Tribunal administratif N° 23406 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 septembre 2007 Audience publique du 19 mars 2008 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière statut de réfugié
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 23406 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 septembre 2007 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Iran), de nationalité iranienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 10 juillet 2007 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée et lui ayant refusé le bénéfice de la protection subsidiaire telle que prévue par la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 10 août 2007 prise sur recours gracieux ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 novembre 2007 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 10 décembre 2007 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Madame le délégué du Gouvernement Marie-Anne KETTER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 février 2008.
Monsieur … introduisit en date du 17 août 2005 une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Il fut entendu le même jour par un agent du Service de Police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur son identité.
Il fut entendu les 17 novembre, 15 décembre 2005 et 20 avril 2006 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après « le ministère », ainsi que le 26 avril 2006 par la Commission consultative pour réfugiés, ci-après « la Commission », sur les motifs à la base de sa demande d’asile.
En date du 20 mars 2007, la Commission rendit son avis le 5 juillet 2007 qui est libellé comme suit :
« Demande de : Monsieur …, né le … , de nationalité iranienne (…) Saisine de la commission : le 20 mars 2007 Vu le rapport n°15/1454/05/HA du service de police judiciaire du 17 août 2005, le rapport des auditions des 17 novembre 2005, 15 décembre 2005 et 20 avril 2006 par l'agent du ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration, le rapport de l'audition complémentaire du 26 avril 2007 dirigée par la commission Vu les pièces versées par le demandeur Faits et procédure :
Le 17 août 2005, le sieur … a introduit une demande de reconnaissance de statut de réfugié au sens de la convention de Genève du 28 juillet 1951.
Le demandeur indique avoir quitté l'Iran environ 10 jours auparavant avec l'aide de passeurs dont il dit ignorer l'identité. Il aurait été amené au Luxembourg caché dans un poids lourd. Il aurait payé les passeurs sur ses fonds propres.
Ses documents d'identité lui auraient été volés lors du passage en Turquie. Le demandeur a versé copie du livret de famille de son épouse et du livret de mariage religieux.
Le demandeur explique avoir eu un magasin de GSM. C'est dans ce magasin qu'il aurait fait la connaissance de sa future épouse …. La brigade des mœurs aurait surpris les amants et les aurait obligés de se marier aussitôt. … n'aurait pas pu obtenir le consentement de ses parents, très religieux, qui étaient en pèlerinage à La Mecque ; la sœur et le beau-frère de … auraient été témoins. Les pièces produites documenteraient l'existence du mariage. En cas de mariage-« châtiment », le divorce ne serait pas permis.
La famille de … n'aurait appris l'existence du mariage que plus tard, alors que sa femme aurait déjà été enceinte. A ce moment, son père et lui-même auraient fait une demande en mariage auprès du père de … qui aurait refusé aurait eu un mandat d'arrêt contre lui. Le demandeur ignore si le père a également porté plainte contre sa fille.
Le beau-père aurait également décidé de le tuer, voire de tuer sa propre fille. A cet égard, le demandeur explique que des membres de sa belle-famille ou des tiers peuvent le tuer en prétextant un accident. L'auteur de l'homicide « involontaire » verserait à la famille de la victime le « dieh » ou « dyat », à savoir une somme d'argent forfaitaire qui met l'auteur des faits à l'abri de poursuites judiciaires. Comme son beau-père est une personne influente, il ne risquerait pas d'être inquiété.
Les époux auraient dû se cacher chez des membres de leurs familles. Le demandeur ajoute que son épouse serait tombée enceinte. Avec l'aide de membres de sa famille à lui, son épouse aurait pu procéder à un avortement.
Plus de deux ans après le mariage forcé, il aurait quitté l'Iran. Le demandeur explique qu'il n'aurait pas amené sa femme, parce que cela aurait été trop dangereux.
A son arrivée à Luxembourg, il aurait continué à avoir des contacts avec sa femme par l'intermédiaire de la sœur de celle-ci. Depuis un certain temps les rapports entre les époux seraient rompus et il serait sans nouvelles de sa femme.
Appréciation :
La commission entend porter une appréciation sur la demande du sieur … au niveau de la crédibilité de ses dires et au niveau de la nature des persécutions qu'il allègue.
