Tribunal administratif N° 23683 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 novembre 2007 Audience publique du 23 avril 2008 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers
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JUGEMENT
Vu la requête, inscrite sous le numéro 23683 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 20 novembre 2007 par Maître Pascale PETOUD, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Addis/Abeba (Ethiopie), de nationalité éthiopienne, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 9 mai 2007 refusant de faire droit à sa demande tendant à se voir délivrer principalement une autorisation de séjour pour raisons humanitaires, sinon subsidiairement, un statut de tolérance, ainsi que d’une décision confirmative, rendue sur recours gracieux, le 20 août 2007;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 janvier 2008 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Pascale PETOUD, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Jacqueline GUILLOU-JACQUES en leurs plaidoiries respectives.
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Après avoir introduit en date du 19 janvier 2005 une demande d’asile au Grand-
Duché de Luxembourg, Monsieur … s’est vu refuser la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés par une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après « le ministre », du 18 avril 2006, telle que confirmée, sur recours gracieux, en date du 17 mai 2006.
Le recours contentieux introduit par Monsieur … à l’encontre de ces décisions ministérielles fut définitivement rejeté par un arrêt de la Cour administrative du 13 mars 2007 (n° 22372C du rôle).
Par courrier de son mandataire du 19 avril 2007, Monsieur … fit introduire une demande tendant principalement à l’octroi d’une autorisation de séjour pour raisons humanitaires, sinon subsidiairement à l’obtention d’un statut de tolérance au sens de l’article 22 (2) de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, dénommée ci-après « loi du 5 mai 2006 », au motif notamment que Monsieur …, en sa qualité d’opposant politique, et en considération de la situation politique en Ethiopie, courait le risque de subir un emprisonnement ainsi que des actes de torture en cas de retour dans son pays d’origine.
Par décision du 9 mai 2007, le ministre refusa de faire droit à cette demande. Cette décision est libellée comme suit :
« J'ai l'honneur de me référer à votre courrier du 19 avril 2007, dans lequel vous sollicitez une autorisation de séjour sur base humanitaire sinon le statut de tolérance pour votre mandant.
Je suis toutefois au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande d'autorisation de séjour. En effet, selon l'article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1° l'entrée et le séjour des étrangers ; 2° le contrôle médical des étrangers ; 3° l'emploi de la main-d'œuvre étrangère, la délivrance d'une autorisation de séjour est subordonnée à la possession de moyens d'existence personnels suffisants légalement acquis permettant à l'étranger de supporter ses frais de séjour au Luxembourg, indépendamment de l'aide ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s'engager à lui faire parvenir. Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que votre mandant se trouve en séjour irrégulier au pays et qu'il ne fait pas état de raisons humanitaires valables justifiant une autorisation de séjour au Luxembourg.
Je ne suis également pas en mesure de donner une suite favorable à votre demande en obtention du statut de tolérance basée sur l'article 22 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, étant donné qu'il n'existe pas de preuves que l'exécution matérielle de l'éloignement de votre mandant serait impossible en raison de circonstances de fait.
La présente décision est susceptible d'un recours en annulation devant le Tribunal administratif. Ce recours doit être introduit par requête signée d'un avocat à la Cour dans un délai de trois mois à partir de la notification de la présente. » Le recours gracieux introduit par courrier du mandataire de Monsieur … en date du 9 août 2007 à l’encontre de la décision ministérielle du 9 mai 2007 fut rejeté par décision du ministre du 20 août 2007. Ladite décision est de la teneur suivante :
« J'ai l'honneur de me référer à votre recours gracieux du 9 août 2007, concernant la demande d'autorisation de séjour pour raisons humanitaires, respectivement la demande en obtention du statut de tolérance en faveur de Monsieur ….
Après avoir procédé au réexamen du dossier de votre mandant, je suis toutefois au regret de vous informer qu'à défaut d'éléments pertinents nouveaux, je ne saurais réserver une suite favorable à votre demande et je ne peux que confirmer ma décision du 9 mai 2007, notifiée le 9 mai 2007, dans son intégralité. » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 20 novembre 2007, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation des décisions ministérielles précitées des 9 mai et 20 août 2007.
