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20/03/2008 | LUXEMBOURG | N°22627,22663

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 mars 2008, 22627,22663


Tribunal administratif Nos 22627 et 22663 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrits les 2 et 8 mars 2007 Audience publique du 20 mars 2008

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Recours formés par Monsieur … et Madame … et consorts, … contre des décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

I.

Vu la requête inscrite sous le numéro 22627 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 mars 2008 par Maître Ardavan FATHOLAHZADE

H, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, ...

Tribunal administratif Nos 22627 et 22663 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrits les 2 et 8 mars 2007 Audience publique du 20 mars 2008

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Recours formés par Monsieur … et Madame … et consorts, … contre des décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers

-------------------------------

JUGEMENT

I.

Vu la requête inscrite sous le numéro 22627 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 mars 2008 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité capverdienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision implicite de refus du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration résultant du silence gardé par lui pendant un délai de plus de trois mois à la suite de l’introduction en date du 6 août 2006 d’une demande tendant au renouvellement de son autorisation de séjour ;

II.

Vu la requête inscrite sous le numéro 22663 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 mars 2008 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, préqualifié, au nom de Monsieur …, préqualifié, de sa concubine Madame …, née le … et de leurs enfants communs … …, … …, tous de nationalité capverdienne, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à l’annulation 1) d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 1er septembre 2006 refusant le renouvellement de l’autorisation de séjour à Madame … ainsi qu’aux enfants communs … …, … …, 2) d’une décision implicite de refus du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration résultant du silence gardé par lui pendant un délai de plus de trois mois à la suite de l’introduction en date du 1er décembre 2006 d’un recours gracieux et 3) d’une décision implicite de refus du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration refusant le renouvellement de la carte de séjour de Madame … ;

I. et II.

Vu la requête en abréviation des délais déposée le 14 mai 2007 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH pour compte des demandeurs ;

Vu l’ordonnance rendue par le premier vice-président du tribunal administratif en date du 15 mai 2007 faisant droit à la demande en abréviation des délais et fixant les délais pour déposer les mémoires en réponse, en réplique et en duplique ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 mai 2007 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 30 mai 2007 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH pour compte des demandeurs ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 17 septembre 2007 ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport complémentaire, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline GUILLOU-JACQUES en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 28 janvier 2008 à laquelle l’affaire a été refixée d’un commun accord pour continuation des débats et réexposée.

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Entrée sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg en 1994, Madame … bénéficia d’une autorisation de séjour jusqu’au 26 octobre 2000 et se trouva par la suite en situation irrégulière au pays. Le 13 octobre 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après « le ministre », délivra à Madame … et à ses enfants … … et Axel … une autorisation de séjour valable jusqu’au 31 mars 2006 avec la précision que cette autorisation de séjour n’était prorogeable que sur base d’un permis de travail délivré sur base d’un contrat de travail à durée indéterminée et à plein temps sur le premier marché de l’emploi.

Par une décision conjointe prise par le ministre de la Justice et le ministre du Travail et de l’Emploi le 6 septembre 2002, Monsieur … fit l’objet d’une régularisation sur place et se vit accorder un permis de travail et une autorisation de séjour valable jusqu’au 5 septembre 2003.

Par la suite, les permis de travail et de séjour de Monsieur … furent prorogés régulièrement et pour la dernière fois jusqu’au 21 avril 2006, suivant décisions du ministre prises en date des 22 avril et 2 mai 2005.

Par courrier du 6 août 2006, le mandataire des consorts … et … s’adressa au ministre pour se renseigner quant au sort réservé à la demande de ses mandants en vue d’un renouvellement de leur autorisation de séjour venue à expiration le 31 mars 2006.

Par décision du 1er septembre 2006, le ministre refusa de délivrer une nouvelle autorisation de séjour en faveur de Madame … et de ses enfants au motif que celle-ci ne bénéficia pas d’un permis de travail et qu’elle ne disposait pas de moyens d’existence personnels pour assurer ses frais de séjour et ceux de ses enfants au Grand-Duché de Luxembourg, tout en précisant que l’autorisation de séjour précitée du 13 octobre 2005 n’avait été délivrée qu’à titre tout à fait exceptionnel et qu’elle était uniquement prorogeable sur base d’un permis de travail.

Le 1er décembre 2006, Madame … et ses enfants introduisirent, par l’intermédiaire de leur conseil, un recours gracieux à l’encontre de la décision de refus précitée du 1er septembre 2006.