La commission éprouve des doutes quant à la crédibilité de l'intéressé. Ces doutes tiennent à l'existence de discordances dans ses dires, à l'absence de précision de ses affirmations et à l'absence d'explications cohérentes sur certains points. L'audition complémentaire au cours de laquelle la commission a elle-même posé des questions n'a pas permis de tirer au clair ces points.
Les allégations du demandeur quant aux risques de poursuite de la part des autorités se résument dans l'affirmation que son beau-père aurait porté plainte, que la police serait venue au domicile de ses parents et chez lui et qu'un mandat d'arrêt aurait été émis contre lui. L'intéressé ne semble toutefois jamais avoir été interrogé par les forces de l'ordre ni cité devant un tribunal. La commission s'interroge d'ailleurs sur la nature des poursuites auxquelles il était exposé, alors que l'acte illégal de relations extraconjugales est couvert par le mariage qui a été justement imposé par les brigades des mœurs, émanation des pouvoirs publics.
La commission s'interroge encore sur les craintes avancées par l'intéressé au regard des projets de mise à mort conçus par son beau-père. La commission note, d'abord, que le demandeur parle tantôt de menaces de mort à son encontre, tantôt de projets de tuer les deux conjoints ; il reste toutefois très vague quant aux menaces à l'égard de son épouse.
:t La commission a du mal à saisir comment le beau-père aurait voulu et pu réaliser un tel projet alors qu'il se mettait en opposition avec la loi islamique au titre de laquelle le mariage avait été célébré et qu'il risquait par ailleurs de voir ses projets découverts et dénoncés. Le demandeur reste d'ailleurs très vague quant à l'existence de faits ou d'indices concrétisant les menaces qu'il allègue ou accréditant leur existence.
La commission relève encore le manque d'explications satisfaisantes de l'intéressé quant au fait qu'il a abandonné son épouse au moment de sa fuite, alors que, après l'avortement, elle était autant sinon plus exposée à des poursuites que le demandeur.
Même à admettre la véracité des affirmations du demandeur, la commission s'interroge sur l'existence d'un risque de persécution au sens de la Convention de Genève.
L'intéressé invoque deux types de persécution : une persécution de la part des autorités publiques iraniennes et une persécution de la part de son beau-père.
La persécution de la part des autorités relève, à l'évidence, de celles visées par la Convention de Genève. La commission constate toutefois que le demandeur reste en défaut d'invoquer de craintes sérieuses quant à un risque de persécution. Il se borne à faire état d'une plainte de la part de son beau-père non autrement précisée, d'une visite occasionnelle de la police en présence de membres de sa belle-famille et d'un prétendu mandat d'arrêt dont il aurait appris l'existence. La commission s'interroge encore sur la nature d'une action publique contre le demandeur dans la mesure où les actes illégaux ont été couverts par le mariage imposé par les brigades des mœurs.
Le demandeur insiste, dans ses déclarations, sur la persécution dont il ferait l'objet de la part de son beau-père qui aurait décidé de le faire éliminer. La commission rappelle que des actes de persécution émanant de particuliers peuvent être invoqués à l'appui d'une demande d'asile s'ils revêtent une connotation politique, religieuse, ethnique ou autre, au sens de la Convention de Genève, et s'ils sont imputables à l'Etat, soit que les autorités politiques sont complices ou complaisantes, soit qu'elles sont dans l'impossibilité objective d'intervenir faute des moyens nécessaires.
Or, d'une part, les risques dont fait état le demandeur, même si elles se situent dans un contexte culturel bien précis, trouvent leur origine dans un acte de vengeance d'un particulier qui entend régler un conflit de nature personnelle avec le demandeur. D'autre part, le demandeur, sauf à indiquer que son beau-père serait un homme influent, omet de donner la moindre indication sur une prétendue complicité ou connivence des autorités. Une telle complicité ou connivence est d'ailleurs difficile à admettre, dès lors que le meurtre apparemment conçu par le beau-père mettait en cause l'état de mariage établi conformément à la loi islamique. Enfin, le demandeur ne semble pas avoir contacté les autorités en vue de leur faire part des projets du beau-père.
Dans ces conditions, la commission considère que même à admettre la véracité des dires de l'intéressé, ce dernier n'a pas invoqué des craintes sérieuses de persécution au sens de la Convention de Genève.
