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24/04/2008 | LUXEMBOURG | N°23378

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 24 avril 2008, 23378


Tribunal administratif N° 23378 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 août 2007 Audience publique du 24 avril 2008 Recours formé par Madame …, et Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 23378 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 août 2007 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de

l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à Bérane (Monténégro), de natio...

Tribunal administratif N° 23378 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 août 2007 Audience publique du 24 avril 2008 Recours formé par Madame …, et Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 23378 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 août 2007 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à Bérane (Monténégro), de nationalité monténégrine, et de son fils, Monsieur …, né le … à Bérane, de nationalité monténégrine, demeurant ensemble à L-… tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 1er juin 2007 portant rejet de la demande d’autorisation de séjour de Madame … ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 novembre 2007 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Olivier LANG et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Par courrier du 3 avril 2007 de son mandataire, Madame … introduisit une demande en obtention d’une autorisation de séjour au Grand-Duché de Luxembourg auprès du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre ».

Par décision du 1er juin 2007, le ministre refusa d’octroyer la prédite autorisation, décision libellée comme suit :

« (…) En réponse à votre courrier du 3 avril 2007, par lequel vous sollicitez une autorisation de séjour dans le chef de Madame …, j’ai le regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête.

En effet, une autorisation de séjour ne saurait être délivrée à l’intéressée, alors qu’elle ne dispose pas de moyens personnels suffisants permettant d’assurer son séjour au Grand-Duché indépendamment de l’aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s’engager à lui faire parvenir, conformément à l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers.

Par conséquent, comme l’intéressée se trouve en séjour irrégulier, elle est invitée à quitter le pays sans délai. (…) » Par requête déposée le 29 août 2007, Madame …, ainsi que son fils, Monsieur … ont fait introduire le recours en annulation à l’encontre de la décision de refus précitée du 1er juin 2007.

Etant donné que la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main d’œuvre étrangère ne prévoit pas de recours de pleine juridiction, seul un le recours en annulation a pu être introduit, lequel recours est encore recevable dans la mesure où il a été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs reprochent au ministre d’avoir fait abstraction des éléments de fait et de droit lui soumis à l’appui de la demande et ainsi de ne pas avoir répondu aux moyens de la demanderesse. Le ministre aurait fondé sa décision uniquement sur le fait que la demanderesse ne disposerait pas de moyens personnels suffisants, sans avoir tenu compte de l’invocation du droit à la vie privée et familiale de Madame …. Ainsi, les demandeurs soutiennent que la décision ministérielle violerait l’article 8 de la CEDH, ci-après désignée par « CEDH », qui constituerait une norme supérieure au droit national. Le refus d’octroi d’une autorisation de séjour violerait par ailleurs l’article 8 § 2 CEDH, dans la mesure où il comporterait une ingérence injustifiée dans la vie privée et familiale des demandeurs. A titre subsidiaire les demandeurs estiment que Madame … devrait pouvoir bénéficier du droit au regroupement familial. Ils dégagent trois critères de la jurisprudence des juridictions administratives luxembourgeoises pour pouvoir bénéficier du droit au regroupement familial, qu’ils estiment être remplis en l’espèce. Finalement, ils demandent que l’Etat luxembourgeois soit condamné à leur payer une indemnité de procédure d’un montant de 1.500.-€, en vertu de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs. Le refus d’octroyer une autorisation de séjour serait motivé sur base de l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972, par le défaut de moyens d’existence personnels. Quant au moyen invoqué tiré de la violation de l’article 8 de la CEDH, le représentant étatique estime que pour qu’il puisse y avoir ingérence dans une vie familiale, il faudrait l’existence préalable d’une vie familiale effective, résultant non seulement d’un lien de parenté, mais d’un lien de fait réel. Quant au regroupement familial, il estime que la vie familiale devrait avoir existé avant l’immigration, et que l’article 8 de la CEDH ne constituerait pas une garantie pour un étranger d’être accueilli dans l’Etat où sont établis les membres de sa famille. Par ailleurs, si ledit article 8 garantit le droit au respect d’une vie familiale, il n’impliquerait pas le droit de choisir librement l’installation géographique de cette famille.

