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23/04/2008 | LUXEMBOURG | N°23337

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 23 avril 2008, 23337


Tribunal administratif N° 23337 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 août 2007 Audience publique du 23 avril 2008 Recours formé par Monsieur …, … contre un arrêté grand-ducal en matière de statut des fonctionnaires

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 23337 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 13 août 2007 par Maître Jean-Marie BAULER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur â€

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Tribunal administratif N° 23337 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 août 2007 Audience publique du 23 avril 2008 Recours formé par Monsieur …, … contre un arrêté grand-ducal en matière de statut des fonctionnaires

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 23337 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 13 août 2007 par Maître Jean-Marie BAULER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, conseiller de direction adjoint hors cadre auprès de l’administration de l’Enregistrement et des Domaines, demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’un arrêté grand-ducal du 27 avril 2007 lui refusant sa nomination aux fonctions de conseiller de direction hors cadre ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 décembre 2007 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 10 janvier 2008 par Maître Jean-Marie BAULER, au nom du demandeur ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 février 2008 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté grand-ducal critiqué ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Jean-Marie BAULER et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 17 mars 2008.

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Monsieur … fut nommé conseiller de direction adjoint hors cadre (grade 14) avec effet au 1er juillet 2004 après avoir passé avec succès l’examen-concours en vue de l’accès à la carrière supérieure auprès de l'administration de l'Enregistrement et des Domaines.

En date du 16 février 2007, Monsieur … demanda au directeur de l'administration de l'Enregistrement et des Domaines de pouvoir bénéficier d'un avancement et d'accéder ainsi aux fonctions de conseiller de direction première classe en les termes suivants :

« Je me permets respectueusement de vous saisir de ce qui suit.

J’ai été nommé, conjointement avec Monsieur …, conseiller de direction adjoint hors cadre (grade 14) auprès de l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines avec effet au 1er juillet 2004 (Mém. B-65/ 04, arr. g.-d. du 7 août 2004), pour avoir subi avec succès, ensemble avec Monsieur …, l’examen-concours en vue de l’accès à la carrière supérieure auprès de 1’Administration de l’Enregistrement et des Domaines.

Monsieur … a été nommé sous-directeur (grade 16) avec effet au 1er juin 2006 (Mém.

B-44/06 – arr. g.-d. du 26 mai 2006), puis directeur adjoint (grade 16) avec effet au 1er décembre 2006 (Mém. B-79/06 – arr. g.-d. du 16 novembre 2006).

J’estime dès lors être en droit d’avancer, conformément à l’article 6, alinéa 3, de la loi du 14 novembre 1991 fixant les conditions et les modalités de l’accès du fonctionnaire à une carrière supérieure à la sienne. Aussi me permets-je d’annexer en copie, à toutes fins utiles, le certificat de qualification en management public requis pour l’accès au cadre fermé de la carrière supérieure (Article 1er, paragraphe III, point 2 de la loi du 28 mars 1986 portant harmonisation des conditions et modalités d’avancement dans les différentes arrières des administrations et services de l’État).

Si un avancement n’est pas encore intervenu en ma faveur, cela est dû, je suppose, au fait qu’il a été adopté à mon égard le même point de vue que celui que le Ministre des Finances, tout en se référant à un avis du Ministre de la Fonction Publique, vous a communiqué le 2 octobre 2006 à l’égard de mon collègue Monsieur … dont vous aviez continué la demande en promotion avec proposition conforme au Ministre des Finances.

Dans la mesure où tel est le cas, je demande que les arguments développés au niveau ministériel soient reconsidérés.

J’estime pour ma part que rien n’ empêche que les dispositions de l’article 6, alinéa 3, de ladite loi du 14 novembre 1991 soient en l’occurrence applicables de manière à entraîner l’avancement dans mon chef jusqu’au grade 16.

