave au Kosovo et que la situation, en particulier après la déclaration d’indépendance, y demeurerait instable et dangereuse.
En ce qui concerne le fond du litige, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 2 a) de la loi précitée du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire, tandis que la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 c) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».
L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social ainsi que le prévoit l’article 2 a) de la loi modifiée du 5 mai 2006.
Il convient en effet de relever que l’octroi de la protection internationale n’est pas uniquement conditionné par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.
Or il y a lieu de rappeler à ce sujet que si le demandeur avait affirmé, dans le cadre de sa première demande d’asile, avoir été agressé à plusieurs reprises par des inconnus en raison de son appartenance à la minorité bosniaque, le tribunal administratif 2avait à l’époque retenu que « les faits relatés par le demandeur, consistant notamment en des vols et cambriolages, relèvent de la criminalité de droit commun. Il n’établit pas non plus qu’il ne bénéficie pas d’une protection de la part des autorités compétentes. En effet, le contraire semble résulter de son récit, alors que les auteurs de menaces et d’insultes à son encontre ont dû lui présenter 2 Trib. adm., 4 décembre 2006, n° 21471.
des excuses suite à l’intervention des autorités du village », ce raisonnement ayant encore été confirmé par la Cour administrative3.
Dans le cadre de la présente demande, le demandeur, outre de mentionner à nouveau dans sa requête introductive d’instance les faits précédemment écartés par le tribunal administratif et par la Cour administrative, a affirmé lors de son audition qu’un ministre bosniaque serait intervenu afin de l’empêcher de retourner au Kosovo, alors que lui-même aurait eu l’intention d’y retourner volontairement. Il affirme qu’il risquerait en effet d’être persécuté au Kosovo du fait que son oncle, qui l’aurait prétendument adopté, serait considéré « comme un très mauvais policier serbe […] qui travaille actuellement encore comme policier, mais en Serbie ». Il affirme par ailleurs encore, sans autres précisions, avoir subi des menaces au Kosovo et même au Luxembourg.
Le tribunal se doit à ce sujet de partager les doutes mis en avant par le ministre, résultant du fait que le demandeur n’avait, dans le cadre de sa précédente demande d’asile, ni mentionné le fait qu’il aurait été adopté par son oncle, ni avoir eu des problèmes du fait de la profession de son père adoptif, le demandeur n’ayant pas fourni de réponses par rapport aux interrogations soulevées par le ministre.
Force est encore de constater que si le demandeur affirme dans sa requête introductive d’instance avoir dû se rendre en Bosnie pour y recevoir des soins médicaux adéquats, une telle affirmation ne ressort ni du rapport d’audition du demandeur, ni d’une quelconque autre pièce du dossier.
Or il échet de rappeler que le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demandes de protection internationale, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation générale existant dans son pays d’origine. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur, la crédibilité d’un demandeur de protection internationale constituant en effet un élément d’appréciation fondamental dans l’appréciation de la justification d’une demande d’asile, spécialement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut4.
A partir des éléments ci-avant relatés, il y a lieu de retenir que le demandeur n’a pas fait état d’une manière crédible d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef.
Par ailleurs, au-delà du caractère douteux du récit du demandeur, à supposer que celui-
ci soit véridique, force est de constater que la seule persécution dont il fait actuellement état réside dans le fait que des Albanais pourraient le persécuter du fait de la profession de son oncle et père adoptif. Or un tel risque, qui, à admettre que l’oncle du demandeur l’ait effectivement adopté et soit effectivement policier, n’est étayé par aucun élément concret du dossier, le demandeur se contentant à ce sujet de vagues allégations, ne revêt pas une gravité telle qu’il justifierait, dans le chef du demandeur une crainte actuelle de persécution telle que sa vie serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.
3 Cour adm., 29 mars 2007, n° 22373C.
4 Cour adm. 21 juin 2007, n° 22858C, non encore publié.
Il convient de surcroît de relever que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des Bosniaques, est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève.
A cet égard, il y a lieu de constater que suivant le rapport de l’UNHCR de juin 2004 sur la situation des minorités au Kosovo, la situation de sécurité générale des Bosniaques pendant la période observée s’étalant entre janvier 2003 et le 15 mars 2004 est restée stable.
Ainsi il est relaté que « As in the previous reporting period, the security situation of Kosovo Bosniaks (…) remained stable with no major ethnically motivated incidents.5» et tout particulièrement: « In Mitrovice/a region, no further security incidents targeting Bosniaks were reported. In the urban Albanian-dominated south Mitrovice/a, Bosniaks were starting to speak their mother tongue when visiting municipal buildings and services although Bosniak being spoken in the streets was rarely heard, particularly in the south. There was a slight improvement in freedom of movement, notably as Bosniaks in the north started to travel to the south in private vehicles. Bosniaks both in the south and the north accessed basic services without any impediments. Bosniak children on both sides of the river continued to access education on their ‘side’6», tandis que le rapport de l’UNHCR de mars 2005 relatif à la protection et au rapatriement de personnes du Kosovo7 insiste sur le fait que la minorité bosniaque notamment semble être mieux tolérée (« With regard to Ashkaelia, Egyptian as well as Bosniak and Gorani communities these groups appear to be better tolerated »).
