GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle: 23644C Inscrit le 12 novembre 2007
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AUDIENCE PUBLIQUE DU 28 FEVRIER 2008 Appel interjeté par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg contre un jugement rendu le 3 octobre 2007, no 22616 du rôle, par le tribunal administratif dans une affaire ayant opposé les époux XXX et XXX XXX à deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière d’autorisation de séjour
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Vu l’acte d’appel déposé au greffe de la Cour administrative le 12 novembre 2007 par Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER contre un jugement rendu le 3 octobre 2007 par le tribunal administratif en matière d’autorisation de séjour à la requête de Monsieur XXX XXX, né le 26 septembre 1981 à XXX (République de Serbie), de nationalité serbe, demeurant à L-XXX, et de son épouse, Madame XXX XXX, née le 7 novembre 1986 à XXX (République de Serbie), de nationalité serbe, demeurant actuellement à XXX, XXX, contre un arrêté du ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration du 27 septembre 2006 portant refus de délivrance d’une autorisation de séjour à Madame XXX XXX, ainsi que contre une décision de refus confirmative prise par le même ministre en date du 5 décembre 2006, suite à un recours gracieux ;
Vu le mandat pour interjeter appel du jugement du 3 octobre 2007 délivré par le ministre délégué aux Affaires étrangères et à l’Immigration à la date du 31 octobre 2007 ;
Vu le mémoire en réponse, erronément intitulé « mémoire en réplique », déposé au greffe de la Cour administrative le 19 décembre 2007 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH pour les parties intimées, les époux XXX et XXX XXX, préqualifiés ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 8 janvier 2008 par Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER ;
Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;
Le rapporteur entendu en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH en leurs plaidoiries respectives.
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Par jugement rendu le 3 octobre 2007, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, a annulé deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après dénommé le « ministre », prises en date des 27 septembre et 5 décembre 2006, la seconde confirmative, sur recours gracieux, de la première, par lesquelles l’entrée et le séjour sur le territoire luxembourgeois ont été refusés à Madame XXX XXX.
Le tribunal a retenu que le seul motif de refus invoqué en l’espèce par le ministre, tiré du défaut par Monsieur XXX d’être en possession d’un permis de travail de type « B », ne sous-
tend pas valablement les décisions déférées, au motif qu’un tel motif de refus n’est prévu par aucune disposition légale ou réglementaire.
Fort d’un mandat d’interjeter appel délivré le 31 octobre 2007 par le ministre délégué aux Affaires étrangères et à l’Immigration, Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER a relevé appel du jugement du 3 octobre 2007 par acte d’appel déposé le 12 novembre 2007.
Il est reproché aux premiers juges de ne pas avoir fait droit aux conclusions du gouvernement et d’avoir retenu que les décisions de refus d'autorisation de séjour litigieuses seraient le fruit d’une violation de la loi.
Le délégué du gouvernement soutient que les demandeurs originaires n’auraient pas dû être suivis en ce qu’ils ont fait état de l’existence dans le chef de Monsieur XXX de revenus suffisants permettant au couple de vivre au Luxembourg, au motif que les revenus en question n’auraient pas le « caractère stable et régulier » pourtant requis, « étant donné qu'à l'époque de la prise de décision Monsieur XXX disposait seulement d'un permis de séjour valable jusqu'à l'expiration de son permis de travail en date du 18 janvier 2007. » Le délégué fait état de ce que « l'historique des débuts et des fins d'occupation de Monsieur XXX » renseignerait des changements fréquents de patron avec des périodes pendant lesquelles l'intéressé n'avait pas d'occupation régulière, l’intéressé ayant depuis 2003, travaillé « pendant un total de 27 mois alors que durant la même période, il était inactif pendant également 27 mois ». Or, pareilles instabilité et irrégularité de son occupation ne permettraient pas la délivrance d’un permis de travail « B ». Il est encore ajouté que selon une pratique administrative constante, un permis de travail « B » n'est délivré qu'aux régularisés par le travail, tel étant le cas de Monsieur XXX, qui ont rapporté la preuve d'avoir travaillé sans interruption pendant les périodes de validité de 3 permis de travail « A » consécutifs.
De la sorte, les deux refus ministériels seraient légalement justifiés.
Pour le surplus et pour autant que de besoin, le gouvernement se réfère également à son mémoire en réponse de première instance ainsi qu'au dossier administratif versé en première instance.
Dans leur mémoire en réponse déposé le 19 décembre 2007, les époux XXX et XXX XXX se rapportent à la sagesse de la Cour quant à la recevabilité de l'acte d'appel. Se référant à article 1er, alinéa 2 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, en vertu duquel toute requête introductive d’instance devrait notamment préciser le domicile du requérant, ils relèvent qu’en l’espèce, l’acte d’appel omettrait d’indiquer « l'adresse du Ministère des Affaires Etrangères et de l'Immigration ».