En effet, ladite disposition ne saurait pouvoir donner lieu à une appréciation arbitraire de la part de l’autorité de nomination. Du moment qu’aucun motif légalement fondé ne s’oppose à l’avancement, celui-ci doit à mon avis être accordé. Par ailleurs il a été jugé par le tribunal administratif que, pour l’accès au cadre fermé (en l’occurrence le passage du grade 14 au grade 15), il doit être procédé sur base du tableau d’avancement (comme prévu par la prédite loi du 28 mars 1986 qui est également applicable en l’espèce, cf.

article 19 de la loi du 14 novembre 1991 dont question ci-avant), l’autorité de nomination n’ayant à cet égard aucun pouvoir discrétionnaire d’appréciation.

L’argument que Monsieur … serait passé dans une carrière supérieure spécifique, celle du sous-directeur voire celle du directeur, est à mon avis dénué de base légale, aucune preuve de l’existence d’une telle carrière spécifique n’ayant été apportée et la prédite loi du 14 novembre 1991 ne permettant pas une telle différenciation. Sur la base de l’article 6, alinéa 3 de cette loi, je me vois en droit d’avancer jusqu’au grade 16 suite à l’atteinte, par Monsieur …, d’une fonction classée au grade 16. Aussi, si l’accès au grade 15 du fonctionnaire de référence permet à son collègue se trouvant au grade 14 d’avancer, a fortiori l’accès au grade 16 doit-il entraîner un avancement conséquent.

Finalement, on ne peut pas légitimement invoquer que l’avancement d’un fonctionnaire hors cadre ne puisse en l’occurrence se faire que par référence à des fonctionnaires se trouvant dans le cadre, le texte de la loi ne permettant tout simplement pas de tirer une telle conclusion. Aussi, l’avancement du soussigné ne perturberait, précisément en raison de la mise hors cadre, aucunement les perspectives de carrière des fonctionnaires se situant dans le cadre.

Ayant pris conseil auprès de la Confédération Générale de la Fonction Publique respectivement auprès de l’avocat qui m’a été recommandé par celle-ci, à savoir Me Jean-

Marie Bauler, je demande que me soit accordé l’avancement jusqu’au grade 16 sur la base de l’article 6, alinéa 3, de la prédite loi du 14 novembre 1991, et, dans l’hypothèse où il serait considéré qu’un tel avancement doit s’étaler sur deux promotions, que j’obtienne immédiatement le grade 15 pour être ensuite promu au grade 16. Pour le cas où la présente demande donnerait lieu à un refus, je demande que ce refus fasse l’objet d’un acte – en l’occurrence un arrêté grand-ducal motivé – susceptible d’un recours devant le tribunal administratif. (…) » Par arrêté grand-ducal en date du 27 avril 2007, le demandeur se vit refuser sa nomination aux fonctions de conseiller de direction première classe à l'administration de l'Enregistrement et des Domaines (grade 16) libellé comme suit :

« Vu la demande introduite le 16 février 2007 par Monsieur …, conseiller de direction adjoint hors cadre à l'administration de l'enregistrement et des domaines, en obtention d'une promotion aux fonctions de conseiller de direction hors cadre ;

Considérant que Monsieur … invoque la loi du 14 novembre 1991 fixant les conditions et les modalités de l'accès du fonctionnaire à une carrière supérieure à la sienne pour conclure à un défaut de nomination dans son chef par l'autorité supérieure en raison de la nomination d'un fonctionnaire de la carrière de l'attaché de gouvernement, de rang égal, de la même administration aux fonctions de sous-directeur, ce qui, selon l'intéressé, aurait dû entraîner sa promotion aux fonctions de conseiller de direction hors cadre ;

Considérant cependant que le fonctionnaire en question, depuis sa nomination aux fonctions de sous-directeur, a accédé à un poste déterminé classé dans une carrière hiérarchiquement supérieure et n'est donc plus un fonctionnaire de rang égal ou immédiatement inférieur à la nomination duquel l'intéressé pourrait se référer pour solliciter une promotion parallèle, conformément aux dispositions légales précitées ;

Qu'il s'en suit que, en vertu des mêmes dispositions, l'intéressé ne pourra bénéficier d'une promotion que si son homologue de rang égal ou immédiatement inférieur faisant partie du cadre de la carrière de l'attaché de gouvernement à l'administration de l'enregistrement et des domaines bénéficie d'une promotion aux fonctions de conseiller de direction (…) ».