Plus généralement, dans la dernière version actualisée de cette prise de position sur la protection et le rapatriement de personnes du Kosovo datant de juin 2006, l’UNHCR souligne que : « Since the issuance of UNHCR’s March 2005 position paper, the overall security situation in Kosovo has progressively improved. The number of members of minorities working at the central Institutions of Provisional Self-Government (PISG) and in the Kosovo Protection Corps (KPC) has increased; freedom of movement has generally progressed; a number of important steps have been taken to reinforce the protection of property rights; and an Inter-Ministerial Commission to monitor minorities’ access to public services has been established8».
Il convient de surcroît de relever que l’UNHCR ne reprend en 2006 plus les membres de la minorité des Bosniaques parmi le chapitre « groups at risk ». En effet, il limite ses considérations à la population serbe du Kosovo, ainsi qu’aux Roms et aux Albanais se trouvant dans une situation de minorité et à celle des Ashkali et Egyptiens.
Enfin, il convient encore de relever que selon l’ « Operational Guidance note » émise par le Home Office britannique en date du 12 février 2007 en ce qui concerne la situation au Kosovo9, « although Bosniaks may be subject to discrimination and / or harassment in Kosovo this does not generally reach the level of persecution. Considering the suffiency of 5 Update on the Kosovo Roma, Ashkaelia, Egyptian, Serb, Bosniak, Gorani and Albanian communities in a minority situation, UNHCR Kosovo, June 2004, p. 24.
6 Update on the Kosovo Roma, Ashkaelia, Egyptian, Serb, Bosniak, Gorani and Albanian communities in a minority situation, UNHCR Kosovo, June 2004, p. 27.
7 UNHCR Position on the Continued International Protection Needs of Individuals from Kosovo, March 2005, p.4.
8 UNHCR Position on the Continued International Protection Needs of Individuals from Kosovo, June 2006, p.3.
9 Home Office, Operational Guidance note – Republic of Serbia (Kosovo), 12 février 2007, n° 3.15.8.
protection available and the option of internal relocation, in the majorrity of cases it is unlikely that a claim bases solely on a fear of persecution because of Bosniak ethnicity will qualifiy for a grant of asylum or Humanitarian Protection and cases from this category of claim are likely to be clearly unfounded », tandis que pour le « Bundesasylamt der Bundesrepublik Österreich », « für Angehörige anderer Minderheiten (z.B. ethnische Türken, Bosniaken) ist die Sicherheitslage im Kosovo stabil »10.
C’est partant à juste titre que le ministre, au terme de l’analyse de la situation du demandeur, a déclaré sa demande d’asile sous analyse comme étant non fondée.
En ce qui concerne le refus du ministre d’accorder au demandeur le bénéfice de la protection subsidiaire telle que prévue par la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 2, e) de la loi modifiée du 5 mai 2006 précitée, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire», « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 37 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Le demandeur conteste à ce sujet le refus ministériel afférent en affirmant avoir subi pendant des années des persécutions graves et répétées au Kosovo.
Force est à ce sujet de relever, d’une part, que le tribunal vient de retenir ci-avant que le demandeur, à admettre la véracité de ses nouvelles allégations, n’est pas exposé à un risque grave, mais que son récit ne fait que traduire un sentiment général d’insécurité, et d’autre part, que la définition d’atteintes graves de l’article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 précité implique par ailleurs toujours une individualisation des atteintes graves, alors que « les risques auxquels la population d’un pays ou une partie de la population est généralement exposés ne constituent normalement pas en eux-mêmes des menaces individuelles à qualifier d’atteintes graves11 ».
Il s’ensuit que le demandeur reste en défaut, au-delà de ces simples allégations, ayant d’ailleurs en partie déjà été auparavant écartées par les juridictions administratives, et du sentiment d’insécurité partagé vraisemblablement par tous les membres de minorités ethniques au Kosovo, d’avancer un quelconque élément concret permettant au tribunal de retenir qu’il risquerait personnellement de subir des atteintes graves au sens du prédit article 37.
Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.
10 Bundesasylamt der Bundesrepublik Österreich, Feststellung Kosovo, März 2008.
11 Directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004, considérant 26.
2.
Quant au recours en annulation visant la décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 5 novembre 2007 portant ordre de quitter le territoire Si le demandeur sollicite certes l’annulation de l’ordre de quitter le territoire, il reste cependant en défaut de formuler utilement un quelconque moyen de légalité, voire seulement d’invoquer une quelconque base légale susceptible d’étayer ses prétentions, de sorte que le tribunal, compte tenu des conclusions retenues ci-avant, ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire.
Par ces motifs le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit en la forme le recours principal en réformation contre la décision ministérielle du 5 novembre 2007 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le recours subsidiaire en annulation ;
reçoit en la forme le recours en annulation contre la décision déférée portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 5 mai 2008 par :
Mme Lenert, vice-président, Mme Thomé, premier juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Lenert 11