Le recours ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de son recours, le demandeur fait état de la situation politique préoccupante régnant en Ethiopie et expose que depuis les manifestations estudiantines qui auraient eu lieu en 1993 et qui auraient été suivies de son arrestation ainsi que de son internement dans un camp militaire par le gouvernement éthiopien, il serait enregistré en tant qu’opposant politique et risquerait de faire l’objet d’un emprisonnement et de subir des actes de torture en cas de retour dans son pays d’origine, de sorte que son éloignement du territoire luxembourgeois ne serait pas « possible ».
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en soutenant tout d’abord que, concernant le volet de la demande d’autorisation de séjour pour raisons humanitaires, le demandeur se trouverait incontestablement en situation irrégulière au Luxembourg depuis le rejet définitif de sa demande d’asile, à savoir depuis le 13 mars 2007 et qu’il ne disposerait pas de moyens d’existence suffisants requis au vœu de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, dénommée ci-après « loi du 28 mars 1972 ». Il s’y ajouterait que l’octroi d’une autorisation de séjour pour raisons humanitaires serait une question de pure opportunité qui devrait échapper au contrôle de légalité que le tribunal administratif serait invité à effectuer dans le cadre du recours sous analyse. Les raisons humanitaires invoquées par le demandeur auraient toutes été examinées dans le cadre du recours contentieux introduit à l’encontre de la décision de refus de l’octroi du statut de réfugié qui aurait abouti au rejet définitif de sa demande par un arrêt de la Cour administrative du 13 mars 2007, de sorte qu’il n’aurait pas fourni de motifs suffisants pour pouvoir prétendre à une autorisation de séjour dite « pour raisons humanitaires ».
Concernant le volet de la demande ayant trait à l’octroi d’un statut de tolérance, le délégué du gouvernement estime que le demandeur aurait manqué à faire état de raisons matérielles qui l’empêcheraient de regagner son pays d’origine, telles qu’exigées par l’article 22 (2) de la loi du 5 mai 2006, de sorte que ce serait à bon droit que le ministre aurait décidé de ne pas lui attribuer un statut de tolérance pour rester provisoirement au Luxembourg.
En ce qui concerne la demande d’autorisation de séjour pour raisons humanitaires, il convient de rappeler en premier lieu que conformément aux dispositions de l’article 2 de la loi du 28 mars 1972, « l’entrée et le séjour au Grand-Duché de Luxembourg pourront être refusés à l’étranger :
- qui est dépourvu de papiers de légitimation prescrits, et de visa si celui-ci est requis, - qui est susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics, - qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».
Force est au tribunal de constater que les décisions litigieuses sont fondées quant à ce volet sur le fait non utilement contesté en cause que le demandeur ne dispose pas de moyens d’existence personnels, de sorte que le ministre a valablement pu lui refuser une autorisation de séjour en se fondant sur le prédit motif. Il échet encore de retenir que le demandeur reste en défaut d’invoquer un quelconque moyen en fait ou en droit susceptible d’énerver la régularité de ce volet de la décision litigieuse, de sorte que celle-ci est en principe légalement motivée.
En ce qui concerne les raisons, qualifiées d’humanitaires, avancées par le demandeur aux fins de justifier l’obtention de l’autorisation de séjour sollicitée, en se référant à la situation politique en Ethiopie et aux conséquences éventuelles dans son chef en cas de retour dans son pays d’origine, il convient de rappeler que si le contrôle juridictionnel propre à un recours en annulation ne saurait en principe aboutir à priver l’autorité administrative de son pouvoir d’appréciation, il n’en reste pas moins que, confronté à une décision relevant d’un pouvoir d’appréciation étendu, le juge administratif, saisi d’un recours en annulation, est appelé à vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration, sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute et s’ils sont de nature à justifier la décision, de même qu’il peut examiner si la mesure prise n’est pas manifestement disproportionnée par rapport aux faits établis, en ce sens que cette disproportion laisse entrevoir un usage excessif du pouvoir par l’autorité qui a pris la décision, voire un détournement du même pouvoir par cette autorité1.
L’article 14, alinéa dernier, de la loi précitée du 28 mars 1972 dispose que « l’étranger ne peut être expulsé, ni éloigné à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou qu’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».