Par requête déposée le 13 août 2007, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de cet arrêté grand-ducal du 27 avril 2007.

Aucune disposition légale ne prévoit un recours de pleine juridiction en matière de promotion, que celle-ci soit sollicitée dans le cadre du régime de droit commun ou dans celui particulier de la carrière ouverte tel qu’instauré part la loi du 14 novembre 1991fixant les conditions et les modalités de l’accès du fonctionnaire à une carrière supérieure à la sienne, de sorte que le tribunal n’est pas compétent pour connaître du recours principal en réformation.

Le recours subsidiaire en annulation, par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait en substance plaider que l'arrêté grand-

ducal déféré serait entaché de nullité pour violer l'article 6, alinéa 3 de la loi du 14 novembre 1991 qui fixe les conditions et modalités de l'accès du fonctionnaire à une carrière supérieure à la sienne.

Prenant référence à la carrière de Monsieur …, qui fut nommé conseiller de direction adjoint hors cadre (grade 14) auprès de l'administration de l'Enregistrement et des Domaines avec effet au 1er juillet 2004 et sous-directeur (grade 16) avec effet au 1er juin 2006 et enfin directeur adjoint (grade 16) avec effet au 1er décembre 2006, le demandeur, qui souligne être titulaire du certificat de qualification en management public requis pour l'accès au cadre fermé de la carrière supérieure selon l'article 1er, paragraphe III, point 2 de la loi du 28 mars 1986 portant harmonisation des conditions des conditions et modalités d'avancement dans les différentes carrières des administrations et services de l'Etat, estime pouvoir, en application du prédit article 6, alinéa 3, prétendre à la promotion lui refusée.

Il souligne tout particulièrement le fait que Monsieur …, qui serait par rapport à lui-

même de rang égal, a été nommé sous-directeur (grade 16) par arrêté grand-ducal du 26 mai 2006, puis directeur adjoint (grade 16) par arrêté grand-ducal du 16 novembre 2006, de sorte que lui-même bénéficierait « irréfutablement » du droit d'obtenir un avancement équivalent au grade 16, tel que prévu par le prédit article 6 alinéa 3 de la loi du 14 novembre 1991 qui fixe les conditions et modalités de l'accès du fonctionnaire à une carrière supérieure à la sienne.

Il conteste à ce sujet l’interprétation retenue par l’administration et consistant à soutenir qu’il ne saurait, en sa qualité de fonctionnaire « hors cadre », bénéficier d’une promotion que par référence à un fonctionnaire, de rang égal ou immédiatement inférieur, faisant nécessairement partie du cadre.

Il conteste encore que les fonctions de sous-directeur et de directeur adjoint de Monsieur … soient à considérer comme carrière spécifique, empêchant par-là sa propre nomination.

Le délégué du Gouvernement, pour sa part, souligne que le système instauré par la loi du 14 novembre 1991 qui fixe les conditions et modalités de l'accès du fonctionnaire à une carrière supérieure à la sienne, ci-après « la loi « carrière ouverte » », nécessiterait pour sa mise en oeuvre un fonctionnaire de référence par rapport auquel le fonctionnaire occupant un emploi hors cadre pourra avancer dans le cadre fermé. Il précise que comme tout fonctionnaire placé hors cadre bénéficierait des avancements supplémentaires dans sa carrière par rapport à son homologue de rang égal ou à défaut par rapport au fonctionnaire de rang immédiatement inférieur de sa nouvelle carrière, ce fonctionnaire de référence devrait être un fonctionnaire faisant partie du cadre.

En l’espèce, Monsieur … ayant été nommé conseiller de direction adjoint hors cadre, il ne saurait faire figure de fonctionnaire de référence dans le cadre des avancements éventuels de Monsieur ….

A titre subsidiaire, la partie étatique relève que l'article 6, alinéa 3 de la loi « carrière ouverte » précise que le fonctionnaire de référence doit être de rang égal ou immédiatement inférieur, appartenir à la nouvelle carrière du fonctionnaire placé hors cadre et atteindre des fonctions de même grade que ceux auquel le fonctionnaire hors cadre pourra avancer. Or en l’espèce, Monsieur … n’aurait plus été, au moment où Monsieur … a prétendu à un avancement au grade 15, ni de rang égal ou immédiatement inférieur que le demandeur ni même de la même carrière.

