Tribunal administratif Numéro 24032 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 février 2008 Audience publique du 14 février 2008 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre un arrêté du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative
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JUGEMENT
Vu la requête, inscrite sous le numéro 24032 du rôle, déposée le 6 février 2008 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le 13 juin 1986, de nationalité nigériane, actuellement placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, tendant à la réformation d’un arrêté du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 11 janvier 2008 prononçant à son encontre une mesure de placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 février 2008 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté entrepris ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline GUILLOU-
JACQUES en leurs plaidoiries respectives à l’audience du 13 février 2008.
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Le 2 juin 2003, Monsieur … formula une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, laquelle demande fut rejetée comme non fondée par une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 6 février 2006. Le recours contentieux dirigé contre la décision ministérielle précitée fut définitivement rejeté par un arrêt de la Cour administrative du 5 décembre 2006.
Par courrier de son mandataire du 20 juillet 2007, précisé par un courrier du 24 juillet 2007, Monsieur … sollicita de la part du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’octroi d’un statut de tolérance sur base de l’article 22 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection.
Par décision du 31 juillet 2007, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration rejeta cette demande en obtention d’un statut de tolérance comme non fondée.
Le recours contentieux introduit contre la décision ministérielle du 31 juillet 2007 fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 11 février 2008.
Par arrêté du 11 janvier 2008, notifié le 31 janvier 2008, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration ordonna le placement de Monsieur … au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, ci-après désigné par « le Centre de séjour », pour une durée maximale d'un mois à partir de la notification de ladite décision dans l'attente de son éloignement du territoire luxembourgeois.
Ladite décision repose sur les considérations et motifs suivants :
« Vu l'article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l'entrée et le séjour des étrangers ;
Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;
Vu mon arrêté de refus d’entrée et de séjour du 16 janvier 2007, lui notifié le 18 janvier 2007 ;
Considérant que l’intéressé est démuni de toute pièce d’identité et de voyage valable ;
- qu’il ne dispose pas de moyens d'existence personnels légalement acquis ;
- qu'il se trouve en séjour irrégulier au pays ;
- que l’éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;
Considérant qu’un accord de délivrance d’un laissez-passer a été donné par les autorités nigérianes ;
- qu’en attendant l’émission de ce document de voyage, l’éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;
Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d'éloignement ».
Par requête déposée le 6 février 2008 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l'encontre de l’arrêté de placement précité du 11 janvier 2008, lui notifié le 31 janvier 2008.
Etant donné que l'article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l'entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle médical des étrangers; 3.
l'emploi de la main-d'œuvre étrangère, ci-après désignée par « la loi modifiée du 28 mars 1972 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision litigieuse. Ledit recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de son recours, le demandeur soulève tout d’abord une absence de démarches utiles de la part des autorités ministérielles en vue de son éloignement. Il estime que la rétention devrait rester une mesure d’exception. Il soutient avoir fait auparavant l’objet de plusieurs mesures de rétention et qu’un usage répétitif de cette mesure serait disproportionnée par rapport aux objectifs de la loi modifiée du 28 mars 1972.
Le demandeur soulève qu’il se serait toujours présenté de son propre gré aux convocations du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, qu’il habiterait chez la famille F., dont il aurait indiqué l’adresse aux autorités et que par conséquent aucun risque de fuite n’existerait dans son chef.
Le demandeur soulève encore que la décision de le placer au « centre pénitentiaire de Schrassig » serait disproportionnée, tant par rapport à sa propre situation que par rapport à la loi modifiée du 28 mars 1972, puisque ce centre ne constituerait pas un établissement « approprié » au sens de la loi modifiée du 28 mars 1972. Il soutient avoir fait une attaque cardiaque au moment de la notification de la décision sous analyse. Il estime que le Centre de séjour ainsi que le régime auquel il devrait s’y soumettre ne seraient pas appropriés à son état de santé. Il ajoute qu’il serait placé dans une cellule individuelle vingt heures et demie sur vingt quatre, situation qui ne correspondrait pas à une rétention mais à une peine et qui serait donc contraire à l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur dont le recours laisserait d’être fondé. Il soulève que l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 s’appliquerait au demandeur, alors que ce dernier serait en situation irrégulière sur le territoire luxembourgeois, qu’il ne disposerait pas de moyens d’existence personnels et que, eu égard au seul fait de l’irrégularité de leur séjour et de l’imminence d’une mesure d’éloignement, les personnes en situation irrégulière présenteraient en principe et par essence un risque de se soustraire à une mesure d’éloignement. Le délégué du gouvernement soutient par ailleurs que le demandeur aurait été victime d’un malaise et non d’une attaque cardiaque. Il estime que le demandeur aurait dû séjourner pendant une période minimale au Centre de séjour, alors que la rétention fut notifiée le 31 janvier 2008 et que les autorités policières auraient été chargées dès le lendemain d’organiser son retour. Le délégué estime finalement que le Centre de séjour serait un établissement approprié au sens de la loi modifiée du 28 mars 1972.
