GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 24051 C Inscrit le 11 février 2008
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Audience publique du 29 avril 2008 Appel formé par Monsieur …, … contre un jugement du tribunal administratif du 10 janvier 2008 (n° 23474 du rôle) rendu sur son recours dirigé contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de protection internationale (article 19 L 5.5.2006)
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Vu la requête d’appel inscrite sous le numéro 24051C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 11 février 2008 par Maître Pascale Petoud, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom Monsieur …, né le … (province du …/République démocratique du Congo), de nationalité congolaise, demeurant à …, dirigée contre un jugement du tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg du 10 janvier 2008 (n° 23474 du rôle) déclarant non fondé son recours tant en ce qu’il tend à la réformation de la décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 29 août 2007 portant refus d’une protection internationale qu’en ce qu’il vise l’annulation de l’ordre de quitter le territoire luxembourgeois contenu dans la même décision ministérielle ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 27 février 2008 par Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul Reiter ;
Vu les pièces versées au dossier et notamment le jugement entrepris ;
Le rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique du 22 avril 2008, lors de laquelle Maître Pascale Petoud et Madame le délégué du gouvernement Claudine Konsbrück se sont rapportées aux écrits respectifs de leurs parties.
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En date du 11 décembre 2006, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection.
Par décision du 29 août 2007, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministre », rejeta cette demande comme étant non fondée et exprima à l’encontre du demandeur l’ordre de quitter le territoire luxembourgeois.
Par requête déposée le 28 septembre 2007 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … fit introduire contre cette décision ministérielle un recours tendant, d’une part, à sa réformation en ce qu’elle emporte rejet de la protection internationale sollicitée et, d’autre part, à son annulation dans la mesure de l’ordre de quitter le territoire y exprimé.
Par jugement du 10 janvier 2008 (n° 23474 du rôle) le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, déclara ce recours recevable et non fondé dans ses deux volets et en débouta le demandeur avec charge des frais.
Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 11 février 2008, Monsieur … entreprend le jugement précité du 10 janvier 2008. Suivant le dispositif de sa requête d’appel, il conclut à ce qu’il plaise à la Cour administrative : « recevoir le présent appel en la forme ;
partant réformer, sinon annuler la décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 29 août 2007, par laquelle la demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection a été déclarée non fondée ;
dire que c’est à tort que le sieur … s’est vu refuser principalement sa demande d’asile politique et subsidiairement sa demande de protection subsidiaire par décision du 29 août 2007 ;
dire que le sieur … bénéficie principalement du statut de réfugié politique, et subsidiairement de la protection subsidiaire, rétroactivement au jour de sa demande ;
annuler la décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 29août 2007 valant ordre de quitter le territoire ;
renvoyer le dossier en prosécution devant le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration ;
mettre les frais des deux instances à charge de l’Etat ;
réserver à l’appelant tous autres droits, dus, moyens et actions ».
L’Etat intimé déclare en premier lieu se rapporter à la sagesse de la Cour quant à la recevabilité de l’appel en ce que l’appelant sollicite à titre principal la réformation et non l’annulation du jugement de première instance. Pour le surplus et quant au fond, l’Etat déclare se rallier pleinement aux développements et conclusions du tribunal dans le jugement dont appel.
Considérant que la partie publique conteste la recevabilité de l’appel, encore qu’il faille souligner que l’appelant demande à la Cour de réformer sinon d’annuler la décision ministérielle en ce qu’elle porte refus de la protection internationale sollicitée, ainsi que de l’annuler dans la mesure de l’ordre de quitter le territoire luxembourgeois y contenu ;
Considérant qu’au titre de la recevabilité de l’appel, il convient de préciser tout d’abord que la Cour administrative, sur requête d’appel, est appelée à statuer non pas directement à l’encontre de la décision administrative déférée au fond, mais par rapport au jugement entrepris suivant les dispositions légales en vigueur ;
Considérant que suivant l’article 19 (3) de la loi modifiée du 5 mai 2006 précitée « contre les décisions de refus de la demande de protection internationale, un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif, Contre l’ordre de quitter le territoire, un recours en annulation est ouvert devant le tribunal administratif. Les deux recours doivent faire l’objet d’une seule requête introductive, sous peine d’irrecevabilité du recours séparé » ;
Que d’après le paragraphe (4) du même article 19 « contre les décisions du tribunal administratif, appel peut être interjeté devant la Cour administrative statuant comme juge de l’annulation » ;
Considérant que l’article 3 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif est conçu comme suit :
« 1) Le tribunal administratif connaît en outre comme juge du fond des recours en réformation dont les lois spéciales attribuent connaissance au tribunal administratif.