Le délégué du Gouvernement souligne tout particulièrement que le terme « carrière supérieure » correspondrait à un terme générique et que les fonctions y énumérées seraient réparties entre elles en plusieurs carrières, de sorte que les fonctions du directeur adjoint et du directeur seraient des carrières à part et non pas un prolongement de la carrière supérieure « ordinaire » de l'attaché de Gouvernement. Il relève encore à ce sujet qu’aux termes de l'article 3, point a), alinéa 3 de la loi modifiée du 20 mars 1970 portant réorganisation de l'Administration de l'Enregistrement et des Domaines « la nomination aux fonctions de directeur et de directeur adjoint sont faites au gré du Gouvernement », de sorte que la nomination à ces postes ne présupposerait pas forcément l'appartenance à la carrière supérieure, de l'attaché de Gouvernement ou autre, avant cette nomination.

En outre, il relève que la fonction de sous-directeur serait à considérer comme fonction dirigeante au sens de la loi du 9 décembre 2005 déterminant les conditions et modalités de nomination de certains fonctionnaires occupant des fonctions dirigeantes dans les administrations et services de l'Etat, ce qui la distinguerait nettement des fonctions appartenant à la carrière supérieure de l'attaché de Gouvernement et auxquelles sont nommés les intéressés.

La partie étatique en déduit partant qu’il s’agirait de deux carrières distinctes, indépendantes et incomparables.

Le délégué du Gouvernement signale encore que la mise en œuvre des revendications du demandeur équivaudrait à le faire avancer du grade 14 au grade 16, de sorte à « sauter » un grade à l'intérieur d'une carrière, ce qui ne serait pas possible sans violer les délais d'attente prévus entre chaque avancement, et les conditions de pourcentage légalement fixés afin d'accéder voire d'avancer dans le cadre fermé.

Enfin et à titre encore plus subsidiaire, le délégué du Gouvernement relève que l'article 6, alinéa 3 de la loi « carrière ouverte » prévoit que le fonctionnaire hors cadre pourra avancer, de sorte qu’un fonctionnaire ne saurait se prévaloir d’un droit acquis, même à admettre qu'il remplisse les conditions y prévues, d'avancer aux fonctions du cadre fermé, la disposition en question prévoyant au contraire une simple faculté laissée à l'autorité investie du pouvoir de nomination.

Le litige soumis en l’espèce au tribunal a pour cadre l’article 6 de la loi « carrière ouverte », dont les dispositions pertinentes sont les suivantes :

« (Alinéa 1er ) Le fonctionnaire qui change de carrière est placé hors cadre dans sa nouvelle carrière au grade qui est immédiatement supérieur à celui qu’il avait atteint dans sa carrière initiale. (…) (Alinéa 3) Le fonctionnaire qui occupe un emploi hors cadre tel qu’il est défini à l’alinéa 1er du présent article pourra avancer hors cadre aux fonctions du cadre fermé de sa nouvelle carrière lorsque les fonctions de même grade sont atteintes par les fonctionnaires de rang égal ou immédiatement inférieur de sa nouvelle carrière. (…) (Alinéa 5) Pour le fonctionnaire ayant changé de carrière par application du chapitre IV de la présente loi le rang est fixé par la comparaison des dates respectives de la nomination au grade atteint par les intéressés par le fait du changement de carrière ».

Quant à la question soumise à l’appréciation du tribunal, celle-ci comporte un double volet, portant, d’une part, sur la question de savoir si le fonctionnaire de référence prévu à l’article 6, alinéa 3, cité ci-avant, doit, ainsi que le fait plaider la partie étatique, nécessairement faire partie du cadre, et, d’autre part, si le tribunal venait à infirmer cette interprétation, sur la question de savoir la nomination de Monsieur … aux fonctions de sous-

directeur, mise en exergue par le demandeur, est à prendre en compte au titre d’avancement de référence prévu à l’article 6, alinéa 3.