Le 7 mars 2007, le ministre refusa de donner une suite favorable au recours gracieux introduit par Madame … le 1er décembre 2006. Cette décision est libellée comme suit :

« J'accuse réception de votre recours gracieux du 1 décembre 2006 dans le chef de votre mandante Madame …, née le 5 septembre 1980, de nationalité cap-verdienne.

Suite à un réexamen du dossier de votre mandante, il me reste à conclure que depuis mon dernier courrier lui adressé en date du 1er août 2006, elle n'a pas fait le moindre effort pour se voir octroyer un permis de travail lui permettant de se procurer les moyens d'existence personnels suffisants légalement acquis, tels que prévus à l'article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l'entrée et le séjour des étrangers, lui permettant de subvenir à ses propres frais de séjour, de même qu'à ceux de ses enfants.

Par ailleurs, je ne saurais vérifier si son concubin, Monsieur … Germano … possède lui des moyens d'existence suffisants. En tout état de cause ces moyens d'existence ne seraient pas légalement acquis alors qu'il n'est pas en possession d'un permis de travail.

Dans ces conditions, je ne me vois pas en mesure de donner une suite favorable à votre recours gracieux. (…) » Par une première requête déposée au greffe du tribunal administratif le 2 mars 2007 et inscrite sous le numéro 22627 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation d’une décision implicite de refus du ministre résultant du silence gardé par lui pendant un délai de plus de trois mois à la suite de l’introduction en date du 6 août 2006 d’une demande tendant au renouvellement de son autorisation de séjour.

Par une deuxième requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 mars 2007 et inscrite sous le numéro 22663 du rôle, Monsieur … et sa concubine, Madame …, ainsi que leurs enfants communs … …, … …, ont fait introduire un recours tendant à l’annulation 1) d’une décision du ministre du 1er septembre 2006 refusant le renouvellement de l’autorisation de séjour à Madame … ainsi qu’aux enfants communs … …, … …, 2) d’une décision implicite de refus du ministre résultant du silence gardé par lui pendant un délai de plus de trois mois à la suite de l’introduction en date du 1er décembre 2006 d’un recours gracieux et 3) d’une décision implicite de refus du ministre refusant le renouvellement de la carte de séjour de Madame ….

Dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, il y a lieu de joindre les deux recours inscrits sous les numéros du rôle respectifs 22627 et 22663 afin d’y statuer par un seul et même jugement, dans la mesure où ils tendent au même objet, à savoir l’annulation des décisions portant refus d’une autorisation de séjour au profit des demandeurs à la suite d’une demande conjointe présentée le 6 août 2006.

Aucune disposition légale ne conférant compétence à la juridiction administrative pour statuer comme juge du fond en la présente matière, seul un recours en annulation a pu être introduit contre les décisions litigieuses.

Lors des plaidoiries à l’audience du 28 janvier 2008, le délégué du gouvernement a conclu à l’irrecevabilité des recours introduits en soutenant que les recours seraient devenus sans objet du fait de la délivrance de l’autorisation de séjour sollicitée.

Le mandataire des demandeurs, pour sa part, a insisté sur le fait que cette autorisation de séjour ne serait valable qu’à partir de la date à laquelle elle a été délivrée, en l’occurrence le 4 octobre 2007, de sorte qu’elle ne réglerait pas la question du séjour de ses mandants antérieurement à cette date. Ses mandants conserveraient dès lors un intérêt à agir en ce que le refus ministériel de leur accorder une autorisation de séjour leur aurait causé un préjudice, dès lors que la Caisse nationale des prestations familiales aurait suspendu le paiement des allocations familiales à défaut d’autorisation de séjour et qu’une décision d’annulation pourrait leur servir dans une instance introduite devant le Conseil arbitral des assurances sociales.

L’objet de la demande consistant dans le résultat que le plaideur entend obtenir est celui circonscrit dans le dispositif de la requête introductive d’instance, notamment par rapport aux actes ou décisions critiqués à travers le recours (cf. Cour adm. 13 juillet 2006, n° 20111C du rôle, Pas. adm. 2006, V° Procédure contentieuse, n° 198).

L’intérêt à agir d’une partie demanderesse s’analyse au jour du dépôt de la requête introductive d’instance (trib. adm. 27 juin 2001, n° 12485, confirmé par arrêt du 17 janvier 2002, n° 13800C, Pas. adm. 2006, V° Procédure contentieuse, n° 11).

En l’espèce, il n’est pas contesté qu’à la date du dépôt des recours sous analyse, à savoir les 2 et 8 mars 2007, les demandeurs ne bénéficiaient pas d’une autorisation de séjourner sur le territoire luxembourgeois. Il est encore constant, pour ressortir notamment d’une lettre du mandataire des demandeurs du 15 octobre 2007 à l’adresse du tribunal, que le ministre a délivré le 4 octobre 2007 aux consorts …-… une nouvelle autorisation de séjour valable à partir de cette même date.