2 Au fond, les intimés déclarent de prime abord qu’ils se rallient pleinement aux développements et conclusions des premiers juges et « par ailleurs, ils maintiennent également dans leur intégralité les différents moyens de droit développés en première instance ».
Sur ce, ils contestent l’affirmation du délégué du gouvernement relativement au fait que Monsieur XXX aurait travaillé depuis 2003 pendant 27 mois et qu’il aurait été inactif pendant une période équivalente, soutenant qu’« une autre période d'inactivité » se dégagerait d’un certificat d'affiliation émis en date du 14 décembre 2007 par centre commun de la sécurité sociale.
Ils insistent encore sur ce que « Monsieur XXX XXX durant le temps [qu’il] (…) n'avait pas d'activité salariale, il ne s'est jamais inscrit au chômage, mais au contraire, il s'est mis activement à la recherche d'un emploi », de même que les changements fréquents d’employeur seraient indépendants de sa volonté et toujours l’œuvre de ses employeurs.
Enfin, selon les intimés le défaut de détention d'un permis de travail « B » ne saurait être un motif valable justifiant un refus de délivrance d’un permis de séjour, au motif que la loi ne prévoirait pas pareil motif de refus.
A travers son mémoire en réplique, le délégué du gouvernement, sur base de la mise en comparaison du certificat d'affiliation du centre commun de la sécurité sociale versé par les intimés et les permis de travail successivement délivrés à Monsieur XXX et soutenant qu’un permis de travail « A » ne permettrait pas de changement d'employeur aux termes de l'article 2, paragraphe 1. du règlement grand-ducal modifié du 12 mai 1972 déterminant les mesures applicables pour l'emploi de travailleurs étrangers sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, fait état d’une occupation irrégulière de Monsieur XXX auprès de la société « XXX Sà rl du 15.11.2005 jusqu'au 19.01.2006, date à laquelle un permis de travail lui a été délivré pour travailler auprès de cette société. En effet, lors de l'entrée en fonctions auprès de la société XXX, l'intimé disposait d'un permis de travail A délivré le 21.01.2005 et valable jusqu'au 20.01.2006 pour la société XXX Sà rl » ; son occupation irrégulière « chez Monsieur XXX XXX du 08.06.2006 jusqu'au 12.01.2007, date à laquelle un permis de travail lui a été délivré pour travailler auprès du sieur XXX. En effet, lors de l'entrée en fonctions auprès du sieur XXX l'intimé disposait d'un permis de travail A délivré le 19.01.2006 et valable jusqu'au 18.01.2007 pour la société XXX » et une occupation irrégulière « auprès de la société XXX Sà rl depuis le 12.06.2007, étant donné qu'il s'est vu délivrer un permis de travail A le 12.01.2007 valable jusqu'au 11.01.2008 pour travailler auprès du sieur XXX XXX ».
Ainsi, selon le représentant étatique, le ministre aurait « témoigné de clémence à l'égard de l'intéressé à trois reprises alors qu'il aurait valablement pu refuser le permis de travail vu le non-respect de la réglementation actuellement en vigueur », mais qu’il resterait pas moins que les trois changements d'employeur seraient intervenus au mépris des dispositions applicables et ils seraient également l’œuvre de l'intimé, qui aurait agi en connaissance de cause.
Enfin, l'exigence de régularité des moyens de subsistance ne saurait par conséquent être analysée comme constituant une condition supplémentaire, mais découlant « de la lecture de l'article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l'entrée et le séjour des étrangers;
2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l'emploi de la main-d'oeuvre étrangère ».
L’appel est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Le moyen d’irrecevabilité soulevé par les intimés, qu’il convient d’examiner non pas par rapport à la disposition par eux invoquée, pour être seulement applicable à la procédure de première instance, mais au regard de l’article 41 (1) de la loi précitée du 21 juin 1999, qui dispose que la requête d’appel à déposer au greffe de la Cour administrative doit notamment contenir « les noms, prénoms et domicile de l’appelant », manque de fondement.
En effet, cette conclusion s’impose au regard de ce qu’il appert que l’Etat appelant, personne publique, a été identifié et est identifiable à suffisance de droit et que, l’article 29 de la susdite loi du 21 juin 1999, applicable aux instances devant la Cour au vœu de l’article 52 de la même loi, prévoyant expressément que « l’inobservation des règles de procédure n’entraîne l’irrecevabilité de la demande que si elle a pour effet de porter effectivement atteinte aux droits de la défense », qu’il n’apparaît pas en quoi les droits de la défense des intimés ont été concrètement atteints.