Force est de constater que l’article 6, alinéa 3 de la loi « carrière ouverte » ni ne prévoit explicitement l’appartenance du fonctionnaire de référence au cadre, ni n’exclut explicitement les fonctionnaires classés hors cadre de la possibilité de servir de fonctionnaire de référence pour leurs collègues également classés hors cadre.

S’il est certes vrai que devant un texte légal clair et précis il n’appartient pas au tribunal d’insérer des distinctions qui n’y figurent point ou d’interpréter une disposition légale au-delà des termes y employés, alors que des réflexions d’opportunité relatives par exemple à la gestion des plans de carrière ou de la fonction publique n’entrant plus particulièrement pas en ligne de compte, étant entendu qu’il appartient au seul pouvoir législatif de modifier une disposition légale, s’agissant là d’une décision exclusivement politique qui échappe au champ de compétence des juridictions, il n’en demeure pas moins que le tribunal est également tenu, lorsqu’il est appelé à interpréter une disposition légale en vue de son application, de procéder à une interprétation logique et systématique, c’est-à-dire d’interpréter une disposition déterminée en fonction de son contexte, ainsi qu’à une interprétation téléologique, c’est-à-dire en prenant en considération le but de la loi.

Force est, au regard de ces principes, de constater à titre liminaire que le texte tel que cité ci-avant oppose toujours au fonctionnaire « sans attribut » le « fonctionnaire qui occupe un emploi hors cadre » ou encore « le fonctionnaire ayant changé de carrière », de sorte à instaurer une différence sémantique entre le fonctionnaire « tout court » faisant partie du cadre, et son collège qui, ayant bénéficié d’un changement de carrière, est mis hors cadre.

Cette distinction sémantique se retrouve dans l’alinéa 3 de l’article 6 cité ci-avant qui oppose « le fonctionnaire qui occupe un emploi hors cadre » aux « fonctionnaires de rang égal ou immédiatement inférieur de sa nouvelle carrière », lesquels doivent être considérés, à défaut de toute précision, comme les fonctionnaires « normaux », c’est-à-dire les fonctionnaires faisant partie du cadre.

C’est dès lors à bon droit que la partie étatique, en insistant sur cette distinction opérée par le texte, fait plaider que le terme fonctionnaire, sans attribut supplémentaire, ne vise que le fonctionnaire « normal », c’est-à-dire se trouvant dans le cadre.

Au-delà de cette distinction sémantique, il convient encore de rappeler le but de la loi « carrière ouverte », qui consiste à permettre à des fonctionnaires méritants l’accès à des niveaux hiérarchiques qui dépassent ceux normalement atteints par leurs collègues qui ont fait les mêmes études, tout en veillant cependant à ce que ces fonctionnaires ayant changé de carrière ne perturbent pas les perspectives de carrière de fonctionnaires ou de stagiaires sur place1.

Ce dernier souci a été rencontré par le législateur en plaçant précisément ces fonctionnaires « hors cadre », c’est-à-dire en les excluant de l’échelle normale des promotions et avancements, où leur présence, en surnombre, aurait perturbé l’avancement des fonctionnaires en place.

Or il convient de préciser que la question en l’espèce est celle de l’accession, par le demandeur, au cadre fermé, accession qui, pour un fonctionnaire faisant partie du cadre, est en principe fonction du rang au tableau d'avancement et des places y ouvertes, de sorte qu’un fonctionnaire hors cadre doit être considéré, de par son exclusion de l’échelle normale des promotions et partant du tableau d'avancement, comme dépourvu de toute possibilité d’avancement autonome. C’est pour pallier à ce problème que le législateur a décidé d’associer l’avancement du fonctionnaire hors cadre à un fonctionnaire de référence « normal », faisant partie du cadre, le fonctionnaire hors cadre ne bénéficiant dès lors pas d’un avancement autonome, mais d’un avancement par référence.