S’il est vrai que cette disposition ne vise expressis verbis que des mesures d’expulsion ou d’éloignement pour les interdire dans les hypothèses y visées, il n’en reste pas moins que le ministre, lorsqu’il est confronté à une demande d’autorisation de séjour de la part d’étrangers qui se prévalent valablement de menaces pour leur vie ou leur liberté ou d’un risque d’être exposés à des traitements visés par cette disposition dans leur pays d’origine et qui ne sauraient partant faire l’objet d’une mesure de rapatriement, commettrait un excès de pouvoir en usant de la marge d’appréciation lui conférée par l’article 2 de la loi du 28 mars 1972, même dans l’hypothèse où un motif de refus y prévu se trouve vérifié, de manière à refuser à ces personnes une autorisation de séjour et à les laisser, nonobstant leur droit à ne pas être expulsées ou éloignées par les autorités luxembourgeoises vers leur pays d’origine, dans une situation de séjour irrégulier2.
Le tribunal est cependant amené à constater que Monsieur … fait essentiellement état de la situation générale en Ethiopie, ainsi que de craintes simplement hypothétiques qu’il est susceptible d’éprouver en cas de retour dans son pays d’origine, sans fournir d’éléments pertinents et précis de nature à établir qu’un retour en Ethiopie risque effectivement de l’y exposer à l’une des menaces telles que prévues par l’article 14, alinéa dernier de la loi du 28 mars 1972.
Au vu des développements qui précèdent, il y a lieu de retenir que les éléments avancés par Monsieur …, à savoir une arrestation unique, suivie d’un internement en 1993, abstraction faite de toutes considérations relatives à leur véracité, ne sauraient suffire pour qu’une autorisation de séjour pour raisons humanitaires doive lui être délivrée.
1 cf. trib. adm. 12 février 2003, n° 15238 du rôle, confirmé par Cour adm. 4 novembre 2003, n° 16173C du rôle, Pas. adm. 2006, V° Recours en annulation, n° 17.
2 cf. trib. adm. 15 février 2007, n° 21626 du rôle, non encore publié Il suit de ce qui précède qu’une violation des articles 14, alinéa dernier de la loi du 28 mars 1972 et 3 de la Convention européenne des droits de l’homme ne saurait être retenue en l’espèce.
Il s’ensuit que le recours en annulation est à rejeter comme étant non fondé, dans la mesure où il est dirigé contre le premier volet des décisions sous analyse.
Concernant le deuxième volet des décisions litigieuses, portant refus de délivrer au demandeur un statut de tolérance, contre lequel le recours a également été introduit, il échet tout d’abord de rappeler qu’aux termes de l’article 22 (1) de la loi du 5 mai 2006 « si le statut de réfugié est refusé au titre des articles 19 et 20 qui précèdent, le demandeur sera éloigné du territoire », tandis que l’article 22 (2) dispose que « si l’exécution matérielle de l’éloignement s’avère impossible en raison de circonstances de fait, le ministre peut décider de tolérer l’intéressé provisoirement sur le territoire jusqu’au moment où ces circonstances de fait auront cessé ».
Il se dégage du libellé de la disposition légale précitée que la faculté pour le ministre de tolérer provisoirement l’intéressé sur le territoire n’est susceptible d’être exercée que dans l’hypothèse spécifique où l’exécution matérielle de l’éloignement s’avère impossible en raison de circonstances de fait, de sorte que le ministre est tenu de vérifier au préalable si cette condition d’application est vérifiée dans le chef d’un demandeur en obtention d’un statut de tolérance.
Le demandeur entend en l’espèce se prévaloir en substance des mêmes faits que ceux soumis au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration dans le cadre de sa demande tendant à se voir délivrer une autorisation de séjour pour raisons humanitaires, qui rendraient tout retour dans son pays d’origine, à savoir l’Ethiopie, impossible.
Force est cependant en l’espèce de constater que le demandeur ne prend pas position par rapport au cadre légal spécifique de l’article 22 (2) précité, mais, comme relevé ci-
avant, il réitère des arguments relatifs à sa situation personnelle en Ethiopie ainsi qu’à la situation générale de ce pays, arguments qui ne sont pas, comme retenu ci-avant, de nature à rencontrer la condition légale d’une impossibilité d’exécution matérielle du rapatriement du demandeur.
Il s’ensuit que le recours en annulation, dans la mesure où il est dirigé contre ce deuxième volet des décisions sous analyse, est également à rejeter comme étant non fondé.
D’autres moyens n’ayant pas été invoqués à l’appui du recours sous analyse, celui-ci est à déclarer non justifié.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
donne acte au demandeur de ce qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Martine Gillardin, premier juge, Lexie Breuskin, juge, et lu à l’audience publique du 23 avril 2008 par le premier vice-président, en présence du greffier Claude Legille.
Legille Schockweiler 6