Or, dans la mesure où l’autorisation de séjour qui a été délivrée le 4 octobre 2007 par le ministre est sans effet rétroactif, les demandeurs conservent intérêt à faire annuler les décisions de refus pour la période où les demandeurs ne disposaient pas d’une autorisation de séjour.

Le moyen d’irrecevabilité est partant à écarter sous cet aspect.

Les recours ayant par ailleurs été introduits suivant les formes et délai prévus par la loi, ils sont recevables.

Quant au recours introduit par Monsieur … Monsieur … prend un premier moyen d’annulation de la violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes. Il soutient que la décision implicite de refus encourrait l’annulation alors qu’elle serait dépourvue de motivation.

S’il est vrai que l’article 6 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979 dispose dans son alinéa 1er que toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux, consacrant ainsi expressément le principe général que toute décision administrative doit être légalement motivée, et dans son alinéa 2 que la décision doit formellement indiquer les motifs par l'énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base entre autres lorsqu'elle refuse de faire droit à la demande de l'intéressé, il n’en reste pas moins qu’une décision implicite de refus d’accéder à une demande, par la force des choses, ne respecte pas la condition de l’article 6, alinéa 2 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979. Or, dans la mesure où ledit règlement grand-ducal prévoit expressément en son article 7 la sanction de l'absence de motivation d'une décision administrative qui doit être motivée, à savoir que les délais de recours tant contentieux qu'administratifs ne courent qu'à partir de la communication des motifs, il s’ensuit qu’une décision implicite de refus ne saurait encourir l’annulation pour absence de motivation, à condition que les motifs de refus soient fournis en cours d’instance, ce qui a été le cas en l’espèce (cf. trib. adm. du 26 mai 2005, n°19351 du rôle, confirmé par arrêt de la Cour adm. du 10 janvier 2006, n° 19988C du rôle Pas. adm. 2006, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 50).

En effet, le délégué du gouvernement a précisé, à suffisance de droit, dans son mémoire en réponse, que la décision attaquée est basée sur ce que Monsieur … ne fournissait pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de séjour, tels qu’exigés par l’article 2 (3) de la loi précitée du 28 mars 1972, à défaut de disposer d’un permis de travail. Suite aux moyens et arguments présentés en cours d’instance, le demandeur n’a pas pu se méprendre sur les raisons qui ont amené le ministre à lui refuser l’autorisation de séjour et il a utilement pu préparer sa défense.

Le moyen tiré d’une absence ou d’une insuffisance de motivation est partant à abjuger.

Le demandeur soutient ensuite qu’il aurait été en séjour régulier et qu’il aurait disposé de moyens personnels suffisants pour supporter ses frais de séjour sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg. Il estime ainsi remplir les conditions des articles 2 et 5 de la loi précitée du 28 mars 1972, dès lors qu’il aurait travaillé auprès de l’administration des Ponts et Chaussées.

Le délégué du gouvernement résiste à cette argumentation en faisant valoir que le demandeur se serait trouvé en séjour irrégulier au pays depuis le 21 avril 2006 dans la mesure où il n’aurait pas sollicité un nouveau permis de travail depuis cette date et qu’à défaut de permis de travail, il ne pourrait pas se prévaloir de moyens d’existence suffisants au sens de l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972.

Le demandeur fait répliquer qu’il aurait travaillé au moins un an au Luxembourg avant que sa situation ne soit régularisée en 2001. Il aurait ensuite travaillé auprès de différents employeurs et depuis le 31 mars 2004, bénéficiant d’un permis de travail A, il aurait travaillé auprès d’une entreprise à Erpeldange jusqu’au 21 avril 2006, date à laquelle il aurait été licencié en raison d’une baisse des activités de son employeur. Il se serait alors inscrit auprès de l’administration de l’Emploi qui l’aurait assigné à l’administration des Ponts et Chaussées où il percevrait un revenu suffisant pour subvenir à ses besoins ainsi qu’à ceux de sa famille.

La légalité d’une décision administrative s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait existant au jour où elle a été prise. Il appartient au juge de vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration, sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute.

Conformément aux dispositions de l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972, « l’entrée et le séjour au Grand-Duché de Luxembourg pourront être refusés à l’étranger : (…) qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».