Concernant le motif de refus relatif au défaut de moyens d’existence personnels, il y a lieu de relever que l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 dispose que « l’entrée et le séjour au Grand-Duché de Luxembourg pourront être refusés à l’étranger : (…) – qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour », impliquant qu’un refus de délivrer une autorisation de séjour au pays peut être décidé notamment lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers.

En l’espèce, les demandeurs ne contestent pas que Madame … ne dispose pas de moyens d’existence personnels suffisants, mais ils reprochent au ministre de s’être basé uniquement sur ce défaut de moyens personnels pour rejeter sa demande. Ils versent néanmoins à l’appui de leur demande des déclarations de prises en charge établies par les quatre enfants pour le compte de Madame ….

Ceci étant, il y a toutefois lieu de rappeler que ne sont pas à considérer comme moyens personnels une prise en charge signée par un membre de la famille des personnes souhaitant obtenir la délivrance d’une autorisation de séjour au Luxembourg, ainsi qu’une aide financière apportée à ces personnes par un tel membre de la famille1.

En effet, si dans sa teneur antérieure à la loi du 18 août 1995, l’article 2 n’exigeait pas la preuve de moyens suffisants et personnels pour supporter les frais de voyage et de séjour, la loi du 18 août 1995, modifiant la loi précitée du 28 mars 1972, en ajoutant l’adjectif « personnels », a dissipé les doutes possibles quant à la teneur de la disposition en question.

Il s’ensuit que les quatre déclarations de prise en charge signées respectivement par Monsieur …, Monsieur … …, Madame … … et Monsieur … … en faveur de leur mère, ne peuvent être prises en considération afin d’établir l’existence de moyens personnels suffisants dans le chef de Madame ….

Si le refus ministériel se trouve dès lors, en principe, justifié à suffisance de droit par le défaut de moyens d’existence personnels suffisants dans le chef de Madame …, il y a encore lieu d’analyser le moyen basé sur l’existence de raisons humanitaires permettant d’accorder une autorisation de séjour.

Dans ce contexte, il convient de rappeler que si le contrôle juridictionnel propre à un recours en annulation ne saurait en principe aboutir à priver l’autorité administrative de son pouvoir d’appréciation, il n’en reste pas moins que, confronté à une décision relevant d’un pouvoir d’appréciation étendu, le juge administratif, saisi d’un recours en annulation, est appelé à vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration, sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute et s’ils sont de nature à justifier la décision, de même qu’il peut examiner si la mesure prise ne comporte pas une erreur manifeste d’appréciation2.

L’article 8 de la CEDH dispose que :

«1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions 1 cf. trib. adm. 9 juin 1997, n° 9781 du rôle, Pas. adm. 2006, v° « Etrangers », n° 100 et autres références y citées 2 cf : trib. adm. 12 février 2003, n° 15238 du rôle, confirmé par Cour adm. 4 novembre 2003, n° 16173C du rôle, Pas. adm. 2006, v° Recours en annulation, n° 17 pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

Sans remettre en cause la compétence de principe de chaque Etat de prendre des mesures en matière d’entrée, de séjour et d’éloignement des étrangers, l’article 8 de la CEDH implique que l’autorité étatique investie du pouvoir de décision en la matière n’est pas investie d’un pouvoir discrétionnaire, mais qu’en exerçant ledit pouvoir, elle doit tenir compte du respect au droit de la vie privée et familiale des personnes concernées.

Il y a dès lors lieu d’examiner en l’espèce si la vie privée et familiale dont font état les demandeurs pour conclure dans leur chef à l’existence d’un droit à la protection d’une vie familiale par le biais des dispositions de l’article 8 de la CEDH, rentre effectivement dans les prévisions de ladite disposition de droit international qui est de nature à tenir en échec la législation nationale.