Conclusion La commission propose de rejeter la demande d'obtention du statut de réfugié. » Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après « le ministre » informa Monsieur … par décision du 10 juillet 2007, lui expédiée par courrier recommandé le 12 juillet 2007, de ce qu’il ne saurait bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève au motif qu’aucune des raisons invoquées à l’appui de sa demande ne saurait fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève et qu’il ne saurait bénéficier de la protection subsidiaire au motif que son récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’il court un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après « la loi du 5 mai 2006 ». Cette décision est libellée comme suit :
« J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration en date du 17 août 2005.
En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du même jour et le rapport de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration datés des 17 novembre et 15 décembre 2005, ainsi que du 20 avril 2006 et le rapport complémentaire daté du 26 avril 2007.
En mains également l'avis donné par la Commission Consultative pour Réfugié daté du 16 février 2005, qui est annexé à la présente pour en faire partie intégrante.
Je me rallie à l'avis de la Commission Consultative.
En conséquence, je constate que vous n'alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Une crainte fondée de persécution pour raison d'opinion politique, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social n'est par conséquent pas établie.
En outre, votre récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits invoqués à l'appui de votre demande ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile ; 2) d'un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. Le bénéfice de la protection subsidiaire tel que prévu par la loi du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection doit également vous être refusé.
La présente décision est susceptible d'un recours en réformation devant le Tribunal administratif. Ce recours doit être introduit par requête signée d'un avocat à la Cour dans un délai d'un mois à partir de la notification de la présente. » Le 3 août 2007, Monsieur … fit introduire un recours gracieux à l’encontre de cette décision.
Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma sa décision antérieure par une décision prise en date du 10 août 2007, expédiée par lettre recommandée le même jour.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 5 septembre 2007, Monsieur … a fait déposer un recours en réformation à l’encontre des deux décisions ministérielles de refus des 10 juillet et 10 août 2007.
Etant donné que tant l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1.
d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, que l’article 19, paragraphe 3 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection prévoient un recours en réformation en matière de demandes d’asile et de demandes de protection subsidiaire déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de sa requête, Monsieur … fait valoir que dans le cadre d’un recours en réformation, il pourrait invoquer des moyens de nullité. Il estime que dans le cadre de son recours gracieux, il aurait soumis au ministre des éléments nouveaux mais que le ministre, sans transmettre ces nouveaux éléments à la Commission, aurait purement et simplement confirmé sa décision initiale. Par ailleurs, la Commission ne se serait pas prononcée sur la protection subsidiaire en vertu de la loi du 5 mai 2006. Il en conclut que la procédure d’instruction de son dossier serait viciée et que cette irrégularité violerait les formes destinées à protéger les intérêts des administrés tels que décrits dans le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après « le règlement du 8 juin 1979 », de sorte que les décisions ministérielles serait à annuler de ce chef.
Le délégué du Gouvernement estime que l'avis de la Commission consultative serait, comme son nom l'indique, consultatif. Le ministre n'aurait aucune obligation de la saisir et il pourrait se passer de son avis s'il ne l'estime pas utile. En l'occurrence, les arguments invoqués par le requérant et son mandataire dans le recours gracieux n'appelleraient pas de nouvelle saisine de la Commission. Le recours gracieux se serait borné à préciser certains points de l'audition du requérant sans apporter d'éléments nouveaux. Le recours insisterait sur le concept de « diyeh », pratique invoquée par le requérant dans son audition et sur laquelle il aurait déjà été débattu. Une audition entière, celle du 26 avril 2007, dirigée par les membres de la Commission eux-mêmes, aurait été consacrée au mariage du requérant et aux conséquences de cette union sur la situation du requérant et donc sur la pratique du « diyeh ». De plus, l'audition du 20 avril 2006 aurait également abordé le problème du « diyeh », l'agent ministériel aurait fait des recherches sur cette pratique et aurait dit au requérant que ses recherches ne correspondaient pas à ses affirmations. Le requérant aurait soutenu que le « diyeh » constituait une sorte de « licence to kill » permettant d'entamer une vendetta contre quelqu’un à charge à sa mort de payer une certaine somme à sa famille.