Dès lors, la thèse défendue par le demandeur, consistant à admettre l’inclusion d’un fonctionnaire classé hors cadre parmi les autres fonctionnaires « de rang égal ou immédiatement inférieur » d’une même carrière susceptibles de servir de fonctionnaires de référence pour l’avancement d’un autre fonctionnaire classé hors cadre en application de la loi « carrière ouverte » aboutirait à une solution absurde, consistant à attacher l’avancement d’un premier fonctionnaire hors cadre à celui d’un second fonctionnaire hors cadre, qui, par définition, ne saurait lui-même pas avancer de manière autonome, mais devant, en bout du compte, se référer à l’avancement d’un fonctionnaire faisant partie du cadre, sous peine d’être à jamais exclu de tout avancement.

Il convient dès lors de retenir que la disposition litigieuse étant à interpréter et à appliquer dans le sens préconisé par la partie étatique, à savoir dans le sens que le fonctionnaire de référence auquel l’agent hors cadre est rattaché doit nécessairement être un fonctionnaire faisant partie du cadre, de sorte que l’autorité compétente a valablement pu refuser de tenir compte de la nomination de Monsieur … et, partant, a valablement pu refuser au demandeur la nomination sollicitée aux fonctions de conseiller de direction adjoint première classe (grade 16).

A titre superfétatoire, il convient encore de relever que tel que cité ci-avant et souligné par la partie étatique, seuls peuvent être pris en compte en tant que fonctionnaires de référence « les fonctionnaires de rang égal ou immédiatement inférieur de sa nouvelle carrière » lorsque ceux-ci ont atteint des fonctions de même grade que ceux auquel le fonctionnaire hors cadre pourrait avancer, le rang, aux termes de l’article 6, alinéa 5, de la loi « carrière ouverte », étant « fixé par la comparaison des dates respectives de la nomination au grade atteint par les intéressés par le fait du changement de carrière ».

En l’espèce, Monsieur … ayant été nommé directeur adjoint de grade 16 par arrêté grand-ducal du 16 novembre 2006, le demandeur, qui a été nommé conseiller de direction adjoint hors cadre (grade 14) avec effet au 1er juillet 2004, prend prétexte de cette nomination 1 Projet de loi n° 3415, session ordinaire 1989-1990, commentaire des articles, p.15.

en tant que directeur adjoint pour prétendre à une promotion aux fonctions de conseiller de direction hors cadre (grade 16).

S’il résulte des éléments du dossier versé aux débats que Monsieur … a été nommé conjointement avec Monsieur … conseiller de direction adjoint hors cadre (grade 14) avec effet au 1er juillet 2004 par changement de carrière, de sorte que le tribunal retient en l’état actuel du dossier que Monsieur … doit être considéré comme étant de rang égal à Monsieur …, en ce qui concerne la seconde condition inscrite à l’article 6, alinéa 3 précité, à savoir le fait que le fonctionnaire de référence atteint une fonction de même grade de la même carrière, il y a encore lieu de vérifier si la nomination de Monsieur … aux fonctions de directeur adjoint est à prendre en compte en tant qu’avancement au sein de la même carrière, le demandeur étant à ce sujet d’avis que la fonction de directeur adjoint ferait partie, au même titre que la fonction briguée de conseiller de direction, de la carrière supérieure de l’administration de l’Enregistrement et des Domaines, thèse que conteste la partie étatique.

Les différentes carrières de l’Etat sont a priori définies à l’annexe D de la loi modifiée du 22 juin 1963 fixant le régime des traitements des fonctionnaires de l’Etat, l’annexe A de la même loi définissant pour sa part les différentes fonctions par rapport aux différents grades.

Force est cependant à cet égard au tribunal de constater que la fonction de directeur adjoint de l’administration de l’Enregistrement et des Domaines ne figure ni à l’annexe A, ni à l’annexe D.

Il convient en revanche de relever que le règlement grand-ducal du 24 juillet 2007 fixant le nombre des emplois des différentes fonctions du cadre fermé pour les différentes carrières dans les administrations et services de l’Etat détermine en son article 3, relatif à l’administration de l’Enregistrement et des Domaines, la carrière supérieure de cette administration, au sein de laquelle elle fait figurer notamment le directeur adjoint.