Concernant les renvois opérés tant par l’Etat appelant que par les intimés à leurs conclusions voire moyens développés au cours de la première instance, il convient de relever que la Cour est saisie dans la limite des prétentions des parties telles que concrétisées à travers les moyens invoqués dans leurs requête ou mémoires, il s’ensuit que sauf l’hypothèse des moyens à soulever d’office, la Cour n’est pas amenée à prendre position par rapport aux moyens qui ne figurent pas dans les conclusions d’appel, en sorte qu’elle n’est pas tenue de répondre aux conclusions de première instance auxquelles se réfèrent simplement les conclusions d’appel.
L’article 2 de la loi modifiée prévisée du 28 mars 1972 dispose que « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger : (…) – qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour », impliquant qu’un refus de délivrer une autorisation de séjour au pays peut être décidé notamment lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour.
S’il est vrai que l’arrêté ministériel de refus d’entrée et de séjour du 27 septembre 2006 énonce comme seul motif de refus le fait que Monsieur XXX n’est pas en possession d’un permis de travail de type « B » et qu’il est incontestable que l’obligation d’être en possession de pareil permis de travail n’est en tant que tel pas un motif de refus rentrant dans le cadre légal notamment posé par l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972, il n’en reste pas moins que mis en rapport et combiné avec l’exigence légale de l’existence de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, le motif n’est pas moins de nature à rentrer dans ce cadre légal et, le cas échéant, de nature à justifier le refus ministériel.
En effet, même à défaut de transposition de la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial qui prévoit, en son article 7, la possibilité pour les Etats membres d'exiger de la personne qui introduit une demande de regroupement familial, la preuve que le regroupant dispose de ressources stables régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et à ceux des membres de sa famille, l’instabilité ou l’irrégularité des ressources, de même que leur précarité peuvent, le cas échéant, justifier le constat d’un défaut d’existence de moyens de subsistance suffisants.
En l’espèce, la Cour ne saurait cependant approuver le raisonnement du délégué du gouvernement qui, d’un côté, relève la « clémence » du ministre d’être passé outre des changements d’employeurs irréguliers et d’avoir régularisé la situation de l’intéressé à trois reprises et, d’un autre côté, entend voir cautionner une position diamétralement opposée tendant à voir qualifier la relation de travail de l’intéressé d’illégale et instable en raison desdits changements d’employeurs.
En effet, dès lors que l’on ne saurait admettre que l’Etat puisse verser dans l’incohérence, les différentes régularisations de la situation professionnelle de l’intéressé, ensemble le fait qu’au moment où les décisions litigieuses ont été prises, ce dernier bénéficiait, dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée, d’un revenu mensuel brut de 1.503,42 € et d’un permis de travail valable jusqu’au 18 janvier 2007, amènent la Cour à retenir dans le chef de Monsieur XXX l’existence d’une source légale, stable et suffisante de ressources. Aucun motif de refus d’un permis de séjour ne saurait être dégagé sous ce rapport. - La Cour se rallie encore au raisonnement des premiers juges, tiré de ce que dès lors qu’il appartient aussi bien à l’épouse qu’à l’époux d’assurer la direction matérielle de la famille et de contribuer aux charges du mariage, c’est à bon droit que les appelants peuvent prendre appui sur le revenu de Monsieur XXX pour prouver également l’existence de moyens personnels suffisants dans le chef de son épouse.
Il reste à préciser que s’il appert qu’au jour de la prise de l’arrêté de refus initial, soit le 27 septembre 2006 et, plus spécialement encore, au jour de la prise de la décision confirmative, soit le 5 décembre 2006, la durée de validité restante du permis de travail dont Monsieur XXX bénéficiait à l’époque allait à son terme, il n’en reste pas moins qu’au jour du refus initial, il restait encore 3 mois et demi avant l’expiration du permis de travail, mais surtout, que compte tenu de la délivrance de permis successifs depuis 2003, il convenait de retenir l’existence d’une expectative suffisamment probable que Monsieur XXX bénéficierait d’une décision de prorogation de son permis.
L’appel n’est donc pas fondé et le jugement entrepris est à confirmer dans toute sa teneur.
Par ces motifs, la Cour, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;
reçoit l’appel du 12 novembre 2007 ;
le dit non fondé et en déboute ;
partant confirme le jugement entrepris du 3 octobre 2007 ;
condamne l’Etat aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé par :
Georges RAVARANI, président, Henri CAMPILL, premier conseiller, Serge SCHROEDER, conseiller, et lu par le président en l’audience publique au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête en présence du greffier en chef de la Cour Erny MAY.
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