2) Sauf dispositions contraires de la loi, appel peut être interjeté devant la Cour administrative contre les décisions visées au paragraphe premier » ;
Que l’article 2 (3) de ladite loi modifiée du 7 novembre 1996 prévoit que : « Sauf dispositions contraires de la loi, appel peut être intenté devant la Cour administrative contre les décisions du tribunal administratif » statuant sur le recours en annulation de droit commun y visé ;
Considérant que par essence l’appel remet la chose jugée en question devant les juridictions d’appel pour qu’il soit à nouveau statué en fait et en droit ;
Que si l’appel peut être général ou partiel, suivant l’étendue des prétentions de la partie appelante formulées dans la requête d’appel – conformément à l’article 41 (1) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives – le contrôle à exercer par la juridiction d’appel est a priori le même que celui exercé par les premiers juges, sauf à ce qu’il l’est par une juridiction d’un degré supérieur ;
Considérant qu’il s’agit pour la juridiction d’appel de statuer à nouveau en fait et en droit à l’instar des juges de première instance ;
Considérant que si relativement aux décisions portant ordre de quitter le territoire, la loi prévoit à chaque fois que le tribunal, puis la Cour statuent comme juge de l’annulation en les paragraphes (3) et (4) respectifs de l’article 19, il n’en est pas ainsi concernant les décisions de refus de la demande de protection internationale ;
Que pour ces dernières, l’article 19 (3) prévoit un recours en réformation ouvert devant le tribunal administratif, tandis que sur appel interjeté, la Cour administrative statue comme juge de l’annulation ;
Considérant que la voie de recours visée expressis verbis par l’article 19 (4) est l’appel interjeté devant la Cour administrative ;
Considérant que le fait par la juridiction d’appel de ne pas statuer suivant la même étendue d’attribution que les premiers juges ne correspond pas à la définition classique d’un appel ;
Que dans la limite des appels interjetés en matière de refus de la demande de protection internationale, où les premiers juges ont connu d’un recours en réformation, le bout de phrase de l’article 19 (4) suivant lequel : « Appel peut être interjeté devant la Cour administrative statuant comme juge de l’annulation » est dès lors sujet à interprétation ;
Considérant que l’intention du législateur peut être engagée du commentaire des articles du projet de loi (doc. parl. 5437, page 33) comme suit : « les paragraphes 3 et 4 maintiennent le principe de double degré de juridiction tout en apportant certains aménagements à la procédure actuelle. L’appel peut être interjeté devant la Cour administrative qui statuera comme juge de l’annulation, c’est-à-dire elle examinera uniquement les moyens de légalité mais ne se prononcera pas sur le fond. Le Gouvernement s’inspire notamment de la loi française qui prévoit un recours et une possibilité de cassation devant le Conseil d’Etat. Les délais de recours, ainsi que l’effet suspensif des recours sont maintenus » ;
Considérant que par référence à l’article 2 (1) de loi modifiée du 7 novembre 1996 précitée, la juridiction administrative appelée à statuer comme juge de l’annulation connaît des moyens tirés de l’incompétence, de l’excès et détournement de pouvoir, de la violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, par opposition au recours en réformation prévu par l’article 3 (1) de la même loi, suivant lequel la juridiction administrative statue comme juge du fond ;
Qu’afin de ménager à l’appel ainsi désigné par l’article 19 (4) de la loi du 5 mai 2006 précitée un caractère effectif, compte tenu de l’intention exprimée par le législateur, il convient de le considérer comme étant dirigé, en tant que recours en annulation suivant les cinq cas d’ouverture prévus par l’article 2 (1) de loi modifiée du 7 novembre 1996, non pas à l’encontre de la décision déférée au fond, mais du jugement entrepris ;
Considérant que par conséquent la mission de la Cour consiste – dans la limite des prétentions formulées –, d’une part, à contrôler la régularité externe du jugement entrepris comprenant les questions de compétence juridictionnelle, de procédure et de forme et, d’autre part, à contrôler le bien-fondé dudit jugement comprenant, au titre essentiellement de la violation de la loi, un contrôle de l’erreur de droit avec détermination du champ d’application de la règle de droit et interprétation de cette dernière, ainsi qu’un contrôle de l’exactitude matérielle des faits pris en considération, en tenant compte de la situation de droit et de fait au jour où le jugement a été rendu, la vérification des faits matériels incluant le contrôle de la proportionnalité entre la situation de fait telle qu’elle se présente et l’application du droit par le jugement entrepris ;
Considérant que force est à la Cour de constater qu’en l’occurrence l’appelant ne conclut point à l’annulation du jugement entrepris, tout comme sa requête d’appel ne contient aucun moyen de nature à amener utilement la juridiction d’appel à statuer comme juge d’annulation face au jugement critiqué ;
Considérant qu’en invitant la Cour à statuer directement par rapport à la décision ministérielle critiquée au fond et en sollicitant la réformation, sinon l’annulation quant à son volet de refus de protection internationale ainsi que l’annulation par rapport au volet de l’ordre de quitter le territoire, l’appelant demande à la Cour de statuer pareillement aux juges de première instance et méconnaît ainsi l’office de la juridiction de seconde instance tel que délimité par les paragraphes (3) et (4) de l’article 19 de la loi modifiée du 5 mai 2006, la Cour administrative étant appelée à statuer comme juge de l’annulation à l’encontre du jugement du tribunal administratif lui soumis ;
Considérant qu’il convient encore de rappeler que les termes juridiques employés par un professionnel de la postulation sont à appliquer à la lettre, ceci plus précisément concernant la nature du recours introduit ainsi que de son objet, tel que cerné en seconde instance à travers la requête d’appel, dont plus particulièrement son dispositif ;
Considérant qu’il s’ensuit que la requête d’appel n’a saisi la Cour que d’une demande en réformation, sinon en annulation de la décision ministérielle du 29 août 2007 en question, mais non pas d’une demande d’annulation du jugement du 10 janvier 2008 ;
Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties ;
déclare l’appel du 11 février 2008 irrecevable ;
condamne l’appelant aux dépens de l’instance d’appel.
Ainsi délibéré et jugé par :
Georges RAVARANI, président, Francis DELAPORTE, vice-président, Henri CAMPILL, premier conseiller, et lu par le président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en-tête, en présence du greffier en chef de la Cour Erny MAY.
s. MAY s. RAVARANI Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 29 avril 2008 Le greffier de la Cour administrative 6