Force est cependant de constater que cette disposition règlementaire modifie la loi modifiée du 20 mars 1970 portant réorganisation de l’administration de l’Enregistrement et des Domaines en y insérant précisément la fonction de directeur adjoint, fonction que cette administration ne connaissait jusqu’à cette date pas. En effet, la dernière adaptation législative de la carrière supérieure de l’administration de l’Enregistrement et des Domaines, telle qu’apportée par la loi du 2 août 2003 modifiant la loi modifiée du 20 mars 1970 portant réorganisation de l’administration de l’Enregistrement et des Domaines ne prévoyait du point de vue hiérarchique, au-dessus des fonctions de conseiller de direction première classe et de conseillers-informaticiens première classe que celles de sous-directeur et de directeur.

Il s’ensuit que la fonction de directeur-adjoint au sein l’administration de l’Enregistrement et des Domaines a été créée par le règlement grand-ducal du 24 juillet 2007 qui a modifié en ce point la loi modifiée du 20 mars 1970.

Le tribunal est cependant amené à écarter cette modification apportée par le règlement grand-ducal du 24 juillet 2007 en application de l’article 95 de la Constitution, un règlement grand-ducal, d’ordre hiérarchique inférieur, n’étant pas susceptible de modifier ou de déroger à une loi d’essence supérieure.

Force est dès lors de retenir qu’en l’état actuel de la législation la fonction de directeur adjoint de l’administration de l’Enregistrement et des Domaines, à défaut de base légale, ne saurait être considérée comme faisant partie de la carrière supérieure de l’administration de l’Enregistrement et des Domaines, voire de l’administration gouvernementale en général.

Le seul texte légal mentionnant la fonction de directeur adjoint consiste par conséquent en la loi du 9 décembre 2005 déterminant les conditions et modalités de nomination de certains fonctionnaires occupant des fonctions dirigeantes dans les administrations et services de l’Etat, qui, en son article 1er énumère parmi les différentes fonctions dirigeantes notamment celle de directeur adjoint.

Il résulte encore de cette loi que les fonctions dirigeantes se distinguent des autres fonctions de l’administration, d’une part, par leur durée, certes renouvelable, limitée à 7 ans, et, d’autre part, par le mode de nomination de leurs titulaires, la loi prévoyant explicitement en son article 2, point 5, que « les nominations [à ces fonctions dirigeantes] s’effectuent le cas échéant, en dehors des conditions d’examen-concours, de stage et d’examen de fin de stage ainsi que des autres conditions spéciales prévues par les lois et règlements applicables aux carrières (…) ».

Il convient encore de relever qu’aux termes de l’article 2, point 3 de la loi du 9 décembre 2005 précitée l’existence d’une fonction dirigeante est le cas échéant possible indépendamment de l’existence, au sein d’une administration donnée, d’une carrière supérieure. En d’autres termes, il est possible de prévoir, au sein d’une même administration, un poste de fonction dirigeante, classée du fait de son grade, comme relevant d’une carrière supérieure, et ce même à défaut d’existence au sein de cette administration, d’une telle carrière supérieure.

Il résulte dès lors de ces dispositions que les fonctions dirigeantes, si elles peuvent organiquement et hiérarchiquement s’intégrer au sein d’une carrière existante, relèvent cependant de fonctions sui generis qui ne constituent pas le prolongement normal d’une carrière donnée, accessibles par la voie d’un avancement normal.

Il ressort par conséquent des développements qui précèdent que la fonction particulière de directeur-adjoint de l’administration de l’Enregistrement et des Domaines n’est pas à considérer comme fonction normale de la carrière supérieure de cette administration, de sorte que la promotion de Monsieur … à cette fonction n’aurait en tout état de cause pas pu être retenue comme avancement de référence en application de l’article 6, alinéa 3 de la loi « carrière ouverte » susceptible de profiter au demandeur.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;

reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;

quant au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 23 avril 2008 par:

Mme Lenert, vice-président Mme Thomé, premier juge M. Sünnen, juge en présence de Monsieur Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 10


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 23337
Date de la décision : 23/04/2008

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2008-04-23;23337 ?

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