En fait, les recherches auraient montré que le « diyeh » constituerait une compensation, une indemnité forfaitaire, allouée à la famille de la victime par l'auteur d'un accident (ex : celui qui a écrasé quelqu'un propose un « diyeh » à la famille de la victime pour éviter des poursuites judiciaires). De plus, le « diyeh » devrait être accepté par la famille de la victime.
Partant, il résulterait de ces explications que le ministre n'aurait eu aucune raison de saisir à nouveau la Commission, les éléments apportés dans le recours gracieux n’ayant pas été de nature à invalider la décision incriminée. La procédure serait régulière et elle n'encourrait aucune annulation.
Dans son mémoire en réplique le demandeur précise que la disposition réglementaire pertinente serait l’article 4 du règlement du 8 juin 1979 et que son recours gracieux énoncerait un certain nombre d’éléments de fait et de droit nouveaux. Il réitère en outre son reproche à l’égard de l’avis de la Commission en ce qu’elle ne se serait pas prononcée sur la protection subsidiaire en vertu de l’article 37 de la loi du 5 mai 2007.
L’article 4 (3) de la de la loi du 5 mai 2006 dispose : « Le ministre peut soumettre à la commission pour avis un dossier individuel constitué à l’occasion d’une demande de protection internationale. La commission rend son avis dans un délai d’un mois à partir de sa saisine. » Force est dés lors de constater que le ministre n’est pas tenu de soumettre un dossier d’une demande de protection internationale à la Commission et qu’il n’est par conséquent pas lié par cet avis. D’autre part, s’il est vrai que la Commission est saisie dans le cadre d’une demande de protection internationale comportant tant le volet de l’asile que celui de la protection subsidiaire, la loi reste muette quant au contenu que doit avoir l’avis de la Commission, de sorte que les conséquences que le demandeur entend dégager du caractère incomplet allégué de cet avis ne sauraient être admis. Force est également de constater que la Commission a motivé son svid en ce qui concerne le volet sur lequel elle s’est prononcée de sorte que le moyen tiré de l’article 4 du règlement du 8 juin 1979 consistant en un défaut de motivation n’est pas fondé. Finalement, si le ministre s’est rallié à l’avis de la Commission en ce qui concerne le statut de réfugié, il a spécialement motivé sa décision de rejet de la protection internationale de sorte que le moyen du demandeur laisse d’être fondé.
Dans la mesure où la saisine de la Commission est facultative pour le ministre, ce dernier n’avait pas l’obligation de saisir à nouveau la Commission suite au recours gracieux du demandeur, indépendamment de la question de savoir si le recours gracieux a soumis au ministre des éléments de fait et de droit nouveaux.
Quant au fond, le demandeur estime que les décisions déférées devraient être réformées pour violation de la loi sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits. Il reproche au ministre de ne pas avoir tiré les conséquences appropriées de l’existence d’un mandat d’arrêt émis contre lui par les autorités iraniennes, ainsi que des menaces de mort qui pèseraient sur lui de la part de son beau-père. Il explique qu’il aurait été contraint de se marier, sans le consentement des parents de sa femme, suite à l’intervention de la brigade des mœurs qui l’aurait surpris en compagnie de son amie.
Plus particulièrement il critique l’appréciation par la Commission des risques de poursuite de la part des autorités iraniennes et de son beau-père alors que son beau-père n’accepterait pas le mariage de sa fille et qu’il serait de ce fait exposé au « dieh ».
Sur base de l’article 12 de la loi du 21 juin 1999, le demandeur sollicite à titre subsidiaire la nomination d’un expert pour dresser un rapport détaillé quant aux risques de persécution découlant de l’application de la « dieh » en Iran.
Quant à sa fuite sans son épouse, le demandeur explique que sa femme aurait accouché juste avant le voyage et qu’il n’aurait pas voulu l’exposer au voyage périlleux à travers les montagnes.
Finalement, le demandeur invoque un rapport d’Amnesty International de 2007 pour soutenir que la situation des droits de l’homme se détériorerait en Iran pour en conclure que sa vie serait intolérable en cas de retour dans son pays d’origine.