Dans ce contexte, force est de constater qu’un parent ne disposant d’aucun revenu lui permettant de subvenir à ses propres besoins a le droit d’être pris en charge et le cas échéant d’habiter auprès de l’un de ces enfants, sur base notamment de l’article 8 CEDH, à condition que dans son pays d’origine il n’existe aucun descendant ou proche parent susceptible de le prendre en charge3.

En l’espèce, il ressort des pièces versées en cause, non contestées par la partie étatique, notamment d’une attestation du 2 novembre 2006 établi par le président de la communauté légale de Trpezi, que Madame … vivait seule depuis que son mari était décédé et que ses enfants avaient quitté le pays pour rejoindre le Grand-Duché de Luxembourg. Il ressort encore de la prédite attestation que la demanderesse est malade et ne dispose de personne pour prendre soin d’elle dans son pays d’origine.

Il se dégage par ailleurs des pièces versées en cause, que les quatre enfants de la demanderesse sont établis au Grand-Duché de Luxembourg et que Monsieur …, dont le contrat de travail à durée indéterminée est versé en cause, est en mesure et disposé à accueillir et héberger sa mère au Luxembourg. Par ailleurs, il ressort des pièces versées en cause, ainsi que des déclarations faites par le mandataire des demandeurs lors de l’audience des plaidoiries premièrement que Madame … ne dispose d’aucun revenu à l’exception de l’argent que lui font parvenir ses enfants et deuxièmement que la demanderesse n’a pas d’autres enfants, à part ceux établis au Grand-Duché de Luxembourg.

Dans la mesure où Madame … ne dispose plus d’aucun membre de famille en mesure de la prendre en charge dans son pays d’origine et dans la mesure où ses quatre enfants résident au Grand-Duché de Luxembourg et qu’au moins un d’entre eux est en mesure et disposé de la prendre en charge et de l’héberger, elle peut valablement faire valoir son droit au regroupement familial, afin d’exercer au Luxembourg son droit à une vie privée et familiale.

Ainsi, le refus de délivrer une autorisation de séjour ne respecte pas son droit au regroupement familial et constitue de surplus une ingérence illégale dans son droit au respect à la vie privée et familiale.

Dans ces conditions, le ministre, en basant sa décision de refus d’octroyer une autorisation de séjour uniquement sur le défaut de moyens d’existence personnels dans le chef 3 cf. : trib. adm. 12 décembre 2002, no 14789 du rôle, Pas adm. 2006, vo « Etrangers », no 227 et autres références y citées et trib.adm. 15 nars 2003, no 15074 du rôle, Pas. adm. 2006, vo « Etrangers », no 219 de Madame … et en n’analysant pas l’existence de raisons humanitaires dans son chef, a méconnu l’article 8 de la CEDH et a ainsi commis une erreur manifeste d’appréciation des faits tels qu’ils lui ont été soumis, de sorte qu’il y a lieu d’annuler la décision de refus du 1er juin 2007.

La demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 1.500.-€ formulée par les demandeurs, en vertu de l’article 33 de la loi précitée du 21 juin 1999, est à rejeter, étant donné qu’ils n’établissent pas à suffisance de droit pour quelle raison il serait inéquitable de laisser à leur charge les frais non compris dans les frais de justice.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en annulation ;

au fond, le déclare justifié, partant annule la décision ministérielle du 1er juin 2007 refusant de faire droit à la demande en obtention d’une autorisation de séjour en faveur de Madame … ;

renvoie le dossier en prosécution de cause devant le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par les demandeurs ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président ;

Françoise Eberhard, juge ;

Lexie Breuskin, juge ;

et lu à l’audience publique du 24 avril 2008 par le premier vice-président, en présence du greffier Claude Legille.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 23378
Date de la décision : 24/04/2008

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2008-04-24;23378 ?

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