L’étranger qui, au moment de la prise de décision ministérielle, n’est pas en possession d’un permis de travail et, partant, pas autorisé à occuper un emploi au Luxembourg et à toucher des revenus provenant de cet emploi, ne justifie pas de l’existence de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour (cf. trib. adm. 28 juillet 1999, n° 10841 du rôle, Pas. adm. 2006, V° Etrangers, n° 176 et autres références y citées).

La seule preuve de la perception de sommes, en principe suffisantes pour permettre à l'intéressé d'assurer ses frais de séjour au pays, est insuffisante ; il faut encore que les revenus soient légalement perçus (cf. trib. adm. 15 avril 1998, n° 10376 du rôle, Pas. adm. 2006, V° Etrangers, n° 176 et autres références y citées) - Ne remplissent pas cette condition les revenus perçus par un étranger qui occupe un emploi alors qu'il n'est pas en possession d'un permis de travail et qu'il n'est dès lors pas autorisé à occuper un emploi au Grand-Duché de Luxembourg et toucher des revenus provenant de cet emploi (cf. trib. adm. 30 avril 1998, n° 10508 du rôle, Pas. adm. 2006, V° Etrangers, n° 176 et autres références y citées).

En l’espèce, le demandeur ne conteste pas qu’il ne disposait pas d’un permis de travail à la date à laquelle la décision de refus litigieuse a été prise, mais fait valoir qu’il aurait travaillé et perçu des revenus.

Or, c’est à tort que le demandeur entend justifier de l’existence dans son chef de moyens personnels suffisants par des rémunérations qu’il aurait perçu alors qu’il n’était pas en possession, au moment de la prise de décision, d’un permis de travail et il n’était dès lors pas autorisé à occuper un emploi au Grand-Duché de Luxembourg et à toucher des revenus provenant de cet emploi.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre a pu se baser sur le motif légal du défaut de moyens personnels légalement acquis au moment de la prise de la décision litigieuse pour refuser la délivrance d’une autorisation de séjour en faveur de Monsieur ….

Quant au recours introduit par les consorts …-… Les consorts …-… reprochent encore au ministre de s’être fondé sur l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 pour refuser à Madame … une autorisation de séjour sur base d’un défaut dans son chef de moyens d’existence personnels suffisants. Ils estiment qu’une telle exigence de la possession de revenus personnels suffisants serait critiquable dans la présente affaire dans la mesure où Madame … serait mère de trois enfants « et qu’il lui est quasiment impossible dans le cadre de l’intérêt supérieur de leurs enfants de se donner à une activité salariale ». De même, ils reprochent au ministre d’avoir motivé la décision de refus litigieuse du 1er septembre 2006 par la considération que l’autorisation de séjour n’était prorogeable que sur base d’un permis de travail, et de ne pas tenir compte des revenus dont dispose le couple.

Il ressort des éléments et pièces du dossier que le 13 octobre 2005, Madame … et ses enfants, en raison de leur situation familiale, se sont vu accorder à titre exceptionnel une autorisation de séjour valable jusqu’au 31 mars 2006, avec la précision que cette autorisation n’était prorogeable que si la demanderesse était titulaire d’un permis de travail.

Il n’est pas contesté par les demandeurs que Madame … ne disposait pas d’un permis de travail à la date à laquelle les décisions de refus litigieuses ont été prises.

Il s’ensuit que les revenus dont Madame … prétend avoir disposé à la date de la prise des décisions litigieuses, ne sauraient, pour les mêmes raisons que celles exposées ci-avant dans le cas de Monsieur …, valoir comme moyens d’existence suffisants légalement acquis, de sorte que le ministre a valablement pu se baser sur l’article 2 de la loi du 28 mars 1972 pour refuser à Madame … et à ses enfants une autorisation de séjour.

Cette conclusion n’est pas énervée par l’argumentation des demandeurs consistant à soutenir qu’il serait illégal, sinon inapproprié, sinon disproportionné d’exiger un permis de travail de la part d’un couple au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme installé au pays, respectivement d’exiger d’une mère de famille de s’adonner à une activité rémunérée. En effet, une autorisation de séjour peut être refusée, notamment lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants légalement perçus pour supporter les frais de voyage et de séjour au pays. Dès lors, c’est à tort que les demandeurs entendent justifier de l’existence de moyens personnels suffisants par les rémunérations du couple, alors qu’ils n’ont pas rapporté la preuve qu’ils étaient autorisés à travers un permis de travail à s’adonner à une activité rémunérée et qu’ils pouvaient partant disposer de moyens personnels propres suffisants et légalement acquis à la date de la prise des décisions de refus litigieuses. D’autre part, il convient de relever que Monsieur … et Madame …, s’il n’est pas contesté qu’ils forment un couple, ne sont toutefois pas mariés, de sorte que l’aide financière qu’ils peuvent s’apporter mutuellement n’est pas à considérer comme constituant des moyens personnels au sens de l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 (cf. trib. adm. 9 juin 1997, n°9781 du rôle, Pas. adm. 2006, V° Etrangers, n° 170, et autres références y citées).