Le délégué du Gouvernement fait valoir que tant la Commission consultative que le ministre auraient mis en cause la crédibilité du récit du requérant. En effet, une reconstitution chronologique des événements de ces deux années serait absolument impossible tant les dires du demandeur seraient confus et parfois même contradictoires.
D'abord, il serait curieux que le mariage forcé du demandeur, organisé à la sauvette par des agents de la brigade des mœurs aurait fait l'objet d'un enregistrement en bonne et due forme chez un notaire. Or, ce serait justement une copie de cet acte notarié qui serait fournie par le requérant. Au vu de cet acte officiel, il serait impossible que les parents de son épouse n'aient appris le mariage que deux ans plus tard. En effet, les témoins certificateurs du mariage seraient : …, père du requérant et … , père de la mariée. A la page première de cet acte, on pourrait lire « Signature du tuteur de la mariée. » Il s'agirait du père de la mariée qui serait aussi son tuteur. S'il s'agirait d'une autre personne – en l'occurrence le frère de la mariée – l'acte aurait mentionnée cette parenté et les raisons de l’absence du tuteur, donc le père, à l'acte.
Il relève en outre qu’à la page 6 du rapport d’audition, le demandeur a dit avoir connu sa femme deux ou trois semaines avant d'avoir été pris en flagrant délit de relations sexuelles et avoir été emmené par la brigade des mœurs, mais qu’à la page 12, il a soutenu qu'au moment de son mariage, il n’aurait connu sa femme que depuis quelques jours. Il aurait aussi été possible aux époux de divorcer, contrairement aux dires du demandeur dans la mesure où le contrat de mariage contiendrait de nombreux alinéas faisant référence au divorce. Il serait également impossible, au vu des auditions, de se rendre compte de la fréquence des relations des époux, le requérant relatant parfois qu'il aurait vu passer sa femme mais qu'il n’aurait pas pu lui parler et plus tard qu'il l’aurait vue plusieurs soirs par semaine. De même, il serait impossible de situer la grossesse de son épouse dans le temps. Dans l'une des auditions, le requérant aurait dit « en un mois et demi, tous nos problèmes sont arrivés » (voir p. 11 du rapport d’audition). Ceci semblerait confirmé par le recours lui-même : « Que quand à la fuite de Monsieur … sans son épouse, ce dernier a expliqué oralement lors de son audition qu'il ne pouvait pas exposer son épouse qui venait juste d'accoucher ». En remplaçant le terme accoucher par « avorter », cela semblerait confirmer cette thèse. Mais il semblerait cependant qu'elle ait été enceinte avant cela et que la famille ne l'aurait appris que par la suite seulement.
A la page 11 du rapport d’audition, le demandeur soutiendrait que « Les parents n'ont appris notre mariage forcé que deux ans après et puis ils l'ont appris (l'avortement) par la secrétaire de médecin… ». Ceci d'autant plus que le demandeur affirmerait avoir été battu par des cousins de son épouse avant le « diyeh » et avant que sa femme ne soit enceinte.
En ce qui concerne l'avortement de sa femme, le délégué du Gouvernement estime également que le récit du demandeur serait peu crédible. En effet, le requérant affirmerait que son épouse serait issue d'une famille fort pieuse et qu'elle-même considérerait leur situation maritale comme un péché. On comprendrait mal, de la part d'une femme si pieuse, le désir d'avorter qui ajouterait à un péché (les relations sexuelles) un péché plus grand encore (l'avortement).
Le délégué du Gouvernement souligne que l'avortement en Iran ne serait pas d'office puni de la peine de mort. En effet, il serait permis pendant les quatre premiers mois de la grossesse en cas de malformation du fœtus si la vie de la mère est en danger avec l'accord des deux parents et la confirmation de trois médecins. Malgré la complexité apparente de cette procédure, il serait possible d'obtenir ce genre de certificats moyennant bakchich.
Il estime par ailleurs que les explications du demandeur concernant la pratique du « dieh » seraient floues et donc peu convaincantes. De plus, même dans le cadre d'un « dieh », un recours serait possible auprès des autorités judiciaires. Finalement, il serait curieux que le demandeur se soit fait voler ses documents d'identité pendant son voyage, mais pas la copie de ceux de sa femme.