Aux termes de l’article 15 (1) de la loi modifiée du 28 mars 1972, lorsque l’exécution d’une mesure d’expulsion ou d’éloignement en application des articles 9, 12, ou 14-1 de la même loi ou d’une demande de transit par voie aérienne est impossible en raison des circonstances de fait, l’étranger peut, sur décision du ministre compétent, être placé dans un établissement approprié à cet effet pour une durée d’un mois. Cette décision de placement ne peut être prolongée qu’à deux reprises, pour la durée d’un mois, aux termes de l’article 15 (2) de la loi modifiée du 28 mars 1972 qu’ « en cas de nécessité absolue ».
Il s’ensuit que la durée du séjour d’un étranger au Centre de séjour doit être réduite au maximum, afin de ne pas le priver de sa liberté au-delà du nécessaire.
Le défaut par les autorités ministérielles de prendre des mesures appropriées dès que le placement a été ordonné afin d’assurer que l’intéressé puisse être éloigné du pays dans les meilleurs délais et afin d’écourter au maximum sa privation de liberté et le défaut de justifier l’existence de faits rendant un éloignement immédiat impossible rendent non justifiée une mesure de placement. Il appartient au juge administratif de vérifier si les autorités administratives ont entrepris les démarches nécessaires et utiles pour assurer un éloignement de la personne placée dans les meilleurs délais, c’est-à-dire de façon à écourter au maximum sa privation de liberté.1 En l’espèce, eu égard aux pièces versées au dossier et aux explications fournies lors l’audience des plaidoiries à l’audience, le tribunal est amené à constater que les autorités administratives n’établissent pas avoir accompli des diligences suffisantes, afin d’écourter au maximum la privation de liberté du demandeur.
Il ressort encore des dites pièces qu’au plus tard en date du 16 décembre 2007, les autorités administratives luxembourgeoises avaient connaissance qu’en date du 15 décembre 2007 un accord de réadmission avait été émis par la république du Nigeria. Il ne restait donc 1 cf. trib. adm. 24 mars 1999, no 11200 du rôle, Pas. adm. 2006 v « Etrangers » no 399 ; Trib. adm. 6 février 2003 no 15933 du rôle, Pas adm. 2006 v « Etrangers » no 402 et autres décisions y citées aux autorités luxembourgeoises plus que d’organiser concrètement le rapatriement du demandeur. Ce dernier a été placé en rétention le 31 janvier 2008, soit à un moment où l’organisation matérielle de son rapatriement n’avait pas encore débuté. Les autorités policières n’ont été chargées que le 1er février 2008 de cette organisation. De plus, lors de l’audience de plaidoiries du 13 février 2008, soit treize jours après le placement du demandeur, la date pour son éloignement n’était toujours pas fixée. Il s’ensuit que les diligences effectuées par les autorités administratives, en vue du rapatriement du demandeur, ne sauraient être qualifiées de suffisantes afin d’écourter au maximum le séjour de ce dernier au Centre de séjour.
Cette considération n’est pas mise en cause par les explications fournies par le délégué du gouvernement, lors des plaidoiries à l’audience, suivant lesquelles le demandeur ferait partie d’un groupe de six nigériens, dont le rapatriement devrait être organisé et dont, pour des raisons d’ordre pratique, le rapatriement serait effectué en une seule fois, le représentant étatique précisant toutefois que le dossier de certaines des autres personnes à éloigner ne serait pas encore en état.
Au sens de l’article 15 (1) précité de la loi modifiée du 28 mars 1972, le placement au Centre de séjour est justifié uniquement si l’éloignement est impossible en raison de circonstances de fait. Le fait de vouloir organiser une seule opération de rapatriement pour plusieurs personnes, constitue une modalité de rapatriement choisie par les autorités administratives et non pas une circonstance de fait au sens de l’article 15 (1) précité, rendant l’éloignement impossible. La privation de liberté d’un étranger ne saurait dépasser un laps de temps strictement nécessaire à l’organisation du rapatriement. Les autorités administratives ne peuvent dès lors pas justifier le séjour du demandeur au Centre de séjour par des raisons d’organisation pratique.
Il découle des éléments qui précèdent que les diligences accomplies par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration sont insuffisantes pour organiser le rapatriement dans les meilleurs délais et écourter ainsi au maximum le séjour du demandeur au Centre de séjour.
Le placement de Monsieur … sur base de l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 n’étant dès lors plus justifié, il y a lieu, par réformation de la décision entreprise d’ordonner la libération immédiate de l’intéressé.
PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond le déclare justifié ;
partant, par réformation de la décision entreprise du 11 janvier 2008 ordonne la libération immédiate de Monsieur … ;
met les frais à charge de l’Etat.
Ainsi jugé par:
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Françoise Eberhard, juge Lexie Breuskin, juge et lu à l’audience publique du 14 février 2008 par le premier vice-président, en présence de M. Legille, greffier.
s. Legille s. Schockweiler 5