Quant au moyen tiré de l’intérêt supérieur de l’enfant, force est de constater que les demandeurs restent en défaut de démontrer en quoi l’exigence de disposer de moyens d’existence personnels suffisants légalement acquis dans le chef d’une mère de famille violerait le principe de proportionnalité. Le moyen afférent laisse partant également d’être fondé.

Finalement, il convient encore d’examiner le moyen d’annulation tiré d’une violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, laquelle disposition est de nature à tenir en échec les dispositions légales et réglementaires nationales applicables en matière de droit des étrangers.

Les demandeurs font plaider dans ce contexte que les décisions de refus litigieuses porteraient une atteinte injustifiée et disproportionnée à leur droit au respect de leur vie privée et familiale. Ils soutiennent ainsi qu’ils mèneraient une vie familiale et qu’il leur serait impossible de s’installer ailleurs qu’au Luxembourg, étant donné qu’ils séjourneraient au Luxembourg de façon ininterrompue depuis 2000 et que des membres de la famille de Madame … résideraient également au Luxembourg.

L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (…).

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

S’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la Convention européenne des droits de l’homme ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la Convention.

Si la notion de vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme couvre tant le cas des couples mariés que des couples non mariés, il y a néanmoins lieu de vérifier d’abord si les demandeurs, qui ne sont pas mariés, peuvent se prévaloir d’une vie familiale effective, caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites ainsi que de vérifier, dans l’affirmative, si les décisions de refus de délivrance d’une autorisation de séjour a porté une atteinte injustifiée à cette vie familiale devant, le cas échéant, emporter leur annulation pour cause de violation de l’article 8 précité.

Il ressort des éléments présentés en cause par les demandeurs que Monsieur … séjourne au Grand-Duché de Luxembourg depuis au moins 2001 et que Madame … est installée au Luxembourg depuis 1994. Il n’est pas non plus contesté par le représentant étatique que Monsieur … et Madame … sont les parents d’une fille et d’un garçon nés au Luxembourg en 2003 et en 2006 et que Madame … a encore une fille née d’une autre relation en 2001 et qu’ils habitent tous ensemble.

Au vu de ces éléments, il y a lieu d’admettre que les demandeurs peuvent se prévaloir de l’existence d’une « vie familiale et privée », laquelle, même si elle n’a été créée par les demandeurs qu’une fois arrivés sur le territoire luxembourgeois, doit, au regard des circonstances de l’espèce, bénéficier de la protection prévue par l’article 8, paragraphe 1er de la Convention européenne des droits de l’homme, de sorte que les décisions refusant de leur accorder une autorisation de séjour s’analysent en une ingérence dans le droit des demandeurs au respect de leur vie privée et familiale.

Aux termes du paragraphe 2 de l’article 8 précité, il peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui.

Le délégué du gouvernement reste toutefois en défaut de faire état d’un élément précis et circonstancié de nature à justifier une ingérence par les autorités publiques luxembourgeoises dans l’exercice par les demandeurs de leur droit à leur vie privée et familiale pour l’un des motifs énoncés ci-dessus, et a fortiori, il n’a pas établi que les décisions litigieuses respectent un juste équilibre entre les intérêts en cause, de sorte qu’il y a violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours est fondé et que les décisions portant refus d’une autorisation de séjour en faveur des consorts …-… encourent l’annulation pour erreur manifeste d’appréciation des faits, sans qu’il y ait lieu de prendre position par rapport aux autres moyens et arguments développés par les demandeurs.

Il n’y a pas non plus lieu de renvoyer le dossier devant le ministre, étant donné qu’une autorisation de séjour a été délivrée aux demandeurs en cours d’instance contentieuse.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

prononce la jonction des recours inscrits sous les numéros du rôle respectifs 22627 et 22663 ;

reçoit les recours en annulation en la forme ;

au fond, les dit justifiés, partant annule les décisions déférées du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par :

Paulette Lenert, vice-président, Martine Gillardin, premier juge, Françoise Eberhard, juge, et lu à l’audience publique du 20 mars 2008 par le vice-président, en présence du greffier Claude Legille.

Legille Lenert 10


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 22627,22663
Date de la décision : 20/03/2008

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2008-03-20;22627.22663 ?

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