Dans son mémoire en réplique le demandeur prend position par rapport aux prétendues lacunes et contradictions mises en avant par le délégué du Gouvernement. En ce qui concerne l’impossibilité alléguée de reconstruire chronologiquement les évènements, le demandeur estime qu’il aurait répondu à toutes les questions qui lui ont été posées lors des auditions et il affirme que si l’autorité ministérielle estimait que les auditions étaient incomplètes il lui incombait de le convoquer à nouveau.
Plus précisément quant aux témoins ayant signé l’acte de mariage, il explique que la signature du père de la marié serait fausse. Quant au moment où les époux se seraient rencontrés, il explique qu’en Iran la perception du temps serait différente et qu’en tout cas la rencontre des époux se serait faite dans un intervalle inférieur à un mois. Quant à la possibilité de divorcer, le demandeur explique qu’en cas de mariage châtiment, le divorce ne serait pas possible, ce qui serait confirmé par les mentions de l’acte de mariage. Quant aux fréquences des relations entre les époux, il soutient qu’avant le mariage ils se seraient vus quelques fois et ils se seraient téléphonés. Il ajoute que la maison de sa fiancée se serait trouvée juste à côté de son magasin et qu’elle passait par conséquent souvent devant son magasin mais qu’il ne l’aurait vue que quelques soirs. Concernant la possibilité d’avortement en droit iranien, le demandeur estime que sa femme ne relèverait d’aucune des dérogations prévues. A propos du « dieh », il entend préciser que le père de sa femme aurait dit à des personnes de le tuer et que le recours aux autorités judiciaires serait post mortem. Au sujet des documents de voyage il réaffirme que ses documents de voyage lui auraient été volés par le passeur mais qu’il aurait gardé les papiers de sa femme.
Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par Monsieur … à l’appui de sa demande en obtention d’une protection internationale lors de ses auditions, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006.
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.
Il échet de rappeler que le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demande d'asile, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d'asile, tout en prenant en considération la situation générale existant dans son pays d’origine. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur, la crédibilité d’un demandeur d’asile constituant en effet un élément d’appréciation fondamental dans l’appréciation de la justification d’une demande d’asile, spécialement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut1.
A ce sujet il y a lieu de relever que la décision ministérielle du 10 juillet 2007, est basée principalement sur le constat d’un défaut de crédibilité et de cohérence au niveau du récit présenté par Monsieur … à l’appui de sa demande, le ministre, dans sa prédite décision et au cours de la procédure contentieuse, ayant fait état à cet égard de toute une série d’incohérences et d’éléments mettant en doute la crédibilité des déclarations du requérant.
Force est de constater que le ministre a relevé à bon droit qu’il est difficile de reconstituer chronologiquement les faits tels que relatés par le demandeur. L’explication de ce dernier qu’il appartenait au ministre de le convoquer à nouveau si des questions étaient restées en souffrance, n’est pas convaincante alors que le demandeur avait la possibilité de présenter un récit chronologiquement cohérent dans le cadre de la procédure contentieuse au lieu de se limiter à répondre à des points singuliers. Force est également de constater que la Commission a relevé à juste titre que des doutes existent en raison de discordances dans les dires du demandeur et que le demandeur n’a pas pu apporter des explications cohérentes sur certains points.
Ainsi il est impossible de situer la grossesse de son épouse dans le temps et l’explication du demandeur que l’avortement aurait eu lieu probablement le premier mois de l’année 1384 du calendrier iranien ne permet pas au tribunal de situer l’avortement dans le temps. En effet, il aurait non seulement appartenu au demandeur d’indiquer avec précision la date de l’avortement, mais il est également surprenant qu’il ne semble pas savoir quand l’avortement a eu lieu alors qu’il prétend qu’il a lui même dû chercher le médecin. D’autre part, le demandeur n’a pas fourni d’explication convaincante en ce qui concerne la fréquence des rencontres avec sa femme après le mariage alors que son récit est contradictoire sur ce sujet. Par ailleurs, l’explication du demandeur au sujet de la signature du père de son épouse sur l’acte de mariage ne convainc pas. En effet, il est curieux de constater que l’acte de mariage mentionne deux témoins certificateurs, le père du demandeur et celui de son épouse, alors que l’acte ne comporterait qu’une seule signature. Finalement, l’explication du demandeur qu’en Iran on dirait indifféremment quelques jours ou deux semaines n’est pas convaincante alors qu’elle n’élucide pas la contradiction entre la première déclaration du requérant d’avoir connu sa femme deux ou trois semaines avant le mariage et celle ou il soutient de l’avoir connu que quelques jours avant le mariage.
Force est partant de constater qu’il n’a pas fourni d’explications satisfaisantes susceptibles d’élucider sa situation au regard des nombreuses interrogations pourtant clairement posées, de sorte que le tribunal ne peut que constater que lesdits motifs de refus n’ont pas été utilement combattus, de manière à ne pas avoir mis le tribunal en mesure d’accorder une quelconque foi à son récit.
A partir des éléments ci-avant relatés, à savoir du caractère incohérent et douteux du récit du demandeur, il y a lieu de retenir que celui-ci n’a pas fait état de manière crédible d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef.
1 Cour adm. 21 juin 2007, n° 22858C, www.ja.etat.lu Pour le surplus, le tribunal constate que le demandeur n’avance aucun élément de preuve de nature à établir la véracité de son récit alors qu’il a lui-même indiqué lors des auditions qu’il verserait des attestations testimoniales et n’explique pas pourquoi il n’a pas été en mesure de verser ces attestations.
Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance et que la décision ministérielle est fondée sur des motifs valables à cet égard.
En ce qui concerne la demande, basée sur l’article 12 de la loi du 21 juin 1999, tendant à l’institution d’une expertise afin d’analyser les risques de persécution découlant de l’application de la « dieh » en Iran, force est de constater que l’article 12 de la loi du 21 juin 1999 dispose : « Lorsque le tribunal est saisi d’une requête en annulation ou en réformation, le président ou le magistrat qui le remplace peut au provisoire ordonner toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution de l’affaire, à l’exclusion des mesures ayant pour objet des droits civils. » Il s’en suit que le tribunal siégeant en formation collégiale est incompétent pour ordonner les mesures prévues par l’article 12 de la loi du 21 juin 1999, compétence réserve exclusivement au président du tribunal ou au magistrat qui le remplace de sorte que la demande tendant à l’institution d’une expertise est irrecevable, en ce qu’elle est basée sur l’article 12 de la loi du 21 juin 1999.
D’autre part la loi du 21 juin 1999, en son article 14, confère au tribunal, siégeant en formation collégiale, la compétence d’ordonner un certain nombre de mesures d’instruction sans que cet article ne saurait avoir pour finalité de suppléer à la carence des parties auxquelles il appartient d’instruire leur dossier et de soumettre au tribunal les pièces sur lesquelles elles entendent se baser conformément au principe de la répartition de la charge de la preuve en procédure contentieuse. Il s’ensuit que la demande en institution d’une expertise n’est pas fondée.
En ce qui concerne le refus du ministre d’accorder au demandeur le bénéfice de la protection subsidiaire telle que prévue par la loi du 5 mai 2006, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 2, e) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire», « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 37 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses littéra a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Le demandeur estime qu’il ne serait raisonnablement pas à exclure qu’il fasse l’objet d’actes de tortures sinon de traitements inhumains tels que prévus à l’article 37 sub b) de la loi du 5 mai 2006. Ce risque découlerait des faits de l’espèce et plus particulièrement des risques de persécution en raison de l’existence d’un mandat d’arrêt contre lui émis par les autorités iraniennes ainsi que des menaces de mort de la part de son beau-père.
Au vu du manqué de crédibilité du récit du demandeur, force est de retenir que c’est à juste titre que le ministre dans la décision entreprise, a estimé en considération des éléments ci-avant visés, que le demandeur ne court pas, en cas de retour éventuel en Iran, un risque réel de se voir infliger la peine de mort ou de se faire exécuter ou encore de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants respectivement de faire l’objet de menaces graves et individuelles contre sa vie en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Au vu de ce qui précède, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, déclare la demande en institution d’une expertise irrecevable en ce qu’elle est fondée sur l’article 12 de la loi du 21 juin 1999, déclare la demande en institution d’une expertise pour le surplus non fondée, au fond déclare le recours non fondé et en déboute, condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 19 mars 2008 par :
Mme Lenert, vice-président, M. Sünnen, juge, M. Fellens, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Lenert 12